Culture Libre

Comment les médias utilisent la technologie et la loi pour verrouiller la culture et contrôler la créativité

Lawrence Lessig

Version 10/02/2004

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17/10/2015

À propos de l'auteur

LAWRENCE LESSIG (http://www.lessig.org), professeur de droit et John A. Wilson Distinguished Faculty Scholar à la Faculté de droit de Stanford, est le fondateur du Stanford Center for Internet and Society et est le président de l’association Creative Commons (http://creativecommons.org). Auteur de The Future of Ideas (Random House, 2001) et de Code : And Other Laws of Cyberspace (Basic Books, 1999), Lessig est un membre du comité de la Public Library of Science, de l’Electronic Frontier Foundation, et de Public Knowledge. Il a été le lauréat du prix de la Free Software Foundation pour le progrès du logiciel libre, a été mentionné deux fois dans BusinessWeek « e.biz 25 », et a figuré parmi les cinquante « visionnaires » de Scientific American. Diplômé de l’Université de Pennsylvanie, de Cambridge et de Yale Law School, Lessig a été greffier pour le juge Richard Posner de la Septième Cour d’Appel des États-Unis.


Du même auteur

  • The USA is lesterland : The nature of congressional corruption (2014)

  • Republic, lost : How money corrupts Congress - and a plan to stop it (2011)

  • Remix : Making art and commerce thrive in the hybrid economy (2008)

  • Code: Version 2.0 (2006)

  • The Future of Ideas : The Fate of the Commons in a Connected World (2001)

  • Code: And Other Laws of Cyberspace (1999)


À Eric Eldred — dont l'oeuvre m'a amené en premier à cette cause, et pour qui elle continue.


Préface
Introduction
I. « Piratage »
1. Créateurs
2. « Simples copistes »
3. Catalogues
4. « Pirates »
4.1. Cinéma
4.2. Musique enregistrée
4.3. Radio
4.4. Télévision par câble
5. « Piratage »
5.1. Piratage I
5.2. Piratage II
II. « Propriété »
6. Fondateurs
7. Enregistreurs
8. Transformateurs
9. Collectionneurs
10. « Propriété »
10.1. Pourquoi Hollywood a raison
10.2. Débuts
10.3. Loi : durée
10.4. Loi : étendue
10.5. Loi et Architecture : Atteinte
10.6. Architecture et Loi : Force
10.7. Marché : Concentration
10.8. Ensemble
III. Casse-têtes
11. Chimères
12. Dommages
12.1. Contraindre les créateurs
12.2. Contraindre les innovateurs
12.3. Corrompre les citoyens
IV. Équilibres
13. Eldred
14. Eldred II
Conclusion
Postface
1. Nous, maintenant
1.1. Reconstruire les libertés autrefois présumées acquises : exemples
1.2. Reconstruire la culture libre : une idée
2. Eux, bientôt
2.1. 1. Davantage de formalités
2.1.1. Enregistrement et renouvellement
2.1.2. Marquage
2.2. 2. Une durée plus courte
2.3. 3. Usage libre contre usage loyal
2.4. 4. Libérer la musique, à nouveau
2.5. 5. Virer beaucoup d'avocats
Notes
Index
Remerciements
À propos de cette édition
Index

Préface

À la fin de sa critique de mon premier livre, Code : And Other Laws of Cyberspace, David Pogue, un brillant auteur de nombreux textes informatiques et techniques, écrivait :

Contrairement à la loi véritable, Internet n’a pas la capacité de punir. Il ne touche pas les gens qui ne sont pas en ligne (et seule une petite minorité de la population mondiale l’est). Et si vous n’aimez pas Internet, vous pouvez toujours éteindre le modem.[1]

Pogue était sceptique vis-à-vis de l’argument principal du livre, à savoir que le logiciel, ou le « code », fonctionne comme une sorte de loi. Sa critique suggérait l’heureuse idée que si la vie dans le cyberespace tournait mal, nous pouvions toujours actionner l’interrupteur, et « abracadabra ! » être de retour à la maison. Coupons le modem, débranchons l’ordinateur, et tout problème existant dans cet espace cesse de nous « toucher ».

Pogue avait peut-être raison en 1999. Je suis sceptique, mais peut-être. Mais quand bien même il aurait eu raison à l’époque, ce n’est plus le cas aujourd’hui : Culture Libre traite des problèmes causés par Internet même une fois que le modem est éteint. Ce livre démontre comment les batailles qui font rage aujourd’hui concernant la vie en ligne affectent fondamentalement ceux « qui ne sont pas en ligne ». Il n’y a plus d’interrupteur pour nous isoler des effets d’Internet.

Mais contrairement à Code, le sujet de ce livre n’est pas tellement Internet en soi. Le sujet en est plutôt les effets d’Internet sur une de nos traditions, qui est bien plus fondamentale et, aussi difficile à admettre que ce soit pour certains passionnés d’informatique et de technologies, bien plus importante.

Cette tradition, c’est la manière dont notre culture est créée. Comme je l’explique dans les pages qui suivent, nous venons d’une tradition de « culture libre » : non pas libre au sens de gratuit, pour reprendre la phrase du fondateur du logiciel libre[2], mais « libre » comme dans « expression libre », « marchés libres », « commerce libre », « libre entreprise », « libre volonté », et « élections libres ». Une culture libre protège et soutient les créateurs et les innovateurs. Elle le fait d’une manière directe, en accordant des droits de propriété intellectuelle. Mais elle le fait aussi indirectement, en limitant la portée de ces droits, pour garantir que les nouveaux créateurs restent aussi libres que possible d’un contrôle du passé. Une culture libre n’est pas une culture sans aucune propriété, pas plus qu’un marché libre n’est un marché dans lequel tout est gratuit. Le contraire d’une culture libre est une « culture de permissions » : une culture au sein de laquelle les créateurs peuvent créer uniquement avec la permission des puissants, ou des créateurs du passé.

Si nous comprenions ce changement, je pense que nous nous y opposerions. Non pas « nous » à gauche, ou « vous » à droite, mais nous tous qui ne sommes pas actionnaires de ces industries de la culture qui ont caractérisé le vingtième siècle. Que vous soyez de gauche ou de droite, si vous êtes, en ce sens, désintéressés, alors l’histoire que je raconte ici va vous toucher. Car les changements que je décris touchent à des valeurs que les deux bords de notre culture politique tiennent pour fondamentales.

Nous avons eu un aperçu de cette union sacrée au début de l’été 2003. Lorsque la FCC envisagea d’assouplir la réglementation qui limite la concentration des médias, une coalition extraordinaire se mit en place, et la FCC reçut plus de 700.000 lettres de protestation contre ce changement. Lorsque William Safire se décrivit défilant « mal à l’aise, au côté du mouvement des Femmes en Rose pour la Paix et de la National Rifle Association, entre la libérale Olympia Snowe et le conservateur Ted Stevens », il eut une formule simple pour décrire ce qui était en jeu : la concentration du pouvoir. Il demanda :

Ceci vous paraît-il anti-conservateur ? Pas à moi. Les conservateurs devraient jeter l’anathème contre la concentration du pouvoir, qu’il soit politique, d’entreprise, médiatique, culturel. La diffusion du pouvoir jusqu’à l’échelon local, encourageant ainsi la participation individuelle, est l’essence même du fédéralisme et la plus grande expression de la démocratie[3].

Cette idée est un élément de l’argumentation de Culture Libre. Cependant, mon sujet n’est pas juste la concentration du pouvoir qui résulte d’une concentration de la propriété, mais plutôt, peut-être parce que c’est moins visible, la concentration du pouvoir qui résulte d’un changement radical dans la portée pratique de la loi. La loi est en train de changer ; ce changement modifie la façon dont notre culture est créée. Ce changement devrait vous inquiéter, que vous vous intéressiez à Internet ou non, et que vous soyez à droite ou à gauche de Safire.

Le titre et la plus grande partie de mon argumentation sont inspirés du travail de Richard Stallman et de la Free Software Foundation. A vrai dire, quand je relis le travail de Stallman, et plus particulièrement les essais dans Free Software, Free Society, je me rends compte que toutes les idées théoriques que je développe ici sont des idées que Stallman a décrites voilà des décennies. Il serait donc légitime d’affirmer que ce travail est un « simple » travail dérivé.

J’accepte cette critique, si vraiment c’en est une. Le travail d’un juriste est toujours un travail dérivé, et je ne veux rien faire d’autre dans ce livre que de rappeler à une culture une tradition qui a toujours été la sienne. Comme Stallman, je défends cette tradition sur la base de valeurs. Comme Stallman, je crois que ces valeurs sont celles de la liberté. Et comme Stallman, je crois que ces valeurs, héritées de notre passé, vont avoir besoin d’être défendues à l’avenir. Notre passé a connu une culture libre ; notre avenir n’en connaîtra une que si nous changeons le chemin que nous sommes en train d’emprunter aujourd’hui. Comme les arguments de Stallman pour le logiciel libre, le plaidoyer pour une culture libre achoppe sur une confusion qui est difficile à éviter, et même encore plus difficile à comprendre. Une culture libre n’est pas une culture sans propriété ; ce n’est pas une culture dans laquelle les artistes ne sont pas payés. Une culture sans propriété, ou dans laquelle les créateurs ne pourraient pas être payés, serait l’anarchie, et non pas la liberté. Et mon propos n’est pas de plaider pour l’anarchie.

Au contraire, la culture libre que je défends dans ce livre est un équilibre entre anarchie et contrôle. Une culture libre, comme un marché libre, est pleine de propriété. Elle est pleine de règles de propriété, et de contrats, que les pouvoirs publics doivent faire respecter. Mais tout comme un marché libre est perverti quand sa propriété devient féodale, de même une culture libre peut être dévoyée par un extrémisme des règles de propriété qui la définissent. C’est ce que je crains pour notre culture aujourd’hui. C’est contre cet extrémisme que ce livre est écrit.



[1] David Pogue, « Don’t Just Chat, Do Something », The New York Times, 30 janvier 2000.

[2] Richard M. Stallman, Free Software, Free Society: Selected Essays, Joshua Gay dir., GNU Press, 2002, p. 57.

[3] William Safire, « The Great Media Gulp », The New York Times, 22 mai 2003.

Chapitre . Introduction

Le 17 décembre 1903, sur une plage venteuse de Caroline du Nord, en un peu moins de cent secondes, les frères Wright démontrèrent qu’un véhicule autopropulsé plus lourd que l’air pouvait voler. Le moment fut électrique et son importance largement comprise. Presque immédiatement, cette technologie nouvelle du vol habité suscita une explosion d’intérêt, et une nuée d’innovateurs se mirent à l’améliorer.

À l’époque où les frères Wright inventaient l’avion, la loi américaine stipulait que le propriétaire d’un terrain était non seulement propriétaire de la surface de son terrain, mais de tout le sous- sol, jusqu’au centre de la Terre, et de tout l’espace au-dessus, « jusqu’à l’infini. »[4] Depuis des années, les érudits s’étaient demandé comment interpréter au mieux l’idée que des droits de propriété terrestres puissent monter jusqu’aux cieux. Cela signifiait-il que vous possédiez les étoiles ? Pouviez-vous poursuivre les oies en justice, pour violations de propriété volontaires et répétées ?

Puis vinrent les avions et, pour la première fois, ce principe de la loi américaine — profondément ancré dans notre tradition, et reconnu par les plus importants juristes de notre passé — prenait de l’importance. Si ma terre s’étend jusqu’aux cieux, qu’advient-il quand un avion d’United Airlines survole mon champ ? Ai-je le droit de lui interdire ma propriété ? Ai-je le droit de mettre en place un accord d’autorisation exclusive au profit de Delta Airlines ? Pouvons- nous organiser des enchères pour déterminer la valeur de ces droits ?

En 1945, ces questions donnèrent lieu à un procès fédéral. Quand des fermiers de Caroline du Nord, Thomas Lee et Tinie Causby commencèrent à perdre des poulets à cause d’avions militaires volant à basse altitude (apparemment, les poulets terrorisés se jetaient contre les murs du poulailler et en mouraient), ils portèrent plainte au motif que le gouvernement violait leur propriété. Bien entendu, les avions n’avaient jamais touché la surface du terrain des Causby. Mais si, comme l’avaient déclaré en leur temps Blackstone, Kent et Coke, leur terrain s’étendait « vers le haut jusqu’à l’infini », alors le gouvernement commettait une violation de propriété, et les Causby voulaient que cela cesse.

La Cour suprême accepta d’entendre le cas des Causby. Le Congrès avait déclaré les voies aériennes publiques. Mais si le droit de propriété s’étendait réellement jusqu’aux espaces célestes, alors la déclaration du Congrès pouvait très bien être anticonstitutionnelle, car elle constituait une « expropriation » sans dédommagement. La Cour reconnut que « selon l’ancienne doctrine les droits de propriété foncière s’étendent jusqu’à la périphérie de l’univers. » Mais le Juge Douglas n’avait pas la patience d’écouter l’ancienne doctrine. En un simple paragraphe adressé à la Cour, il annula des centaines d’années de droit foncier :

[La] doctrine n’a pas sa place dans le monde moderne. L’espace aérien est public, comme l’a déclaré le Congrès. Si ce n’était pas vrai, n’importe quel opérateur de vols transcontinentaux serait exposé à des plaintes sans nombre, pour violation de propriété. Le sens commun se révolte à cette idée. Donner raison à des revendications privées sur l’espace aérien entraînerait une paralysie des lignes aériennes, compromettrait profondément leur développement et leur contrôle dans l’intérêt public, et reviendrait à privatiser un bien qui a vocation à être public[5].

« Le sens commun se révolte à cette idée. »

C’est comme ça que la loi fonctionne en général. Pas souvent de façon aussi abrupte et impatiente, mais en définitive, c’est comme ça qu’elle fonctionne. C’était le style de Douglas de ne pas tergiverser. D’autres juges auraient noirci des pages et des pages pour arriver à la même conclusion, que Douglas fit tenir en une seule ligne : « le sens commun se révolte à cette idée ». Mais qu’elle tienne en quelques mots ou en plusieurs pages, le génie particulier d’un système de droit commun comme le nôtre est que la loi s’adapte aux technologies de son époque. Et en s’adaptant, elle change. Des idées qui un jour semblent solides comme le roc sont friables le lendemain.

Ou du moins, c’est ainsi que les choses se passent quand il n’y a personne de puissant pour s’opposer au changement. Les Causby n’étaient que des fermiers. Et bien qu’il y eut sans doute beaucoup de gens fâchés comme eux par le trafic aérien naissant (on espère quand même que peu de poulets se jetaient contre les murs), tous les Causby du monde auraient eu beaucoup de mal à s’unir et à arrêter l’idée et la technique que les frères Wright avaient fait naître. Les frères Wright avaient ajouté l’avion au pot commun technologique ; le concept se répandit comme un virus dans un poulailler ; les fermiers comme Causby se trouvèrent brutalement confrontés à « ce qui semblait raisonnable » étant donné la technologie inventée par les Wright. Ils pouvaient à loisir, debout dans leurs fermes, poulets morts à la main, menacer du poing ces nouvelles technologies. Ils pouvaient alerter leurs élus, ou même aller en justice. Mais en fin de compte, la force de « l’évidence » — le pouvoir du « bon sens » — allait l’emporter. Il n’était pas possible de permettre que leur intérêt « privé » nuise à un intérêt public évident.

Edwin Howard Armstrong est un des inventeurs géniaux oubliés de l’Amérique. Il entra sur la scène des grands inventeurs américains juste après des géants comme Thomas Edison et Alexandre Graham Bell. Mais son travail dans le domaine de la technique radiophonique fut peut-être, de celle de tous les inventeurs individuels, la plus importante des cinquante premières années de la radio. Il avait reçu une meilleure instruction que Michael Faraday, qui avait découvert en 1831 l’induction électrique alors qu’il était apprenti-relieur. Mais il avait la même intuition au sujet de la manière dont les ondes radio fonctionnaient et, en trois occasions au moins, Armstrong inventa des technologies extrêmement importantes qui firent avancer notre compréhension de la radio.

Au lendemain de Noël 1933, quatre brevets furent accordés à Armstrong pour son invention la plus importante : la radio FM. Jusque là, les radios grand public émettaient en modulation d’amplitude (AM). Les théoriciens de l’époque avaient déclaré que la radio en modulation de fréquence (FM) ne pourrait jamais fonctionner. Ils avaient raison pour la radio FM dans une bande étroite de fréquences. Mais Armstrong découvrit que la radio à modulation de fréquence dans une large bande de spectre délivrait un son d’une fidélité étonnante, avec beaucoup moins de parasites, et nécessitait bien moins de puissance d’émission.

Il fit une démonstration de cette technologie le 5 novembre 1935, au cours d’une réunion de l’Institut des Ingénieurs Radio, à l’Empire State Building de New York. Il tourna le bouton de réglage de la radio, captant au passage une multitude d’émission AM, jusqu’à ce qu’il trouve l’émission qu’il avait préparée, l’émetteur étant situé à vingt- sept kilomètres de là. La radio se fit tout à fait silencieuse, comme si le poste était mort, et alors, avec une clarté que personne dans la pièce n’avait jamais entendue venant d’un appareil électrique, elle reproduisit la voix d’un animateur : « Ici la radio amateur W2AG à Yonkers, New York, émettant en modulation de fréquence à deux mètres cinquante. »

L’auditoire entendit alors ce que personne n’avait cru possible :

On versa un verre d’eau à Yonkers, devant le microphone : le bruit ressemblait à celui de l’eau qui coule... On froissa et déchira une feuille de papier : le bruit fut celui du papier, et non le grésillement d’un feu de forêt... On passa un disque des marches de Sousa, et on joua un solo de piano et un air de guitare... La musique se répandit avec une clarté rarement, voire jamais entendue venant d’une « boîte à musique » radiophonique[6].

Comme nous le suggère notre bon sens, Armstrong avait découvert une technologie de radio très supérieure. Mais à l’époque de son invention, Armstrong travaillait pour la RCA. La RCA était alors l’acteur dominant du marché alors dominant de la radios AM. Vers 1935, il existait un millier de stations de radio à travers les États-Unis, mais les stations des grandes villes appartenaient toutes à une poignée de réseaux.

Le directeur de la RCA, David Sarnoff, un ami d’Armstrong, voulait qu’Armstrong trouve un moyen de supprimer les parasites de la radio AM. Il fut donc fort enthousiasmé quand celui-ci lui annonça qu’il avait un système pour supprimer les parasites de la « radio ». Mais quand Armstrong lui montra son invention, Sarnoff ne fut pas content.

« Je pensais qu’Armstrong allait inventer une sorte de filtre pour enlever les parasites de notre radio AM. Je ne pensais pas qu’il allait lancer une révolution : démarrer une fichue nouvelle industrie qui entrerait en compétition avec la RCA. »[7]

L’invention d’Armstrong menaçait l’empire de la RCA, et la firme entreprit d’étouffer la radio FM. La FM était peut-être une technologie supérieure, mais Sarnoff était un tacticien supérieur. Comme le décrit un auteur,

Les atouts de la FM, essentiellement d’ordre technique, ne faisaient pas le poids face aux efforts des marchands, bureaux de brevets et cabinets d’avocats, pour éloigner cette menace contre l’industrie dominante. Car la FM, si on la laissait se développer librement, impliquait (...) un bouleversement des rapports de force au sein de la radio (...) et à long terme l’abandon du système soigneusement contrôlé de radio AM, grâce auquel la RCA avait bâti son empire[8].

Au début, la RCA confina la technologie au sein de l’entreprise, en insistant sur le fait qu’il était nécessaire de faire des expériences supplémentaires. Quand, après deux ans de tests, Armstrong s’impatienta, la RCA commença à utiliser son pouvoir auprès du gouvernement pour bloquer le déploiement de la radio FM dans son ensemble. En 1936, la RCA engagea l’ancien directeur de la FCC, avec pour mission de faire en sorte que la FCC attribuerait les fréquences de manière à castrer la FM, essentiellement en déplaçant la radio FM vers une bande différente du spectre. Au début, ces efforts échouèrent. Mais quand l’attention d’Armstrong et celle de la nation furent détournées par la seconde guerre mondiale, le travail de la RCA commença à porter des fruits. Peu après la fin de la guerre, la FCC annonça un ensemble de mesures clairement destinées à paralyser la radio FM. Comme Lawrence Lessing le décrivit :

La série de coups qu’a reçus la radio FM juste après la guerre, sous forme de réglements dictés, à travers la FCC, par les intérêts des grandes maisons de radio, étaient d’une force et d’un caractère retors incroyables[9].

Afin de faire libérer des fréquences pour le dernier pari de la RCA, la télévision, les utilisateurs de la radio FM allaient être déplacés vers une bande de fréquences totalement nouvelle. Il fallut aussi diminuer la puissance des émetteurs radio FM, ce qui signifiait qu’on ne pouvait plus utiliser la FM pour radiodiffuser d’un bout à l’autre du pays. (Ce changement fut très fortement soutenu par AT&T, parce que la perte d’émetteurs relais FM impliquait que les stations de radio auraient à acheter des liaisons filaires à AT&T.) La progression de la radio FM fut ainsi étouffée, du moins provisoirement.

Armstrong résista aux efforts de la RCA. En réponse, la RCA résista aux brevets d’Armstrong. Après avoir incorporé la technologie FM dans les standards émergents de la télévision, la RCA déclara les brevets invalides, sans raison, et presque quinze ans après leur dépôt. L’entreprise refusa donc de lui payer des royalties. Pendant six ans, Armstrong livra une coûteuse guerre légale pour défendre ses brevets. Finalement, juste au moment où les brevets expiraient, la RCA proposa de transiger pour une somme si faible qu’elle ne couvrait même pas les frais d’avocats d’Armstrong. Défait, brisé, et désormais ruiné, Armstrong écrivit en 1954 un court billet à sa femme, et se donna la mort en se jetant par la fenêtre du treizième étage.

C’est ainsi que la loi fonctionne parfois. Pas souvent de manière aussi tragique, et rarement accompagnée d’histoires héroïques, mais parfois c’est ainsi qu’elle fonctionne. Depuis toujours, le gouvernement et ses agences ont fait l’objet de détournements. Ceci a plus de chance de se produire si des intérêts puissants se trouvent menacés par des changements légaux ou techniques. Ces intérêts puissants, trop souvent, exercent leur influence au sein du gouvernement pour obtenir sa protection. Bien sûr, la rhétorique excusant cette protection est toujours inspirée par la défense de l’intérêt public ; la réalité est quelque peu différente. Des idées qui un jour semblent solides comme le roc, mais qui laissées à elles-mêmes se seraient effritées le lendemain, se maintiennent grâce à cette corruption subtile de notre processus politique. La RCA avait ce que les Causby n’avaient pas : le pouvoir de confisquer les effets du progrès technique.

Internet n’a pas été inventé par une seule personne. On ne peut pas non plus lui attribuer une date de naissance précise. Cependant, en très peu de temps, Internet est entré dans les mœurs américaines. D’après le « Pew Internet and American Life Project », 58 pour cent des américains avaient accès à Internet en 2002, contre 49 pour cent deux ans auparavant[10]. Ce nombre pourrait bien dépasser les deux tiers de la nation avant la fin 2004.

Au fur et à mesure qu’Internet s’est intégré à la vie ordinaire, il a changé certaines choses. Certains de ces changements sont d’ordre technique : Internet a rendu les communications plus rapides, rassembler des données est devenu moins coûteux, et ainsi de suite. Ces changements techniques ne sont pas le sujet de ce livre. Certes, ils sont importants. Certes, ils ne sont pas bien compris. Mais ils font partie des choses qui disparaîtraient si nous arrêtions tout à coup d’utiliser Internet. Ils ne touchent pas les gens qui n’utilisent pas Internet, ou du moins, ils ne les touchent pas directement. Ils pourraient faire le sujet d’un livre sur Internet. Mais ceci n’est pas un livre sur Internet.

Le sujet de ce livre est plutôt un effet d’Internet, mais qui va au-delà d’Internet : un effet sur la façon dont la culture est élaborée. Ma thèse est qu’Internet a introduit dans ce processus un changement important, et dont nous n’avons pas encore pris conscience. Ce changement va transformer radicalement une tradition qui est aussi ancienne que notre République. La plupart des gens, s’ils avaient conscience de ce changement, le refuseraient. Cependant, la plupart ne voient même pas ce qu’Internet a changé.

Nous pouvons percevoir ce changement en distinguant culture commerciale et culture non commerciale, et en comparant les aspects légaux de chacune. Par « culture commerciale », j’entends cette partie de la culture qui est produite et vendue, ou qui est produite pour être vendue. Par « culture non commerciale », j’entends tout le reste. Quand un vieil homme s’asseyait autrefois dans un parc ou à un coin de rue pour raconter des histoires que les enfants (ou les adultes) consommaient, c’était de la culture non commerciale. Quand Noah Webster faisait publier son « Reader », ou Joel Barlow sa poésie, c’était de la culture commerciale.

Au début de notre histoire, et pour l’essentiel de notre tradition, la culture non commerciale a été non réglementée. Bien sûr, si vos histoires étaient obscènes, ou si votre chanson troublait l’ordre public, il était possible que la loi intervienne. Mais la loi laissait cette culture « libre », et n’intervenait jamais directement dans sa création ou sa diffusion. Les moyens habituels par lesquels les citoyens ordinaires partageaient et transformaient leur culture (raconter des histoires, rejouer des scènes de théatre ou de télévision, participer à des club d’amateurs, partager de la musique, enregistrer des cassettes) n’étaient pas réglementés.

La loi régulait seulement la création commerciale. Au début légèrement, puis d’une façon assez exhaustive, la loi a protégé les intérêts des créateurs, en leur accordant des droits exclusifs sur leurs créations, de façon à ce qu’ils puissent vendre ces droits sur un marché commercial[11]. Bien sûr, ceci représente aussi une partie importante de la création culturelle, et cette partie est devenue de plus en plus importante en Amérique. Mais en aucun cas elle n’a été un élément dominant de notre tradition. Au contraire, ça n’était qu’une partie de notre culture, sous contrôle, et équilibrée par la partie libre.

Aujourd’hui, cette démarcation nette entre le libre et le « contrôlé » a disparu[12]. Internet a préparé le terrain à cette disparition, et avec l’appui des médias, la loi y a contribué. Pour la première fois dans notre tradition, les moyens habituels par lesquels les individus créent et partagent leur culture tombent sous le coup de la loi, qui a étendu son emprise à des pans entiers de la culture jusqu’ici libres de tout contrôle. La technologie, qui jusqu’ici avait préservé l’équilibre historique entre la culture libre et la culture nécessitant une « permission », a été défaite. La conséquence est que notre culture est de moins en moins libre, et de plus en plus une culture de permissions.

On nous justifie ce changement comme nécessaire à la protection de la création commerciale. Et en effet, sa motivation est précisément le protectionnisme. Mais le protectionnisme qui justifie le changement que je décris plus loin n’est pas d’un genre limité et équilibré, comme celui qui caractérisait la loi dans le passé. Il ne s’agit pas d’un protectionnisme qui protège les artistes. C’est plutôt un protectionnisme qui permet de protéger certains secteurs d’activité. Certaines corporations, menacées par le potentiel qu’a Internet de changer la manière dont la culture, commerciale ou non, est produite et partagée, se sont unies pour inciter le législateur à les protéger. C’est l’histoire de la RCA et Armstrong ; c’est le rêve des Causby.

Car pour beaucoup de gens, Internet a libéré une possibilité extraordinaire, de participer à la création et à l’élaboration d’une certaine culture, qui rayonne bien au-delà des frontières locales. Cette possibilité a changé les conditions de création et d’élaboration de la culture en général, et ce changement menace les industries établies du contenu. Ainsi, Internet est aux fabricants et distributeurs de contenu du vingtième siècle ce que la radio FM fut à la radio AM, ou ce que le camion fût au chemin de fer du XIX siècle : le début de la fin, ou du moins une transformation substantielle. Les technologies numériques, liées à Internet, pourraient générer un marché de la culture plus concurrentiel et plus dynamique ; ce marché pourrait accueillir des créateurs plus variés et plus nombreux. Ces créateurs pourraient proposer et distribuer des créations plus variées et plus nombreuses ; et, en fonction de quelques facteurs importants, ces créateurs pourraient, en moyenne, mieux gagner leur vie dans ce système qu’ils ne le font aujourd’hui — du moins si les RCA de notre temps n’utilisent pas la loi pour se protéger de cette concurrence.

Cependant, comme je le montre dans les pages qui suivent, c’est exactement ce qui est en train de se produire dans notre culture aujourd’hui. Ces équivalents actuels des radios du début du vingtième siècle ou des chemins de fer du dix-neuvième siècle usent de leur influence pour que la loi les protège contre ces moyens nouveaux, plus efficaces, et plus dynamiques, de fabriquer la culture. Il sont en train de réussir à transformer Internet avant qu’Internet ne les transforme.

Beaucoup de gens ne voient pas les choses de cette manière. Les batailles au sujet du copyright et d’Internet leur semblent éloignées. Pour les rares personnes qui y prêtent attention, elles semblent surtout se résumer à de simples interrogations, à savoir : le « piratage » va-t-il être autorisé, et la « propriété » va-t-elle être protégée. La « guerre » qui a été engagée contre les technologies de l’Internet, et que Jack Valenti, le président de la Motion Picture Association of America (MPAA) appelle sa « guerre anti-terroriste personnelle »[13] a été présentée comme une bataille pour faire régner la loi et pour faire respecter la propriété. Pour savoir de quel côté se ranger dans cette guerre, il suffirait simplement de décider si nous sommes pour ou contre la propriété.

Si c’était vraiment là l’alternative, alors je serais du côté de Jack Valenti et de l’industrie du contenu. Moi aussi, je crois en la propriété, et particulièrement en l’importance de ce que M. Valenti appelle poétiquement la « propriété créatrice ». Je crois que le « piratage » est mauvais, et que la loi, intelligemment écrite, devrait punir le « piratage », que ce soit sur Internet ou ailleurs.

Mais ces idées simples cachent une question bien plus fondamentale et un changement bien plus important. Ma crainte est que, à moins que nous n’arrivions à comprendre ce changement, la guerre pour débarrasser le monde des « pirates » d’Internet ne débarrasse aussi notre culture de certaines valeurs qui ont fondé notre société depuis ses débuts.

Ces valeurs ont fondé une tradition qui, pendant les 180 premières années de notre République au moins, a garanti aux créateurs le droit de s’inspirer librement du passé, et a protégé créateurs et innovateurs du contrôle de l’État ou d’un contrôle privé. Le Premier Amendement (NdT : de la Constitution) protège les créateurs du contrôle de l’État. Et comme le démontre avec force le professeur Neil Netanel[14], la loi sur le copyright, bien équilibrée, protège les créateurs du contrôle privé. Notre tradition n’est donc ni soviétique, ni une tradition de patrons. Au contraire, elle a délimité un large espace au sein duquel les créateurs ont pu élaborer et étendre notre culture.

Cependant la loi, en cherchant à réguler les changements technologiques liés à Internet, a répondu par une augmentation massive de la réglementation sur la création en Amérique. Pour nous inspirer d’œuvres existantes, ou bien pour les critiquer, nous devons d’abord demander la permission, à la manière d’Oliver Twist. Bien sûr, la permission est souvent accordée. Mais elle n’est pas souvent accordée à un indépendant, ou à qui veut critiquer. Nous avons créé une sorte de noblesse culturelle. Ceux qui sont dans la classe noble ont la vie facile, ceux qui n’y sont pas ne l’ont pas. Mais c’est la noblesse, sous toute ses formes, qui est étrangère à notre tradition.

L’histoire qui suit a pour sujet cette guerre. Mon sujet n’est pas la « place centrale de la technologie » dans notre vie quotidienne. Je ne crois pas aux dieux, numériques ou autres. Il ne s’agit pas non plus d’une tentative de diaboliser un individu ou un groupe, car je ne crois pas non plus au diable, qu’il soit capitaliste ou autre. Il ne s’agit ni d’un conte moral, ni d’un appel au jihad contre une industrie.

Il s’agit plutôt d’un effort pour comprendre une guerre, désespéremment destructrice, inspirée par les technologies d’Internet, mais qui s’étend bien au-delà du code informatique. Et en nous faisant comprendre cette guerre, c’est un effort pour trouver la paix. La dispute en cours autour des technologies d’Internet n’a aucune bonne raison de continuer. Notre tradition et notre culture souffriront beaucoup si cette guerre se prolonge de façon injustifiée. Nous devons comprendre les racines du conflit. Nous devons le résoudre vite.

Comme la bataille des Causby, l’objet du conflit, est, en partie, la « propriété ». La propriété dans cette guerre n’est pas aussi palpable que celle des Causby, et aucun poulet innocent n’y a perdu la vie. Pourtant, pour une majorité de gens, les idées qui accompagnent cette notion de « propriété » sont aussi évidentes que l’inviolabilité de leur ferme ne l’était aux yeux des Causby. Nous sommes comme les Causby. Ainsi, la plupart d’entre nous tiennent pour acquis les extraordinaires revendications faites de nos jours par les détenteurs de « propriété intellectuelle ». La plupart d’entre nous, comme les Causby, considérons que ces revendications sont évidentes. Et par conséquent, comme les Causby, nous protestons quand une nouvelle technologie interfère avec cette propriété. Tout comme pour eux, il nous semble clair que ces nouvelles technologies d’Internet « violent » une revendication légitime de « propriété ». Tout comme pour eux, il nous semble clair que la loi doit intervenir pour faire cesser cette violation.

Et par conséquent, quand des passionnés d’informatique ou de technologie veulent défendre ce qu’ils appellent des technologies à la Armstrong ou à la Wright Brothers, nous restons indifférents. Le sens commun ne se révolte pas. Contrairement au cas des malheureux Causby, le sens commun est du côté des propriétaires dans cette guerre. Contrairement aux heureux frères Wright, Internet n’a pas inspiré de révolution en sa faveur.

Mon souhait est de faire évoluer ce sens commun. Je m’étonne de plus en plus du pouvoir de cette idée de propriété intellectuelle, et surtout de sa capacité à handicaper le sens critique des hommes politiques et des citoyens. Jamais dans notre histoire la partie « possédée » de notre « culture » n’a été aussi importante qu’aujourd’hui. Et pourtant, la concentration du pouvoir qui contrôle les usages de cette culture n’a jamais été aussi largement acceptée.

Le mystère, c’est : pourquoi ? Aurions-nous enfin compris une vérité concernant la valeur et l’importance d’une propriété absolue sur les idées et la culture ? Aurions-nous découvert que notre tradition a eu tort de rejeter une revendication aussi absolue ?

Ou bien est-ce parce que l’idée d’une propriété absolue des idées et de la culture bénéficie aux RCA de notre époque, et ne nous choque pas à première vue ?

Cette dérive brutale par rapport à notre tradition de libre culture est- elle le fait d’une Amérique corrigeant une erreur de son passé, comme elle l’a fait après une guerre sanglante contre l’esclavage, et comme elle le fait lentement avec les inégalités ? Ou bien n’est-elle qu’une manifestation de plus d’un système politique détourné par une poignée d’intérêts particuliers puissants ?

Si le sens commun conduit à l’extrémisme sur ces questions, est-ce vraiment parce qu’il croit à cet extrémisme ? Ou alors, est-ce que le sens commun cède devant l’extrémisme, parce que, comme dans le cas d’Armstrong contre la RCA, le côté le plus puissant s’est arrangé pour imposer ses vues ?

Je ne cherche pas à être mystérieux. Mon opinion personnelle est faite. Je crois qu’il était juste que le sens commun se révolte contre l’extrémisme des Causby. Je crois qu’il serait juste que le sens commun se révolte contre les revendications extrêmes faites aujourd’hui au nom de la « propriété intellectuelle ». Ce que la loi exige aujourd’hui est de plus en plus stupide, un peu comme un shérif qui arrêterait un avion pour violation de propriété. Cependant les conséquences de cette stupidité sont bien plus profondes.

La bataille qui fait rage actuellement est centrée autour de deux idées : le « piratage » et la « propriété. » Mon but dans les deux prochaines parties de ce livre est d’explorer ces deux idées.

Ma méthode n’est pas la méthode habituelle d’un universitaire. Je ne souhaite pas vous plonger dans des arguties complexes, mâtinées de références à d’obscurs théoriciens français, aussi naturel que ce soit pour les bizarres individus que nous sommes devenus, nous autres universitaires. Au contraire, je commence chaque partie par quelques histoires, afin d’établir un contexte dans lequel ces idées apparemment simples peuvent mieux être comprises.

Les deux sections présentent l’idée centrale de ce livre : alors qu’Internet a engendré quelque chose de nouveau et de fantastique, notre gouvernement, poussé par les médias à répondre à cette « chose nouvelle », est en train de détruire quelque chose de très ancien. Plutôt que comprendre les changements que permet Internet, et au lieu de laisser au « sens commun » le temps de trouver la meilleure réponse possible, nous laissons ceux qui sont le plus menacés par ces changements user de leur influence pour changer la loi. Et bien plus grave, pour changer quelque chose de fondamental concernant notre identité.

Nous les laissons faire, je pense, non pas parce qu’ils ont raison, ou parce qu’une majorité d’entre nous croit réellement en ces changements. Nous les laissons faire parce que les intérêts les plus menacés comptent parmi les plus puissants acteurs dans notre système législatif désespérément corrompu. Ce livre est l’histoire d’une conséquence de plus de cette corruption ; une conséquence dont pour la plupart nous n’avons pas conscience.



[4] St. George Tucker, Blackstone’s Commentaries, vol. 3, Rothman Reprints, 1969, p. 18.

[5] United States v. Causby, U.S. 328 (1946). Le tribunal estima qu’il pouvait s’agir d’une « saisie » si l’utilisation par le gouvernement du terrain des Causby en détruisait effectivement la valeur. Cet exemple m’a été suggéré par le merveilleux travail de Keith Aoki, « (Intellectual) Property and Sovereignty: Notes Toward a Cultural Geography of Authorship », Stanford Law Review, vol. 48, nº 5, 1996, p. 1293 et 1333. Voir également Paul Goldstein, Real Property, The Foundation Press, 1984, p. 1112-1113.

[6] Lawrence Lessing, Man of High Fidelity: Edwin Howard Armstrong, J.B. Lippincott Company, 1956, p. 209.

[7] Voir « Saints: The Heroes and Geniuses of the Electronic Era », première Église électronique d’Amérique, sur www.webstationone.com/fecha, disponible au lien nº 1.

[8] Lawrence Lessing, op. cit., p. 226.

[9] Idem, p. 256.

[10] Amanda Lenhart et al., « The Ever-Shifting Internet Population: A New Look at Internet Access and the Digital Divide », Pew Internet and American Life Project, 15 avril 2003, 6, disponible au lien nº 2.

[11] Ce n’est pas le seul but du copyright, bien que ce soit massivement son but dans la Constitution fédérale. Historiquement, la loi d’État sur le copyright protégeait non seulement les intérêts commerciaux de l’édition, mais aussi la vie privée. En accordant aux auteurs le droit exclusif de la première publication, la loi donnait aux auteurs le pouvoir de contrôler la diffusion des informations sur les faits les concernant. Voir Samuel D. Warren et Louis D. Brandeis, « The Right to Privacy », Harvard Law Review, vol. 4, nº 5, 1890, p. 193 et 198-200.

[12] Voir Jessica Litman, Digital Copyright, Prometheus Books, 2001, ch. 13.

[13] Amy Harmon, « Black Hawk Download: Moving Beyond Music, Pirates Use New Tools to Turn the Net into an Illicit Video Club », The New York Times, 17 janvier 2002.

[14] Neil W. Netanel, « Copyright and a Democratic Civil Society », Yale Law Journal, vol. 106, 1996, p. 283.

Partie I. « Piratage »

La guerre contre le « piratage » est née en même temps que les lois qui réglementent la propriété des créations. Les contours précis de ce concept de « piratage » sont difficiles à cerner, mais il est facile de comprendre les injustices qu’il entraîne. Au cours d’un procès qui étendit le champ d’application du droit d’auteur anglais aux partitions musicales, Lord Mansfield écrivit :

« Une personne peut utiliser la copie en interprétant la musique, mais elle n’a pas le droit de priver l’auteur de ses profits en multipliant les copies et en les écoulant pour son propre compte. »[15]

Aujourd’hui, nous sommes au milieu d’une autre « guerre » contre le « piratage ». Internet a provoqué cette guerre. Internet a permis la diffusion efficace des contenus. Le partage des fichiers en peer-to-peer (p2p) est l’une des technologies les plus efficaces qu’Internet a rendues possibles. Grâce à un système d’information répartie, les systèmes p2p facilitent la diffusion rapide de contenus, d’une manière inconcevable il y a seulement une génération.

Cette efficacité ne tient pas compte des contraintes traditionnellement imposées par le droit d’auteur. Le réseau ne fait pas de différence entre le partage de contenu sous copyright ou non. De ce fait, de grandes quantités de contenus sous copyright ont été échangés. En retour, ces échanges ont provoqué une guerre, les détenteurs de copyright craignant qu’ils ne « privent l’auteur de ses profits. »

Les guerriers du copyright se sont tournés vers les tribunaux, vers les législateurs, et, de plus en plus, vers la technologie, pour défendre leur « propriété » contre le « piratage ». Une génération d’américains, nous mettent-ils en garde, est élevée dans l’idée que la « propriété » devrait être « gratuite ». Oubliez les tatouages, qu’importent les piercings, nos enfants sont en train de devenir des voleurs !

Il ne fait aucun doute que le « piratage » est quelque chose de mauvais, et que les pirates devraient être punis. Mais avant de convoquer les bourreaux, nous devrions replacer cette notion de « piratage » dans un certain contexte. Car si le concept est de plus en plus utilisé, on trouve, à son cœur même, une idée assez extraordinaire qui est, presque certainement, erronée.

Cette idée est à peu près la suivante :

Le travail créatif a de la valeur. Dès que j’utilise le travail créatif d’autre personnes, ou que je fonde mon travail sur le leur, je leur prends quelque chose qui a de la valeur. Dès lors que je prends quelque chose qui a de la valeur à quelqu’un d’autre, je devrais avoir son autorisation. Il est injuste de prendre quelque chose qui a de la valeur à quelqu’un sans avoir sa permission. C’est une forme de piratage.

Ce point de vue sous-tend les débats en cours. C’est ce que Rochelle Dreyfuss, professeur en droit à l’université de New York, appelle la théorie « valeur implique droits » de la propriété des créations[16] — s'il y a valeur, alors quelqu'un doit avoir un droit dessus. C'est cette perspective qui a conduit l'organisation des droits d'auteur, l'ASCAP, à faire un procès aux Girl Scouts pour ne pas avoir payé pour les chansons que les filles chantaient autour des feux de camp de scouts.[17] Il y avait de la « valeur » (les chansons), donc il devait y avoir un « droit », quand bien même ce droit allait contre les Girl-Scouts.

Cette idée est certainement une interprétation possible de la façon dont la propriété des créations devrait fonctionner. Elle pourrait très bien servir de cadre à un système légal protégeant la propriété des créations. Cependant, la théorie « valeur implique droit » n’a jamais été la théorie américaine de la propriété des créations. Cette théorie n’a jamais eu sa place dans notre droit.

Au contraire, dans notre tradition, la propriété intellectuelle est un moyen. C’est un moyen de favoriser l’épanouissement de la création dans la société, mais qui reste subordonné à la valeur de la créativité. Le débat actuel constitue un revirement de cette tradition. Nous sommes devenus si préoccupés de protéger l’instrument que nous perdons de vue l’objectif.

À l’origine de cette confusion, il y a une différence que la loi ne prend plus la peine de faire : la différence entre d’une part le fait de republier le travail de quelqu’un d’autre, et d’autre part le fait de transformer ce travail, ou de se fonder sur ce travail. Au départ, les lois sur le copyright ne concernaient que la publication, aujourd’hui elles réglementent les deux aspects.

Ce regroupement n’avait pas beaucoup d’importance avant l’apparition d’Internet. Les procédés de publication étaient coûteux, et par conséquent la grande majorité de l’édition était commerciale. Les organisations commerciales pouvaient se permettre de se conformer à la loi — même aux lois d’une complexité byzantine qu’étaient devenues les lois sur le copyright. Ce n’était qu’une dépense supplémentaire nécessaire pour faire des affaires.

Mais depuis l’apparition d’Internet, cette limite naturelle au champ d’application de la loi a disparu. La loi ne contrôle plus seulement la créativité des créateurs commerciaux, mais celle de tout le monde. Cette extension serait peut-être anodine si les lois sur le copyright ne réglementaient que la « copie ». Cependant, vu la largesse et le flou avec lesquels s’applique la loi actuelle, cette extension prend beaucoup d’importance. Les inconvénients de cette loi dépassent maintenant de beaucoup ses avantages initiaux : elle affecte la créativité non commerciale, et, de plus en plus, aussi, la créativité commerciale. Comme nous le verrons plus clairement dans les chapitres suivants, le rôle de la loi est de moins en moins de soutenir la créativité, et de plus en plus de protéger certaines industries de la compétition. Juste au moment où les technologies numériques auraient pu libérer un flot extraordinaire de créativité, commerciale et non commerciale, la loi entrave cette énergie par des règlements vagues d’une complexité insensée, et en menaçant de peines d’une sévérité déraisonnable. Nous allons peut-être assister, comme l’écrit Richard Florida, à l’« Essor de la classe créative »[18] (NdT : « Rise of the Creative Class », titre d’un livre de Richard Florida). Malheureusement, nous sommes aussi en train d’assister à une augmentation extraordinaire de la réglementation de cette « classe créative ».

Ces fardeaux réglementaires n’ont aucun sens dans notre tradition. Nous devrions commencer par comprendre cette tradition un peu mieux, et par placer dans leur vrai contexte les batailles en cours contre le comportement étiqueté « piratage ».



[15] Bach v. Longman, English Reports, 98, 1274 (1777, Mansfield).

[16] Voir Rochelle Dreyfuss, « Expressive Genericity: Trademarks as Language in the Pepsi Generation », Notre Dame Law Review, vol. 65, 1990, p. 397.

[17] Lisa Bannon, « The Birds May Sing, but Campers Can’t Unless They Pay Up », Wall Street Journal, 21 août 1996, disponible au lien nº 3. Jonathan Zittrain, « Calling Off the Copyright War: In Battle of Property vs. Free Speech, No One Wins », The Boston Globe, 24 novembre 2002.

[18] Dans The Rise of the Creative Class, Basic Books, 2002, Richard Florida documente un glissement vers des activités créatives dans la nature du travail. Cependant, son étude n’aborde pas les conditions légales qui permettent ou étouffent cette créativité. Je suis tout à fait d’accord avec lui sur l’importance et la signification de cette évolution, mais je crois aussi que les conditions dans lesquelles elle s’établit sont beaucoup plus fragiles.

Chapitre 1. Créateurs

En 1928 est né un personnage de dessin animé. Mickey Mouse, première version, fit ses débuts en mai de cette année là dans Plane Crazy, un flop retentissant. En novembre, au « Colony Theater » de New York, dans le premier dessin animé avec son synchronisé largement distribué, le personnage qui allait devenir Mickey Mouse prit vie dans Steamboat Willie.

Le son synchronisé était apparu un an plus tôt au cinéma dans le film The Jazz Singer. Devant ce succès, Walt Disney copia la technique et introduisit le son dans les dessins animés. Personne ne savait si cela allait marcher, ou, si ça marchait, si ça plairait au public. Mais après un premier essai pendant l'été 1928, les résultats furent sans équivoque. Laissons Disney décrire cette première expérience :

"Deux de mes employés pouvaient lire la musique, et l'un d'eux jouait de l'harmonica. Nous les avons placés dans une pièce d'où ils ne pouvaient pas voir l'écran, et nous nous sommes débrouillés pour diffuser le son dans la pièce où nos épouses et nos amis s'apprêtaient à regarder le film.

Les garçons travaillaient avec une partition indiquant la musique et les effets sonores. Après plusieurs faux départs, nous réussîmes à accorder le son avec l'action. L'homme à l'harmonica jouait l'air, nous autres du bruitage donnions des coups de sifflet et des coups de casserole, dans le rythme. La synchronisation était presque bonne.

Notre assistance fut transportée. Les gens réagirent d'instinct à cette union du son et du mouvement. Je pensais qu'ils me faisaient marcher. Du coup, ils me placèrent dans l'assistance, et recommencèrent l'action. C'était épouvantable, mais aussi, merveilleux ! Et c'était nouveau !"[19]

Ub Iwerks, un des plus talentueux professionnel du dessin animé, alors associé de Disney, l'exprima plus vigoureusement : « Je n'ai jamais été aussi excité de ma vie. Rien depuis n'a jamais égalé ça. »

Disney avait créé quelque chose de très nouveau, fondé sur quelque chose d'assez nouveau. Le son synchronisé donnait vie à une forme de créativité qui avait rarement, sauf dans les mains de Disney, été autre chose qu'une technique de remplissage dans d'autres films. Dans les premiers temps de l'histoire du dessin animé, l'invention de Disney définit le standard que les autres allaient peiner à suivre. Et très souvent, le génie de Disney, ses éclairs de créativité, furent fondés sur des travaux d'autres personnes.

Tout ceci est familier. Ce que vous ignorez peut-être, c'est qu'une autre importante transition marque aussi 1928. Cette année là, un génie comique créait son dernier film muet produit d'une façon indépendante. Ce génie était Buster Keaton. Le film était Steamboat Bill, Jr.

Keaton est né en 1895 dans une famille d'artistes de music-hall. Il fut un maître du film muet, usant du genre burlesque pour provoquer le fou rire du public. Steamboat Bill, Jr. est un classique de ce genre, fameux chez les cinéphiles passionnés pour ses cascades incroyables. Le film était typique de Keaton : très populaire, et parmi les meilleurs du genre.

Steamboat Bill, Jr. est antérieur au dessin animé de Disney Steamboat Willie. La similitude des titres n'est pas une coïncidence. Steamboat Willie est une parodie en dessin animé de Steamboat Bill[20], et tous les deux sont construits autour d'une musique commune. Ce n'est pas seulement à l'invention du son synchronisé dans The Jazz Singer que nous devons Steamboat Willie. C'est aussi de l'invention de Steamboat Bill, Jr. par Buster Keaton, lui même inspiré par la chanson « Steamboat Bill, » qu'est né Steamboat Willie, et, de Steamboat Willie, Mickey Mouse.

Cet « emprunt » n'avait rien d'exceptionnel, ni pour Disney, ni pour l'industrie d'alors. Disney parodiait toujours les longs métrages de son époque[21]. Beaucoup d'autres en faisaient autant. Les premiers dessins animés sont truffés d'imitations, de légères variations de thèmes populaires, de nouvelles versions d'anciens contes. C'est l'éclat des différences qui est la clef du succès. Chez Disney, c'était le son qui donnait à ses dessins animés cet éclat. Plus tard, ce fut la qualité de son travail par rapport à celui de la concurrence, qui fabriquait à la chaîne. Ces additions se fondaient cependant sur un socle emprunté. Disney enrichissait le travail d'autres avant lui, créant du neuf avec de l'à peine vieux.

L'emprunt était parfois léger. D'autre fois, il était important. Pensez aux contes de fées des frères Grimm. Si vous êtes aussi oublieux que moi-même, vous pensez sans doute que ces contes sont joyeux, gentils, qu'ils conviennent à tous les enfants au moment de se mettre au lit. En réalité, les contes de Grimm sont effrayants. Les parents qui oseraient lire ces histoires sanglantes et moralisatrices à leurs enfants sont rares, et peut être excessivement ambitieux.

Disney reprit ces contes et les raconta à nouveau d'une façon qui les projeta dans une ère nouvelle. Il anima les contes avec de la lumière et des personnages. Sans complètement supprimer les touches d'angoisse et de danger, il rendit drôle ce qui était sinistre et insuffla émotion et compassion là où auparavant on trouvait de la peur. Et pas seulement à partir de l'œuvre des frères Grimm. En réalité, en reconstituant le catalogue des œuvres où Disney utilise des créations antérieures, on obtient un ensemble étonnant : Snow White (1937),Fantasia (1940), Pinocchio (1940), Dumbo (1941), Bambi (1942), Song of the South (1946), Cinderella (1950), Alice in Wonderland (1951), Robin Hood (1952), Peter Pan (1953), Lady and the Tramp (1955),Mulan (1998), Sleeping Beauty (1959), 101 Dalmatians (1961), The Sword in the Stone (1963), etThe Jungle Book (1967). Mentionnons encore un exemple plus récent, qu'il faudrait peut-être mieux oublier :Treasure Planet (2003). Dans tous ces cas, Disney (ou Disney,Inc.) a extrait l'inventivité de la culture qui l'entourait, combiné cette inventivité avec son extraordinaire talent personnel, et fondu ce mélange pour former l'âme de ses créations. Extraire, combiner, et fondre.

Ceci est une forme de créativité. C'est une forme de créativité dont nous devons nous souvenir et nous réjouir. Certains diront qu'il n'existe de créativité que de cette sorte. Il n'est pas nécessaire d'aller si loin pour en reconnaître l'importance. Nous pourrions l'appeler « la créativité Disney », quoique ce serait un peu fallacieux. C'est, plus précisément, « la créativité Walt Disney » : une forme d'expression et de génie qui utilise et transforme la culture qui nous entoure.

En 1928, Disney était libre de fonder ses œuvres sur une culture relativement récente. Les travaux du domaine public en 1928 n'étaient pas très anciens et par conséquent encore très vivants. La durée moyenne du copyright était d'environ trente ans, pour cette minorité de travaux qui étaient effectivement sous copyright[22]. Cela voulait dire que pour trente ans, en moyenne, les auteurs ou les détenteurs du copyright d'une œuvre de l'esprit avait un « droit exclusif » à contrôler certains usages des œuvres. Il fallait la permission du détenteur du copyright pour utiliser, d'une façon limitée, les œuvres sous copyright.

Au terme du copyright, une œuvre entre dans le domaine public. Il n'est plus nécessaire d'avoir une permission pour l'utiliser ou fonder un autre travail sur elle. Pas de permission, et, par conséquent, pas de juristes. Le domaine public est un « terrain sans juristes ». C'est ainsi que la plupart des travaux du dix-neuvième siècle purent être utilisés librement par Disney en 1928. Puissant ou misérable, autorisé ou non, tout un chacun était libre d'utiliser ces travaux à sa guise.

C'est ainsi que les choses se déroulaient depuis toujours. Jusqu'à une période récente, le domaine public n'a jamais été bien loin à l'horizon. De 1790 jusqu'à 1978, la durée moyenne du copyright n'a jamais été supérieure à trente deux ans. En d'autres termes, toutes les créations vieilles d'une génération et demi étaient librement à la disposition de tous sans avoir besoin de la permission de personne. Pour donner une équivalence actuelle, les œuvres des années 1960 et 1970 seraient actuellement librement à la disposition d'un nouveau Walt Disney. En fait, actuellement, on ne peut présumer qu'une œuvre fait partie du domaine public que si elle date d'avant la grande crise de 1929.

Bien entendu, Walt Disney ne détenait pas de monopole sur la « créativité Disney ». L'Amérique non plus. Pays totalitaires exceptés, la culture libre, jusqu'à récemment, est une norme universelle, et amplement appliquée.

Considérons par exemple une forme de créativité que de nombreux américains tiennent pour bizarre, mais qui est profondément ancrée dans la culture japonaise : les mangas, genre de bandes dessinées. Les Japonais sont passionnés de bande dessinée. Près de 40 pour cent des publications sont des bandes dessinées, et 30 pour cent des revenus de l'édition en provient. Les mangas sont partout dans la société japonaise, dans tous les kiosques ; dans les transports publics, on les remarque dans de nombreuses mains.

Les américains ont tendance à faire peu de cas de cette forme culturelle. La bande dessinée est une caractéristique peu attrayante de notre culture. Nous avons peu de chance de bien comprendre les mangas, parce que nous sommes peu nombreux a avoir déjà lu quelque chose qui ressemble à ces authentiques « nouvelles graphiques ». Pour les Japonais, les mangas embrassent tous les aspects de la vie sociale. Pour nous, la bande dessinée évoque des « hommes en collants » ridicules. Et de toute façon, ce n'est pas comme si le métro de New York était plein de lecteurs de Joyce ou même d'Hemingway. Des gens de différentes cultures se distraient de façons différentes ; les Japonais de cette curieuse et intéressante façon.

Mais mon but n'est pas ici de comprendre les mangas. Il est de décrire un phénomène à propos des mangas, tout à fait étrange du point de vue d'un juriste, mais tout à fait familier analysé d'une perspective Disney.

C'est le phénomène des doujinshis. Les doujinshis sont aussi des bandes dessinées, mais une sorte de copie des mangas. La création des doujinshis obéit à des règles strictes. Une copie conforme n'est pas un doujinshi ; l'artiste doit apporter une contribution à l'art qu'il copie, par des transformations légères et subtiles, ou alors plus sensibles. Un doujinshi peut ainsi utiliser une bande dessinée traditionnelle répandue, et la reprendre en changeant le scénario. Ou garder tout le caractère d'un personnage, mais changer légèrement son aspect. Il n'existe pas de formule qui définit ce qui fait qu'un doujinshi est suffisamment « différent ». Mais la différence doit exister pour caractériser un vrai doujinshi. Il existe des commissions qui rejettent les vulgaires copies, et autorisent les authentiques doujinshis à participer à des expositions spécialisées.

Ces bandes dessinées inspirées par d'autres représentent une grosse part du marché des mangas. De tout le Japon, plus de 33 000 groupes de créateurs réalisent ces fragments de « créativité Walt Disney ». Deux foix par an, plus de 450 000 Japonais se rassemblent dans de grandes manifestations pour les échanger et les vendre. Ce marché existe parallèlement au courant principal, commercial, du marché des mangas. Il est à l'évidence, d'une certaine façon, en compétition avec ce marché. Mais les personnes qui contrôlent le marché commercial des mangas n'entreprennent pas d'action soutenue pour fermer le marché des doujinshis. Il prospère, malgré la compétition et malgré la loi.

Pour les spécialistes du droit, la caractéristique la plus curieuse du marché des doujinshis est simplement qu'il lui soit permis d'exister. D'après la loi japonaise sur le copyright, qui reflète, au moins sur le papier, la loi américaine, le marché des doujinshis est illégal. Les doujinshis sont clairement des « travaux dérivés ». Il n'est pas d'usage pour les créateurs de doujinshi d'obtenir la permission des auteurs de mangas. En pratique, simplement, ils utilisent et modifient les créations des autres, comme le fit Walt Disney avecSteamboat Bill, Jr. Cette « appropriation », sans permission du détenteur original du copyright, est illégale d'après la loi japonaise, comme d'après la loi américaine.

Pourtant, ce marché illégal existe, et même prospère, au Japon. Beaucoup pensent même que c'est précisément à son existence que les mangas japonais doivent leur prospérité. Voici ce que me disait l'auteur américain de bandes dessinées Judd Winick : « Les premiers temps de la bande dessinée en Amérique ressemblaient à ce qui se passe au Japon aujourd'hui... Les comics américains sont nés en se copiant les uns les autres... C'est ainsi que les artistes apprennent à dessiner, pas en décalquant les comics, mais en les examinant et les copiant » et en leur empruntant[23].

Les comics américains sont maintenant très différents, explique Winick, en partie à cause de la difficulté légale à les adapter, à la façon des doujinshis. Il poursuit, parlant de Superman : « il y a des règles, et il faut s'y tenir. » Superman ne « peut pas » faire certaines choses. « Pour un créateur, il est frustrant de devoir respecter des limitations définies il y a cinquante ans. »

L'usage, au Japon, minimise ce problème légal. Certains disent que c'est précisément l'effet heureux sur la marché des mangas japonais qui explique cet adoucissement. Par exemple Salil Mehra, professeur de droit à la Temple University, émet l'hypothèse que le marché des mangas accepte ces infractions parce qu'elles incitent le marché des mangas à être plus productif et plus riche. Tout le monde y perdrait si les doujinshis étaient interdits, ce qui explique que la loi n'interdit pas les doujinshis[24].

Cette explication comporte cependant un défaut, admis par Mehra : le mécanisme à l'origine de cette indulgence n'est pas clair. Il est possible que le marché dans son ensemble se porte mieux avec des doujinshis autorisés plutôt qu'interdits, mais cela n'explique pas pourquoi chaque détenteur de copyright, considéré isolément, ne fasse pas de procès. Si la loi ne fait pas d'exception spéciale en faveur des doujinshis (et d'ailleurs il est déjà arrivé que des créateurs de doujinshis soient attaqués en justice par des auteurs de mangas), pourquoi n'existe-t-il pas de mécanisme solide pour faire obstacle aux « emprunts » perpétrés par la culture doujinshi ?

J'ai passé quatre mois merveilleux au Japon, et posé cette question aussi souvent que possible. C'est un ami d'un gros cabinet de juristes japonais qui m'a sans doute donné la meilleure explication. Il m'a dit, un après-midi : « nous n'avons pas assez d'avocats. Nous n'avons simplement pas assez de ressources pour engager des poursuites dans des affaires de ce genre ».

C'est un sujet sur lequel nous reviendrons : la réglementation par la loi est fonction non seulement de la formulation de la loi, mais aussi des coûts nécessaires pour la faire appliquer. Pour le moment, concentrons-nous sur la question évidente, qui est éludée : le Japon se porterait-il mieux d'avoir plus d'avocats ? Les mangas seraient-ils plus riches si les artistes doujinshis étaient régulièrement poursuivis en justice ? Les Japonais gagneraient-ils quelque chose d'important s'ils pouvaient interdire cette pratique de partage sans indemnisation ? La piraterie, ici, nuit-elle à ses victimes, ou leur est-elle bénéfique ? Des avocats combattant cette piraterie seraient-ils utiles à leurs clients, ou leur causeraient-ils du tort ?

Interrompons-nous un moment.

Si vous êtes semblables à la plupart des gens qui s'intéressent pour la première fois à ces questions, si vous êtes comme moi-même il y a une décennie, alors, vous êtes certainement, à cet instant, troublé par une idée à laquelle vous n'aviez jamais réfléchi jusqu'alors.

Nous vivons dans un monde qui tient la « propriété » en haute valeur. Je partage cette idée. Je crois en la valeur de la propriété en général, et je crois aussi en la valeur de cette étrange forme de propriété que les juristes appellent la « propriété intellectuelle »[25]. Une grande communauté, variée, ne peut pas survivre sans propriété ; une grande et moderne société ne peut pas prospérer sans propriété intellectuelle.

Mais une simple seconde de réflexion nous permet de réaliser qu'il existe beaucoup de valeur dans le monde que la « propriété » ne peut pas « capturer ». Je n'entends pas par là « l'amour ne s'achète pas », je veux parler effectivement de valeur faisant partie intégrante des processus de production, marchands comme non marchands. Si les dessinateurs, chez Disney, avaient volé une boîte de crayons pour dessiner Steamboat Willie, nous n'aurions pas hésité à condamner ce vol. Même mineur, même passé inaperçu, c'eût été un délit. Pourtant, il n'y avait rien de mal, au moins d'après la loi de l'époque, aux emprunts de Disney à Buster Keaton ou aux frères Grimm. Il n'y avait rien de mal aux emprunts à Keaton, parce qu'ils auraient été jugés loyaux. Il n'y avait rien de mal aux emprunts aux frères Grimm, parce que leurs œuvres étaient dans le domaine public.

Donc, bien que Disney (ou, plus généralement, quiconque exerçant une « créativité Disney ») prenne quelque chose de valeur, notre tradition ne considère pas cette prise comme un délit. Certains emprunts restent gratuits et libres dans une libre culture, et cette liberté est un bien.

Même chose avec la culture doujinshi. Si un auteur de doujinshi s'introduisait dans le bureau d'un éditeur et se sauvait, sans payer, avec mille copies (voire même une seule) de son dernier ouvrage, nous n'hésiterions pas une seconde à déclarer l'artiste en tort. En plus de commettre une violation de propriété, il aurait volé quelque chose de valeur. La loi proscrit ce genre de vol, petit ou grand.

Pourtant il existe une réticence évidente, même chez les avocats japonais, à dire que les artistes copieurs de mangas « volent ». Cette forme de « créativité Walt Disney » est tenue pour loyale, même si les avocats, spécialement, trouvent difficile d'expliquer pourquoi.

Quand on y réfléchit, on peut trouver mille et un exemples de mécanismes similaires. Les scientifiques se servent des travaux d'autres scientifiques sans demander de permission, ou sans payer pour ce privilège (« Excusez-moi, Professeur Einstein, pourrais-je avoir la permission d'utiliser votre théorie de la relativité pour démontrer que vous aviez tort au sujet de la physique quantique ? ».) Les compagnies théâtrales interprètent des adaptations des œuvres de Shakespeare sans permission de quiconque. (Y a-t-il quelqu'un pour penser sérieusement que Shakespeare serait mieux diffusé s'il existait un organisme central de gestion des droits de Shakespeare qui serait un passage obligé pour tous les producteurs de cet auteur ?) Et Hollywood obéit à des cycles, avec certains genres de films : cinq films traitant d'astéroïdes à la fin des années 1990 ; deux films catastrophe impliquant des volcans en 1997.

Les créateurs ici et partout ont toujours et de tous temps créé à partir du passé, et du présent qui les entoure. Cette création s'est faite toujours et de tous temps, au moins en partie, sans dédommagement ni autorisation du créateur d'origine. Aucune société, démocratique ou non, n'a jamais exigée que soit payée chaque expression d'une « créativité Walt Disney », ou qu'une autorisation soit toujours recherchée. Au contraire, chaque société (les sociétés démocratiques peut-être un peu plus que les autres) a laissé des pans de sa culture libres d'être repris.

Par conséquent, la difficulté n'est pas de savoir si une culture est libre. Toutes les cultures sont libres jusqu'à un certain point. La difficulté est de « quantifier cette liberté ». Est-elle limitée aux membres du parti ? Aux membres de la famille royale ? Aux dix entreprises les plus performantes de Wall Street ? Ou est-ce que cette liberté est accessible à beaucoup ? Aux artistes en général, qu'ils soient affiliés au Metropolitan ou pas ? Aux musiciens en général, qu'ils soient blancs ou non ? Aux cinéastes en général, qu'ils soient affiliés à une compagnie de cinéma ou pas ?

Les cultures libres sont celles qui, largement ouvertes, permettent la création à partir de ce qui existe ; les cultures qui ne sont pas libres, qui imposent d'obtenir des permissions, offrent bien moins. Notre culture était libre. Elle le devient de moins en moins.



[19] Leonard Maltin, Of Mice and Magic: A History of American Animated Cartoons, Penguin Books, 1987, p. 34-35.

[20] Je suis reconnaissant envers David Gerstein et son travail historique minutieux (lien nº 4). D’après Dave Smith des Disney Archives, Disney payait des royalties pour utiliser la musique de cinq chansons dans Steamboat Willie : « Steamboat Bill », « The Simpleton » (Delille), « Mischief Makers » (Carbonara), « Joyful Hurry No. 1 » (Baron) et « Gawky Rube » (Lakay). Une sixième chanson, « The Turkey in the Straw », était déjà dans le domaine public. Lettre de David Smith à Harry Surden, 10 juillet 2003.

[21] C’était également un fan du domaine public. Voir Chris Sprigman, « The Mouse that Ate the Public Domain », Findlaw, 5 mars 2002, au lien nº 5.

[22] Jusqu’en 1976, la loi sur le copyright accordait à un auteur la possibilité de deux durées : une durée initiale et une durée de renouvellement. J’ai calculé la durée « moyenne » en déterminant la moyenne pondérée du total des enregistrements pour chaque année et la proportion de renouvellement. Ainsi, si cent copyrights sont enregistrés au cours d’une année, que seuls quinze copyrights sont renouvelés et que la durée du renouvellement est de 28 ans, la durée moyenne des copyrights est de 32,2 ans. Pour les données de renouvellement et d’autres données pertinentes, voir le site web associé à ce livre, disponible au lien nº 6.

[23] Pour une histoire excellente, voir Scott McCloud, Reinventing Comics, Perennial, 2000.

[24] Voir Salil K. Mehra, « Copyright and Comics in Japan: Does Law Explain Why All the Comics My Kid Watches Are Japanese Imports? », Rutgers Law Review vol. 55, 2002, p. 155 et 182. « Il pourrait y avoir une rationalité économique collective qui ferait que les principaux artistes de manga et de dessins animés renoncent à des actions légales pour violation. Une hypothèse est que tous les artistes de manga sont peut-être en meilleure posture collectivement s’ils mettent de côté leur intérêt personnel et décident de ne pas faire valoir leurs droits légaux. C’est essentiellement un “dilemme du prisonnier” résolu. »

[25] Le terme de « propriété intellectuelle » est relativement récent. Voir Siva Vaidhyanathan, Copyrights and Copywrongs: The Rise of Intellectual Property and How it Threatens Creativity, New York University Press, 2001. Voir aussi Lawrence Lessig, The Future of Ideas: the fate of the commons in a connected world, Random House, 2001, p. 293, n. 26. Le terme décrit précisément un ensemble de droits de « propriété » — copyrights, brevets, marques déposées et secrets de fabrication —, mais la nature de ces droits est très différente.

Chapitre 2. « Simples copistes »

En 1839, Louis Daguerre inventa le premier procédé pratique permettant de réaliser ce que nous allions appeler des « photographies » : le « daguerréotype ». Le procédé était compliqué et coûteux, et la discipline par conséquent réservée aux professionnels et à quelques riches amateurs passionnés (il exista même une association (American Daguerre Association) qui contribua à réglementer cette industrie, comme toutes les associations de ce genre, en étouffant la compétition pour maintenir des prix élevés.)

Cependant, malgré des prix élevés, la demande pour les daguerréotypes était forte. Ceci incita les inventeurs à trouver des moyens plus simples et moins chers de produire ces « images automatiques ». Bientôt, William Talbot découvrit un procédé pour fabriquer des « négatifs ». Mais comme ceux-ci étaient en verre, et devaient être maintenus humides, le procédé restait encore coûteux et compliqué. En 1870 furent introduites les plaques sèches, permettant plus facilement la séparation entre la prise de vue et le développement. Il s'agissait encore de plaques en verre et ce n'était toujours pas une méthode à la portée du plus grand nombre.

L'avancée qui permit de démocratiser la photographie n'eut pas lieu avant 1888, et fut l'oeuvre d'un seul homme. George Eastman, photographe amateur, était contrarié par la technologie des plaques. En un éclair de génie, il comprit que si le film pouvait être rendu souple, il deviendrait possible de l'enrouler autour d'un axe. Cette bobine pourrait alors être expédiée à un développeur, ce qui entraînerait une baisse sensible des coûts de la photographie. En diminuant les coûts, Eastman s'attendait à augmenter sensiblement le nombre de photographes.

Eastman mis au point un film flexible, recouvert d'une émulsion. Il plaça des rouleaux de film dans un modèle d'appareil photo petit et simple : le Kodak. Celui-ci fut commercialisé en mettant en avant sa simplicité : « Appuyez sur le bouton et nous faisons le reste »[26]. Eastman décrivit son invention dans The Kodak Primer :

Le principe du système Kodak est de séparer le travail qu'un béotien en photographie peut faire, de celui que seul un expert peut faire... Nous fournissons à n'importe qui, homme, femme ou enfant, suffisamment intelligent pour tenir un boitier immobile et appuyer sur un bouton, un appareil qui élimine le besoin d'installations exceptionnelles et d'une connaissance pointue de cet art. On peut l'utiliser sans apprentissage préliminaire, sans chambre noire et sans produits chimiques[27].

Pour 25 dollars, tout le monde pouvait faire des photos. L'appareil était vendu déjà chargé avec une pellicule, et retourné après utilisation, pour développement, à l'usine Eastman. Évidemment, avec le temps, le prix de l'appareil est allé diminuant et sa facilité d'utilisation a augmenté. Ainsi, le rouleau de pellicule fut à l'origine de la croissance exponentielle de la photographie populaire. Le premier appareil photo d'Eastman est sorti en 1888. L'année suivante, Kodak tirait plus de six mille négatifs par jour. Entre 1888 et 1909, alors que la production industrielle augmentait de 4,7 pour cent, les ventes d'équipements et de matériels photographiques augmentaient de 11 pour cent[28]. Les ventes de Eastman Kodak augmentèrent durant cette même période de 17 pour cent par an en moyenne[29].

Cependant, la véritable importance de l'invention d'Eastman n'était pas de nature économique. Elle était de nature sociale. La photographie professionnelle donnait aux gens des aperçus d'endroits qu'ils n'auraient jamais pu voir autrement. La photographie amateur leur permit de garder des traces de leurs propres vies d'une façon impossible jusqu'alors. «  Pour la première fois, l'album de photos a donné à l'homme de la rue une mémoire permanente de sa famille et de ses activités... Pour la première fois dans l'Histoire, il existe une authentique archive en images de l'apparence et des activités des gens ordinaires, sans interprétation [littéraire] ni déformation » (Brian Coe[30]).

En ce sens, l'appareil Kodak était une technique d'expression. Le crayon ou le pinceau aussi, bien sûr. Mais il fallait des années d'entraînement avant que des amateurs puissent s'en servir de manière utile et efficace. Avec le Kodak, il devenait plus simple et plus rapide de s'exprimer. Les barrières à l'expression s'abaissaient. Les snobs allaient évidemment esquisser un sourire de mépris devant sa « qualité », les professionnels allaient l'écarter pour sa médiocrité. Mais il suffit de regarder un enfant étudier comment encadrer au mieux une photo, pour capter cette expérience de la créativité permise par le Kodak. Un outil démocratique donnait à des gens ordinaires des moyens de s'exprimer, plus facilement qu'aucun autre outil auparavant.

Qu'est-ce qui était nécessaire pour que cette technique prospère ? À l'évidence, le génie d'Eastman joua un rôle important. Mais le climat légal eut aussi une grande part. Car, tôt dans l'histoire de la photographie, il y eut une série de décisions judiciaires qui aurait très bien pu changer de façon importante son devenir. Les tribunaux durent trancher la question de savoir si le photographe, amateur ou professionnel, avait besoin d'une autorisation pour prendre et développer à sa guise n'importe quelle photo. Ils répondirent que non[31].

Les arguments avancés pour justifier la nécessité d'une permission vont nous sembler étonnamment familiers. Le photographe « prenait » quelque chose de la personne ou du bâtiment qu'il photographiait — il piratait quelque chose qui avait de la valeur. Certains pensaient même qu'il prenait l'âme du sujet. De même que Disney n'était pas autorisé à voler les crayons que ses dessinateurs utilisaient pour dessiner Mickey, de même ces photographes ne devaient pas être autorisés à prendre des images qui avaient de la valeur.

L'argument de l'autre partie devrait également nous être familier. Certes, il se pouvait que le photographe utilise une chose qui avait de la valeur. Mais les citoyens devraient au moins avoir le droit de prendre des images de ce qui était en vue du public (Louis Brandeis, bien avant de siéger à la Cour suprême, pensait que la règle devait être différente pour les espaces privés[32]). Peut-être cela signifiait-il que le photographe obtenait quelque chose pour rien. Tout comme Disney pouvait s'inspirer de Steamboat Bill, Jr. ou des frères Grimm, le photographe devait être libre de capturer une image sans indemniser son sujet.

Heureusement pour M. Eastman, et pour la photographie, ces premières décisions allèrent en faveur des pirates. En général, aucune permission ne devait être requise pour prendre un cliché et le partager. La permission était présumée. La liberté, implicite (la loi introduirait finalement une restriction pour les célébrités : les photographes professionnels ont plus d'obligations à respecter quand ils prennent, en vue de commercialisation, des clichés de gens célèbres. Mais dans la majorité des cas, on peut prendre des photos sans acquitter de droits[33]).

On ne peut que faire des suppositions à propos de ce que serait devenue la photographie si la loi était allée dans l'autre sens. Avec une présomption contre lui, le photographe aurait dû prouver avoir une autorisation. Eastman Kodak aurait peut-être dû, aussi, prouver avoir une autorisation avant de traiter les pellicules. Après tout, sans autorisation, Eastman Kodak aurait bénéficié du « vol » perpétré par le photographe. Tout comme Napster a bénéficié des violations de copyright commis par ses utilisateurs, Kodak aurait bénéficié des violations de « droits à l'image » de ses photographes. Nous pouvons imaginer alors que la loi requiert d'une compagnie qu'elle établisse une autorisation, avant de développer des photos. Nous pouvons imaginer le développement de tout un système pour démontrer cette autorisation.

Mais, bien qu'un tel système de permissions soit imaginable, il est très difficile de croire que la photographie eût prospéré comme elle l'a fait, si les contraintes liées aux permissions avaient fait partie intégrante des lois qui la régissent. Certes, la photographie aurait existé. Elle se serait développée avec le temps. Les professionnels auraient continué d'utiliser la technologie de la même manière — car ils auraient plus facilement supporté les contraintes du système de permissions. Mais la photographie n'aurait pas atteint les gens ordinaires. Rien de comparable à ce développement ne se serait produit. Et certainement rien de comparable au développement d'une technologie d'expression démocratique.

Si vous conduisez à travers le Presidio (NdT : quartier historique) de San Francisco, vous pouvez voir deux bus scolaires jaunes criards, et le logo « Just Think ! » à la place du nom d'une école. Mais les projets que ces bus rendent possibles ne sont pas « uniquement » intellectuels. Ces bus sont bourrés de technologies qui apprennent aux enfants comment jouer avec le cinéma. Pas le cinéma d'Eastman. Pas même celui de votre magnétoscope. Plutôt celui des caméscopes numériques. Just Think ! est un projet qui permet aux enfants de faire des films, de manière qu'ils puissent comprendre et critiquer la culture filmée dans laquelle ils baignent. Chaque année, ces bus visitent plus de trente écoles, et permettent à entre trois et cinq cent enfants d'apprendre quelque chose sur les médias, en faisant quelque chose avec les médias. En faisant, ils pensent. En manipulant, ils apprennent.

Ces bus ne sont pas bon marché, mais la technologie qu'ils transportent l'est de plus en plus. Le coût d'un système de vidéo numérique de haute qualité a énormément baissé. D'après un analyste, « Il y a cinq ans, un bon système d'édition vidéo numerique coûtait 25.000 dollars. Aujourd'hui vous pouvez obtenir de la qualité professionnelle pour 595 dollars. »[34] Ces bus sont bourrés de technologies qui auraient coûté des centaines de milliers de dollars il y a a peine dix ans. Et maintenant il est possible d'imaginer non seulement des bus comme celà, mais des salles de classe dans tout le pays où les enfants apprennent de plus en plus ce que les enseignants appellent « lecture des médias ».

La « lecture des médias », comme la définit Dave Yanofsky, le directeur de Just Think !, « est la capacité ... de comprendre, d'analyser et de déconstruire les images des médias. Son but est de permettre [aux enfants] de comprendre comment fonctionnent les médias, comment ils sont construits, de quelle manière ils sont distribués, et de quelle manière les gens y ont accès. »

Il peut paraître étrange de parler de « lecture » en ces termes. Pour une majorité de gens, « lecture » se réfère à ce qui est écrit. Faulkner, Hemingway et les accords du participe passé sont les choses qui vont avec la lecture.

Peut-être. Mais dans un monde où les enfants voient en moyenne 390 heures de publicité télévisée par an, soit entre 20.000 et 45.000 publicités[35], il est de plus en plus important de comprendre la « grammaire » des images. Car de même qu'il existe une grammaire de l'écrit, il y en a aussi une pour les images. Et de même que les enfants apprennent à écrire en rédigeant beaucoup de textes horribles, de même ils apprennent la grammaire des images en construisant beaucoup d'images médiocres (du moins au début).

Un nombre croissant d'universitaires et d'activistes tiennent cette forme de lecture pour cruciale dans la culture de la prochaine génération. En effet, bien que toute personne sachant écrire comprenne les difficultés de l'écriture (difficulté d'ordonner une histoire, de garder l'attention du lecteur, de former des phrases compréhensibles), peu de gens ont une notion du fonctionnement des images, comment elles retiennent le spectateur ou le conduisent à travers une histoire. comment elles déclenchent l'émotion ou construisent le suspense.

Il a fallu une génération au cinéma pour apprendre à bien faire ces choses. Mais même après, la connaissance venait en filmant et non pas en écrivant quelque chose au sujet du film. La compétence venait en faisant l'expérience de la réalisation d'un film et non pas en lisant un livre qui en parle. On apprend à écrire en écrivant et en réfléchissant ensuite à ce qu'on a écrit. On apprend à écrire avec des images en les réalisant et en réfléchissant ensuite à ce qu'on a créé.

Cette grammaire a évolué avec les médias. Quand il ne s'agissait que de films, comme me l'a expliqué Elizabeth Daley, directeur du Centre de Communication Annenberg de l'Université de Californie du Sud et doyenne de l'école de Cinema-Télévision de l'USC, cette grammaire concernait « le placement des objets, les couleurs, ... le rythme, la vitesses et la texture. »[36] Mais quand les ordinateurs ont ouvert un espace interactif où une histoire est « jouée » autant que suivie, la grammaire a changé. Le contrôle simple de la narration est perdu et donc d'autres techniques sont nécessaires. L'auteur Michael Crichton maîtrisait la narration de science-fiction. Mais quand il essaya de faire un jeu d'ordinateur basé sur un de ses livres, il lui a fallu apprendre une nouvelle forme. Comment conduire des gens à leur insu, le long de l'intrigue d'un jeu, n'est pas évident même pour un auteur à succès.[37]

Cette compétence est précisément le métier qu'apprend un réalisateur de films. Comme le décrit Daley, « les gens sont très surpris par la manière dont ils sont conduits le long d'un film. C'est parfaitement construit pour être invisible, donc vous ne vous en rendez pas compte. Si un réalisateur réussit son métier, alors vous n'avez pas conscience d'avoir été mené. » Et si avez conscience d'avoir été mené à travers un film, alors c'est un échec.

Pour autant l'impulsion en faveur d'une extension de l'enseignement de la lecture (une lecture qui dépasse le texte pour inclure des éléments sonores et visuels) n'est pas là pour faire de meilleurs metteurs en scène. Le but n'est pas du tout d'améliorer la profession. Au contraire, comme l'explique Daley,

De mon point de vue, la fracture numérique la plus importante n'est peut-être pas l'accès à un ordinateur. C'est plutôt la capacité de se saisir du langage avec lequel cet ordinateur travaille. Sinon très peu de gens peuvent écrire avec ce langage, et tous les autres sont réduits à être « read-only ».

« Read-only. » Récepteurs passifs d'une culture produite ailleurs. Plantes vertes. Consommateurs. Voici le monde des médias du vingtième siècle.

Le vingt-et-unième siècle pourrait être différent. Ce point est crucial : Il pourrait être à la fois lecture et écriture. Ou du moins, lire et mieux comprendre l'art d'écrire. Ou mieux, lire et comprendre les outils qui permettent à l'écriture de mener ou de détourner. Le but de toute lecture, et de celle-ci en particulier, est de « permettre aux gens de choisir le langage approprié pour ce qu'ils ont besoin de créer ou d'exprimer. »[38] C'est de permettre aux étudiants de « communiquer dans le langage du vingt-et- unième siècle. »[39]

Comme n'importe quel langage, ce langage vient plus facilement à certains qu'à d'autres. Il ne vient pas forcément plus facilement à ceux qui excellent dans le langage écrit. Daley et Stephanie Barish, le directeur de l'Institut d'Etudes Multimédia au Centre Annenberg, décrit l'exemple particulièrement poignant d'un projet qu'ils effectuèrent dans un lycée. C'était un lycée très pauvre du centre ville de Los Angeles. Selon tous les critères traditionnels du succès, ce lycée était un échec. Mais Daley et Barish effectuèrent un programme qui donna aux enfants l'occasion d'utiliser des films pour s'exprimer au sujet de quelque chose que les étudiants connaissent : la violence par armes à feu.

Le cours eut lieu les vendredis après-midi et il créa un problème inédit pour cette école. Alors que le problème de la plupart des cours est de faire venir les enfants, le problème cette fois-ci fut de les en détourner. Les « enfants étaient là à 6 heures du matin et partaient à 5 heures de l'après-midi », dit Barish. Ils travaillaient plus dur que dans tout autre cours, pour faire ce qui devrait être le sujet de toute éducation : apprendre à s'exprimer.

En utilisant tout ce qu'ils « purent trouver comme support libre sur le web » et des outils relativement simples pour permettre aux enfants de mélanger « des images, du son et du texte », Barish indiqua que la classe avait produit une série de projets montrant des éléments sur la violence par arme à feu que peu auraient sinon compris. Cette production a été proche de la vie de ces étudiants. Barish expliqua que le projet « leur a donné un outil et les a renforcé en leur permettant de le comprendre et d'en parler ». Cet outil a permis la création d'une expression —avec plus de réussite et de puissance que ne l'aurait permis le seul texte. « Si vous aviez dit à ces étudiants, vous devez l'écrire, ils auraient simplement baissé les bras et fait autre chose », a indiqué Barish car, sans aucun doute, ces étudiants n'auraient pas su exprimer correctement leurs idées avec du texte. D'autre part, le texte n'est pas la forme dans laquelle ces idées peuvent être le mieux exprimées. La puissance de ce message dépend de son lien avec la forme d'expression.

« Mais », demandai-je, « le but de l'instruction n'est-il pas d'apprendre aux enfants à écrire ? » Bien sûr, ça l'est en partie. Mais pourquoi leur apprenons-nous à écrire ? Le but de l'instruction, m'expliqua Daley, est de donner aux étudiants un moyen de « construire du sens ». Affirmer que ceci se réduit à l'écriture, c'est comme dire qu'apprendre à écrire revient à apprendre à épeler. L'écrit n'est qu'une partie — et de moins en moins prépondérante — de notre manière de nous exprimer. Comme Daley l'expliqua dans la partie la plus intéressante de notre interview,

Ce que nous voulons, c'est donner à ces étudiants les moyens de construire du sens. Si vous ne leur donnez que l'écrit, ils ne le feront pas. Parce qu'ils n'y arriveront pas. Vous savez, vous avez là Johnny qui sait regarder des films, il sait jouer à des jeux vidéo, il sait peindre des graffiti sur tous vos murs, il sait démonter votre voiture, et il sait faire encore beaucoup d'autres choses. Simplement, il ne sait pas lire votre texte. Donc Johnny vient à l'école, et vous lui dites, « Johnny, tu es illettré. Tu ne sais rien faire d'intéressant. » Eh bien, Johnny a deux possibilités : ou bien il va se déprécier, ou bien c'est vous qu'il va déprécier. Et s'il n'a pas de problèmes d'ego, c'est vous qu'il va déprécier. Mais si à la place vous lui dites « Eh bien, avec toutes ces choses que tu sais faire, parlons un peu de faire ceci : Joue-moi une musique, ou bien montre-moi des images, ou bien dessine-moi quelque-chose qui exprime ceci ou cela. » Pas en lui donnant une caméra vidéo et ... en disant « on va s'amuser avec la caméra et faire un petit film », mais plutôt sers-toi des éléments que tu comprends, qui sont ton langage, et construis du sens...

Ceci libère beaucoup de potentiel. Et ce qui arrive ensuite, bien sûr, comme ce fut le cas dans toutes ces classes, c'est qu'ils finissent par se rendre compte que « j'ai besoin d'expliquer ceci, et pour ça j'ai vraiment besoin d'écrire quelque chose. » Et, comme le dit un des professeurs à Stephanie, ils réécrivaient un paragraphe 5, 6, 7, 8 fois, jusqu'à ce qu'ils soient satisfaits.

Parce qu'ils en avaient besoin. Il y avait une raison pour le faire. Ils avaient besoin de dire quelque chose, et non plus de sauter vos obstacles. Ils avaient vraiment besoin d'utiliser un langage qu'ils ne parlaient pas très bien. Mais ils avaient fini par comprendre que ce langage leur donnait beaucoup de pouvoir."

Quand deux avions se sont écrasés contre le World Trade Center, un autre sur le Pentagone, et un quatrième dans un champ en Pennsylvanie, tous les médias du monde se sont mis à couvrir l'événement. A chaque instant de chaque jour de cette semaine, et pendant les semaines qui suivirent, les médias en général, et les télévisions en particulier, ont répété l'histoire des événements auxquels nous venions d'assister. Leur histoire était une redite, car nous avions vu les événements qui étaient décrits. Le génie de cet acte terroriste horrible fut que la seconde attaque, retardée, était parfaitement synchronisée pour s'assurer que le monde entier serait en train de regarder.

Ces redites nous ont semblé de plus en plus familières. Il y avait une musique passée entre deux rediffusions, et des logos graphiques qui passaient à l'écran. [ There was a formula to interviews] . Il y avait de l'« équilibre », et du sérieux. C'était de l'information, chorégraphiée d'une manière à laquelle nous avons appris à nous attendre, de l'« info-divertissement », quand bien même le divertissement est une tragédie.

Mais en plus de ces informations publiées à propos de la « tragédie du 11 septembre », ceux d'entre nous reliés à Internet ont pu observer une production tout autre. Internet était plein de récits des mêmes événements. Cependant, ces récits avaient un point de vue très différent. Certaines personnes avaient réalisé des pages qui regroupaient des photos du monde entier et les présentaient sous forme de diapositives avec du texte. D'autres proposaient des lettres ouvertes. Il y avait des enregistrements sonores. Il y avait de la colère et de la déception. Il y avait des tentatives pour fournir un contexte. Il y avait, en bref, une remarquable mobilisation mondiale, dans le sens où Mike Godwin l'utilise dans son livre Cyber Rights, autour d'une actualité qui a captivé l'attention du monde entier. Il y a eu ABC et CBS, mais il y a aussi eu Internet.

Mon propos n'est pas de faire un simple éloge d'Internet, bien que je pense que ceux qui ont soutenu cette forme d'expression méritent un éloge. Je cherche plutôt à démontrer en quoi cette forme d'expression est importante. Car comme Kodak, Internet permet de capturer des images. Et comme dans un film créé par un étudiant de « Just Think ! », ces images peuvent être mélangées à du son ou à du texte.

Mais à la différence d'une technologie qui se contenterait de capturer des images, Internet permet de partager ces créations avec un nombre extraordinaire de gens, presque instantanément. Ceci est quelque chose de nouveau dans notre tradition ; non pas le fait que la culture puisse être créée de façon mécanique, et évidemment pas non plus le fait que les événements reçoivent des commentaires critiques, mais le fait que ce mélange d'images, de son et de commentaires puisse être largement répandu, presque instantanément.

Le 11 septembre n'a pas été une aberration, mais un début. Vers la même époque, une forme de communication qui a pris depuis beaucoup d'importance, venait de faire son apparition dans l'esprit du public : Le Web-log, ou blog. Le blog est une sorte d'agenda public, et dans certaines cultures, comme au Japon, il fonctionne beaucoup comme un journal de bord. Dans ces cultures, il consigne des faits privés d'une manière publique— c'est une sorte de Jerry Springer électronique, disponible partout dans le monde.

Mais aux États-Unis, les blogs ont pris un caractère très différent. Certains utilisent cet espace simplement pour parler de leur vie privée. Mais beaucoup l'utilisent pour engager des conversations publiques. Ils discutent de sujets d'intérêt public, critiquent ceux qui se trompent à leurs yeux, critiquent les hommes politiques sur les décisions qu'ils prennent, proposent des solutions aux problèmes que nous voyons tous : les blogs donnent l'impression d'une réunion publique virtuelle, mais à laquelle nous n'avons pas besoin d'être présents en même temps, et où les conversations ne sont pas nécessairement reliées. Les meilleures contributions sont relativement courtes ; elles pointent directement vers les mots utilisés par d'autres, en les critiquant ou en y ajoutant quelque chose. Les blogs sont sans doute la forme la plus importante de discours public non chorégraphié que nous possédions.

Ceci est une affirmation forte. Et pourtant, elle en dit autant sur notre démocratie que sur les blogs. Voici l'aspect de l'Amérique qui est le plus difficile à accepter pour ceux d'entre nous qui aiment l'Amérique : notre démocratie s'est atrophiée. Bien sûr nous avons des élections, et la plupart du temps les tribunaux permettent à ces élections de compter. Un nombre relativement restreint de gens votent au cours de ces élections. Le cycle de ces élections est devenu complètement professionnalisé et routinier. La plupart d'entre nous pensent que c'est ça, la démocratie.

Mais la démocratie ne s'est jamais réduite à des élections. La démocratie, c'est la souveraineté du peuple, mais la souveraineté signifie plus que de simples élections. Dans notre tradition, cela signifie aussi le contrôle à travers des débats raisonnés. C'était d'ailleurs là l'idée qui captura l'imagination de l'écrivain français du XIXe siècle Alexis de Tocqueville, auteur de la plus importante analyse de la Démocratie en Amérique de ce temps-là. Ce n'étaient pas les élections populaires qui le fascinaient ; c'était le jury, une institution judiciaire qui donnait à des gens ordinaires le pouvoir de décider de la vie ou de la mort d'autres citoyens. Et le plus fascinant pour lui était que le jury ne faisait pas que voter sur l'issue du procès. Ils délibéraient. Les membres se mettaient d'accord sur la meilleure solution, ils tentaient de se convaincre les uns les autres de ce qui leur paraissait être la « bonne » solution et, au moins dans les cas d'assises, devaient obtenir l'unanimité pour que le procès soit clos[40].

Et pourtant, même cette institution faiblit de nos jours en Amérique. Et à sa place, il n'existe pas d'effort concerté pour permettre aux citoyens de délibérer. Certaines personnes appellent à la création d'une institution dont ce serait le rôle[41]. Et dans certaines villes de Nouvelle Angleterre, quelque chose d'analogue aux délibérations existe encore. Mais pour la plupart d'entre nous, et la plupart du temps, il n'existe ni espace ni moment réservé à la « délibération démocratique ».

Le plus bizarre est qu'en général, ce débat n'a même pas l'autorisation d'avoir lieu. Nous, la démocratie la plus puissant au monde, avons adopté une norme forte, qui nous interdit de parler de politique. Il est permis de parler de politique avec les gens avec qui vous êtes d'accord. Mais il est impoli d'en discuter avec ceux avec qui vous n'êtes pas d'accord. Le discours politique se fait isolé, et un discours isolé se fait plus extrême[42]. Nous tenons le discours que nos amis veulent entendre, et nous n'entendons presque rien d'autre que ce qu'ils nous disent.

Arrive le blog. L'architecture même du blog résout une partie de ce problème. Les gens postent quand ils en ont envie, et ils lisent quand ils en ont envie. La difficulté est de synchroniser les gens. Une technologie qui permet aux gens de communiquer de façon asynchrone, comme le courrier électronique, augmente les occasions de communiquer. Les blogs permettent des débats publics sans obliger le public à se rassembler en un seul endroit.

Mais au-delà de l'architecture, les blogs ont aussi résolu le problème des normes. Il n'existe pas (encore) de norme qui interdise de parler de politique sur un blog. De fait, cet espace est rempli de discours à teneur politique, de droite comme de gauche. Certains des sites les plus populaires sont conservateurs ou libertaires, mais beaucoup ont toutes les couleurs politiques. Et même les blogs qui ne sont pas politiques traitent de problèmes politiques quand l'occasion s'en présente.

Pour le moment, l'impact de ces blogs est faible, mais pas nul. Sans les blogs, le nom de Howard Dean aurait sans-doute disparu de la course à l'élection présidentielle de 2004. Car quand bien même le nombre de leurs lecteurs reste faible, leur lecture a un effet.

Un effet direct concerne les actualités, qui avaient un cycle de vie différent dans les médias traditionnels. L'affaire Trent Lott en est un exemple. Quand Lott effectua un « dérapage verbal » lors d'une fête en l'honneur du sénateur Strom Thurmond, en vantant la politique ségrégationniste de Thurmond, il avait fait le calcul correct que cette histoire disparaîtrait de la presse traditionnelle en quarante-huit heures. Ce qui fut le cas. Mais il n'avait pas compté avec sa durée de vie sur les blogs. Les blogueurs n'arrêtèrent pas de rechercher cette histoire. Au cours du temps, de plus en plus de récits de ce « dérapage » apparurent. Finalement, cette histoire fit son retour dans la presse traditionnelle. Pour finir Lott fut forcé de démissionner en tant que leader de la majorité au sénat[43].

Ce cycle différent est possible car les blogs ne sont pas soumis aux mêmes pressions commerciales que les autres médias. Les journaux et les télévisions sont des entités commerciales. Ils doivent travailler à garder l'attention. S'ils perdent des lecteurs, ils perdent des revenus. Comme les requins, ils sont obligés d'avancer sans arrêt.

Mais les blogueurs n'ont pas de contrainte de ce genre. Ils peuvent persévérer, ils peuvent se concentrer, ils peuvent devenir sérieux. Si un blogueur écrit un texte particulièrement intéressant, de nombreux internautes créent des liens vers ce texte. Et plus le nombre de liens vers un texte augmente, mieux ce texte est classé. Les gens lisent ce qui a du succès ; ce qui a du succès a été sélectionné par un processus très démocratique de classement par les pairs.

Il y a aussi un autre aspect en lequel les blogs ont une vie différente de la presse traditionnelle. Comme me l'a dit Dave Winer, un des pères de ce mouvement, et un auteur de logiciels depuis plusieurs décades, une autre différence est l'absence de « conflit d'intérêt » financier. « Je pense que vous devriez débarrasser le journalisme du conflit d'intérêt », m'a dit Winer. « Un journaliste amateur n'a pas de conflit d'intérêt, ou alors ce conflit d'intérêt est si facile à voir que vous savez, vous pouvez vous en débarrasser ».

Ces conflits deviennent plus importants quand les médias deviennent plus concentrés (nous en reparlerons plus loin). La concentration permet aux médias de cacher plus de choses au public — et CNN a reconnu l'avoir fait après la guerre en Irak, par peur des conséquences sur ses propres employés[44]. Elle leur impose aussi d'adopter un point de vue plus cohérent. (En pleine guerre d'Irak, j'ai lu un message sur Internet, de quelqu'un qui à l'époque écoutait une liaison satellite avec un reporter en Irak. La maison mère de New York répétait sans cesse au reporter que sa version de la guerre était trop triste : elle devait proposer un reportage plus optimiste. Quand elle dit à New York que ça n'était pas garanti, ils rétorquèrent que c'était eux qui écrivaient « le reportage »).

Les Blogs donnent aux amateurs un moyen d'entrer dans le débat — j'emploie le mot « amateur » non pas au sens de personne inexpérimentée, mais au sens d'un athlète olympique, c'est-à-dire quelqu'un qui n'est payé par personne pour rendre compte. Ceci permet d'avoir plus de points de vue sur une information, comme l'ont démontré les comptes-rendus sur le désastre de la navette Columbia, quand des centaines de personnes du sud-ouest des États-Unis se sont tournées vers Internet pour raconter ce qu'elles avaient vu[45]. Et ceci conduit les lecteurs à lire plusieurs points de vue, et à estimer la vérité « par triangulation », comme le dit Winer. Les blogs, d'après Winer, « sont un lien direct avec notre pensée, et il n'y a pas d'intermédiaire »— avec tous les avantages, et tous les inconvénients que cela suppose.

Winer est confiant en l'avenir d'un journalisme contaminé par les blogs. « Ça va devenir une compétence essentielle », prédit-il, pour les personnages publics, et de plus en plus pour les particuliers. Il n'est pas sûr que ça plaise au « journalisme » — certains journalistes ont reçu pour instruction de limiter leur activité sur les blogs[46]. Mais il est clair que nous sommes encore dans une période de transition. « Une grande partie de ce que nous faisons maintenant correspond à un exercice d'échauffement », m'a dit Winer. Beaucoup de choses doivent parvenir à maturité, pour que cet espace démontre son plein effet. Et comme l'addition de contenus à cet espace est l'utilisation d'Internet qui viole le moins de copyrights, Winer m'a dit : « nous sommes la dernière chose qu'ils censureront. »

Ce discours a un effet sur la démocratie. Winer pense que ceci est dû au fait que « vous ne travaillez pas pour quelqu'un qui contrôle, pour un gardien du temple ». C'est vrai. Mais il a aussi un autre effet sur la démocratie. Quand des citoyens toujours plus nombreux expriment leur point de vue, le défendent par écrit, cela modifie la manière dont les gens perçoivent les problèmes publics. Il est facile de se tromper tout seul. C'est plus difficile quand le produit de votre esprit peut être critiqué par d'autres. Bien sûr, rares sont les hommes qui reconnaissent avoir eu tort. Mais encore plus rares sont ceux qui ne tiennent pas compte du fait que l'on démontre qu'ils ont tort. Le fait d'écrire ses idées, arguments et critiques, améliore la démocratie. Aujourd'hui, il y a peut-être deux millions de blogs où de tels débats écrits prennent place. Quand il y en aura dix millions, nous assisterons à quelque chose d'extraordinaire.

John Seely Brown est le directeur scientifique de Xerox. Son travail, comme il le décrit sur son site Web, est centré sur « l'apprentissage humain et [...] la création d'écologies de la connaissance afin de créer [...] de l'innovation. »

Brown voit donc ces technologies de création numérique sous un angle un peu différent des perspectives que j'ai décrites jusqu'ici. Je suis certain qu'il serait enthousiasmé par n'importe quelle technologie qui pourrait améliorer la démocratie. Mais ce qui l'intéresse vraiment, c'est la manière dont ces technologies affectent l'apprentissage.

D'après Brown, nous apprenons en bricolant. Quand « la plupart d'entre nous sommes devenus grands, » explique-t-il, ce bricolage s'est fait « sur des moteurs de motos, de tondeuses, des automobiles, des radios, etc. » Mais les technologies numériques rendent possible un bricolage d'un type différent : avec des idées abstraites, mais sous forme concrète. Les jeunes de « Just Think ! » ne se contentent pas de penser à la manière dont une publicité présente un homme politique ; en utilisant les technologies numériques, ils peuvent découper cette publicité, et la manipuler, bricoler afin de voir comment elle fait ce qu'elle fait. Les technologies numériques ont lancé une forme de bricolage, ou de « collage libre, » comme l'appelle Brown. Beaucoup peuvent compléter ou transformer les résultats d'expériences faites par beaucoup d'autres.

Jusqu'ici, le meilleur exemple de grande envergure de ce type de bricolage est le logiciel libre, ou open-source. Il s'agit de logiciels dont le code source est partagé. N'importe qui peut télécharger la technologie qui fait tourner ces programmes. Et n'importe quelle personne désireuse d'apprendre comment fonctionne un aspect particulier d'une technologie libre ou open- source peut bricoler avec son code.

Cette possibilité créé une « plate-forme d'apprentissage d'un type entièrement nouveau », comme le décrit Brown. « Dès que vous commencez à faire cela, vous [...] offrez un collage libre à la communauté, de sorte que d'autres gens peuvent examiner votre code, bricoler avec, faire des essais, voir s'ils peuvent l'améliorer. » Chaque effort est une forme d'apprentissage. « L'open source devient une plate- forme d'apprentissage majeure. »

Dans ce processus, « les choses concrètes avec lesquelles vous bricolez sont abstraites. Elles sont du code. » Les jeunes « déplacent leur habileté à bricoler vers le domaine abstrait, et ce bricolage n'est plus une activité solitaire que vous faites dans votre garage. Vous bricolez au sein d'une communauté... Vous bricolez avec les créations d'autres personnes. Plus vous bricolez, plus vous les améliorez. » Plus vous les améliorez, plus vous apprenez.

Ce même processus est aussi à l'œuvre avec les contenus. Et il se produit de la même manière collaborative quand ce contenu est sur le Web. Comme le dit Brown, « le Web [est] le premier médium qui rend véritablement hommage à de multiples formes d'intelligence. » Les technologies précédentes, comme la machine à écrire ou le traitement de texte, ont aidé à amplifier l'écrit. Mais le Web amplifie bien plus que l'écrit. « Le Web [...] dit ceci : si vous êtes musicien, artiste, ou bien intéressé par le cinéma [alors] il y a beaucoup de choses que vous pouvez faire avec ce medium. Aujourd'hui, [le web] peut amplifier ces multiples formes d'intelligence, et leur rendre hommage. »

Brown parle de ce qu'Elizabeth Daley, Stephanie Barish, et Just Think ! nous enseignent : le fait que ce bricolage culturel instruit autant qu'il créé. Il développe des talents d'une manière différente, et il s'ensuit un type différent de reconnaissance.

Cependant, la liberté de bricoler avec ces objets n'est pas garantie. En fait, comme nous allons le voir au cours de ce livre, cette liberté est de plus en plus menacée. Alors qu'il ne faisait aucun doute que votre père avait le droit de bricoler avec le moteur de sa voiture, il est très peu probable que votre enfant aura le droit de bricoler avec les images qu'elle trouve autour d'elle. La loi et, de plus en plus, la technologie, interfèrent avec une liberté que la technologie et la curiosité auraient normalement garantie.

Ces restrictions sont devenues la préoccupation de certains chercheurs et universitaires. Ed Felten, professeur à Princeton (et dont nous reparlerons au chapitre 10) a développé un argument fort en faveur du « droit à bricoler », comme il s'applique à l'informatique et au savoir en général[47]. Mais l'inquiétude de Brown est antérieure, ou plus fondamentale. Elle concerne ce que les enfants peuvent ou ne peuvent pas apprendre, à cause de la loi.

« Voici où va l'éducation du vingt-et-unième siècle, » explique Brown. Nous devons « comprendre comment les enfants qui grandissent dans un monde numérique pensent et veulent apprendre. »

« Mais, » comme le dit Brown, et comme le démontre la suite de ce livre, « nous sommes en train de construire un système légal qui supprime complètement les tendances naturelles des enfants de l'ère numérique... Nous sommes en train de construire une architecture qui libère 60 pour cent de l'intellect, [et] un système légal qui referme cette même partie de l'intellect. »

Nous sommes en train de construire une technologie qui prend la magie du Kodak, permet de mélanger des images et du son, y ajoute de l'espace pour accueillir des commentaires, et la possibilité de répandre partout cette créativité. Mais nous construisons aussi des lois pour fermer cette technologie.

« Ce n'est pas comme ça qu'on fait marcher une culture, » comme me le dit Brewster Kahle, que nous rencontrerons au chapitre 9, dans un rare moment de découragement.



[26] Reese V. Jenkins, Images and Enterprise: Technology and the American Photographic Industry, 1839-1925, Johns Hopkins University Press, 1975, p. 112.

[27] Brian Coe, The Birth of Photography, Taplinger Publishing Co, 1977, p. 53.

[28] Reese V. Jenkins, op. cit., p. 177.

[29] Basé sur un graphique de Reese V. Jenkins, op. cit., p. 178.

[30] Brian Coe, op. cit., p. 58.

[31] Pour des affaires illustrant ce propos, voir par exemple Pavesich v. N.E. Life Ins. Co., 50 S.E. 68 (Ga. 1905), Foster-Milburn Co. v. Chinn, 123090 S.W. 364, 366 (Ky. 1909), Corliss v. Walker, 64 F. 280 (Mass. Dist. Ct. 1894).

[32] Samuel D. Warren et Louis D. Brandeis, « The Right to Privacy », p. 193.

[33] Voir Melville B. Nimmer, « The Right of Publicity », Law and Contemporary Problems, vol. 19, nº 2, 1954, p. 203 ; William L. Prosser, « Privacy », California Law Review, vol. 48, nº 3, 1960, p. 398-407 et White v. Samsung Electronics America, Inc., 971 F. 2d 1395 (9th Cir. 1992), cert. denied, 508 U.S. 951 (1993).

[34] H. Edward Goldberg, « Essential Presentation Tools: Hardware and Software You Need to Create Digital Multimedia Presentations », Cadalyst, 1er février 2002, disponible au lien nº 7.

[35] Judith Van Evra, Television and Child Development, (Lea’s Communication), Lawrence Erlbaum Associates, 1990. « Findings on Family and TV Study », Denver Post, 25 mai 1997.

[36] Entretien avec Elizabeth Daley et Stephanie Barish, 13 décembre 2002.

[37] Voir Scott Steinberg, « Crichton Gets Medieval on PCs », E!online, 4 novembre 2000, disponible au lien nº 8 et « Timeline », IGN, 22 novembre 2000, disponible au lien nº 9.

[38] Entretien avec Elizabeth Daley et Stephanie Barish.

[39] Idem.

[40] Voir, par exemple, Alexis de Tocqueville, De la démocratie en Amérique, t. I, ch. 16, Bantam Books, 2000, Henry Reeve trad.

[41] Bruce Ackerman et James Fishkin, « Deliberation Day », Journal of Political Philosophy, vol. 10, nº 2, 2002, p. 129.

[42] Cass Sunstein, Republic.com, Princeton University Press, 2001, p. 65-80, 175, 182, 183 et 192.

[43] Noah Shachtman, « With Incessant Postings, a Pundit Stirs the Pot », The New York Times, 16 janvier 2003.

[44] Entretien par téléphone avec David Winer, 16 avril 2003.

[45] John Schwartz, « Loss of the Shuttle: The Internet; A Wealth of Information Online », The New York Times, 2 février 2003 ; Staci D. Kramer, « Shuttle Disaster Coverage Mixed, but Strong Overall », Online Journalism Review, 2 février 2003, disponible au lien nº 10.

[46] Voir Michael Falcone, « Does an Editor’s Pencil Ruin a Web Log? », The New York Times, 29 septembre 2003 : « Toutes les organisations d’information n’ont pas été aussi tolérantes envers les employés qui bloguent. Kevin Sites, un correspondant de CNN en Irak qui, le 9 mars, avait commencé un blog sur son reportage sur la guerre, arrêta de poster 12 jours plus tard à la demande de son chef. L’an dernier Steve Olafson, un reporter de Houston Chronicle, a été renvoyé pour avoir tenu un blog personnel publié sous pseudonyme, qui traitait de sujets et de personnes qu’il couvrait. »

[47] Voir, par exemple, Edward Felten et Andrew Appel, « Technological Access Control Interferes with Noninfringing Scholarship », Communications of the Association for Computer Machinery, vol. 43, nº 9, septembre 2000.

Chapitre 3. Catalogues

À l'automne 2002, Jesse Jordan de la ville d'Oceanside, état de New York, s'inscrivit en première année au Rensselaer Polytechnic Institute, à Troy, état de New York. Sa matière principale au RPI était les technologies de l'information. Bien qu'il ne fût pas programmeur, en octobre Jesse décida de commencer à jouer avec les techniques de moteurs de recherche qui étaient disponibles sur le réseau de RPI.

RPI est l'un des centres de recherche technologiques les plus avancés d'Amérique. Il délivre des diplômes dans des domaines allant de l'architecture et l'ingéniérie aux sciences de l'information. Plus de 65 pour cent des ses 5000 étudiants ont terminé le lycée en figurant parmi les 10 pour cent meilleurs de leur classe. L'école rassemble ainsi un mélange idéal de talent et d'expérience afin d'imaginer et de construire, une génération pour l'âge des réseaux.

Le réseau informatique de RPI relie entre eux étudiants, enseignants et administration. Il relie également RPI à Internet. Tout ce qui est disponible sur le réseau de RPI ne l'est pas sur Internet. Mais le réseau est fait de sorte que les étudiants aient accès à Internet, de même qu'un accès plus privé aux autres membres de la communauté de RPI.

Les moteurs de recherche permettent de mesurer le degré d'intimité d'un réseau. Google a beaucoup rapproché Internet de nous, en améliorant de manière fantastique la qualité des recherches sur le réseau. Les moteurs de recherche spécialisés y parviennent encore mieux. L'idée derrière les moteurs de recherche pour « intranet », des moteurs de recherche qui cherchent à l'intérieur du réseau d'une institution, est de fournir aux utilisateurs de cette institution un meilleur accès aux données de cette institution. Les entreprises font celà tout le temps, de manière à permettre à leurs employés d'accéder à des données que les gens en dehors de l'entreprise ne peuvent obtenir. Les universités le font aussi.

Ces moteurs fonctionnent grâce à la technologie du réseau lui-même. Microsoft, par exemple, possède un système de fichier en réseau, qui permet aux moteurs de recherche d'interroger le système très facilement, pour savoir quels contenus sont disponibles publiquement (sur ce réseau). Le moteur de recherche de Jesse fut construit de manière à tirer avantage de cette technologie. Il utilisait le système de fichiers de Microsoft afin de construire une liste de tous les fichiers disponibles sur le réseau RPI.

Le moteur de Jesse n'était pas le premier construit pour le réseau RPI. En effet, son moteur de recherche était une simple modification de moteurs écrits par d'autres. Sa seule amélioration importante était qu'il corrigeait une erreur existant dans le système de Microsoft, qui provoquait des plantages d'ordinateurs. Avec les moteurs préexistants, en tentant d'accéder à un fichier qui se trouvait sur un ordinateur qui n'était plus en ligne avec un navigateur Windows, on pouvait faire planter son ordinateur. Jesse modifia légèrement le système pour résoudre ce problème, en ajoutant un bouton sur lequel un utilisateur pouvait cliquer pour savoir si la machine qui contenait le fichier était toujours en ligne.

Le moteur de Jesse fut mis en ligne fin octobre. Durant les six mois suivants, il continua à le perfectionner et à en améliorer la fonctionnalité. En mars, le système fonctionnait plutôt bien. Jesse avait plus d'un million de fichiers dans sa liste, qui comprenait tout les types de contenus se trouvant sur les ordinateurs des utilisateurs du réseau.

Ainsi donc la liste produite par son moteur de recherche contenait des images, que les étudiants pouvaient utiliser, pour les mettre sur leur site web ; des copies de cours ou de la recherche ; des copies de textes techniques ; des films courts crées par les étudiants ; des brochures d'universités — en bref, tout ce que les utilisateurs du réseau RPI rendaient disponible dans un répertoire public de leur ordinateur.

Mais la liste contenait aussi de la musique. En fait, un quart des fichiers que le moteur de recherche de Jesse listait étaient des fichiers de musique. Ceci veut dire, bien sûr, que les trois quarts n'en étaient pas, et — ce point est parfaitement clair — Jesse ne fit rien pour pousser les gens à mettre des fichiers de musique dans leurs répertoires publics. Il ne fit rien pour cibler le moteur de recherche vers ces fichiers. Il était un étudiant qui expérimentait une technologie similaire à Google, dans une université où il étudiait les sciences de l'information, et par conséquent, expérimenter était son but. À la différence de Google, ou de Microsoft en l'occurence, il ne gagnait pas d'argent de ses expériences ; il n'avait pas non plus de lien avec une entreprise qui en gagnait ainsi. Il n'était qu'un étudiant qui expérimentait une technologie, dans un environnement où c'était précisément ce qu'il était supposé faire.

Le 23 avril 2003, Jesse fut contacté par le doyen de RPI. Le doyen l'informa que la Recording Industry Association of America, la RIAA, était en train de porter plainte contre lui et trois autres étudiants qu'il ne connaissait même pas, dont deux se trouvaient dans d'autres universités. Quelques heures plus tard, on remit à Jesse les documents concernant la plainte. Lorsqu'il lu ces documents et vit les nouvelles s'y rapportant, il était de plus en plus étonné.

« C'est absurde, » me dit-il. « Je ne pense pas avoir fait quoi que ce soit de mal... Je ne pense pas qu'il y ait quoi que ce soit de mal avec le moteur de recherche que j'ai fait tourner, ou ... avec ce que j'y ai apporté. C'est-à-dire que je ne l'ai pas modifié d'une manière qui favorise ou facilite le travail de pirates. Je l'ai simplement modifié de manière à le rendre plus facile à utiliser »— une fois de plus, un moteur de recherche, que Jesse n'avait pas écrit lui même, afin de permettre aux membres de RPI d'accéder à des contenus que Jesse n'avait pas crées ou postés lui-même, et dont la vaste majorité n'avait rien à voir avec de la musique.

Mais la RIAA appelait Jesse un pirate. Elle prétendait qu'il animait un réseau, et que par conséquent il avait « volontairement » violé les lois sur le droit d'auteur. Elle demanda qu'il la paie en dommages de ses actes. Dans des cas de « violation volontaire », le Copyright Act définit quelque chose que les juristes appellent « dommages statutaires ». Ces dommages permettent à un détenteur de droits d'auteur de réclamer 150.000 dollars par violation. Comme la RIAA se plaignait de plus d'une centaine de violations, elle demanda que Jesse paie au moins 15.000.000 de dollars.

Des procès similaires furent intentés à trois autres étudiants : un autre étudiant à RPI, un à l'Université Technique du Michigan, et un à Princeton. Leurs situations étaient semblables à celle de Jesse. Bien que chaque cas fût différent en détail, l'idée générale était exactement la même : d'énormes demandes en « dommages » dont la RIAA se déclarait redevable. En additionnant ces demandes, ces quatre procès demandaient aux tribunaux américains de dédommager les plaignants de près de 100 milliards de dollars — soit six fois le total des profits de l'industrie cinématographique en 2001[48].

Jesse appela ses parents. Ils étaient avec lui, mais un peu effrayés. Un oncle était avocat. Il commenca à négocier avec la RIAA. Ils demandèrent combien d'argent Jesse avait. Jesse avait économisé 12.000 dollars, grâce à des emplois d'été et autres travaux. Ils demandèrent 12.000 dollars pour retirer leur plainte.

La RIAA voulait que Jesse reconnaisse avoir fait quelque chose de mal. Il refusa. Il voulaient qu'il accepte un jugement qui lui aurait interdit de travailler dans un certain nombre de secteurs technologiques pour le reste de sa vie. Il refusa. Ils lui firent comprendre que le fait d'être traduit en justice n'allait pas être une partie de plaisir. (Le père de Jesse me raconta que l'avocat principal sur le dossier, Matt Oppenheimer, avait dit à Jesse, « Je ne vous conseille pas de vous payer une deuxième visite chez un dentiste comme moi. ») Et tout du long, la RIAA répéta qu'elle ne retirerait pas sa plainte avant d'avoir pris le dernier centime économisé par Jesse.

La famille de Jesse fut scandalisée par ces prétentions. Ils voulaient se défendre en justice. Mais l'oncle de Jesse leur fit comprendre la nature du système légal américain. Jesse pouvait se défendre contre la RIAA. Il se pouvait même qu'il gagne. Mais le coût d'un procès de ce genre, dit-il à Jesse, serait d'au moins 250.000 dollars. S'il gagnait, il ne récupérerait pas cet argent. S'il gagnait, il se retrouverait avec un bout de papier stipulant qu'il aurait gagné, et un autre bout de papier stipulant que lui et sa famille seraient en faillite.

Ainsi donc, Jesse était devant un choix digne de la mafia : 250.000 dollars pour une chance de gagner, ou bien 12.000 dollars pour un règlement à l'amiable.

L'industrie du disque répète qu'il s'agit d'une question de loi et de morale. Mettons la loi de côté pour un moment, et pensons seulement à la morale. Où est la morale dans un procès comme celui-là ? Quelle vertu y a-t-il à faire des boucs émissaires ? La RIAA est un lobby extrêmement puissant. Son président gagne, semble-t-il, plus d'un million de dollars par an. Les artistes, en revanche, ne sont pas bien payés. Un chanteur gagne en moyenne 45.900 dollars par an[49]. La RIAA a énormément de moyens, pour influencer et diriger la politique. Où est donc la morale à prendre de l'argent d'un étudiant pour avoir fait tourner un moteur de recherche ?[50]

Le 23 juin, Jesse vira ses économies à l'avocat de la RIAA. La plainte fut retirée. Et par ces mots, cet étudiant qui avait transformé un ordinateur en un procès à 15 millions de dollars devint un militant :

Je n'étais absolument pas un militant [avant]. Je n'ai jamais vraiment voulu être un militant... [Mais] on m'y a poussé. En aucune manière je n'avais prévu quelque chose de ce genre, mais je pense que ce que la RIAA a fait est complètement absurde.

Les parents de Jesse gardent une certaine fierté pour leur militant malgré lui. Comme me l'a dit son père, Jesse « se considère comme très conservateur, et moi de même... Il n'est pas du genre à se battre pour sauver les arbres... Je trouve que c'est très bizarre que ce soit tombé sur lui. Mais il veut que les gens sachent qu'ils envoient un mauvais signal. Et il veut corriger cela. »



[48] Tim Goral, « Recording Industry Goes After Campus P-2-P Networks: Suit Alleges $97.8 Billion in Damages », University Business Magazine, vol. 6, nº 5, mai 2003, disponible au 2003 WL 55179443.

[49] U.S. Department of Labor Statistics, Occupational Employment and Wages, « 27-2042 Musicians and Singers », 2001. Voir aussi Neil Alper et Gregory H. Wassall, More Than One in a Blue Moon, National Endowment for the Arts, 2000.

[50] Douglas Lichtman argumente de manière semblable dans « KaZaA and Punishment », The Wall Street Journal, 10 septembre 2003.

Chapitre 4. « Pirates »

Si « pirater » signifie utiliser la propriété artistique des autres sans leur permission — s'il est vrai que « valeur implique droits » — alors l'histoire de l'industrie du contenu est une histoire de piratage. Chaque secteur important de l'industrie des médias d'aujourd'hui — cinéma, disque, radio et télévision par câble — est né d'une forme de piratage selon cette définition. Ce chapitre montre comment chaque génération de pirates a fini par rejoindre le club des industries respectables — jusqu'à aujourd'hui.

4.1. Cinéma

L'industrie cinématographique de Hollywood fut créée par des pirates en fuite[51]. Les créateurs et metteurs en scène migrèrent de la Côte Est vers la Californie au début du vingtième siècle, en partie afin d'échapper au contrôle que les brevets accordaient à l'inventeur du cinéma, Thomas Edison. Ce contrôle était exercé par un « trust », la Motion Pictures Patent Company, et était basé sur la propriété intellectuelle de Thomas Edison — ses brevets. Edison créa la MPPC afin d'exercer les droits que sa propriété intellectuelle lui donnait, et la MPPC ne prenait pas son travail à la légère.

Comme le rapporte un commentateur :

Un ultimatum en janvier 1909 fut donné à toutes les compagnies pour se mettre en règle avec la licence. En février, les hors-la-loi qui ne possédaient pas de licence, et qui s'appelaient entre eux les indépendants, protestèrent contre le trust et continuèrent de travailler sans se soumettre au monopole d'Edison. A l'été 1909, le mouvement indépendant était en pleine activité, avec des producteurs et des propriétaires de cinémas qui utilisaient des équipements illégaux et importaient de la pellicule pour créer leur propre marché souterrain.

Voyant le nombre de cinémas pirates dans le pays augmenter rapidement, la Compagnie des Brevets réagit contre le mouvement indépendant, en créant une filiale de gros bras, connue sous le nom de Compagnie Générale des Films, chargée de bloquer l'entrée des cinémas sans licence. Au cours d'actions répressives qui sont entrées dans la légende, la Générale des Films confisqua les équipements sans licence, interrompit l'approvisionnement des salles qui passaient des films sans licence, et monopolisa le circuit de distribution, en acquérant toutes les bourses aux films américaines, à l'exception de celle détenue par Wiliam Fox, un indépendant qui continua de défier le Trust après que sa licence fut révoquée[52].

Les Napster de l'époque, les « indépendants », étaient des compagnies comme la Fox. Et pas moins qu'aujourd'hui, ces compagnies résistèrent vigoureusement. « Les tournages étaient interrompus par des vols de machines, et des accidents se produisaient fréquemment, qui se traduisaient par des pertes de négatifs, d'équipements, de bâtiments et parfois de vies. »[53] Ceci poussa les indépendants à fuir vers la Côte Ouest. La Californie était suffisament hors de portée d'Edison pour que les producteurs de films puissent pirater ses inventions sans craindre la loi.

Bien sûr, la Californie se développa rapidement, et la loi fédérale finit par être appliquée à l'Ouest. Mais comme les brevets n'accordaient qu'un monopole vraiment « limité » à leur détenteur (seulement dix- sept ans à l'époque), au moment ou les agents fédéraux furent en nombre suffisant, les brevets avaient expiré.

4.2. Musique enregistrée

L'industrie du disque est née d'un autre genre de piratage, mais pour s'en apercevoir il faut connaître certains détails sur la manière dont la loi s'applique à la musique.

A l'époque où Edison et Henri Fourneaux inventaient des machines à reproduire la musique (Edison le phonographe, Fourneaux le piano mécanique), la loi accordait aux compositeurs le droit exclusif de contrôler les copies et les exécutions publiques de leur musique. En d'autres termes, si en 1900 j'avais voulu une copie de « Happy Mose », un succès de Phil Russel en 1899, la loi stipulait que j'aurais dû payer pour avoir le droit d'obtenir une copie de la partition musicale, et que j'aurais aussi dû payer pour avoir le droit de la jouer en public.

Mais qu'en était-il si j'avais voulu enregistrer « Happy Mose », à l'aide du phonographe d'Edison, ou du piano mécanique de Fourneaux ? La loi bloquait sur ce point. Il était assez clair que j'aurais dû payer pour chaque copie de la partition que j'aurais faite en créant cet enregistrement. Et il était aussi clair que j'aurais dû payer pour chaque exécution en public de l'oeuvre que j'aurais enregistrée. Mais ce qui n'était pas clair, c'était si j'aurais dû payer pour une « exécution publique » pour enregistrer la chanson à mon domicile (même aujourd'hui, vous ne devez rien aux Beatles si vous chantez leurs chansons sous la douche), ou si j'avais enregistré la chanson de mémoire (les copies qui sont dans votre cerveau ne sont pas —encore— soumises à la loi sur le droit d'auteur). Donc, si je chantais la chanson devant un appareil d'enregistrement à mon propre domicile, il n'était pas sûr que je doive quelque chose au compositeur. Et, plus important, il n'était pas sûr que je doive quoi que ce soit au compositeur si je faisais ensuite des copies de ces enregistrements.A cause de cette faille juridique, on pouvait à l'époque pirater la chanson de quelqu'un d'autre, sans rien payer au compositeur.

Les compositeurs (et éditeurs) étaient tout sauf heureux de cette possibilité de piratage. Pour reprendre les mots du sénateur Alfred Kittredge, du Sud Dakota,

Rendez-vous compte de l'injustice. Un compositeur écrit une chanson ou un opéra. Un éditeur achète au prix fort les droits de cet opéra, et le place sous copyright. Et puis arrivent l'industrie phonographique, et les compagnies qui découpent des rouleaux de musique, et volent délibérément le travail du compositeur et de l'éditeur, sans aucune considération pour [leurs] droits.[54]

Les innovateurs qui avaient développé la technologie pour enregistrer le travail des autres « essoraient le travail, le talent et le génie des compositeurs américains »[55] et l'« industrie de l'édition musicale » se trouvait donc « à la merci de ces pirates. »[56] Comme l'a dit John Philip Sousa, de la manière la plus directe possible, « Si ils font du profit avec ma musique, alors j'en veux une partie. »[57]

Ces arguments trouvent un écho familier dans les guerres d'aujourd'hui. De même que les arguments de la partie adverse. Les inventeurs du piano mécanique arguèrent qu'il était « parfaitement possible de démontrer que l'apparition de machines à jouer de la musique n'a privé aucun compositeur de rien qu'il n'eut avant. » Au contraire, les machines augmentaient les ventes de partitions.[58] Quoi qu'il en soit, dirent les inventeurs, le devoir du Congrès était de « privilégier l'intérêt du [public], qu'il représente et doit servir. »« Tous ces discours parlant de vol », écrivit le conseiller général de la Compagnie Américaine des Graphophones, « n'est que de la poudre aux yeux, car il n'existe pas de propriété des idées musicales, littéraires ou artistiques, sauf définie par décret. »[59]

La loi trancha rapidement en faveur des compositeurs et des interprètes qui enregistraient leur musique. Le Congrès amenda la loi de manière à s'assurer que les compositeurs soient payés pour les « reproductions mécaniques » de leur musique. Mais plutôt que d'accorder au compositeur un contrôle total sur le droit de faire des reproductions mécaniques, le Congrès donna aux interprètes le droit d'enregistrer de la musique, à un prix fixé par le Congrès, après que le compositeur aurait autorisé un premier enregistrement. C'est cette part de la loi sur le copyright qui rend possible les reprises. Une fois qu'un compositeur a autorisé un enregistrement de sa musique, les autres sont libres d'enregistrer la même musique, du moment qu'ils paient au compositeur original une taxe fixée par la loi.

En général, la loi américaine appelle ceci une « licence contraignante », mais je préfère parler de « licence statutaire ». Une licence statutaire est une licence dont les termes sont fixés par la loi. Après que le Congrès amenda le Copyright Act en 1909, les maisons d'enregistrement furent libres de distribuer des copies de leurs enregistrements, du moment qu'ils payaient au compositeur (ou au détenteur des droits d'auteur) la taxe fixée par le décret.

Ceci constitue une exception dans la loi sur le droit d'auteur. Quand John Grisham écrit un roman, un éditeur est libre de publier ce roman seulement si Grisham lui en donne la permission. Celui-ci, en revanche, est libre de réclamer la somme qui lui plaît en échange de cette permission. Le prix pour publier Grisham est donc fixé par Grisham lui même, et la loi sur le droit d'auteur dit qu'en général vous n'avez pas le droit d'utiliser le travail de Grisham sans sa permission.

Mais la loi régissant les enregistrements sonores donne moins aux artistes. Et donc, en effet, la loi subventionne les maisons d'enregistrement à travers une sorte de piratage — en donnant aux musiciens un contrôle plus faible qu'elle ne donne aux auteurs d'autres types de création artistique. Les Beatles ont moins de contrôle sur leur création que Grisham n'en a sur la sienne. Et les bénéficiaires de ce moins de contrôle sont l'industrie du disque et le public. L'industrie du disque obtient quelque chose qui a de la valeur pour moins que ce qu'elle ne paierait normalement ; le public a accès à un éventail plus large de créations musicales. De fait, le Congrès fut très explicite quant aux raisons pour lesquelles il accordait ce choix. Sa crainte était le pouvoir monopolistique des ayant-droits, et que ce pouvoir ne supprime la créativité.[60]

Bien que l'industrie du disque soit devenue plutôt timide récemment sur ce sujet, historiquement sa position a été en faveur des licences statutaires pour les enregistrements. Comme l'indique un rapport du Comité Judiciaire de la Chambre des Représentants datant de 1967,

les producteurs de disques soutinrent vigoureusement que le système de licences contraignantes devait être maintenu. Ils soutinrent que l'industrie du disque, qui pèse un demi milliard de dollars, est d'une importance économique majeure aux États-Unis et dans le monde ; les disques sont aujourd'hui le principal moyen de diffusion de la musique, et ceci cause des problèmes particuliers, car les chanteurs ont besoin d'un accès non restreint à la musique, de manière non discriminatoire. Historiquement, firent-ils remarquer, il n'existait pas de droits à l'enregistrement avant 1909, et le décret de 1909 avait accepté les licences contraignantes en tant que mesure anti-monopolistique délibérée, en échange de l'octroi de ces droits. Ils ajoutèrent que le résultat en a été une abondance de disques, donnant au public des prix plus bas, une qualité meilleure, et un choix plus large.[61]

Cette limitation des droits des musiciens, ce piratage partiel de leur travail créatif, bénéficie aux maisons de disques, et au public.

4.3. Radio

La radio aussi est née du piratage.

Lorsqu'une radio passe un enregistrement sur les ondes, ceci constitue une « exécution publique » du travail du compositeur.[62] Comme je l'ai décrit plus haut, la loi donne au compositeur (ou au détenteur des droits d'auteur) un droit exclusif sur les exécutions publiques de son oeuvre. La station de radio doit donc de l'argent au compositeur pour cette exécution.

Mais quand une station de radio passe un disque, elle ne fait pas seulement une copie de travail du compositeur. La radio effectue aussi une copie du travail de l'interprète. C'est une chose d'avoir « Joyeux Anniversaire » chanté à la radio par la chorale d'enfants locale ; c'en est une toute autre si ce sont les Rolling Stones ou bien Lyle Lovett qui chantent. L'interprète ajoute à la valeur de la composition effectuée par la station de radio. Et si la loi était parfaitement cohérente, la station de radio devrait payer l'interprète pour son travail, tout comme elle paie le compositeur pour sa musique.

Mais ce n'est pas le cas. D'après la loi sur les diffusions radiophoniques, la station de radio n'a pas à payer l'interprète. La station de radio doit seulement payer le compositeur. Par conséquent, la station reçoit quelque chose sans contrepartie. Elle peut diffuser le travail de l'artiste gratuitement, même si elle doit payer le compositeur pour avoir le droit de passer sa chanson.

Cette différence peut être énorme. Supposez que vous composiez un morceau de musique. Supposez que ce soit le premier. Vous détenez le droit exclusif d'autoriser la diffusion de cette musique. Donc si Madonna veut chanter votre chanson en public, elle doit obtenir votre permission.

Supposez qu'elle chante votre chanson, et qu'elle l'aime beaucoup. Elle décide alors d'en faire un enregistrement, qui devient un tube. D'après notre loi, chaque fois qu'une station de radio passera votre chanson, vous recevrez de l'argent. Et Madonna ne reçoit rien, à part l'effet indirect sur les ventes de ses CDs. La diffusion publique de son enregistrement n'est pas un droit « protégé ». Ainsi donc, la station de radio pirate la valeur du travail de Madonna, sans rien lui payer.

Sans doute, on pourra rétorquer que les interprètes en bénéficient. En moyenne, la publicité qu'ils en tirent vaut plus que les droits qu'ils abandonnent. Peut-être. Mais quand bien même, la loi laisse d'habitude au créateur le droit de faire son choix. En faisant le choix à sa place, cette loi donne à la station de radio le droit de prendre quelque chose sans contrepartie.

4.4. Télévision par câble

La télévision par câble elle-aussi est née d'une forme de piratage.

Lorsque les entrepreneurs du câble commencèrent à fournir la télévision par câble à des communautés, en 1948, la plupart refusèrent de payer les chaînes hertziennes pour les contenus qu'ils transmettaient à leurs clients. Même lorsque les compagnies de câble commencèrent à vendre l'accès à la télévision par câble, ils refusèrent de payer ce qu'ils revendaient. Ainsi, les compagnies de câble napsterisaient les contenus émis sur les ondes, mais d'une manière encore plus éhontée que tout ce que Napster a jamais fait— Napster n'a jamais fait payer pour les contenus qu'ils permettaient aux gens de partager.

Les chaînes hertziennes et les détenteurs de copyright s'en prirent rapidement à ce vol. Rosel Hyde, le président de la FCC, voyait cette pratique comme une forme de « compétition déloyale et potentiellement destructrice. »[63] Bien qu'il pût y avoir un « intérêt public » à augmenter l'offre de la télévision par câble, Douglas Anello, conseiller général de la National Association of Broadcasters, demanda au sénateur Quentin Burdick lors d'un procès, « L'intérêt public vous commande-t'il d'utiliser la propriété de quelqu'un d'autre ? »[64] Un autre représentant des chaînes hertziennes le dit en ces termes :

Ce qu'il y a d'extraordinaire au sujet de la télévision par câble, c'est que c'est la seule industrie à ma connaissance qui revend un produit qu'elle n'a pas payé.[65]

Encore une fois, la demande des détenteurs de copyright semblait suffisamment raisonnable :

Tout ce que nous demandons, c'est quelque chose de très simple, c'est que ceux qui maintenant prennent notre propriété pour rien paient pour celà. Nous tentons d'arrêter un piratage, et je ne crois pas qu'il existe de mot plus faible pour décrire celà. Je pense qu'il y a des mots plus durs qui conviendraient.[66]

Ils étaient des « passagers au noir, » d'après Charlton Heston, le président de la Guilde des Acteurs, qui « privaient les acteurs de leurs argent. »[67]

Mais encore une fois, il existait un autre point de vue sur ce débat. Pour citer le vice-ministre de la Justice, Edwin Zimmerman,

Notre préoccupation ici est que, contrairement au problème de savoir si un système de protection du copyright existe ou non, le problème est de savoir si les détenteurs de copyright, qui possèdent déjà un monopole, devraient être autorisés à étendre ce monopole... La question ici est à combien doit s'élever leur compensation, et jusqu'à où doit s'étendre leur droit à une compensation.[68]

Les détenteurs de copyright traînèrent les compagnies de câble en justice. Par deux fois, la Cour Suprême statua que les compagnies de câble ne devaient rien aux détenteurs de copyright.

Il fallut au Congrès presque trente ans pour résoudre la question de savoir si les compagnies de câble devaient payer pour les contenus qu'elles « pirataient ». A la fin, le Congrès la résolut de la même manière qu'il avait résolu la question des lecteurs de disques et des pianos mécaniques. Oui, les compagnies de câble devraient payer pour les contenus qu'ils distribuaient ; mais le prix qu'ils devraient payer ne serait pas décidé par le détenteur du copyright. Ce prix serait fixé par la loi, de sorte que les chaînes hertziennes ne puissent faire obstruction à la technologie émergente du câble. Les compagnies de câble ont donc, en partie, bâti leur empire sur un « piratage », de la valeur du contenu créée par les chaînes hertziennes.

Ces différentes histoires chantent le même refrain. Si « piratage » veut dire utiliser la valeur de la création artistique de quelqu'un sans sa permission, et c'est de plus en plus le sens qu'on accorde à ce mot aujourd'hui,[69] alors chaque industrie régulée par le droit d'auteur de nos jours est le résultat et le bénéficiaire d'une certaine forme de piratage. Le cinéma, la musique, la radio, la télévision par câble... La liste est longue, et elle pourrait bien s'allonger. Chaque génération accueille les pirates de la génération précédente — jusqu'à aujourd'hui.



[51] Je remercie Peter DiMauro de m’avoir indiqué cette histoire extraordinaire. Voir également Siva Vaidhyanathan, op. cit., p. 87-93, qui détaille les « aventures » d’Edison avec les copyrights et les brevets.

[52] J. A. Aberdeen, Hollywood Renegades: The Society of Independent Motion Picture Producers, Cobblestone Entertainment, 2000, textes complémentaires disponibles à « The Edison Movie Monopoly: The Motion Picture Patents Company vs. the Independent Outlaws », disponibles au lien nº 11. Pour une discussion sur la motivation économique derrière ces limites et sur les limites imposées par Victor sur les phonographes, voir Randal C. Picker, « From Edison to the Broadcast Flag: Mechanisms of Consent and Refusal and the Propertization of Copyright », University of Chicago Law Review, nº 281, 2003.

[53] Marc Wanamaker, « The First Studios », The Silents Majority, archivé au lien nº 12.

[54] « Pour amender et consolider les lois concernant le copyright », auditions sur les amendements et projets de loi S. 6330 et H.R. 19853 devant la commission commune sur les brevets du 59e Congrès, 1re session, 1906, déclaration du sénateur Alfred B. Kittredge, du Dakota-du-Sud, président. Repris dans Legislative History of the 1909 Copyright Act, E. Fulton Brylawski et Abe Goldman éd., Fred. B. Rothman and Co, 1976.

[55] Idem, 223, déclaration de Nathan Burkan, avocat pour la Music Publishers Association.

[56] Idem, 226, déclaration de Nathan Burkan, avocat pour la Music Publishers Association.

[57] Idem, 23, déclaration de John Philip Sousa, compositeur.

[58] Idem, 283-284, déclaration d’Albert Walker, représentant pour the Auto-Music Perforating Company of New York.

[59] Idem, 376, mémorandum préparé par Philip Mauro, conseiller général pour les brevets auprès de la Graphophone Company Association.

[60] « Modification de la loi sur le copyright », auditions sur les amendements et projets de loi S. 2499, S. 2900, H.R. 243, et H.R. 11794 devant la commission commune sur les brevets du 60e Congrès, 1re session, 1908, 217, déclaration du sénateur Reed Smoot, président. Repris dans Legislative History of the 1909 Copyright Act, op. cit.

[61] « Modification de la loi sur le copyright », rapport pour accompagner le projet de loi H.R. 2512, commission des lois de la Chambre des représentants, 90e Congrès, 1re session, House Document nº 83, 8 mars 1967, 66. Je remercie Glenn Brown d’avoir attiré mon attention sur ce rapport.

[62] Voir le titre 17 du United States Code, sections 106 et 110. Au début, les entreprises du disque imprimaient : « Pas de licence pour la diffusion radiophonique » et autres messages visant à restreindre la possibilité de jouer un disque sur une station de radio. Le juge Learned Hand rejeta l’argument selon lequel un avertissement mis sur un disque pourrait restreindre les droits des stations de radio. Voir RCA Manufacturing Co. v. Whiteman, 114 F. 2d 86 (2nd Cir. 1940). Voir aussi Randal C. Picker, op. cit.

[63] « Modification de la loi sur le copyright (télévision et réseaux câblés) », auditions sur l’amendement S. 1006 devant la sous-commission des brevets, marques, et copyrights de la commission des lois du Sénat, 89e Congrès, 1re session, 1966, 78, déclaration de Rosel H. Hyde, président de la commission fédérale des communications.

[64] Idem, 116, déclaration de Douglas A. Anello, conseiller général du National Association of Broadcasters.

[65] Idem, 126, déclaration d’Ernest W. Jennes, conseiller général de Maximum Service Telecasters.

[66] Idem,  169, déclaration commune d’Arthur B. Krim, président de United Artists Corp. et de John Sinn, président de United Artists Television.

[67] Idem,  209, déclaration de Charlton Heston, président de la Screen Actors Guild.

[68] Idem,  216, déclaration de Edwin M. Zimmerman, agissant au titre d’attorney général adjoint.

[69] Voir par exemple National Music Publishers Association, The Engine of Free Expression: Copyright on the Internet—The Myth of Free Information, disponible au lien nº 13 : « La menace du piratage — l’utilisation du travail créatif de quelqu’un d’autre sans permission ni compensation — a augmenté avec Internet. »

Chapitre 5. « Piratage »

Il y a du piratage de contenus protégés par copyright. Énormément. Ce piratage prend de nombreuses formes. La plus significative est le piratage commercial, l'appropriation non autorisée du bien d'autrui dans un contexte commercial. Malgré les nombreuses justifications qui sont présentées dans sa défense, cette appropriation est mauvaise. Personne ne devrait la pardonner et la loi devrait l'arrêter.

Mais, en dehors de copies pirates vendues dans le commerce, il existe une autre sorte d'« appropriation », qui est plus directement liée à Internet. Cette appropriation, elle aussi, semble mauvaise à beaucoup, et elle est mauvaise la plupart du temps. Avant de nous intéresser à cette forme particulière de « piratage », nous devrions cependant comprendre sa nature un peu plus. Pour son plus grand malheur, cette appropriation est significativement plus ambiguë qu'une simple reproduction qui ne tient pas compte des droits, et la loi devrait lever cette ambiguïté, comme elle l'a si souvent fait dans le passé.

5.1. Piratage I

Partout dans le monde, mais particulièrement en Asie et l'Europe de l'Est, des entreprises ne font rien d'autre que prendre le travail des autres protégé par copyright, le copier et le vendre dans son intégralité sans la permission du détenteur dudit copyright. L'industrie du disque estime qu'elle perd environ 4,6 milliards de dollars chaque année à cause du piratage physique[70] (ce qui correspond à un CD sur trois vendus dans le monde entier). La MPAA estime ses pertes annuelles à trois milliards de dollars du fait du piratage.

Ceci est du piratage pur et simple. Rien dans les arguments de ce livre, ni dans les arguments que font la plupart des gens quand ils parlent du sujet de ce livre, ne met en doute ce simple point : le piratage est mauvais.

Ceci ne veut pas dire que des excuses et des justifications ne peuvent pas être trouvées. Nous pourrions, par exemple, nous rappeler que, pour les cents premières années de la République américaine, l'Amérique ne respecta pas les copyrights étrangers. Nous sommes nés, en ce sens, en nation pirate. Cela pourrait donc sembler hypocrite pour nous d'insister si fortement pour que d'autres pays en voie de développement considèrent comme injuste ce que nous avons, pendant les cent premières années de notre existence, considéré comme juste.

Cette excuse n'est pas vraiment valable. Techniquement, notre loi n'interdisait pas l'appropriation de travaux étrangers. Elle s'était explicitement limitée aux travaux américains. Ainsi les éditeurs américains qui publièrent des travaux étrangers sans la permission des auteurs étrangers ne violaient aucune règle. Les magasins vendant des copie en Asie, à l'inverse, violent la loi asiatique. La loi asiatique protège vraiment les droits des auteurs étrangers et l'activité de tels magasins viole cette loi. Donc, le tort que ce piratage implique n'est donc pas qu'une injustice morale, mais une transgression légale, et pas qu'une transgression légale et internationale, mais aussi une transgression légale au niveau local.

Pour dire vrai, ces règlements locaux ont été, en fait, imposés à ces pays. Aucun pays ne peut faire partie de l'économie mondiale et choisir de ne pas protéger les copyrights internationalement. Nous sommes peut-être nés nation pirate, mais nous n'accepterons pas qu'une autre nation ait une enfance similaire.

Cependant, si un pays doit être traité comme souverain, alors ses lois sont ses lois, indépendamment de leur source. La loi internationale sous laquelle ces pays vivent leur donne quelques occasions d'échapper au fardeau de la loi la propriété intellectuelle[71]. Selon moi, plus de pays en voie de développement devraient profiter de cette occasion, mais quand ils ne font pas, alors leurs lois devraient être respectées. Et conformément aux lois de ces pays, ce piratage est mal.

Sinon, nous pourrions aussi essayer d'excuser ce piratage en notant que, dans ce cas, cela ne fait pas de tort à l'industrie. Les Chinois ayant accès aux CDs américains à 50 cents [NDT  : de dollar] l'unité ne sont pas des gens qui pourraient acheter ces mêmes CDs à 15 dollars pièce. Donc personne n'a en réalité moins d'argent qu'il n'aurait pu en avoir de toute façon[72].

C'est souvent vrai (quoique j'ai des amis qui ont acheté des milliers de DVDs piratés et qui ont certainement assez d'argent pour payer ce qu'ils ont pris) et cela atténue quand même un peu le mal causé par de tels vols. Les extrémistes dans ce débat aiment dire : « Vous n'entreriez pas à Barnes & Noble pour prendre un livre sans payer ; pourquoi cela devrait-il être différent avec la musique en ligne ? » La différence est, bien sûr, que quand vous prenez un livre de Barnes & Noble, ils ont un livre de moins à vendre. A l'inverse, quand vous prenez un MP3 d'un réseau informatique, il n'y a pas un CD de moins qui peut être vendu. La science du piratage de l'immatériel est différente de la science du piratage du matériel.

Cet argument est encore vraiment faible. Cependant, bien que le copyright soit un droit de propriété d'un type spécial, il reste un droit de propriété. Comme tous les droits de propriété, le copyright donne à son détenteur le droit de décider les termes selon lesquels le bien est partagé. Si le détenteur ne veut pas vendre, il ne doit pas l'être. Il y a des exceptions : les licences statutaires importantes qui s'appliquent au contenu protégé par copyright indépendamment du souhait du détenteur. Ces licences donnent aux gens le droit « de prendre » le contenu protégé par le droit d'auteur, que le détenteur le veuille vendre ou non. Mais quand la loi ne donne pas aux gens ce droit, il est illégal de prendre ce contenu même si cela ne provoque aucun tort. Si nous avons un système de propriété, et que ce système est correctement équilibré avec la technologie d'une époque, alors il est mal de s'approprier quelque chose sans la permission du possesseur de la propriété. C'est exactement ce que « propriété » signifie.

Enfin, nous pourrions essayer d'excuser ce piratage avec l'argument que le piratage aide en réalité le détenteur du copyright. Quand un Chinois « vole » Windows, cela le rend dépendant de Microsoft. Microsoft perd la valeur du logiciel qui a été volé. Mais il gagne des utilisateurs qui sont utilisés pour faire vivre le monde Microsoft. Dans quelques temps, quand la nation sera plus riche, de plus en plus de gens achèteront le logiciel plutôt que de le voler. Et quelques temps après, parce que cet achat lui profitera, Microsoft tirera des bénéfices du piratage. Si au lieu de pirater Microsoft Windows, le Chinois avait utilisé le système d'exploitation GNU/LINUX, libre et gratuit, alors ces utilisateurs chinois n'achèteraient finalement pas de produits Microsoft. Sans piratage, Microsoft perdrait.

Cet argument, lui aussi, est en partie fondé. La stratégie de dépendance est une bonne stratégie. De nombreuses entreprises l'utilisent. Certaines prospèrent grâce à elle. Par exemple, les étudiants en droit ont libre accès aux deux plus grandes bases de données juridiques. Les sociétés qui vendent l'accès à ces bases de données espèrent chacune que ces étudiants deviendront si habitués à leur service qu'ils voudront l'utiliser plutôt que l'autre, une fois devenus avocats (et qu'ils paieront alors de lourds frais d'abonnement).

Là encore, l'argument n'est pas terriblement persuasif. Nous ne défendons pas un alcoolique quand il vole sa première bière simplement parce que cela le rend plus susceptible d'acheter les trois suivantes. Au lieu de cela, nous permettons d'habitude aux entreprises de décider pour elles quand il est préférable de donner leur produit. Si Microsoft craint la concurrence de GNU/LINUX, alors Microsoft peut donner son produit comme il l'a fait, par exemple, avec Internet Explorer pour se battre contre Netscape. Un droit de propriété signifie donner au possesseur de la propriété le droit de dire qui a accès à quoi—au moins d'habitude. Et si la loi fait correspondre correctement les droits du détenteur de copyright avec les droits d'accès, alors la violation de la loi est toujours mauvaise.

Ainsi, tandis que je comprends la force de ces justifications de piratage, et que j'en vois de manière certaine la motivation, à mon avis, à la fin, ces efforts de justification du piratage commercial ne tiennent plus. Cette sorte de piratage est effrénée et ne cause que du tort. Elle ne transforme pas le contenu qu'elle vole ; elle ne transforme pas le marché avec lequel elle entre en concurrence. Elle donne simplement à quelqu'un accès à quelque chose dont la loi dit qu'il ne devrait pas avoir accès. Rien n'a changé pour entraîner cette loi dans le doute. Cette forme de piratage est complètement dans l'erreur.

Mais, comme les exemples des quatre chapitres qui précèdent cette partie le suggèrent, même si quelques piratages sont complètement mauvais, tous ne le sont pas. Ou au moins, pas tous les « piratages » sont mauvais, si ce terme est compris de la manière dont il est de plus en plus utilisé aujourd'hui. Beaucoup de sortes de « piratage » sont utiles et productives, pour produire soit de nouveaux contenus, soit de nouvelles façons de faire des affaires. Ni notre tradition, ni n'importe quelle tradition n'ont jamais interdit tous les « piratages » dans ce sens du terme.

Cela ne signifie pas qu'il n'y a aucune question levée par la dernière affaire de piratage en date : le partage de fichiers peer-to-peer. Mais cela signifie que nous devons comprendre le mal dans le peer-to-peer avant que nous ne le condamnions au gibet avec pour charge d'accusation le piratage.

En effet, comme Hollywood à ses débuts (1), le partage p2p s'émancipe d'une industrie au contrôle excessif ; comme l'industrie du disque à ses débuts (2), il exploite simplement une nouvelle façon de distribuer du contenu ; cependant, à la différence de la télévision câblée (3), personne ne vend le contenu qui est partagé sur les services p2p.

Ces différences distinguent le partage p2p du vrai piratage. Elles devraient nous pousser à trouver une façon de protéger les artistes tout en permettant à ce partage de survivre.

5.2. Piratage II

Le point caractéristique du « piratage » que la loi aspire à annuler est une utilisation qui « vole l'auteur [de son] bénéfice »[73]. Cela veut dire que nous devons déterminer, s'il y a lieu, combien de maux le partage p2p induit avant que nous ne sachions dans quelle mesure la loi devrait l'empêcher ou trouver une alternative pour garantir à l'auteur un retour profitable.

Le Peer-to-peer a été rendu célèbre par Napster. Mais les inventeurs de la technologie Napster n'ont créé aucune innovation technologique majeure. Comme chaque grande avancée dans l'innovation sur Internet (et, probablement comme partout ailleurs [74], Shawn Fanning et son équipe avaient simplement réuni des composants qui avaient été développés indépendamment.

Le résultat a été une combustion spontanée. Lancé en juillet 1999, Napster a amassé plus de 10 millions d'utilisateurs en neuf mois. Après dix-huit mois, il y avait près de 80 millions d'utilisateurs du système enregistrés[75]. Les cours de justice ont rapidement fermé Napster, mais d'autres services sont apparus pour le remplacer (Kazaa est actuellement le service de p2p le plus populaire. Il se targue de plus de 100 millions de membres). Ces systèmes de services sont architecturalement différents, bien que très proches au niveau des fonctionnalités : chacun permet aux utilisateurs de rendre disponible un contenu à un nombre quelconque d'autres utilisateurs. Avec un système p2p, vous pouvez partager vos chansons préférées avec votre meilleur ami—ou vos 20 000 meilleurs amis.

Selon un certain nombre d'estimations, une proportion énorme d'américains a goûté à la technologie du partage de fichiers. Une étude Ipsos-Insight de septembre 2002 a évalué à 60 millions le nombre d'américains qui ont téléchargé de la musique—28 pour cent des américains plus âgés que 12 ans[76]. Un sondage du groupe NPD cité dans le New York Times a estimé que 43 millions de citoyens ont utilisé les réseaux de partage de fichiers pour faire des échanges en mai 2003[77]. La majorité d'entre eux n'était pas des enfants. Quel que soit le chiffre réel, une quantité massive de données est « tirée » de ces réseaux. La facilité et le caractère peu coûteux des réseaux de partage de fichiers ont inspiré des millions de gens pour apprécier la musique d'une manière nouvelle.

Une part de cette appréciation implique une infraction au copyright. Une autre part non. Et même dans la partie qui constitue techniquement l'infraction, le calcul du tort causé au détenteur du copyright est plus compliqué qu'on pourrait le penser. En effet, considérez—un peu plus soigneusement que ne le font habituellement les orateurs non objectifs dans ce débat—les différentes sortes de partages que le partage de fichiers permet, et les différents torts que cela entraîne.

Ceux qui partagent des fichiers partagent différents types de contenu. On peut regrouper ces différents types en quatre catégories.

  1. Il y a ceux qui utilisent les réseaux de partage comme substitut à l'achat. Ainsi, quand un nouveau CD de Madonna est mis en vente dans le commerce, plutôt que d'acheter le CD, ces utilisateurs le téléchargent tout simplement. Nous pourrions pinailler en nous demandant si, oui ou non, ceux qui se le sont approprié de cette manière l'auraient aujourd'hui acheté si le partage ne l'avait rendu disponible gratuitement. La plupart ne l'aurait probablement pas fait, mais il y a clairement certaines personnes qui l'auraient acheté. Ces derniers sont la cible de catégorie A : les utilisateurs qui téléchargent au lieu d'acheter.

  2. Il y a ceux qui utilisent les réseaux de partage pour avoir un échantillon de la musique qu'ils comptent acheter. Ainsi, un ami envoie à un autre ami un MP3 d'un artiste dont ce dernier n'a jamais entendu parler. L'autre ami achète alors le CD de l'artiste. C'est une sorte de publicité ciblée, qui a relativement des chances de marcher. Si l'ami recommandant l'album n'a rien à y gagner, alors on pourrait s'attendre à ce que les recommandations soient tout à fait bonnes. L'effet net de ce partage pourrait augmenter la quantité de musique achetée.

  3. Il y a ceux qui utilisent les réseaux de partage pour obtenir un accès aux contenus protégés par copyright qui ne sont plus vendus ou qu'ils n'auraient pas achetés parce que les coûts de transaction en dehors d'Internet sont trop élevés. Cette utilisation des réseaux de partage est parmi la plus utile pour beaucoup. Les chansons qui bercèrent votre enfance, mais qui ont depuis longtemps disparu du marché apparaissent magiquement de nouveau sur le réseau (une amie m'a dit que quand elle a découvert Napster, elle a passé un week-end entier à « récupérer » de vieilles chansons. Elle a été stupéfiée par l'étendue et la variété des contenus qui étaient disponibles). Pour les oeuvres non vendues, c'est toujours techniquement une violation de copyright, bien que le détenteur du copyright ne vende désormais plus cette oeuvre ; le tort économique est nul—le même tort qui intervient quand je vends ma collection de 45 tours des années 60 à un collectionneur local.

  4. Enfin, il y a ceux qui utilisent les réseaux de partage pour avoir accès aux éléments qui ne sont pas protégés par copyright ou ceux que le détenteur du copyright veut distribuer.

Dans quelles proportions pèsent ces différents types de partage ?

Commençons par quelques points simples mais importants. Du point de vue de la loi, seul le partage de type D est complètement légal. D'un point de vue économique, seule la catégorie A est clairement nuisible[78]. Le type de partage B est illégal, mais pleinement bénéfique. Le type C est illégal, mais pourtant bon pour la société (puisque l’engouement pour la musique est bon) et bénin pour l'artiste (puisque son travail n'est pas disponible autrement). Ainsi, tout bien considéré, dans quelles mesures le partage importune est une question à laquelle il est dur de répondre—et certainement beaucoup plus difficile que la rhétorique actuelle autour de la question le suggère.

L'importance de la nuisance occasionnée par le partage dépend fortement du degré de nuisance du partage de type A. De même qu'Edison s'est plaint de Hollywood, que les compositeurs se sont plaints des bandes perforées, que les artistes se sont plaints de la radio et que les chaînes de télévision se sont plaintes de la télévision câblée, l'industrie de la musique se plaint du fait que le type de partage A soit une sorte « de vol » qui « dévaste » l'industrie.

Tandis que les chiffres suggèrent vraiment que le partage est nuisible, un ordre de grandeur correspondant est plus dur à estimer. Cela a longtemps été la pratique de l'industrie du disque de blâmer la technologie à la moindre baisse des ventes. L'histoire de l'enregistrement sur cassette est un bon exemple. Comme le montre une étude menée par Cap Gemini Ernst & Young, « Plutôt qu'exploiter cette technologie nouvelle et populaire, les Labels l'ont combattue »[79]. Les Labels ont prétendu que chaque album enregistré sur bande était un album invendu, et quand des ventes de CDs sont tombées de 11,4 pour cent en 1981, l'industrie a prétendu que ce fait en était ainsi la preuve. La technologie était le problème et la technologie interdisant ou régulant était la réponse.

Pourtant par la suite, peu de temps après et avant que le Congrès ne donne une opportunité d'ordonner une régulation, MTV fut lancée et l'industrie connut un renversement des ventes. « Au final », conclut Cap Gemini, « la crise… ne fut pas due aux cassettes—qui n'ont pas disparu après la venue au monde d'MTV—mais avait en grande partie résulté de la stagnation dans l'innovation musicale chez les Labels principaux »[80].

Mais le fait que l'industrie se soit trompée dans le passé ne signifie pas qu'elle se trompe aujourd'hui. Pour évaluer la menace réelle que le partage p2p représente pour l'industrie du disque en particulier, et pour la société en général—ou tout du moins la société qui hérite de la tradition que nous ont donnée l'industrie cinématographique, l'industrie du disque, l'industrie radiophonique, la télévision par câble et le magnétoscope—la question n'est pas simplement de savoir si le partage de type A est nuisible ou pas. La question est aussi de savoir dans quelle mesure ce type est nuisible et dans quelle mesure les autres types sont bénéfiques.

Nous commençons à répondre à cette question en nous concentrant sur le tort net, du point de vue de l'industrie dans son ensemble, que les réseaux de partage causent. « Le tort net » pour l'industrie est dans son ensemble la quantité pour laquelle le type de partage A excède le type B. Si les sociétés du disque avaient vendu plus de CDs avec des échantillons qu'elles n'en avaient perdu avec des substitutions, alors les réseaux de partage profiteraient actuellement aux sociétés de musique tout compte fait. Elles auraient donc peu de raisons valables de leur résister.

Est-ce que cela pourrait être vrai ? L'industrie dans son ensemble pourrait-elle tirer profit du partage de fichier ? Aussi étrange que cela puisse paraître, les statistiques de ventes de CDs suggèrent que cela pourrait l'être dans un futur proche.

En 2002, la RIAA a annoncé que les ventes de CD avaient chuté de 8,9 pour cent, passant de 882 millions à 803 millions d'unités ; les revenus ont baissé 6,7 pour cent[81]. Cela confirme la tendance de ces dernières années. La RIAA blâme le piratage par Internet pour cette tendance, quoiqu'il y ait beaucoup d'autres causes qui pourraient constituer cette baisse. SoundScan, par exemple, rapporte une chute de plus de 20 pour cent du nombres de CDs sortis depuis 1999. Cela explique sans doute une part de la diminution des ventes. Des prix en augmentation pourraient aussi constituer au moins un peu de ces pertes. « De 1999 à 2001, le prix moyen d'un CD est monté 7,2 pour cent, passant de 13.04 dollars à 14.19 dollars »[82]. La concurrence d'autres formes de média pourrait aussi représenter une partie du déclin. Comme le dit Jane Black dans une note de BusinessWeek, « la bande sonore au film Haute Fidélité (High Fidelity) a un prix en catalogue de 18,98 dollars. Vous pourriez obtenir le film entier [sur DVD] pour 19,99 dollars »[83].

Mais supposons que le RIAA ait raison et que toute la baisse dans les ventes de CD soit la cause du partage sur Internet. Voici le hic : dans la même période que celle où le RIAA évalue à 803 millions les CDs vendus, le RIAA estime que 2,1 milliards de CDs ont été téléchargés gratuitement . Ainsi, bien que 2,6 fois le nombre total de CDs vendus ait été téléchargé gratuitement, le revenu des ventes n'a chuté que de 6,7 pour cent.

Il y a trop de choses différentes qui sont arrivées en même temps pour expliquer ces chiffres une fois pour toutes, mais une conclusion est inévitable : l'industrie du disque demande constamment, « Quelle est la différence entre le téléchargement d'une chanson et le vol d'un CD ? »—mais leurs propres chiffres révèlent la différence. Si je vole un CD, alors il y a un CD de moins à vendre. Chaque appropriation est une vente perdue. Mais sur la base des chiffres que le RIAA fournit, il est absolument clair que le même principe n'est pas valable pour le téléchargement. Si chaque téléchargement était une vente perdue—si chaque utilisation de Kazaa « dépouille[dépouillait] l'auteur de son bénéfice »—alors l'industrie aurait souffert d'une baisse des ventes de 100 pour cent l'année dernière, pas une baisse de 7 pour cent. Si 2,6 fois le nombre de CDs vendus ont été téléchargés gratuitement, et que pourtant les recettes des ventes n'ont baissé que de 6,7 pour cent, alors il y a réellement une différence énorme entre « télécharger une chanson » et « voler un CD ».

Tout cela sont les maux — présumés et peut-être exagérés mais, supposons-le, réels. Quant est-il des vertus ? Le partage de fichier peut imposer des dépenses à l'industrie du disque. Quelle valeur produit-il en plus de ces dépenses ?

Un bienfait est le partage de type C—rendre disponible quelque chose qui est techniquement sous copyright mais qui n'est plus disponible dans le commerce. Ceci ne représente pas qu'une petite catégorie d'œuvres. Il y a des millions de chansons qui ne sont plus disponibles commercialement[84]. Et, bien que cela soit concevable que quelques unes de ces oeuvres ne soient plus disponibles parce que l'artiste qui produit le contenu ne veuille pas que cela le soit, la grande majorité est indisponible parce que le éditeur ou le distributeur a décidé que ce n'était plus économique pour l'entreprise de le rendre disponible.

Dans la réalité—bien avant l'Internet—le marché avait une réponse simple à ce problème : les entrepôts de livres et de CDs d'occasion. Il y a des milliers de tels dépôts en Amérique aujourd'hui[85]. Ces magasins achètent le contenu aux propriétaires, et vendent ensuite ce contenu qu'ils achètent. Et conformément à la loi du copyright américaine, quand ils achètent et vendent ce contenu, même si le contenu est toujours sous copyright, le détenteur du copyright n'obtient pas un centime. Les magasins de livres et de CDs d'occasion sont des entités commerciales ; leurs propriétaires font de l'argent avec les oeuvres qu'ils vendent ; mais comme avec des sociétés de câble avant les licences statutaires, ils ne doivent pas payer le détenteur du copyright pour le contenu qu'ils vendent.

Le type de partage C, alors, est vraiment comme les magasins de livres ou de CDs d'occasion. C'est différent, bien sûr, parce que la personne faisant en sorte que le contenu soit disponible ne gagne pas d'argent par cette action. C'est aussi différent, bien sûr, parce que dans le monde réel, quand je vends un CD, je ne l'ai plus désormais, alors que dans le monde virtuel, quand quelqu'un partage mon enregistrement de 1949 de Bernstein « Deux Chansons d'Amour » (Two Love Songs), je l'ai toujours. Cette différence importerait économiquement si le détenteur du copyright de 1949 vendait le CD en concurrence avec mon partage. Mais nous parlons de la classe des contenus qui ne sont pas actuellement disponibles dans le commerce. Internet le rend disponible, par le partage coopératif, sans rivaliser avec le marché.

Il se pourrait bien, toute chose considérée, qu'il soit meilleur que le détenteur du copyright reçoive quelque chose de ce commerce. Mais le simple fait que cela puisse être meilleur ne suffit pourtant pas à interdire les magasins de livres d'occasion. Présenté différemment, si vous pensez que le type de partage C devrait être arrêté, pensez-vous que les bibliothèques et les magasins de livres d'occasion devraient être fermés aussi ?

Enfin, et c'est peut-être le plus important, les réseaux de partage de fichiers permettent au partage de type D—le partage de contenus que les détenteurs du copyright veulent voir partagés ou pour lesquels il n'y a plus de copyright en cours—d'exister. Ce partage rend clairement service aux auteurs et à la société. L'auteur de science-fiction Cory Doctorow, par exemple, a sorti sa première nouvelle Down and Out in the Magic Kingdom à la fois en librairie et en version téléchargeable gratuite le même jour. Sa reflexion (et celle de son éditeur) était que la distribution en ligne serait une belle publicité pour le livre « réel ». Les gens en liraient une partie en ligne, et décideraient alors s'ils l'aiment ou non. S'ils l'aiment, alors ils serait plus susceptibles de l'acheter. L'action de Doctorow est un partage de type D. Si les réseaux de partage permettent à son travail d'être diffusé, alors lui et la société en ressortent gagnants (en réalité, bien plus que gagnants : c'est un grand livre !).

De même pour les travaux placés dans le domaine public : ce partage bénéficie à la société sans aucun tort légal aux auteurs. Si des efforts pour résoudre le problème du partage du type A détruisent l'opportunité d'un partage de type D, alors nous perdrons quelque chose d'important pour protéger les oeuvres A.

Pour aller jusqu'au bout : tandis que l'industrie du disque dit, de façon compréhensible, « Voilà combien nous avons perdu », nous devons aussi demander « Dans quelle mesure la société a-t-elle tiré profit du partage p2p ? Quelle est son efficacité ? Quelles sont les oeuvres qui seraient autrement indisponibles ? »

Car à la différence du piratage que j'ai décrit dans la première section de ce chapitre, beaucoup de « piratage » que le partage de fichiers permet est totalement légal et bon. Et comme le piratage que j'ai décrit dans le chapitre 4, beaucoup de ce piratage est motivé par une nouvelle manière de diffuser les contenus, impliquée par des changements dans la technologie de distribution. Ainsi, en harmonie avec la tradition qui nous a donné Hollywood, la radio, l'industrie du disque et la télévision câblée, la question nous devrions poser à propos du partage de fichiers est comment préserver au mieux ses vertus tout en réduisant (dans la mesure possible) le mal injustifié qu'il cause aux artistes. Cette question doit être bien considérée. La loi devrait chercher cet équilibre et cet équilibre sera trouvé seulement avec du temps.

« Mais cette guerre n'est-elle pas juste une guerre contre le partage illégal ? La cible n'est-elle pas juste ce que vous appelez le partage de type A ? »

Vous pourriez le penser. Et nous devrions espérer. Mais jusqu'ici, il n'en est rien. L'effet de la guerre prétendument ciblée sur le type de partage A uniquement a été ressenti globalement comme une guerre menée contre un unique type de partage. C'est plus évident dans le cas de Napster lui-même. Quand Napster a dit à la cour fédérale qu'il avait développé une technologie pour bloquer le transfert de 99,4 pour cent des documents identifiés comme étant en infraction, la cour fédérale a dit au conseiller de Napster que 99,4 pour cent n'étaient pas suffisants. Napster devait pousser le nombre d'infractions à « zéro »[86].

Si 99,4 pour cent ne sont pas assez bons, alors c'est une guerre aux technologies de partage de fichiers, pas une guerre contre les infractions de copyright. Il n'y a aucun moyen d'assurer qu'un système de p2p est utilisé à 100 pour cent du temps conformément à la loi, pas plus qu'il n'y a de façon d'assurer que 100 pour cent des magnétoscopes ou 100 pour cent des machines de Xerox ou 100 pour cent des pistolets sont utilisés en accord avec la loi. La tolérance zéro signifie zéro p2p. Le règlement de la cour signifie que nous, en tant que société, devons perdre les bénéfices du p2p, même pour les utilisations totalement légales et avantageuses qu'il dessert, simplement pour garantir qu'il y a zéro infraction au copyright causée par le p2p.

La tolérance zéro n'a pas été notre histoire. Elle n'a pas produit l'industrie satisfaite que nous connaissons aujourd'hui. L'histoire de la loi américaine a été un processus d'équilibre. Quand de nouvelles technologies changeaient la manière dont les contenus étaient distribués, la loi s'ajustait, après quelques temps, à la nouvelle technologie. Dans cet ajustement, la loi a cherché à assurer les droits légitimes des créateurs en protégeant l'innovation. Parfois, cela a signifié plus de droits pour les créateurs. Parfois moins.

Donc, comme nous l'avons vu, quand la « reproduction mécanique » a menacé les intérêts des compositeurs, le Congrès a équilibré les droits de compositeurs avec les intérêts de l'industrie du disque. Il a accordé des droits aux compositeurs, mais aussi aux artistes qui enregistraient : les compositeurs devaient être payés, mais à un prix fixé par le Congrès. Mais quand la radio a commencé à émettre les enregistrements enregistrés par les artistes, et qu'ils se sont plaints au Congrès que leur « propriété créatrice » n'était pas respectée (puisque la station de radio ne devait pas les payer pour la création qu'elle diffusait), le Congrès a rejeté leur revendication. Un profit indirect était assez.

La télévision câblée a suivi le modèle des albums CD. Quand les cours ont rejeté la revendication affirmant que les chaînes câblées devaient payer pour le contenu qu'elles émettaient, le Congrès a répondu en donnant aux chaînes un droit à la compensation, mais à un niveau fixé par la loi. Il a de la même façon donné aux sociétés du câble le droit du contenu, tant qu'elles payaient le prix statutaire.

Ce compromis, comme le compromis affectant les enregistrements et les pianos mécaniques, a servi deux buts importants—en fait, les deux buts centraux de n'importe quelle législation sur le copyright. Premièrement, la loi a assuré que les nouveaux innovateurs auraient la liberté de développer de nouvelles façons de livrer leur travail. Deuxièmement, la loi a assuré que les détenteurs de copyright seraient payés pour le contenu qui a été distribué. Une crainte était que si le Congrès exigeait simplement de la télévision par câble qu'elle paie les détenteurs de copyright quelle que soit leur demande pour leur contenu, alors ces détenteurs associés aux chaînes utiliseraient leur pouvoir pour étouffer cette nouvelle technologie, le câble. Mais si le Congrès avait permis au câble d'utiliser le contenu des chaînes gratuitement, alors il aurait injustement subventionné le câble. Ainsi le Congrès a choisi un chemin qui assurerait la compensation sans donner le contrôle passé (des chaînes) à l'avenir (le câble).

La même année où le Congrès a statué cet équilibre, deux producteurs et distributeurs principaux de films ont intenté un procès contre une autre technologie, l'enregistreur de bande vidéo (VTR [NDT : pour Video Tape Recorder], ou comme nous leur faisons référence aujourd'hui, les magnétoscopes) que Sony avait produit, le Betamax. Les revendications de Disney et Universal contre Sony étaient relativement simples : Sony a produit un appareil, selon Disney et Universal, qui a permis aux consommateurs de s'engager dans une infraction au copyright. Parce que le dispositif que Sony avait construit avait un bouton « record », l'appareil pourrait être utilisé pour enregistrer des films et des spectacles protégés par copyright. Sony profitait donc de l'infraction au copyright de ses clients. Il devrait donc, d'après les revendications de Disney et Universal, être partiellement responsable de cette infraction.

Il y avait quelque chose de valable dans la revendication de Disney et Universal. Sony avait vraiment décidé de concevoir sa machine pour faire en sorte qu'il soit très simple d'enregistrer des émissions télévisées. Il aurait pu avoir construit une machine qui bloque ou interdise n'importe quelle reproduction directe d'une émission de télévision. Ou probablement, il aurait pu avoir construit une machine que ne puisse seulement copier s'il y avait un signal spécial « Copiez moi » sur la ligne. Il était clair qu'il y avait beaucoup d'émissions télévisées qui n'auraient pas encouragé la possibilité de copier. En effet, si quelqu'un avait demandé, la majorité d'émissions n'aurait sans doute pas autorisé la copie. Et face à cette préférence évidente, Sony aurait pu avoir conçu son système pour réduire au minimum les opportunités d'infraction au copyright. Il ne l'a pas fait et pour cela, Disney et Universal ont voulu le tenir responsable de l'architecture qu'il a choisie.

Le président de MPAA, Jack Valenti, est devenu le champion le plus loquace des studios. Valenti a appelé les VCRs « les vers de cassettes » [NDT : littéralement les « vers solitaires »]. Il a averti « Quand il y aura 20, 30, 40 millions de ces magnétoscopes sur la Terre, nous serons envahis par des millions de ces vers solitaires, rongeant le cœur et l'essence même du plus précieux atout qu'un détenteur de copyright a, son copyright »[87]. « On n'a pas besoin d'être formé au marketing sophistiqué et au jugement de créateur », a-t'il dit au Congrès, « pour comprendre la dévastation sur le marché cinématographique causée par des centaines de millions d'enregistrements sur bande qui seront un impact défavorable sur l'avenir de la communauté créatrice dans ce pays. C'est simplement une question d'économie de base et d'un bon sens total »[88]. En effet, comme des sondages le montreraient plus tard, 45 pour cent des propriétaires de magnétoscope auraient une bibliothèque de films de dix vidéos ou plus[89] — une utilisation que la Cour aurait plus tard considérée comme non « acceptable ». En « autorisant les propriétaires de magnétoscope à copier librement par le biais d'une exemption aux infractions de copyright sans créer un mécanisme pour indemniser des détenteurs de copyright », a témoigné Valenti, le Congrès « prendrait aux propriétaires l'essence même de leur propriété : le droit exclusif de contrôler qui peut utiliser leur travail, c'est-à-dire qui peut le copier et qui profite ainsi de la reproduction »[90].

Cela a pris huit ans dans ce cas pour être résolu par la Cour suprême. En intérim, la neuvième cour d'appel régionale, qui inclut Hollywood dans sa juridiction—le Juge principal Alex Kozinski, qui est assis à cette cour, s'y réfère comme « le Circuit de Hollywood »—a tenu à ce que Sony soit responsable de l'infraction du copyright rendu possible par ses machines. Conformément au règlement de la neuvième cour, cette technologie totalement familière—que Jack Valenti avait appelé « l'Égorgeur de Boston de l'industrie cinématographique américaine » (pire encore, c'était un Égorgeur de Boston japonais de l'industrie cinématographique américaine)—était une technologie illégale[91].

Mais la Cour suprême a changé complètement la décision de la neuvième cour d'appel. Et dans son renversement, la Cour a clairement articulé sa compréhension sur quand et si les cours devraient intervenir dans de telles différends. Comme la Cour a écrit,

La politique raisonnée, aussi bien que l'histoire, soutient notre déférence cohérente au Congrès quand des innovations technologiques principales changent le marché pour des documents protégés par le copyright. Le congrès a l'autorité constitutionnelle et la capacité institutionnelle d'accommoder entièrement les permutations diverses des intérêts rivaux qui sont inévitablement impliqués par de telles technologie nouvelles[92].

On a demandé au congrès de répondre à la décision de la Cour suprême. Mais comme avec la réclamation des artistes qui enregistraient à propos des émissions radiophoniques, le Congrès a ignoré la demande. Le congrès était convaincu que le film américain avait eu assez, malgré cette « appropriation ». Si nous plaçons ces cas ensembles, une structure est claire :

CASQUI A ÉTAIT « PIRATÉ »RÉPONSE DES TRIBUNAUXRÉPONSE DU CONGRÈS
EnregistrementsCompositeursPas de protectionLicence légale
RadioArtistes interprètesN/ARien
Télévision par câbleDiffuseursPas de protectionLicence légale
MagnétoscopesCréateurs de filmsPas de protectionRien

Dans chaque cas à travers notre histoire, une nouvelle technologie a changé la façon dont les contenus ont été distribués[93]. Dans chaque cas, partout dans notre histoire, ce changement a signifié que quelqu'un a obtenu « un tour gratuit » sur le travail de quelqu'un d'autre.

Dans aucun de ces cas, ni les cours, ni le Congrès n'éliminent tous ces « voyages gratuits ». Dans aucun de ces cas, ni les cours, ni le Congrès n'insistent pour que la loi doive assurer que le détenteur du copyright obtienne toute la valeur que son copyright a créée. Dans chaque cas, les détenteurs de copyright se sont plaints de ce « piratage ». Dans chaque cas, le Congrès a agi pour reconnaître un peu de légitimité dans le comportement des « pirates ». Dans chaque cas, le Congrès a permis à un peu de nouvelle technologie de profiter du contenu fait auparavant. Il a équilibré les intérêts en jeu.

Quand vous pensez à travers ces exemples et les autres exemples qui composent les quatre premiers chapitres de cette section, cet équilibre signifie quelque chose. Est-ce que Walt Disney était un pirate ? Les Doujinshi seraient-ils meilleurs si les créateurs avaient dû demander la permission ? Les outils qui permettent à d'autres de capturer et de diffuser des images comme une façon de cultiver ou critiquer notre culture devraient-ils être mieux régulés ? Est-ce qu'il est vraiment juste que la construction d'un moteur de recherche vous expose à 15 millions de dollars de dommages et intérêts ? Est-ce que cela aurait été meilleur si Edison avait contrôlé le film ? Chaque orchestre devrait- il embaucher un avocat pour obtenir la permission d'enregistrer une chanson ?

Nous pourrions répondre oui à chacune de ces questions, mais notre tradition a répondu non. Dans notre tradition, comme la Cour suprême l'a exposé, le copyright « n'a jamais accordé le contrôle complet au détenteur du copyright sur toutes les utilisations possibles de son travail »[94]. Au lieu de cela, les utilisations particulières que la loi régule ont été définies en équilibrant le bienfait qui vient en accordant un droit exclusif contre les fardeaux qu'un tel droit si exclusif crée. Et cet équilibre a historiquement été fait après qu'une technologie ait mûri, ou se soit installée dans le mélange des technologies qui facilitent la distribution de contenus.

Nous devrions faire la même chose aujourd'hui. La technologie Internet change rapidement. La manière dont les gens se connectent à Internet (filaire et sans-fil) change très rapidement. Il n'y a aucun doute que le réseau devienne un outil pour « voler » les artistes. Mais la loi ne devrait pas non plus devenir un outil pour soustraire dans une voie particulière la façon dont les artistes (ou plus exactement les distributeurs) sont payés. Comme je le décris en détail dans le dernier chapitre de ce livre, nous devrions garantir un revenu aux artistes tandis que nous permettrions au marché de sécuriser la façon la plus efficace de promouvoir et distribuer le contenu. Cela exigera des changements de loi, au moins de façon intérimaire. Ces changements devraient être conçus pour équilibrer la protection de la loi et le fort intérêt public que l'innovation maintient.

C'est particulièrement vrai quand une nouvelle technologie permet un mode énormément supérieur de distribution. Et c'est ce qu'a fait le p2p. La technologie p2p peut être idéalement efficace pour déplacer un contenu à travers un réseau très divers. Une fois développé, il pourrait rendre le réseau bien plus efficace. Pourtant ces « avantages publics potentiels », comme l'écrit John Schwartz dans le New-York Times, « pourraient être retardés dans le combat contre le P2P. »[95]

Pourtant quand quelqu'un commence à parler « de l'équilibre », les guerriers du copyright lèvent un argument différent. « Tout cet aspect brandissant équilibre et motivations », disent-ils, « ignore un point fondamental. Notre contenu », insistent les guerriers, « est notre propriété. Pourquoi devrions-nous attendre le Congrès pour 'rééquilibrer' nos droits de propriété ? Devez-vous attendre avant d'appeler la police quand votre voiture a été volée ? Et pourquoi le Congrès devrait-il délibérer des mérites de ce vol ? Demandons nous si le voleur de voiture avait une bonne utilisation pour la voiture avant que nous ne l'arrêtions ? »

« C'est notre propriété » insistent les guerriers. « Et cela devrait être protégé comme n'importe quelle autre propriété est protégée ».



[70] Voir International Federation of the Phonographic Industry (IFPI), The Recording Industry Commercial Piracy Report 2003, juillet 2003, disponible au lien nº 14. Voir aussi Ben Hunt, « Companies Warned on Music Piracy Risk », Financial Times, 14 février 2003.

[71] Voir Peter Drahos et John Braithwaite, Information Feudalism: Who Owns the Knowledge Economy?, The New Press, 2003, p. 10-13 et 209. Le TRIPS, accord sur les aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce (NdT : TRIPS est l’acronyme de Agreement on Trade-Related Aspects of Intellectual Property Rights ; en anglais, ce mot signifie « voyages »), oblige les nations membres à créer des mécanismes administratifs et opérationnels pour les droits de propriété intellectuelle, ce qui est une réglementation coûteuse pour les pays en voie de développement. De plus, les droits exclusifs d’exploitation peuvent conduire à des prix plus élevés pour les industries du secteur primaire comme l’agriculture. Les critiques du TRIPS portent sur la disparité entre les charges imposées aux pays en voie de développement et les avantages conférés aux pays industrialisés. Le TRIPS permet aux gouvernements d’utiliser des brevets pour des applications publiques et sans but lucratif, sans devoir obtenir au préalable la permission du détenteur du brevet. Les pays en voie de développement peuvent profiter de cette disposition pour exploiter des brevets étrangers à moindre coût. C’est une stratégie prometteuse pour des pays en voie de développement membres du TRIPS.

[72] Pour une analyse de l’impact économique des technologies de copie, voir Stan J. Liebowitz, Re-thinking the Network Economy: The True. Forces Driving the Digital Marketplace, Amacom, 2002, p. 144-190. « Dans quelques cas […] l’impact du piratage sur la capacité du détenteur du copyright lors d’une appropriation de la valeur du travail sera négligeable. Un cas évident est celui où l’individu s’engageant dans le piratage n’aurait pas acheté d’original, même si le piratage n’était pas une option. » (Idem, p. 149.)

[73] Bach v. Longman, op. cit.

[74] Voir Clayton M. Christensen, The Innovator's Dilemma: The Revolutionary National Bestseller That Changed the Way We Do Business, HarperBusiness, 2000. Le professeur Christensen examine pourquoi les entreprises qui développent et dominent un secteur sont souvent incapables d’inventer les utilisations les plus créatives et de changer de paradigme dans l’utilisation de leurs propres produits. Cette tâche incombe plus généralement aux innovateurs extérieurs, qui réutilisent la technologie existante de façon inventive. Pour une discussion des idées de Clayton M. Christensen, voir Lawrence Lessig, The Future of Ideas, p. 89-92 et 139.

[75] Voir Carolyn Lochhead, « Silicon Valley Dream, Hollywood Nightmare », San Francisco Chronicle, 24 septembre 2002 et  « Rock ‘n’ Roll Suicide », New Scientist, 6 juillet 2002,  Benny Evangelista, « Napster Names CEO, Secures New Financing », San Francisco Chronicle, 23 mai 2003 et « Napster’s Wake-Up Call », The Economist, 24 juin 2000, John Naughton, « Hollywood at War with the Internet » The Times, 26 juillet 2002.

[76] Voir Ipsos-Insight, TEMPO: Keeping Pace with Online Music Distribution, septembre 2002 qui rapporte que 28 % des américains âgés de 12 ans et plus ont téléchargé de la musique depuis Internet et 30 % ont écouté des fichiers numériques stockés sur leurs ordinateurs.

[77] Amy Harmon, « Industry Offers a Carrot in Online Music Fight », The New York Times, 6 juin 2003.

[78] Voir Stan J. Liebowitz, op. cit., p. 148-149.

[79] Voir Cap Gemini Ernst & Young, Technology Evolution and the Music Industry's Business Model Crisis, 2003. Ce rapport décrit les efforts de l’industrie musicale pour stigmatiser la pratique, émergente dans les années 1970, de l’enregistrement sur cassette, y compris par une campagne publicitaire représentant un crâne en forme de cassette avec comme titre « L’enregistrement personnel sur cassette tue la musique ». Lorsque l’enregistrement numérique est devenu une menace, un organisme dépendant du Congrès américain, l’Office of Technical Assessment (OTA), a fait un sondage sur le comportement du grand public. En 1988, 40 % des consommateurs âgés de plus de dix ans avaient enregistré de la musique sur une cassette : U.S. Congress, Office of Technology Assessment, Copyright and Home Copying: Technology Challenges the Law, OTA-CIT-422, U.S. Government Printing Office, octobre 1989, p. 145-156.

[80] Office of Technology Assessment, op. cit., p. 4.

[81] Voir Recording Industry Association of America, 2002 Yearend Statistics, disponible au lien nº 15. Un rapport ultérieur indique des pertes encore plus grandes, voir Recording Industry Association of America, Some Facts About Music Piracy, 25 juin 2003, disponible au lien nº 16 : « Dans les quatre dernières années, le volume exporté de musique enregistrée a chuté de 26 %, passant de 1,16 milliard d’unités en 1999 à 860 millions d’unités en 2002 aux États-Unis (basé sur des unités expédiées). En termes de ventes, les revenus sont en baisse de 14 %, passant de 14,6 milliards de dollars en 1999 à 12,6 milliards de dollars l’année dernière (basé sur la valeur du dollar américain à l’exportation). L’industrie mondiale de la musique est passée du statut d’une industrie de 39 milliards de dollars en 2000 à une industrie de 32 milliards de dollars en 2002 (basé sur la valeur du dollar américain à l’exportation) ».

[82] Jane Black, « Big Music’s Broken Record », Business Week Online, 13 février 2003, disponible au lien nº 17.

[83] Idem.

[84] Selon une estimation, 75 % de la musique mise en vente par les principaux labels n’est plus disponible en magasin. Voir « Online Entertainment and Copyright Law—Coming Soon to a Digital Device Near You », audition devant la commission des lois du Sénat, 107e Congrès, 1re session, 3 avril 2001 : déclaration préparée par la Coalition pour l’avenir de la musique, disponible au lien nº 18.

[85] S’il n’existe pas de bonne estimation du nombre de magasins de CDs d’occasion, on comptait 7 198 vendeurs de livres d’occasion aux États-Unis en 2002, soit une augmentation de 20 % depuis 1993. Voir Book Hunter Press, The Quiet Revolution: The Expansion of the Used Book Market, 2002, disponible au lien nº 19. Les ventes de CDs d’occasion se sont chiffrées à 260 millions de dollars en 2002 : voir National Association of Recording Merchandisers, 2002 Annual Survey Results, disponible au lien nº 20.

[86] Voir la transcription des procédures : In Re: Napster Copyright Litigation, 34-35 (N.D. Cal., 11 juillet 2001), nos. MDL-00-1369 MHP, C 99-5183 MHP, disponible au lien nº 21. Pour un compte rendu du litige et de son coût pour Napster, voir Joseph Menn, All the Rave: The Rise and Fall of Shawn Fanning’s Napster, Crown Business, 2003, p. 269-282.

[87] « Infractions au copyright (enregistrements audio et vidéo) », auditions sur l’amendement S. 1758 devant la commission des lois du Sénat, 97e Congrès, 1re et 2e sessions, 459, 1982, témoignage de Jack Valenti, président de Motion Picture Association of America.

[88] Idem, 475.

[89] Universal City Studios, Inc. v. Sony Corp. of America, 480 F. Supp. 429, (C.D. Cal., 1979).

[90] « Infractions au copyright (enregistrements audio et vidéo) », 485, témoignage de Jack Valenti.

[91] Universal City Studios, Inc. v. Sony Corp. of America, 659 F. 2d 963 (9e Cir. 1981).

[92] Sony Corp. of America v. Universal City Studios, Inc., 464 U.S. 417, 431 (1984).

[93] Il s’agit ici des cas les plus importants dans notre histoire, mais il y a aussi d’autres affaires. La technologie de la bande audio numérique (DAT), par exemple, a été réglementée par le Congrès pour minimiser le risque de piratage. Le traitement imposé par le Congrès a vraiment pesé sur les producteurs de DAT, en taxant les ventes de cassette et en contrôlant la technologie du DAT. Voir la loi Audio Home Recording de 1992 (titre 17 du United States Code), Pub. L. No. 102-563, 106 Stat. 4237, codifiée dans 17 U.S.C. § 1001. Encore une fois et de toute façon, cette réglementation n’a pas éliminé les resquillages dans le sens que j’ai décrit, voir Lawrence Lessig, The Future of Ideas, p. 71 ; voir aussi Randal C. Picker, op. cit., p. 293-296.

[94] Sony Corp. of America v. Universal City Studios, Inc., 464 U.S. 417, 432 (1984).

[95] John Schwartz, « New Economy: The Attack on Peer-to-Peer Software Echoes Past Efforts », The New York Times, 22 septembre 2003.

Partie II. « Propriété »

Les guerriers du copyright ont raison : un copyright est une forme de propriété. Il peut être détenu et vendu, et la loi protège contre son vol. En général, le détenteur d'un copyright peut choisir de l'exercer au prix qu'il lui plaît. Les marchés font jouer l'offre et la demande, qui déterminent en partie le prix qu'il peut en obtenir.

Mais, en langage ordinaire, appeler un copyright une « propriété » est un peu confus, car la propriété liée au copyright est d'un type bien inhabituel. En effet, l'idée même de posséder une idée ou une expression est très inhabituelle. Je sais ce que je prends si je prends la table de pique-nique que vous avez mise au fond de votre jardin. Je prends un objet, la table de pique-nique, et une fois que je l'ai prise, vous ne l'avez plus. Mais qu'est-ce que je prends, si je prends la bonne idée que vous avez eue de mettre une table de pique-nique dans votre jardin — par exemple, en allant acheter une table chez Sears, et en la mettant au fond de mon jardin ? Quelle est dans ce cas la chose que je prends ?

La différence ne tient pas seulement au fait que les tables de pique-nique sont des objets physiques et non pas des idées, bien que cette différence soit importante. La différence tient au fait que dans la plupart des cas—en fait, dans pratiquement tous les cas à l'exception d'un nombre restreint d'exceptions—les idées sont libres. Je ne vous prends rien si je copie votre manière de vous habiller—bien que je risque de passer pour quelqu'un de bizarre si je le fais tous les jours, surtout si vous êtes une femme. Au contraire, comme disait Thomas Jefferson (et ceci est particulièrement vrai si je copie la manière dont quelqu'un s'habille), « Celui qui recoit une idée de moi, recoit une instruction sans diminuer la mienne ; de même que celui qui allume sa chandelle à la mienne, recoit de la lumière sans me faire de l'ombre. »[96]

Les exceptions à l'usage libre sont les idées et expressions couverts par la loi des brevets et du copyright, et quelques autres cas que je n'aborderai pas ici. Dans ce cas la loi stipule que vous ne pouvez pas prendre mon idée ou expression sans ma permission : La loi transforme l'impalpable en propriété.

Mais comment, jusqu'à quel point, et sous quelle forme—les détails, en d'autres termes— ont ici leur importance. Afin de bien comprendre comment est apparu cet exercice de transformation de l'impalpable en propriété, il nous faut replacer cette « propriété » dans son contexte.[97]

Pour celà, ma stratégie sera la même que dans la partie précédente. Je propose quatre anecdotes, afin d'aider à replacer dans son contexte l'idée que « le copyright est une propriété ». D'où cette idée est- elle venue ? Quelles sont ses limites ? Comment s'applique-t'elle en pratique ? Après ces anecdotes, le sens de cette assertion—« le copyright est une propriété »—sera un peu plus clair, et ses implications apparaîtront bien différentes de celles que les guerriers du copyright voudraient bien nous faire accepter.



[96] Thomas Jefferson, lettre à Isaac McPherson, 13 août 1813, The Writings of Thomas Jefferson, vol. 6, Andrew A. Lipscomb et Albert Ellery Bergh éd., 1903, p. 330 et 333-334.

[97] Comme l’enseignaient les « réalistes juridiques » à propos de la loi américaine, tous les droits de propriété sont intangibles. Un droit de propriété est simplement un droit qu’un individu a contre le monde de faire ou de ne pas faire certaines choses qui peuvent ou ne peuvent pas être liées à un objet physique. Le droit lui-même est intangible, même si l’objet auquel il est (métaphoriquement) attaché est tangible. Voir Adam Mossoff, « What Is Property? Putting the Pieces Back Together », Arizona Law Review, vol. 45, 2003, p. 373 et 429, n. 241.

Chapitre 6. Fondateurs

William Shakespeare a écritRomeo et Juliette en 1595. La pièce fut publiée pour la première fois en 1597. C'était la onzième grande pièce de théâtre écrite par Shakespeare. Il continua d'écrire des pièces jusqu'en 1613, et les pièces qu'il a écrites depuis lors ont défini la culture anglo- américaine. Les oeuvres de cet écrivain du seizième siècle ont imprégné notre culture si profondément que souvent nous n'en reconnaissons même plus la source. J'ai entendu un jour quelqu'un faire ce commentaire au sujet de l'adaptation de Henri V par Kenneth Branagh : « J'ai aimé, mais Shakespeare contient tellement de clichés. »

En 1774, presque 180 ans après que Romeo et Juliette fut écrit, le « copy-right » de la pièce était toujours, pour beaucoup, le droit exclusif d'un unique éditeur londonien, Jacob Tonson.[98] Tonson était le plus en vue d'un petit groupe d'éditeurs appelé les Conger[99] qui contrôlaient les ventes de livres en Angleterre au dix-huitième siècle. Les Conger prétendaient avoir un droit perpétuel de contrôler la « copie » de livres qu'ils avaient acquis auprès de leurs auteurs. Ce droit perpétuel signifiait que personne d'autre ne pouvait publier de copies d'un livre dont ils détenaient les droits. Les classiques étaient maintenus à des prix élevés : la compétition, qui aurait pu produire des éditions meilleures ou moins chères, était éliminée.

Maintenant, l'année 1774 a quelque chose d'étonnant, pour qui s'y connaît un peu en loi sur le droit d'auteur. L'année la plus connue dans l'histoire du droit d'auteur est 1710, année où le Parlement anglais adopta la première loi de « copyright ». Connue sous le nom de Statut d'Anne, cette loi stipulait que tout travail publié serait placé sous copyright pour quatorze années, renouvelables une fois si l'auteur était vivant, et que tout travail publié avant 1710 serait protégé pour une durée additionnelle unique de vingt-et-une années.[100] Selon cette loi, Romeo et Juliette aurait du être libre de droits en 1731. Pourquoi, dans ce cas, la question de savoir si il était sous le contrôle de Tonson se posait-elle toujours en 1774 ?

La raison est que les Anglais ne s'étaient pas encore mis d'accord sur ce qu'était un « copy-right »—en fait personne ne l'avait fait. A l'époque où les Anglais passaient le Statut d'Anne, il n'y avait aucune autre législation gouvernant le droit d'auteur. La dernière loi régulant l'activité des éditeurs, le Licensing Act de 1662, avait expiré en 1695. Cette loi donnait aux éditeurs un monopole sur la publication, afin de faciliter le contrôle de ce qui était publié par la Couronne. Mais après son expiration, il n'y avait pas de loi positive qui réservait aux éditeurs, ou « Stationers », un droit exclusif d'imprimer des livres.

Qu'il n'y ait pas eu de loi positive ne veut pas dire qu'il n'y avait pas de loi du tout. La tradition légale anglo-américaine tient compte à la fois des législateurs et des jurisprudences, afin de savoir quelles lois doivent gouverner les comportements. Nous appelons « loi positive » les lois passées par le législateur. Nous appelons « loi commune » les jurisprudences. La loi commune définit le cadre dans lequel le législateur passe ses lois. Le législateur, d'ordinaire, ne peut sortir de ce cadre que s'il passe une loi pour en changer. Et donc la vraie question, une fois que le statut avait expiré, était de savoir si la loi commune pouvait protéger un copyright, indépendemment de toute loi positive.

Cette question était importants pour les éditeurs, ou « libraires », comme ils étaient appelés, car il y avait une compétition croissante de la part d'éditeurs étrangers. Les Écossais, en particulier, publiaient et exportaient de plus en plus de livres vers l'Angleterre. Cette compétition réduisait les profits des Conger, qui réagirent en demandant au Parlement de passer une loi qui leur rende le contrôle exclusif de la publication. Cette demande aboutit finalement au Statut d'Anne.

Le Statut d'Anne accordait à l'auteur ou au « propriétaire » d'un livre le droit exclusif d'imprimer ce livre. Cependant, au désespoir des libraires, une limitation importante était que la loi n'accordait ce droit au libraire que pour une durée limitée. A la fin de cette durée, le copyright « expirait », et l'oeuvre devenait libre et pouvait être publiée par n'importe qui. Ou du moins, il semble que c'est ce que le législateur croyait.

Maintenant, la question à laquelle je souhaite que vous réfléchissiez un moment est la suivante : Pourquoi le Parlement avait-il limité ce droit exclusif ? La question n'est pas comment la limite fut choisie, mais pourquoi cette limite existait-elle ?

Car les éditeurs, et les auteurs qu'ils représentaient, avaient un argument très fort. Prenons par exemple Romeo et Juliette : Cette pièce a été écrite par Shakespeare. C'est son seul génie qui lui a donné naissance. En créant cette pièce, il n'a pris la propriété de personne (bien que ce point particulier soit sujet de controverses), pas plus qu'il n'a rendu plus difficile la création d'autres pièces. Pourquoi donc la loi autorise-t-elle quelqu'un à prendre un jour la pièce de Shakespeare, sans sa permission ni celle d'un de ses agents ? Quelle raison y a-t-il à laisser quelqu'un d'autre « voler » le travail de Shakespeare ?

La réponse tient en deux parties. Premièrement, il nous faut savoir quelque chose de spécial concernant la notion de « copyright » qui existait au temps du Statut d'Anne. Deuxièmement, nous devons comprendre quelque chose d'important au sujet de ces « libraires ».

Premièrement, au sujet du copyright. Au cours des trois cent dernières années, nous n'avons cessé d'élargir le champ d'application du concept de « droit d'auteur ». Mais en 1710, il ne s'agissait pas tant d'un concept que d'un droit très particulier. Le droit d'auteur est né sous la forme d'un ensemble d'interdictions très spécifiques : Il interdisait aux autres de reproduire un livre. En 1710, le « copy-right » était le droit d'utiliser une machine particulière afin de répliquer un travail particulier. Il n'allait pas plus loin que ce droit très étroit. Il ne contrôlait pas la manière dont une oeuvre pouvait être utilisée. Aujourd'hui ce droit comporte une longue liste de restrictions de la liberté des autres : Il accorde à l'auteur le droit exclusif de copier, le droit exclusif de distribuer, le droit exclusif d'exécuter, etc.

Ainsi, par exemple, même si le copyright sur les oeuvres de Shakespeare était éternel, tout ce que celà aurait voulu dire au sens original du terme, c'est que personne n'aurait pu rééditer une oeuvre de Shakespeare sans la permission des ayant-droits. Celà n'aurait en rien contrôlé, par exemple, la manière dont cette oeuvre aurait pu être jouée, le fait qu'on puisse la traduire, ou que Kenneth Branagh soit autorisé à faire ses films. Le « copy-right » n'était qu'un droit exclusif d'imprimer — rien de moins, bien sûr, mais aussi rien de plus.

Même ce droit limité était vu avec scepticisme par les Britanniques. Ces derniers avaient eu une expérience longue et douloureuse des « droits exclusifs », surtout ceux garantis par la Couronne. Les Anglais avaient connu une guerre civile, en partie à cause de la pratique qu'avait la Couronne d'octroyer des monopoles, surtout pour des oeuvres qui existaient déjà. Le roi Henry VIII avait octroyé une patente pour imprimer la Bible, et octroyé à Darcy le monopole d'imprimer des cartes à jouer. Le parlement anglais commença à résister à ces prérogatives de la Couronne. En 1656, il fit passer le Statut des Monopoles, qui limitait les monopoles aux brevets pour les inventions nouvelles. Et en 1710, le parlement était impatient de s'occuper du monopole grandissant de l'édition.

Ainsi le « copy-right ; droit de copie », vu comme un droit monopolistique, était naturellement vu comme un droit qui devait être limité. (Aussi convainquant que soit l'argument « ceci est ma propriété, et devrait le rester pour toujours », essayez de rester convainquant en articulant « ceci est mon monopole, et devrait le rester pour toujours ».) L'Etat protégeait les droits exclusifs, mais seulement dans la mesure où la société en bénéficiait. Les Anglais voyaient les torts qui résultaient des traitements de faveur ; ils avaient passé une loi pour les faire cesser.

Ensuite, à propos des libraires. Le problème n'était pas seulement que le copyright était un monopole. Cela provenait aussi du fait que le monopole était tenu par les libraires. De nos jours, ils nous semblent bizarres et sans dangers. Ils n'étaient pas vus comme inoffensifs dans l'Angleterre du dix-septième siècle. Les membres de la Congrégation étaient de plus en plus vus comme des monopolistes de la pire espèce — les instruments de la répression de la couronne, vendant la liberté de l'Angleterre pour garantir leur propre profit. Les attaques contre ces monopolistes étaient dures : Milton les décrit comme des « vieux titulaires de brevets et de monopolistes dans le marché de ventes de livres » ; ils étaient « des hommes qui ne travaillent donc pas dans une profession honnête dans laquelle l'apprentissage est inutile. »[101]

Beaucoup croyaient que le pouvoir exercé par les libraires limitait la diffusion du savoir, juste au moment où les Lumières enseignaient l'importance de l'éducation et de la diffusion de la connaissance en général. L'idée que la connaissance devait être libre fut un des jalons de l'époque, et ces puissants intérêts commerciaux interféraient avec cette idée.

Pour contrecarrer ce pouvoir, le Parlement décida d'augmenter la compétition parmi les libraires et la manière la plus facile de le faire fut de favoriser la diffusion des livres les plus intéressants. Le Parlement décida donc de limiter la durée des copyrights et, par là même, garantit que les livres intéressants pourraient être ouverts à la publication pour tous les libraires après un temps limité. La mise en place d'un terme de vingt et un ans pour le travail existant fut un compromis pour combattre la puissance des libraires. La limitation sur cette durée étaient une manière indirecte d'assurer la compétition parmi les libraires, donc la construction et la diffusion de la culture.

Néanmoins, en 1731 (1710 + 21), les libraires prirent peur. Ils voyaient les conséquences de plus de compétition, et comme tout compétiteur, ils n'aimaient pas ça. Ils commencèrent par ignorer le Statut d'Anne, en continuant d'insister sur leurs droits perpétuels de contrôle de la publication. Mais en 1735 et 1737, ils tentèrent de persuader le Parlement d'étendre leur durées. Vingt et un ans ne leur suffisaient pas ; ils avaient besoin de plus de temps.

Le Parlement rejeta leurs requêtes. Ces mots d'un pamphlétaire de l'époque font écho à la situation actuelle :

Je ne vois aucune raison pour accorder une prolongation supplémentaire aujourd'hui, qui ne serait là que pour être prolongée encore et encore, au fur et à mesure que les termes précedents expirent ; si cette loi devait passer, elle établirait de fait un monopole perpétuel, une chose justement odieuse au regard de la loi ; ce serait une grande entrave au commerce, un découragement de l'apprentissage, sans aucun bénéfice pour les auteurs mais un impôt général sur le public ; et tout ceci pour seulement augmenter les gains privés des libraires.[102]

Ayant échoué au Parlement, les éditeurs se tournèrent vers les tribunaux, dans une série de procès. Leur argument était simple et direct : le Statut d'Anne donnait aux auteurs certaines protections au travers d'une loi mais ces protections n'étaient pas destinées à remplacer la loi habituelle. Elles étaient destinées simplement à compléter la loi habituelle. Sous cette loi, il était déjà interdit de prendre la « propriété » créative d'une autre personne et de l'utiliser sans sa permission. Le Statut d'Anne n'y a rien changé, dirent les libraires. C'est pourquoi, selon eux, lorsque le Statut d'Anne a expiré, cela ne signifiait pas que les protections de la loi habituelle aient expiré : Selon cette loi, ils avaient le droit d'interdire la publication d'un livre, même si le Statut d'Anne avait expiré. C'était, selon eux, la seule manière de protéger les auteurs.

C'était un argument astucieux, un de ceux qui avaient le soutien des principaux juristes de l'époque. Il démontrait aussi une extraordinaire perversité. Jusqu'alors, comme l'a écrit le professeur de droit Raymond Patterson, « Les éditeurs ... avaient autant d'égards pour les auteurs qu'un fermier en a pour son bétail. »[103] Les libraires ne prêtaient aucune attention aux droits des auteurs. Leur seule préoccupation était le profit monopolistique qu'ils pouvaient tirer du travail des auteurs.

L'argument des libraires ne fut pas accepté sans dispute. Le principal protagoniste de cette dispute était un libraire écossais nommé Alexander Donaldson.[104]

Donaldson ne faisait pas partie des Conger de Londres. Il commença sa carrière à Edimbourg en 1750. Son commerce était concentré sur les rééditions bon marché d'« oeuvres standard dont la durée de copyright avait expiré », du moins selon le Statut d'Anne.[105] La maison d'édition de Donaldson prospéra et devint « quelque chose comme un centre pour Ecossais instruits. » « Parmi eux », écrit le professeur Mark Rose, se trouvait « le jeune James Boswell qui, avec son ami Andrew Erskine, publia avec Donaldson une anthologie de poèmes Écossais contemporains. »[106]

Quand les libraires de Londres tentèrent de fermer la boutique de Donaldson en Écosse, il répliqua en déménageant sa boutique à Londres, où il vendit des éditions bon marché « des livres anglais les plus populaires, défiant ainsi la loi commune sur la propriété littéraire. »[107] Ses livres étaient 30 à 50 pour cent moins chers que ceux des Conger, et il justifiait son droit de leur faire compétition par le fait que, selon le statut d'Anne, les oeuvres qu'ils vendait étaient sorties du domaine protégé.

Les libraires de Londres donnèrent rapidement suite, afin d'empêcher un tel « piratage ». Un certain nombre d'actions contre les « pirates » réussirent, la plus importante victoire étant celle de Millar contre Taylor.

Millar était un libraire, qui en 1729 avait acquis les droits sur le poème « The Seasons » de James Thomson. Millar répondait aux exigences du Statut d'Anne, et reçut donc la protection complète prévue par le statut. Après que la durée du copyright fut écoulée, Robert Taylor commença à imprimer une édition concurrente. Millar le poursuivit, arguant d'un droit perpétuel selon la loi commune, quoi qu'en dise le Statut d'Anne[108].

A l'étonnement des juristes modernes, un des plus grands juges de l'histoire anglaise, Lord Mansfield, approuva les libraires. Quelle que soit la protection accordée par le Statut d'Anne aux libraires, ce dernier n'annulait en aucun cas les droits découlant de la loi commune. La question était de savoir si la loi commune protégeait l'auteur contre les « pirates ». La réponse de Mansfield fut oui : La loi commune empêchait Taylor de réimprimer le poème de Thomson sans la permission de Millar. Cette loi commune donnait donc effectivement aux libraires un droit perpétuel de contrôler la publication de tout livre leur étant assigné.

Considéré comme un problème de justice abstraite, en raisonnant comme si la justice n'était qu'affaire de déduction logique en partant de principes de base, la conclusion de Mansfield peut sembler juste. Mais ce qu'elle ne prenait pas en compte, c'était le problème plus vaste que le Parlement avait eu à résoudre en 1710 : Comment limiter au mieux le monopole des éditeurs ? La stratégie du Parlement avait été d'offrir une durée de protection pour les travaux existants qui était assez longue pour acheter la paix en 1710, mais assez courte pour assurer que la culture passe dans le domaine de la concurrence au bout d'un temps raisonnable. En vingt et un ans, pensait le Parlement, la Grande Bretagne passerait du système de culture contrôlée voulu par la couronne, à la culture libre dont nous avons hérité.

Cependant, le combat pour défendre les limites imposées par le Statut d'Anne ne devait pas se terminer là, et c'est ici que Donaldson entre dans la danse.

Millar mourut peu après sa victoire, il ne fut donc pas fait appel. Son agent vendit les poèmes de Thomson à une association d'imprimeurs, dont Thomas Beckett faisait partie.[109] Donaldson publia ensuite une édition non autorisée des oeuvres de Thomson. Beckett, fort de la décision prise dans l'affaire Millar, obtint une injonction à l'encontre de Donaldson. Donaldson fit appel devant la Chambre des Lords, qui fonctionnait comme notre Cour Suprême. En février 1774, cette chambre eut l'occasion d'interpréter la signification des limites décidées par le Parlement soixante ans plus tôt.

Fait plutôt rare en matière de loi, l'affaire Donaldson contre Beckett attira une attention immense dans toute la Grande-Bretagne. Les avocats de Donaldson soutinrent que quels que soient les droits qui avaient pu exister sous la loi commune, le Statut d'Anne les rendait obsolètes. Après l'adoption du Statut d'Anne, la seule protection légale pour un droit exclusif de contrôler une publication devait venir de ce statut. Donc, disaient-ils, une fois que la durée specifiée dans le Statut d'Anne était écoulée, les oeuvres qui avait été protégées par ce statut n'étaient plus protégées.

La Chambre des Lords était une institution étrange. Les questions légales étaient soumises à la Chambre, et les « lords de la loi », membres d'une distinction spéciale qui fonctionnait beaucoup comme les juges de notre Cour Suprême, votaient en premier. Ensuite, une fois que les lords de la loi avaient voté, la Chambre des Lords votait au complet.

Les rapports sur le vote des lords de la loi sont mitigés. D'après certains, il semble que le copyright perpétuel ait prévalu. Mais il n'y a pas d'ambiguité concernant le vote de la Chambre des Lords au complet. À une majorité des deux tiers (22 contre 11), ils rejetèrent l'idée de copyrights perpétuels. Quelle que soit la manière dont on interprétait la loi commune, un copyright était maintenant fixé pour un temps limité, après lequel l'oeuvre protégée par copyright passait dans le domaine public.

« Le domaine public. » Avant le procès Donaldson contre Beckett, il n'y avait pas de notion claire de domaine public en Angleterre. Avant 1774, l'idée dominante était que la loi commune sur le copyright était perpétuelle. Après 1774, le domaine public était né. Pour la première fois dans l'histoire anglo-américaine, le contrôle légal sur les créations expirait, et les plus grandes oeuvres de l'histoire anglaise, y compris celles de Shakespeare, Bacon, Milton, Johnson, et Bunyan, étaient libres de contraintes légales.

C'est difficile à imaginer pour nous, mais cette décision de la Chambre des Lords nourrit une réaction populaire et politique extraordinaire. En Écosse, où la plupart des « éditeurs pirates » effectuaient leur travail, les gens fêtèrent cette décision dans les rues. Comme le rapporta l' Edinburgh Advertiser, « Aucune cause privée n'avait à ce point capté l'attention du public, et aucune cause n'avait été défendue devant la Chambre des Lords dont l'issue intéressait autant de gens. » « Grandes réjouissances à Edinburgh après la victoire sur la propriété littéraire : feux de joie et illuminations. »[110]

A Londres, cependant, du moins parmi les éditeurs, la réaction fut aussi forte dans la direction opposée. Le Morning Chronicle rapporte :

Par la décision précédente... pour environ 200 000 livres de ce qui fut honnêtement acheté lors de ventes publiques, et qui était considéré hier comme de la propriété, est maintenant réduit à néant. Les libraires de Londres et de Westminster, qui pour beaucoup d'entre eux avaient vendu leurs biens et leurs maisons afin d'acheter des Copyrights, se retrouvent en quelque sorte ruinés, et ceux qui après plusieurs années de métier pensaient avoir acquis une compétence à offrir à leur famille se retrouvent sans un centime à offrir à leurs successeurs.[111]

« Ruinés » est un peu exagéré. Mais il n'est pas exagéré de dire que le changement fut profond. La décision de la Chambre des Lords signifiait que les libraires ne pourraient plus contrôler la manière dont la culture se développerait en Angleterre. Désormais, la culture en Angleterre était libre. Non pas au sens où les droits d'auteur n'étaient pas respectés, car bien sûr, pour une durée limitée suivant la publication d'une oeuvre, le libraire avait le droit exclusif de contrôler la publication de ce livre. Et non pas au sens où les livres pouvaient être volés, car même après que le copyright avait expiré, il fallait toujours acheter le livre à quelqu'un. Mais libre en ce sens que la culture et sa croissance n'étaient plus contrôlés par un petit groupe d'éditeurs. Comme tout marché libre, ce marché libre de la culture libre croissait selon les choix des consommateurs et des producteurs. La culture anglaise se développait de la manière dont les lecteurs anglais choisissaient de la laisser se développer, à travers les livres qu'ils achetaient et écrivaient, et à travers les idées qu'ils répetaient et adoptaient. Ils choisissaient dans un cadre compétitif, et non pas dans un cadre où les choix concernant quelle culture est disponible, et de quelle manière on y accède, seraient faits par une minorité, à l'encontre des souhaits de la majorité.

Du moins, c'était la règle dans un monde où le Parlement était opposé aux monopoles, et résistait aux plaidoyers protectionnistes des éditeurs. Dans un monde où le Parlement aurait été plus flexible, une culture libre aurait été moins protégée.



[98] Le souvenir de Jacob Tonson est particulièrement associé aux personnalités importantes de la littérature du xviiie siècle (en particulier John Dryden) et à ses belles « éditions définitives » des œuvres classiques. En plus de Roméo et Juliette, il édita une étonnante collection d’œuvres qui sont encore au cœur du canon littéraire anglais, parmi lesquelles les œuvres choisies de Shakespeare, Ben Jonson, John Milton et John Dryden. Voir Keith Walker, « Jacob Tonson, Bookseller », American Scholar, vol. 61, nº 3, 1992, p. 424-431.

[99] Lyman Ray Patterson, Copyright in Historical Perspective, Vanderbilt University Press, 1968, p. 151-152.

[100] Comme l’argumente si bien Siva Vaidhyanathan, il est erroné d’appeler ceci une « loi sur le copyright ». Voir Siva Vaidhyanathan, op. cit., p. 40.

[101] Philip Wittenberg, The Protection and Marketing of Literary Property, Julian Messner, 1937, p. 31.

[102] Une lettre à un membre du Parlement au sujet de la loi dépendant maintenant de la Chambre des communes, pour rendre plus efficace une loi dans la huitième année du règne de la reine Anne, intitulée « Une loi pour l’encouragement de l’apprentissage, par l’acquisition des copies de livres imprimés, parmi les auteurs ou acheteurs de telles copies, pendant la durée ci-avant mentionnée (Londres, 1735) », dans « Brief Amici Curiae of Tyler T. Ochoa, et al. », 8, Eldred v. Ashcroft, 537 U.S. 186 (2003) (No. 01-618).

[103] Lyman Ray Patterson, « Free Speech, Copyright, and Fair Use », Vanderbilt Law Review, vol. 40, 1987, p. 28. Pour une explication merveilleusement convaincante, voir Siva Vaidhyanathan, op. cit., p. 37-48.

[104] Pour une explication convaincante, voir David Saunders, Authorship and Copyright, Routledge, 1992, p. 62-69.

[105] Mark Rose, Authors and Owners: The Invention of Copyright, Harvard University Press, 1993, p. 92.

[106] Idem, p. 93.

[107] Lyman Ray Patterson (citant Borwell), op. cit., p. 167.

[108] Howard B. Abrams, « The Historic Foundation of American Copyright Law: Exploding the Myth of Common Law Copyright », Wayne Law Review, vol. 29, 1983, p. 1152.

[109] Idem, p. 1156.

[110] Mark Rose, op. cit., p. 97.

[111] Idem.

Chapitre 7. Enregistreurs

Jon Else est un réalisateur. Il est surtout connu pour ses documentaires, et ses oeuvres ont eu beaucoup de succès. C'est aussi un enseignant, et en tant qu'enseignant moi-même, j'envie la loyauté et l'admiration que lui vouent ses étudiants. (J'ai rencontré, par hasard, deux de ses étudiants au cours d'un dîner. Ils le considéraient comme un dieu.)

Else a travaillé sur un documentaire auquel je participais. Pendant une pause, il me raconta une histoire qui parlait de la liberté de création dans les films aux États-Unis aujourd'hui.

En 1990, Else travaillait à un documentaire sur la Tétralogie de Wagner. Le sujet du documentaire était les stagehands à l'Opéra de San Francisco. Les stagehands sont une partie particulièrement drôle et cocasse d'un opéra. Pendant une représentation, ils se promènent devant la scène, dans la loge du souffleur et le local d'éclairage. Ils font un contraste parfait avec l'art de la scène

Pendant une des représentations, Else filmait des stagehands en train de jouer aux dames. Dans un coin de la salle il y avait un écran de télévision. A l'écran, pendant que les stagehands jouaient aux dames et que l'opéra jouait Wagner, passaient Les Simpson. D'après Else, cette touche de dessin animé permettait de mieux appréhender ce que la scène avait de spécial.

Des années plus tard, quand il finit par obtenir un financement pour terminer son film, Else voulut s'acquitter des droits pour ces quelques secondes de Simpson. Car bien sûr, ces quelques secondes sont protégées par copyright ; et bien sûr, pour utiliser du contenu sous copyright, il faut la permission du détenteur de copyright, sauf si c'est pour un « usage loyal » ou autre cas particulier du même genre.

Else appela le bureau du créateur des Simpson, Matt Groening, pour obtenir sa permission. Groening fut d'accord. Il ne s'agissait que de quatre secondes et demie, sur un minuscule écran de télévision dans un coin de la pièce. Quel mal pouvait-il y avoir à celà ? Groenig était content d'avoir ces quelques secondes des Simpson dans le film, mais il dit à Else de contacter Gracie Film, la compagnie qui produit l'émission.

Chez Gracie Films on fut aussi d'accord, mais comme Groening, on voulut faire attention. On dit donc à Else de contacter la Fox, la maison mère de Gracie Films. Else appela la Fox et leur expliqua l'histoire du clip dans un coin de l'écran. Else dit que Matt Groening avait déjà donné sa permission. Il voulait juste obtenir confirmation de la Fox.

C'est alors que, comme me le dit Else, « deux choses se produisirent. Premièrement nous découvrîmes... que la création de Matt Groening ne lui appartenait pas — ou du moins que quelqu'un [chez Fox] croyait qu'elle ne lui appartenait pas. » Et deuxièmement, la Fox « voulait dix mille dollars en échange de l'utilisation de ces quatre secondes et demie des Simpson, qui apparaissaient de manière tout à fait fortuite sur un coin de l'écran. »

Else était certain qu'il y avait erreur. Il réussit à obtenir ce qu'il pensa être la vice présidente pour les questions de licence, Rebecca Herrera. Il lui expliqua « Vous devez faire erreur...nous vous demandons le tarif éducatif. » C'était bien le tarif éducatif, lui répondit Herrera. Un jour plus tard, Else rappela pour obtenir confirmation de ce qu'on lui avait dit.

« Je voulais m'assurer que j'avais bien compris », me dit il. « Oui, vous avez bien compris », lui dit-elle. Il en coûterait 10.000 dollars d'utiliser le clip des Simpson dans le coin de l'écran d'un documentaire sur la Tétralogie de Wagner. Et puis, d'une manière étonnante, Herrera dit à Else, « Et si vous citez ce que je viens de dire, vous entendrez parler de nos avocats. » Plus tard, un assistant de Herrera dit à Else : « Ils se fichent du reste. Ils veulent l'argent et c'est tout. »

Else n'avait pas de quoi acheter le droit de remontrer ce qui était montré sur la télévision de l'opéra de San Francisco. Montrer cette réalité dépassait le budget du réalisateur. A la dernière minute avant la sortie du film, Else remplaca à l'ordinateur la vue par un extrait d'un autre film sur lequel il avait travaillé dix ans plus tôt, The Day After Trinity.

Il ne fait aucun doute que quelqu'un, que ce soit Matt Groening ou la Fox, est propriétaire des droits sur les Simpson. Ces droits sont leur propriété. Pour utiliser ce contenu protégé, la permission du détenteur des droits est parfois nécessaire. Si l'utilisation que Else voulait faire des Simpson était un des cas restreints par la loi, alors il aurait besoin d'obtenir la permission avant de pouvoir les utiliser de cette manière. Et dans un marché libre, c'est le propriétaire des droits qui fixe le prix de toute utilisation pour laquelle la loi lui accorde le contrôle.

Par exemple, une « représentation publique » est une utilisation des Simpson que le propriétaire des droits peut contrôler. Si vous prenez quelques-uns de vos épisodes favoris, louez un cinéma, et faites payer pour voir « Mes épisodes préférés des Simpson », alors il vous faut la permission du propriétaire des droits. Et ce propriétaire peut (c'est son bon droit, à mon avis) faire payer le montant qu'il lui plaît — 10 dollars ou un million de dollars. C'est son droit, défini par la loi.

Mais quand des juristes entendent cette histoire sur Jon Else et la Fox, leur première pensée est « usage loyal »[112]. L'utilisation par Else de 4.5 secondes d'une vue indirecte d'un épisode des Simpson est clairement un usage loyal des Simpson— et l'usage loyal ne nécessite pas la permission de qui que ce soit.

J'ai donc demandé à Else pourquoi il ne s'en était pas tout simplement remis à l'« usage loyal ». Voici sa réponse :

Le fiasco des Simpson a été pour moi une leçon sur le fossé qui sépare ce que les avocats jugent sans importance de leur point de vue abstrait, et ce qui en pratique est d'une importance écrasante pour nous autres qui essayons de tourner et diffuser des documentaires. Je n'ai jamais douté qu'il s'agisse d'un « usage clairement loyal » sur le plan purement légal. Mais je ne pouvais pas me reposer là dessus en pratique. Voici pourquoi :

  1. Avant qu'un film puisse être diffusé, la chaîne nous impose de souscrire à une assurance de responsabilité civile professionnelle. Les assureurs demandent un « bulletin visuel », qui dresse la liste de chaque séquence du film, sa source et son statut juridique. Ils ont une notion assez restreinte de l'« usage loyal », et une utilisation en « usage loyal » peut compromettre la demande d'assurance.

  2. Je n'aurais probablement jamais dû poser la question à Matt Groening dès le départ. Mais je savais que la Fox avait l'habitude de rechercher et de stopper toute utilisation des Simpson sans licence, tout comme George Lucas se distinguait par sa défense de l'utilisation de Star Wars. Donc j'ai décidé de suivre la loi à la lettre, en pensant que nous obtiendrions une licence gratuite ou presque pour quatre secondes de Simpson. En tant que producteur de documentaires contraint de faire des économies sur les lacets, la dernière chose dont j'avais besoin était de risquer un procès, même en dommages, et même pour défendre un principe.

  3. Il se trouve que j'ai parlé avec un de vos collègues de la Faculté de Droit de Stanford [...] qui m'a confimé qu'il s'agissait d'un usage loyal. Il a aussi confirmé que la Fox « porterait plainte et vous ferait passer la corde au cou », quels que soit la validité de mes arguments. Il me dit clairement que ce serait celui qui avait le plus d'avocats et les poches les plus profondes qui l'emporterait.

  4. En général, cette question de l'usage loyal se pose à la fin d'un projet, alors que nous devons tenir une date de sortie et que nous n'avons plus d'argent.

En théorie, usage loyal signifie que l'on peut se passer de permission. Par conséquent la théorie favorise la culture libre, et préserve d'une culture de permissions. Mais en pratique, l'usage loyal fonctionne d'une manière très différente. Le flou des limites légales, combiné à l'énormité des amendes infligées à qui les franchit, fait qu'en pratique l'usage loyal est très restreint dans beaucoup de domaines de la création artistique. La loi vise juste, mais la manière dont elle est appliquée vise ailleurs.

Cet exemple montre combien la loi s'est éloignée de ses racines du dix- huitième siècle. La loi est née comme bouclier pour protéger les revenus des éditeurs de la compétition déloyale d'un pirate. Elle a grandi comme une épée qui se mêle de tous les usages, transformatifs ou non.



[112] Pour un excellent argumentaire du fait il s’agit bel et bien d’un « usage loyal », mais que les avocats ne permettent pas qu’il soit reconnu comme tel, voir Richard A. Posner et William F. Patry, « Fair Use and Statutory Reform in the Wake of Eldred », California Law Review, vol. 92, nº 6, 2004.

Chapitre 8. Transformateurs

En 1993, Alex Alben, un avocat, travaillait pour Starwave, Inc. Starwave était une entreprise innovante fondée par Paul Allen, le cofondateur de Microsoft, dans le but de développer du contenu numérique. Bien avant qu'Internet ne devienne populaire, Starwave commença à investir dans de nouvelles technologies permettant la diffusion de contenus que la puissance des réseaux permettait d'anticiper.

Alben s'intéressait tout spécialement aux nouvelles technologies. Il était intrigué par le marché émergent de la technologie du CD-ROM—non pas pour la distribution des films, mais pour faire des choses avec les films qui serait difficile à réaliser autrement. En 1993, il initia le développement d'un produit servant à produire une rétrospective du travail d'un acteur donné. Le premier acteur choisi fut Clint Eastwood. L'idée était de mettre à l'affiche tout le travail d'Eastwood avec des clips tirés de ses films et des interviews de personnes importantes dans sa carrière.

À l'époque, Eastwood avait déjà fait plus de cinquante films en tant qu'acteur et réalisateur. Alben commença une série d'interviews avec Eastwood, l'interrogeant sur sa carrière. Puisque c'était Starwave qui produisait ces interviews, la compagnie était libre de les inclure sur son CD.

Les seules interviews n'auraient pas fait un produit intéressant, alors Starwave voulait ajouter du contenu tiré des films d'Eastwood : des affiches, des scripts, et d'autres choses en rapport avec les films qu'Eastwood avait fait. La majeure partie de sa carrière, Eastwood l'avait passé chez Warner Brothers, et il était très facile d'obtenir la permission d'accès à ce contenu.

Puis Alben et son équipe decidèrent d'inclure d'authentiques extraits de film. « Notre objectif était d'avoir un extrait de chacun des films d'Eastwood. » me dit Alben. C'est à ce moment-là que le problème se posa. « Personne n'avait réellement fait ce que nous faisions à ce moment », expliqua Alben. « Personne n'avait essayé de faire cela dans le contexte d'une oeuvre artistique traitant de la carrière d'un acteur. »

Alben présenta l'idée à Michael Slade, le PDG de Starwave. Slade lui demanda, « Bon, que devrons-nous faire ? »

Alben repondit, « Et bien, nous allons devoir nous assurer d'obtenir l'autorisation de chaque personne qui apparaît dans ces films, de même pour la musique et tout ce que nous voulons utiliser dans ces extraits de film. » Slade lui dit, « Excellent ! Faisons cela. » [113]

Le problème était que ni Alben ni Slade n'avait la moindre idée de ce qui serait nécessaire à l'obtention des autorisations. Tous les acteurs jouant dans chacun des films auraient pu réclamer des redevances pour la réutilisation d'un film. Cependant, les CD-ROM n'avaient pas été spécifiés dans les contrats avec les acteurs, alors il n'y avait aucun moyen de savoir ce que Starwave allait faire.

J'ai demandé à Alben comment il avait réglé le problème. Avec une évidente fierté de soi, qui masquait l'évidente bizarreté de son récit, Alben raconta ce qu'ils avaient fait :

Nous avons examiné les extraits de films un par un. Nous avons choisi, en fonction de critères artistiques, quels extraits de film inclure — bien sûr, nous allions utiliser l'extrait « Make my day » de Dirty Harry. Mais ensuite il fallait trouver le type au sol qui tremble sous le canon, et il fallait sa permission. Et il fallait décider combien nous allions le payer.

Nous avons décidé qu'il serait loyal de leur offrir le tarif de figurant en échange du droit de réutiliser leur travail. Il s'agit d'un extrait de moins d'une minute, mais pour pouvoir réutiliser ce travail dans le CD-ROM, le tarif à l'époque était d'environ 600 dollars. Donc, il nous a fallu identifier les gens. Certains d'entre eux étaient difficile à identifier, parce que dans les films d'Eastwood on ne sait pas toujours qui est le type qui passe à travers la vitre : est-ce l'acteur ou le cascadeur ? Et ensuite nous avons monté une équipe, mon assistant et quelques autres, et nous avons commencé à appeler ces gens.

Certains acteurs étaient heureux de nous aider —Donald Sutherland, par exemple, s'assura lui-même que tous les droits étaient acquittés. D'autres étaient étonnés de leur chance. Alben leur demandait « Allô, puis-je vous payer 600 dollars, ou peut-être 1.200 si vous apparaissez dans deux films, vous savez ? » Et ils disaient « Vous êtes sérieux ? Hé, j'aimerais beaucoup 1.200 dollars ». Et d'autres, bien sûr, étaient un peu difficiles (les ex-épouses délaissées, en particulier). Mais finalement, Alben et son équipe avaient acquitté les droits pour ce CD-ROM de rétrospective sur la carrière de Clint Eastwood.

C'était une année plus tard—« et même à ce moment nous n'étions pas sûrs de les avoir tous acquittés. »

Alben est fier de son travail. Ce projet était le premier du genre, et à sa connaissance c'était la seule fois où une équipe avait entrepris un effort aussi massif dans le but de sortir une rétrospective.

Tout le monde pensait que cela serait trop difficile. Tout le monde levait les mains au ciel et disait « Oh, mon dieu, un film, cela fait tellement de copyrights, il y a la musique, la mise en scène, le directeur, les acteurs. » Mais nous l'avons fait. Nous en avons séparé chaque partie, et dit « OK, il y a tant d'acteurs, tant de directeurs, ... tant de musiciens » et nous avons procédé de manière très systématique et nous avons acquitté les droits.

Et sans aucun doute, le produit lui-même était exceptionnellement bon. Eastwood l'adorait, et il se vendit très bien.

Mais je fis observer à Alben à quel point il semble étrange qu'il ait fallu un an de travail simplement pour acquitter des droits. Sans doute Alben l'avait fait de manière très efficace, mais pour reprendre un mot célèbre de Peter Drucker, « il n'y a rien de plus inutile que de faire efficacement quelque chose qu'on ne devrait pas faire du tout. »[114] Est-il normal, demandai-je à Alben, que ce soit là la manière dont un travail nouveau doit être réalisé ?

Car, comme il le reconnut, « très peu de gens ... ont le temps et les ressources, et la volonté de faire cela, » et donc, très peu de travaux de ce type seraient jamais réalisés. Est-il normal, lui demandai- je, du point de vue from the standpoint of what anybody really thought they were ever giving rights for originally, that you would have to go clear rights for these kinds of clips ?

Je ne pense pas. Quand un acteur joue un rôle dans un film, il ou elle est très bien payée... Et ensuite si 30 secondes de ce rôle sont utilisées dans un nouveau produit qui est une rétrospective sur la carrière de quelqu'un, je ne pense pas que cette personne ... doive être indemnisée pour celà.

Ou du moins, est-ce là la manière dont l'artiste doit être indemnisé ? Ne pourrait-il pas y avoir, demandai-je, un système de licences statutaires, que l'on paierait pour être libre de réutiliser ce type d'extraits ? Était-il vraiment raisonnable qu'un créateur doive rechercher chaque acteur, directeur, ou musicien qu'il réutilise, pour obtenir leur accord explicite ? Est-ce qu'il n'y aurait pas plus de créations si on pouvait simplifier l'aspect légal du processus de création ?

Absolument. Je pense que s'il y avait un système de licences loyales (dans lequel vous ne seriez pas soumis a des chantages ou à des ex-épouses répudiées), nous verrions beaucoup plus de travaux de ce type, car il ne serait pas si décourageant de tenter de monter une rétrospective de la carrière de quelqu'un et de l'illustrer avec des extraits de sa carrière. Si vous étiez le producteur d'une de ces oeuvres, vous auriez a prendre en compte un coût supplémentaire : celui de payer X dollars à l'artiste qui a effectué le travail. Mais ce serait un coût connu. Voila le problème qui empèche tout le monde de travailler et rend ce type de produit difficile à réaliser. Si vous saviez que vous avez cent minutes de film dans ce produit et que cela va vous coûter X, alors vous feriez votre budget en fonction et vous pourriez obtenir des fonds ainsi que tout ce dont vous avez besoin pour le produire. Mais si vous dites « Oh, je veux cent minutes de quelque chose, et je n'ai aucune idée de ce que cela va me coûter et un certain nombre de personnes vont me réclamer de l'argent », alors il devient difficile de monter tout cela.

Alben travaillait pour une grande compagnie. Sa compagnie était soutenue par certains des investisseurs les plus riches au monde. Il avait dont une autorité et des facilités que le réalisateur de sites Web moyen n'a pas. Donc, s'il lui a fallu un an, combien de temps cela aurait-il pris à quelqu'un d'autre ? Et combien de créativité est perdue simplement parce que les coûts d'acquittement des droits sont si élevés ?

Ces coûts sont entrainés par un type de régulation. Soyons Républicains pour un instant, et irritons-nous un peu. Le gouvernement définit l'étendue de ces droits, et cette étendue détermine combien il coûtera de les négocier. (Souvenez-vous de l'idée que la propriété terrienne s'étend aux cieux, et imaginez le pilote achetant des droits de passage pendant qu'il négocie son vol de Los Angeles à San Francisco.) Ces droits peuvent très bien avoir eu leur raison d'être ; mais quand les circonstances changent, celle-ci disparaît. Ou du moins, un républicain bien entrainé et hostile a toute régulation devrait considérer ces droits et demander : « Ceci est-il toujours justifié ? »

J'ai parfois vu une lueur de reconnaissance quand les gens comprennent cela, mais en quelques occasions seulement. La première fois ce fut lors d'une conférence de juges fédéraux en Californie. Les juges s'étaient rassemblés pour discuter du sujet nouveau de cyber-loi. On me demanda de faire partie du panel. Harvey Saferstein, un juriste d'un cabinet respecte de L.A., présenta au panel une vidéo qu'il avait produite avec un ami, Robert Fairbank.

La vidéo était un collage brillant de films de chaque période du vingtième siècle, le tout organisé selon l'idee d'un épisode de 60 minutes. L'exécution était parfaite, fidèle jusqu'à reproduire le chronomètre de soixante minutes. Les juges en adorèrent chaque minute.

Lorsque les lumières furent allumées, je jetai un oeil vers mon collègue de panel, David Nimmer, peut-être l'expert en copyright le plus en vue dans le pays. Il y avait sur son visage un regard étonné, alors qu'il scrutait cette salle de plus de 250 juges bien divertis. D'une voix sentencieuse, il commença son discours par une question : « Savez-vous combien de lois fédérales viennent d'être violées dans cette pièce ? »

Car bien évidemment, les deux brillants créateurs de ce film n'avaient pas fait ce qu'Alben avait fait. Ils n'avaient pas passé une année à acquitter les droits de ces extraits ; techniquement, ce qu'ils avaient fait violait la loi. Bien sûr, ils n'allaient pas être poursuivis pour cette violation (et ce malgré la présence de 250 juges et d'un troupeau d'officiers de police féderale). Mais Nimmer avait un point important : Une année avant que quiconque entende parler de Napster, et deux ans avant qu'un autre membre du panel, David Boies, ne défende Napster devant la Neuvieme Cour d'Appel, Nimmer essayait de faire voir à ces juges que la loi ne serait pas en accord avec les capacités que cette technologie rendrait possibles. La technologie veut dire que maintenant vous pouvez faire des choses étonnantes facilement ; mais vous ne pouvez pas facilement les faire légalement.

Nous vivons dans une culture du « copier-coller », rendue possible par le technologie. Toute personne qui écrit une présentation connait la liberté extraordinaire que l'architecture copier-coller d'Internet a créée : en une seconde vous pouvez trouver pratiquement n'importe quelle image ; en une autre seconde vous l'avez incorporée à votre présentation.

Mais les présentations ne sont qu'un début. En utilisant Internet et ses archives, les musiciens sont capables d'enchaîner des mélanges de sons jamais imaginés auparavant ; les réalisateurs de films sont capables de faire des films à partir d'extraits trouvés sur des ordinateurs autour du monde. Un site extraordinaire en Suède prend des images d'hommes politiques et leur ajoute de la musique, pour créer des commentaires politiques mordants. Un site appelé Camp Chaos a produit une des critiques les plus acerbes qui soit de l'industrie du disque, en mélangeant la musique et la technologie Flash.

Et toutes ces créations sont techniquement illégales. Même si leurs créateurs voulaient respecter la loi, ce qu'il en coûte est impossiblement élevé. Par conséquent, pour ceux qui observent la loi, un trésor de créativité n'est jamais exprimée. Et quant à la partie qui s'exprime, si elle ne suit pas les règles d'acquittement des droits, ses créations ne sortent jamais.

Pour certains, ces histoires suggèrent une solution : Modifions le jeu des droits, de sorte que les gens soient libres de s'inspirer de notre culture. Libres d'ajouter ou de mélanger comme il leur plaît. Nous pourrions même effectuer ce changement sans pour autant imposer que l'usage « libre » soit « gratuit ». Non, le système pourrait simplement faire qu'il soit facile pour des créateurs d'indemniser les artistes dont ils reprennent le travail sans avoir besoin d'une armée d'avocats avec eux : par exemple, une loi disant « la redevance dûe au détenteur de copyright d'une oeuvre non enregistrée, pour les usages dérivés de cette oeuvre, sera 1 pour cent des revenus nets, à mettre de côté pour le détenteur de copyright ». Sous cette loi, le détenteur de copyright pourrait bénéficier d'une redevance, mais il n'aurait pas le bénéfice d'un droit de propriété totale (ce qui implique le droit de choisir son prix) à moins qu'il ne fasse enregistrer son oeuvre.

Qui pourrait objecter à celà ? Et quelle raison y aurait-il d'objecter ? Nous parlons de créations qui ne sont même pas réalisées aujourd'hui ; et qui, si elles étaient réalisées selon ce plan, génèreraient de nouveaux revenus pour les artistes. Pour quelle raison pourrait-on s'y opposer ?

En février 2003, les studios DreamWorks ont annoncé avoir passé un accord avec Mike Myers, le génie comique de Saturday Night Live et Austin Powers. D'après l'annonce, Myers et DreamWorks allaient travailler ensemble pour former un « pacte unique de réalisation de films. » Selon l'accord, DreamWorks « va acquérir les droits de films célèbres et classiques, écrire de nouveaux scénarios et, en utilisant une technologie numérique de pointe, insérer Myers et d'autres acteurs dans ces films, en créant ainsi un spectacle entièrement nouveau. »

L'annonce appelait ceci faire du « film sampling. » Comme l'expliqua Myers, « Film Sampling est une manière excitante d'ajouter une touche originale à des films existants, et de permettre au public de voir de vieux films sous un jour nouveau. Les artistes de rap ont fait cela pendant des années avec la musique, et bien maintenant nous sommes capables de reprendre le concept et de l'appliquer au cinéma. » Steven Spielberg était cité, disant : « Si quelqu'un peut créer une manière de rendre accessibles de vieux films à un public nouveau, c'est bien Mike. »

Spielberg a raison. Le Film sampling de Myers sera brillant. Mais si vous n'y pensez pas, vous risquez de manquer le point véritablement étonnant de cette annonce. Alors que l'immense majorité de notre héritage cinématographique reste protégée par le droit d'auteur, le sens véritable de l'annonce de Dreamworks est le suivant : C'est Mike Myers, et seulement Mike Myers, qui est libre de faire du sampling. Toute liberté générale de s'inspirer des archives de notre culture, une liberté qui en d'autres circonstances serait supposée nous appartenir à tous, est maintenant un privilège réservé à ceux qui sont amusants et célèbres — et riches, on suppose.

Ce privilège est réservé pour deux raisons. La première est la continuation de l'histoire du dernier chapitre : le flou lié à la notion d'« usage loyal ». L'essentiel du « sampling » devrait être considéré comme « usage loyal ». Mais peu de gens s'appuient sur une garantie si faible pour créer. Ceci nous mène à la deuxième raison pour laquelle le privilège est réservé : Les coûts entraînés par les négociations concernant le droit légal de réutiliser une oeuvre sont astronomiquement élevés. Ces coûts réflètent les coûts liés à l'usage loyal : Ou bien vous payez un avocat pour défendre votre droit à l'usage loyal, ou bien vous en payez un pour rechercher toutes les permissions, de sorte que vous n'aurez pas à vous appuyer sur l'usage loyal. D'une manière ou d'une autre, le processus de création consiste à payer des avocats —encore un privilège, ou peut-être un tourment, réservé à une minorité.



[113] Techniquement, les droits que Alben devait clarifier étaient principalement ceux de la publicité : les droits qu’un artiste détient pour pouvoir contrôler l’exploitation commerciale de son image. Mais ces droits restreignent également la possibilité créative de « ripper, mixer, graver », comme le montre ce chapitre.

[114] U.S. Department of Commerce Office of Acquisition Management, Seven Steps to Performance-Based Services Acquisition, disponible au lien nº 22.

Chapitre 9. Collectionneurs

En Avril 1996, des millions de « bots » (programmes informatiques conçus pour « tisser », c'est-à-dire parcourir automatiquement Internet et recopier son contenu) commencèrent à parcourir le Net. Page par page, ces « bots » recopièrent l'information trouvée sur Internet sur un petit nombre d'ordinateurs situés dans un sous-sol du Presidio (NdT : quartier historique) de San Francisco. Une fois que les « bots » eurent couvert tout Internet, ils recommencèrent depuis le début. Encore et encore, une fois tous les deux mois, ces programmes effectuaient des copies d'Internet et les archivaient.

En Octobre 2001, les « bots » avaient rassemblé plus de cinq années de copies. Et lors d'une modeste conférence à Berkeley, en Californie, les archives composées de ces copies, les Archives d'Internet, furent mises à disposition du monde. En utilisant une technologie appelée « la Machine à Remonter Dans le Temps » (« the Way Back Machine »), vous pouviez visiter une page Web, et consulter toutes ses copies depuis 1996, et voir quand elle avait été modifiée.

Voila un aspect d'Internet qui aurait plu à Orwell. Dans l'utopie décrite dans 1984, les vieux journaux étaient constamment remis à jour, pour s'assurer que la vision présente du monde, approuvée par le gouvernement, n'était pas contredite par les actualités passées.

Des milliers de travailleurs rééditaient continuellement le passé, de sorte qu'il était impossible de savoir si l'article que vous lisiez aujourd'hui était le même que celui qui avait été imprimé à la date inscrite sur le papier.

Il en va de même avec Internet. Si vous visitez une page Web aujourd'hui, vous n'avez aucun moyen de savoir si le contenu que vous lisez est le même que celui que vous avez lu précédemment. La page peut sembler être la même, mais son contenu pourrait facilement être différent. Internet est la bibliothèque d'Orwell : constamment réécrite, sans aucune mémoire fiable.

Du moins, jusqu'à la Machine à Remonter Dans le Temps. Grâce à cette machine, et aux Archives d'Internet, vous pouvez voir ce qu'Internet a été. Vous avez le pouvoir de voir ce dont vous vous souvenez. Et c'est peut-être plus important, vous avez le pouvoir de trouver ce dont vous ne vous souvenez pas, et que d'autres préfèreraient que vous oubliez.[115]

Nous tenons pour acquis que nous pouvons revenir en arrière et voir ce que nous nous souvenons avoir lu. Pensez aux journaux. Si vous voulez étudier la réaction du journal de votre ville natale face aux émeutes raciales à Watts en 1965, ou au canon à eau de Bull Connor en 1963, vous pouvez aller à la bibliothèque municipale et consulter les journaux. Ils existent probablement sur microfiche. Si vous avez de la chance, ils existent aussi sur papier. D'une manière ou d'une autre, vous êtes libres, en utilisant une bibliothèque, de revenir en arrière, et de vous souvenir : pas seulement de ce dont il est commode de se souvenir, mais de quelque chose qui est proche de la vérité.

On dit que ceux qui oublient l'Histoire sont condamnés à la revivre. Ce n'est pas tout à fait vrai. Nous oublions tous l'Histoire. L'essentiel est de savoir si nous avons un moyen de revenir en arrière et de (re)découvrir ce que nous avons oublié. Plus concrètement, l'essentiel est de savoir si un point de vue objectif sur le passé peut nous aider à rester honnêtes. Les bibliothèques nous y aident, en rassemblant du contenu et en le conservant, pour les écoliers, pour les chercheurs, pour nos grand-parents. Une société libre suppose cette connaissance.

Internet était une exception à cette règle. Jusqu'aux Archives d'Internet, il n'y avait aucun moyen de revenir en arrière. Internet était le médium éphémère par essence. Et maintenant, alors qu'Internet contribue de plus en plus à construire et réformer la société, il devient de plus en plus important que nous en conservions une forme historique. Il est tout à fait étrange de constater que nous avons pléthore d'archives de journaux de petites villes d'un peu partout dans le monde, mais qu'il n'y a qu'une seule et unique copie d'Internet : celle conservée par les Archives d'Internet.

Brewster Kahle est le fondateur des Archives d'Internet. Il eut beaucoup de succès en tant que chercheur en informatique, et plus encore ensuite, en tant qu'entrepreneur d'Internet. Dans les années 90, Kahle décida qu'il avait eu assez de succès en affaires. Il était temps de connaître un autre genre de succès. Il entreprit donc une série de projets destinés à archiver le savoir de l'humanité. Les Archives d'Internet n'étaient que le premier projet de cet Andrew Carnegie de l'Internet. En décembre 2002, les Archives avaient dépassé les 10 milliards de pages, et grossissaient d'un milliard d'autres chaque mois.

La Machine à Remonter Dans le Temps constitue la plus grande archive du savoir humain de l'histoire de l'humanité. Fin 2002, elle contenait « deux cent trente Teraoctets de matériel », et était « dix fois plus volumineuse que la Bibliothèque du Congrès ». Et ce n'était que la toute première des archives que Kahle projettait d'édifier. En plus des Archives d'Internet, Kahle construisait des Archives Télévisées. La télévision s'avère être encore plus éphémère qu'Internet. Alors qu'une bonne partie de la culture du vingtième siècle a été construite via la télévision, seule une infime partie en est accessible aujourd'hui. Trois heures d'actualités sont enregistrées tous les soirs par l'Université de Vanderbilt —grâce à une dérogation à la loi sur le copyright. Ce contenu est indexé, et reste accessible aux universitaires pour un coût très raisonnable. « Mais en dehors de ceux-là, la télévision est quasiment inaccessible, » me confia Kahle. « Si vous êtes Barbara Walters, vous avez accès [à ces archives], mais qu'en est-il si vous êtes un simple étudiant ? » Ajouta Kahle,

Vous rappelez-vous lorsque Dan Quayle conversait avec Murphy Brown ? Vous souvenez-vous de cette expérience surréelle d'un homme politique conversant avec un personnage de fiction télévisée ? Si vous étiez un étudiant voulant étudier cela, et si vous vouliez obtenir ces échanges entre eux deux, l'épisode de 60 Minutes qui sortit après... ce serait presque impossible... Ce matériel est presque introuvable...

Pourquoi cela ? Pourquoi la partie de notre culture qui est sur journaux papier reste-t-elle accessible pour toujours, alors que la partie qui est sur cassettes vidéo ne l'est pas ? Comment se fait-il que nous ayons créé un monde où les chercheurs qui voudront comprendre l'influence des médias sur l'Amérique du dix-neuvième siècle auront moins de difficultés que ceux qui voudront comprendre l'influence des médias sur l'Amérique du vingtième siècle ?

C'est en partie à cause de la loi. Au début de la législation américaine sur le droit d'auteur, les détenteurs de copyright devaient déposer des copies de leur ouvrage en bibliothèque. Ces copies étaient destinées à la fois à faciliter la propagation du savoir, ainsi qu'à s'assurer qu'une copie serait accessible une fois le copyright expiré, pour que d'autres puissent éventuellement lire et copier l'ouvrage.

Ces règles s'appliquaient également aux films. Mais en 1915, la Bibliothèque du Congrès fit une exception pour les films. Les films pouvaient être sous copyright une fois de tels dépôts faits. Mais le cinéaste avait ensuite l'autorisation de réemprunter le film ainsi déposé, sans limite de temps, gratuitement. Rien qu'en 1915, il y avait plus de 5.475 films déposés et « réempruntés. » Donc, quand le copyright d'un film expire, il n'y en a plus aucune copie dans aucune bibliothèque. La copie existe —si tant est qu'elle existe encore— dans les archives de la société qui a produit le film.[116]

En général, ceci vaut aussi pour la télévision. A l'origine les émissions de télévision n'étaient pas sous copyright ; il n'y avait aucun moyen d'enregistrer ces émissions, il n'y avait donc aucune crainte de « vol ». Mais quand la technologie permit leur capture, les diffuseurs comptèrent de plus en plus sur la législation. La loi exigeait qu'ils fassent une copie de chaque émission pour que l'ouvrage soit « copyright »é. Mais ces copies était simplement détenues par les diffuseurs. Aucune bibliothèque n'avait de droits dessus ; le gouvernement ne les réclamait pas. Le contenu de cette partie de la culture américaine est pratiquement invisible pour quiconque.

Kahle était impatient de changer cela. Avant le 11 septembre 2001, lui et ses alliés avaient commencé à enregistrer la télévision. Ils avaient choisi vingt chaînes du monde entier, et appuyé sur le bouton Enregistrer. A partir du 11 septembre, Kahle, ainsi que des douzaines de collaborateurs, choisirent vingt chaînes du monde entier et mirent en ligne gratuitement la couverture de cette semaine du 11 septembre. Tout le monde pouvait voir comment les journaux télévisés de par le monde avaient couvert cette journée.

Kahle avait le même projet pour les films. Avec Rick Prelinger, dont les archives cinématographiques contiennent près de 45.000 « films ephémères » (c'est-à-dire des films non produits par Hollywood, et jamais protégés par le droit d'auteur), Kahle mit en place les Archives du Cinéma. Prelinger le laissa numériser 1300 films dans ces archives, et mettre ces films sur Internet, pour qu'ils puissent être téléchargés gratuitement. La sociéte de Prelinger est à but lucratif. Elle vend des copies de ces films sous forme de pellicules. Il fit la découverte suivante : Après en avoir rendu une partie significative librement accessible, ses ventes de pellicules augmentèrent très fortement. Les gens pouvaient trouver facilement le contenu qu'ils voulaient utiliser. Certains téléchargeaient ce contenu et faisaient leurs propres films. D'autres achetaient des copies afin de permettre la création d'autres films. D'une manière ou d'une autre, l'archive rendait possible l'accès à cette part importante de notre culture. Envie de voir une copie du film « Duck and Cover » qui expliquait aux enfants comment se protéger au milieu d'une attaque nucléaire ? Allez sur archive.org, et vous pourrez télécharger le film en quelques minutes — gratuitement.

Ici encore, Kahle nous donne accès à une partie de notre culture, que nous ne pourrions pas obtenir facilement d'une autre manière, voire pas du tout. Il s'agit d'une autre partie de ce qui définit le vingtième siècle, et que nous avons abandonnée à l'histoire. La loi ne requiert pas que ces copies soient conservées ou déposées dans une archive par quiconque. Par conséquent, il n'existe pas de moyen simple de les trouver.

Le point clé ici est l'accès, pas le prix. Kahle veut permettre l'accès libre à ce contenu, mais il veut aussi permettre à d'autres de vendre cet accès. Son but est de s'assurer que la compétition existe parmi ceux qui propose un accès à cette partie importante de notre culture. Pas pendant la vie commerciale d'une création, mais pendant cette seconde vie que possède toute création : sa vie non-commerciale.

Car voici une idée que nous devrions identifier plus clairement. Toute création artistique traverse plusieurs « vies ». Au cours de sa première vie, si le créateur est chanceux, le contenu est vendu. Dans ce cas le marché commercial est une réussite pour le créateur. La grande majorité des créations artistiques ne connaissent pas un tel succès, mais c'est le cas de certaines d'entre elles. Pour ces contenus, la vie commerciale est extrêmement importante. Sans ce marché commercial, il y aurait, semble-t-il, beaucoup moins de créations.

Une fois que la vie commerciale d'une création a pris fin, notre tradition a toujours encouragé une seconde vie. Un journal apporte les nouvelles du jour à notre palier de porte. Le jour suivant, il sert à emballer du poisson, ou bien à combler des boîtes contenant des cadeaux fragiles, ou encore à construire une archive de connaissances sur notre histoire. Au cours de cette seconde vie, le contenu peut continuer d'informer, même si cette information n'est plus vendue.

La même chose a toujours été vraie au sujet des livres. Un livre cesse d'être imprimé très rapidement (aujourd'hui, en moyenne après un an [117]. Une fois qu'il a cessé d'être imprimé, il peut être vendu dans des magasins de livres d'occasion, sans que le détenteur de copyright n'obtienne quoi que ce soit, et il peut être conservé dans une bibliothèque, où beaucoup de gens le liront, tout aussi gratuitement. Les librairies d'occasion et les bibliothèques sont donc la seconde vie d'un livre. Cette seconde vie est extrêmement importante pour la diffusion et la stabilité de la culture.

Cependant, il devient de plus en plus difficile de croire en une seconde vie stable pour les créations artistiques, et ceci pour les composantes les plus importantes de la culture populaire des vingtième et vingt-et-unième siècles. Pour ces composantes (télévision, films, musique, radio, Internet), il n'y a pas de garantie d'une seconde vie. Pour ces types de culture, c'est comme si nous avions remplacé nos bibliothèques par des magasins Barnes & Noble. Avec cette culture, ce qui est accessible se réduit à ce que demande un certain marché limité. Au delà de cette demande, la culture disparaît.

Pendant la plus grande partie du vingtième siécle, ce sont les conditions économiques qui en ont voulu ainsi. C'eut été une folie coûteuse que de rassembler et de rendre accessibles toutes les émissions de télévision, tous les films et toute la musique existants : Le coût des copies analogiques est extraordinairement élevé. Ainsi donc, bien que la loi eut en principe restreint la capacité d'un Brewster Kahle de copier la culture en géneral, la véritable contrainte était d'ordre économique. Le marché rendait impossible de faire quoi que ce soit contre cet éphémère ; la loi n'avait que peu d'effet pratique.

La caractéristique peut-être la plus importante de la révolution numérique est que pour la première fois depuis la Bibliothèque d'Alexandrie, il est possible d'imaginer la construction d'une archive qui contienne toute la culture produite ou distribuée publiquement. La technologie nous permet d'imaginer une archive de tous les livres publiés, et bientôt de toutes les images animées et de tous les sons.

La mesure de cette archive potentielle est quelque chose que nous n'avons jamais imaginé auparavant. Les Brewster Kahle de notre histoire en ont rêvé ; mais nous arrivons à un moment où, pour la première fois, ce rêve est devenu possible. Comme le décrit Kahle,

Il semble qu'il y ait quelque deux ou trois millions d'enregistrements de musique. En tout. Il y a environ cent mille films sortis en salle, ... et entre un et deux millions de films [distribués] durant le vingtième siècle. Il y a environ vingt-six millions de titres de livres. Tout cela tiendrait dans des ordinateurs qui tiendraient dans cette salle, et que pourrait s'offrir une petite entreprise. Nous somme donc à un tournant de notre histoire. L'accès universel est le but. Et la possibilité de vivre une vie différente, basée là-dessus, donne... des frissons. Cela pourrait être une des plus grandes fiertés de l'humanité. Avec la bibliothèque d'Alexandrie, le premier homme sur la Lune, et l'invention de la machine à imprimer.

Kahle n'est pas le seul libraire. L'Internet Archive n'est pas la seule archive. Mais Kahle et l'Internet Archive suggèrent ce que l'avenir des bibliothèques et des archives pourrait être. Quand s'arrête la vie commerciale d'une œuvre ? Je ne sais pas. Mais elle finit par s'arrêter. Et quand elle le fait, Kahle et son archive nous font découvrir un monde dans lequel le savoir et la culture restent disponibles à jamais. Certains s'en inspireront, pour la comprendre ; d'autres pour la critiquer. Certains s'en serviront, comme Walt Disney, pour re-créer le passé pour l'avenir. Ces technologies nous promettent quelque chose qui était devenu inimaginable pour l'essentiel de notre passé : un futur pour notre passé. La technologie numérique pourrait réaliser à nouveau le rêve de la Bibliothèque d'Alexandrie.

Ainsi, la technologie a supprimé le coût économique de la construction d'une telle archive. Mais il reste le coût légal. Car, pour autant que nous puissions appeler de nos voeux ces « archives », aussi réconfortante que soit l'idée d'une « bibliothèque », le « contenu » qui est rassemblé dans ces espaces numériques est aussi la « propriété » de quelqu'un. Et la loi sur la propriété restreint les libertés dont Kahle et les autres feraient usage.



[115] Mais la tentation demeure : Brewster Kahle rapporte ainsi que la Maison-Blanche change ses propres communiqués de presse, sans en rendre compte. Un communiqué de presse du 13 mai 2003 affirmait : « Les opérations militaires en Irak sont terminées. » Cela fut changé plus tard, sans explication, en « Les principales opérations militaires en Irak sont terminées. » Courriel de Brewster Kahle, 1er décembre 2003.

[116] Doug Herrick, « Toward a National Film Collection: Motion Pictures at the Library of Congress », Film Library Quarterly, vol. 13, nº 2-3, 1980, p. 5 ; Anthony Slide, Nitrate Won’t Wait: A History of Film Preservation in the United States, McFarland & Co, 1992, p. 36.

[117] Dave Barnes, « Fledgling Career in Antique Books: Woodstock Landlord, Bar Owner Starts a New Chapter by Adopting Business », Chicago Tribune, 5 septembre 1997. Sur l’ensemble des livres publiés entre 1927 et 1946, seulement 2,2 % étaient encore réimprimés en 2002 : R. Anthony Reese, « The First Sale Doctrine in the Era of Digital Networks », Boston College Law Review vol. 44, nº 2, 2003, p. 593, n. 51.

Chapitre 10. « Propriété »

Jack Valenti est le président de la Motion Picture Association of America depuis 1966. Il est arrivé pour la première fois à Washington dans les valises de l'administration de Lyndon Johnson. La célèbre photographie de Johnson prêtant serment dans Air Force One après l'assassinat du Président Kennedy montre Valenti à l'arrière- plan. Pendant presque quarante ans passés à la tête de la MPAA, Valenti s'est imposé comme le lobbyiste peut-être le plus en vue et le plus efficace de Washington.

La MPAA est la branche américaine de l'International Motion Picture Association. Elle fut formée en 1922 en tant qu'association commerciale dont le but était de défendre les films américains contre des critiques intérieures croissantes. Aujourd'hui l'organisation ne représente pas seulement des metteurs en scène, mais aussi les producteurs et les distributeurs de spectacles pour la télévision, la vidéo, le câble. Son administration est composée des présidents des sept producteurs et distributeurs principaux de films et émissions de télévision aux Etats- Unis : Walt Disney, Sony Pictures Entertainment, MGM, Paramount Pictures, Twentieth Century Fox, Universal Studios, et Warner Brothers.

Valenti n'est que le troisième président de la MPAA. Aucun président avant lui n'avait eu autant d'influence sur cette organisation, ou sur Washington. En bon Texan, Valenti a acquis la maîtrise de l'aptitude politique la plus importante dans le Sud : la capacité à paraître simple et lent, tout en dissimulant une pensée rapide comme l'éclair. A ce jour, Valenti joue à l'homme simple et humble. Mais ce diplômé de Harvard, auteur de quatre livres, qui termina le lycée à quinze ans et effectua plus de cinquante missions aériennes de combat durant la deuxième guerre mondiale, n'est pas Monsieur Tout-Le-Monde. Quand Valenti est allé à Washington, il a compris la quintessence de cette ville.

En défendant la liberté artistique et la liberté d'expression sur laquelle repose notre culture, la MPAA a été très bénéfique. En créant son système de notation, la MPAA nous a probablement évité une censure dommageable. Mais il est un aspect de la mission de cette organisation qui est à la fois le plus radical et le plus important : il s'agit de l'effort continuel de cette organisation, incarné par chaque acte de Valenti, pour redéfinir la notion de « propriété créative ».

En 1982, le discours de Valenti devant le Congrès illustrait parfaitement cette stratégie :

Aussi longs soient les arguments, quelles que soient les charges et contre- charges, quels que soient les tumultes et les cris, les hommes et femmes raisonnables retourneront toujours à ce problème fondamental, le thème central qui anime tout ce débat : Les détenteurs de propriété intellectuelle doivent obtenir les mêmes droits et protections que tous les autres détenteurs de propriété de la nation. Voilà le problème. Voilà la question. Et c'est sur ce terrain que tout ce plaidoyer, et tous les débats qui s'ensuivront, doivent prendre place[118].

La stratégie de cette rhétorique, comme toujours chez Valenti, est brillante et simple, et brillante parce que simple. Le « thème central » auquel les « hommes et femmes raisonnables » retourneront est celui-ci : « Les détenteurs de propriété intellectuelle doivent obtenir les mêmes droits et protections que tous les autres les détenteurs de propriété de la nation ». Valenti aurait pu continuer ainsi : « Il n'y a pas de citoyen de seconde classe. Il ne devrait donc pas y avoir de détenteurs de propriété de seconde classe ».

Cette assertion possède une force d'attraction évidente. Elle est exprimée avec tant de clarté qu'elle rend l'idée évidente, aussi évidente que la notion d'utiliser des élections pour désigner les présidents. Mais en fait, personne parmi les gens qui prennent ce débat au sérieux ne soutient de position plus extrême. Jack Valenti, aussi doux et brillant soit-il, est peut-être le pire extrémiste de la nation lorsqu'il s'agit de la nature et de la portée de la « propriété intellectuelle ». Ses vues n'ont aucun lien raisonnable avec ce qui constitue vraiment notre tradition légale, même si la force discrète de son charme texan a lentement redéfini cette tradition, du moins à Washington.

Alors que la « propriété intellectuelle » est certainement une « propriété », en un sens besogneux et précis que les juristes ont l'habitude de comprendre [119], il n'a jamais été le cas, et ne devrait pas l'être, que les « détenteurs de propriété intellectuelle » obtiennent « les mêmes droits et protections que tous les autres détenteurs de propriété ». En effet, si les détenteurs de propriété intellectuelle obtenaient les mêmes droits que tous les autres détenteurs de propriété, alors ceci instituerait un changement radical, et radicalement indésirable, dans notre tradition.

Valenti le sait. Mais il parle pour une industrie qui se fiche bien de notre tradition et des valeurs qu'elle représente. Il parle pour une industrie qui au contraire se bat pour restaurer la tradition que les Britanniques ont démise en 1710. Dans le monde qui résulterait des changements de Valenti, quelques puissants exerceraient un contrôle strict sur la manière dont notre culture serait développée.

J'ai deux buts dans ce chapitre. Le premier est de vous convaincre que sur le plan historique, l'assertion de Valenti est absolument fausse. Le second est de vous convaincre qu'il serait terriblement mauvais pour nous de rejetter notre histoire. Nous avons toujours traité les droits sur la propriété des créations différement des droits sur les autres types de propriété. Ils n'ont jamais été pareils aux autres droits. Et ils ne devraient devenir pareils, car, aussi contre-intuitif ceci soit-il, les rendre pareils reviendrait à réduire fondamentalement la possibilité pour les nouveaux créateurs de créer. La créativité tient à ce que ses propriétaires n'aient pas de contrôle absolu sur elle.

Les organisations comme la MPAA, dont les dirigeants comptent parmi les plus puissants de l'arrière-garde, n'ont aucun intérêt, en dépit de leur rhétorique, à faire en sorte que les jeunes puisent les remplacer. Aucune organisation, aucune personne n'a intérêt à cela. (Posez-moi la question au sujet de ma chaire, par exemple.) Mais ce qui est bon pour la MPAA ne l'est pas nécessairement pour l'Amérique. Une société qui défend les idéaux d'une culture libre doit justement préserver la possibilité pour une créativité nouvelle de menacer l'ancienne.

Pas besoin de chercher bien loin pour se douter que quelque chose ne tourne pas rond dans l'argumentation de Valenti : il nous suffit de lire la Constitution des États-Unis.

Les Pères Fondateurs de notre Constitution aimaient la « propriété ». En fait, ils l'aimaient tellement qu'ils ont incorporé à la Constitution une clause importante : si le gouvernement vous prend votre propriété (s'il vous exproprie de votre maison, ou bien s'il aquiert un terrain appartenant à votre ferme), il doit, selon la « Clause des Expropriations » du Cinquième Amendement, vous payer une « compensation juste ». La Constitution garantit donc que la propriété est, en un certain sens, sacrée. Elle ne peut jamais être soustraite à son propriétaire, sauf si le gouvernement paie pour ce privilège.

Et pourtant la même constitution parle très différemment à propos de ce que Valenti appelle la « propriété créative ». Dans l'article qui accorde au Congrès le pouvoir de créer la « propriété créative », la Constitution exige qu'après un « temps limité », le Congrès abroge les droits qu'il a accordé et mette la « propriété créative » dans le domaine public gratuit. Et quand le Congrès fait cela, quand l'expiration du terme d'un copyright vous en « exproprie » pour le mettre dans le domaine public, le Congrès n'a aucune obligation de payer une « juste indemnité » pour cette « expropriation ». Au contraire, la même constitution qui exige qu'on vous indemnise pour votre terre, exige que vous perdiez votre droit de « propriété créative » sans la moindre compensation.

Ainsi, nominalement, la constitution stipule qu'on ne doit pas accorder les mêmes droits à ces deux formes de propriété. Elles doivent simplement être traitées différemment. Valenti ne demande donc pas juste un changement dans notre tradition, quand il soutient que les détenteurs de « propriété créative » devraient obtenir les mêmes privilèges que tout autre détenteur de droit de propriété. Il plaide en effet pour un changement dans notre constitution elle-même.

Réclamer un changement de notre constitution n'est pas forcément une erreur. Notre constitution originale était mauvaise sur bien des points. La constitution de 1789 a renforcé l'esclavage ; elle prévoyait que les sénateurs soient nommés plutôt qu'élus ; elle a permis au collège électoral de provoquer une égalité entre le président et son propre vice- président (comme cela s'est produit en 1800). Les Pères Fondateurs étaient sans doute extraordinaires, mais je serais le premier à reconnaître qu'ils ont commis de grosses erreurs. Depuis lors, nous avons corrigé certaines de ces erreurs ; il en reste sans doute d'autres, que nous devrons corriger aussi. Ainsi je ne pense pas que si Jefferson a fait une chose, nous devions faire de même.

Au contraire, je pense que si Jefferson a fait quelque chose, nous devrions au moins tenter de comprendre pourquoi. Pourquoi les Pères Fondateurs, défenseurs fanatiques de la propriété privée qu'ils étaient, ont-ils rejeté l'idée que la propriété sur les créations donne les même droits que les autres types de propriétés ? Pourquoi ont-ils requis l'existence d'un domaine public pour ce type de propriété ?

Pour répondre à cette question, nous devons prendre du recul sur l'histoire de ces droits de « propriété sur les créations », et sur le contrôle qu'ils ont rendu possible. Quand nous verrons clairement comment ces droits ont été définis, nous serons mieux en mesure de poser la question qui devrait être au centre de cette guerre. La question n'est pas si la propriété sur les créations devrait être protégée, mais plutôt de quelle manière. Non pas si nous allons défendre les droits que la loi accorde aux détenteurs de propriétés sur les créations, mais plutôt quel doit être l'équilibre de ces droits. Non pas si les artistes doivent être payés, mais plutôt si les institutions créées pour garantir que les artistes sont payés ont aussi besoin de contrôler la manière dont la culture se développe.

Pour répondre à ces questions, nous avons besoin de concepts généraux pour parler de la manière dont la propriété est protégée. Plus précisément, nous avons besoin de concepts plus vastes que ceux que permet le langage juridique. Dans Code et Autres Lois du Cyberespace, j'ai utilisé un modèle simple pour décrire ces concepts. Pour chaque droit ou régulation particulière, ce modèle montre comment quatre modalités différentes interagissent, pour renforcer ou affaiblir ce droit ou cette régulation. J'ai illustré ceci avec le diagramme suivant :

Figure 10.1. 


Au centre de ce diagramme se trouve le point régulé : l'individu ou le groupe qui est la cible du régulation, ou le détenteur d'un droit. (Dans chaque cas tout au long de ce paragraphe, nous pouvons décrire ceci soit comme une régulation, soit comme un droit. Par simplicité, je parlerai seulement de régulations.) Les ovales décrivent quatre manières par lesquelles l'individu ou le groupe peut être régulé— soit contraint, soit, alternativement, permis. La loi est la contrainte la plus évidente (au moins pour les avocats). Elle contraint en menaçant de sanctions après les faits si les règles définies à l'avance sont violées. Donc si, par exemple, vous violez sciemment le copyright de Madonna en copiant une chanson de son dernier CD et la postez sur le Web, vous pouvez être puni d'une amende de 150.000 dollars. L'amende est une punition à postériori pour la violation d'une règle préexistante. Elle est imposée par l'État.

Les normes sont un autre type de contrainte. Elles aussi punissent un individu pour avoir violé une règle. Mais la punition d'une norme est imposée par la communauté, et non pas (ou pas seulement) par l'État. Il n'y a peut-être pas de loi contre le fait de cracher, mais cela ne veut pas dire que vous ne serez pas puni si vous crachez par terre en faisant la queue au cinéma. La punition n'est peut-être pas dure, ce qui dépend toutefois de la communauté, mais elle pourrait facilement être plus dure que bon nombre de punitions imposées par l'État. Ce qui fait la différence, ce n'est pas la sévérité de la règle, mais la source de son application.

Le marché est un troisième type de contrainte. Sa contrainte est effectuée à travers des conditions : vous pouvez faire X si vous payez Y ; vous serez payé M si vous faites N. Ces contraintes ne sont évidemment pas indépendantes des lois et des normes — c'est la loi de la propriété qui définit ce qui doit être acheté si cela doit être pris pour légal ; ce sont les normes qui disent ce qui est vendu de manière appropriée. Mais étant donné un ensemble de normes, et un arrière-plan de lois de propriété et de contrats, le marché impose une contrainte simultanée sur comment un individu ou un groupe peuvent se comporter.

Pour finir, et pour le moment, peut-être, plus mystérieusement, l'« architecture » — le monde physique tel qu'on le trouve — est une contrainte sur le comportement. Un pont écroulé peut contraindre votre capacité à traverser une rivière. Des voies de chemin de fer peuvent contraindre la capacité d'une communauté à intégrer sa vie sociale. Tout comme le marché, l'architecture n'effectue pas sa contrainte à travers des punitions à posteriori. Au lieu de cela, tout comme le marché, l'architecture effectue ses contraintes à travers des conditions simultanées. Ces conditions ne sont pas imposées par des tribunaux appliquant des contrats, ni par la police punissant le vol, mais par nature, par « architecture ». Si un boulet d'une tonne bloque votre route, c'est la loi de la gravité qui applique cette contrainte. Si un billet d'avion de 500 dollars vous sépare d'un vol pour New York, c'est le marché qui applique cette contrainte.

Donc la première chose à propos de ces quatre modalités de régulation est évidente : elles interagissent. Les restrictions imposées par une peuvent être renforcées par une autre. Ou les restrictions imposées par une peuvent être sapées par une autre.

La deuxième chose suit directement : si nous voulons comprendre la véritable liberté que quiconque possède à un moment donné pour faire une chose particulière, nous devons considérer comment ces quatre modalités interagissent. Qu'il y ait ou non d'autres contraintes (il peut très bien il y en avoir ; je ne prétends pas être complet), ces quatre sont parmi les plus importantes, et tout régulateur (que ce soit de contrôle ou de libération) doit considérer comment ces quatre en particulier interagissent.

Ainsi, par exemple, considérez la « liberté » de conduire une voiture à vitesse élevée. Cette liberté est en partie restreinte par les lois : des limitations de vitesse qui disent à quelle vitesse vous pouvez rouler dans des endroits particuliers à des moments particuliers. Elle est en partie restreinte par l'architecture : des dos d'ânes, par exemple, ralentissent les conducteurs les plus raisonnables ; des régulateurs de vitesse dans des bus, un autre exemple, fixent la vitesse maximale à laquelle on peut conduire. Cette liberté est en partie restreinte par le marché : l'efficacité du carburant diminue au fur et à mesure que la vitesse augmente, et donc le prix de l'essence contraint indirectement la vitesse. Conduisez à 100 km/h devant une école dans votre propre voisinage et vous serez vraisemblablement puni par les voisins. La même norme ne serait pas aussi efficace dans une autre ville, ou la nuit.

La dernière chose à propos de ce modèle simple devrait aussi être assez clair : alors que ces quatre modalités sont analytiquement indépendantes, la loi a un rôle spécial dans le fait d'affecter les trois autres[120]. La loi, en d'autres termes, opère parfois pour augmenter ou diminuer la contrainte d'une modalité particulière. Ainsi, la loi peut être utilisée pour augmenter les taxes sur l'essence, afin d'augmenter l'incitation à rouler moins vite. La loi peut être utilisée pour faire installer plus de dos d'ânes, afin d'augmenter la difficulté de rouler vite. La loi peut être utilisée pour financer des publicités qui stigmatisent la conduite irrespectueuse. Ou bien la loi peut être utilisée pour requérir que d'autres lois soient plus strictes — une exigence fédérale pour que les états diminuent la vitesse maximale autorisée, par exemple — afin de baisser l'attractivité de la conduite rapide.

Figure 10.2. 


Ces contraintes peuvent ainsi changer, et elle peuvent être changées. Pour comprendre la protection efficace de la liberté ou celle de la propriété à chaque moment, nous devons suivre ces changements au fil du temps. Une restriction imposée par une modalité peut être effacée par une autre. Une liberté permise par une modalité peut être chassée par une autre[121].

10.1. Pourquoi Hollywood a raison

Ce que ce modèle révèle de plus évident est simplement pourquoi, ou en quoi, Hollywood a raison. Les défenseurs du copyright ont rallié à leur cause le Congrès et les tribunaux. Ce modèle nous aide à comprendre le sens de ce ralliement.

Disons que cette image illustre les règles du copyright avant Internet :

Figure 10.3. 


Il y a un équilibre entre la loi, les normes sociales, le marché et l'architecture technique. La loi limite la possibilité de copier et partager du contenu en imposant des pénalités à ceux qui copient et partagent. Ces pénalités sont renforcées par des technologies qui rendent copie et partage difficiles (architecture) et coûteux (marché). Cependant, ces pénalités sont atténuées par des habitudes que nous admettons tous—par exemple le fait pour des jeunes d'enregistrer les disques de leurs copains. Ces utilisations de contenu sous copyright peuvent bien constituer des infractions, les normes de notre société, du moins avant Internet, ne font pas de ces infractions un problème.

Voilà qu'arrive Internet, ou, plus précisément, des technologies comme le format MP3 ou le partage de fichiers (« peer to peer »). Là, les contraintes liées à l'architecture changent radicalement, tout comme celles venant du marché. Et pendant que marché et architecture de concert assouplissent les règles du copyright, les normes renforcent cette tendance. L'équilibre satisfaisant (pour les défenseurs du moins) qui prévalait avant Internet devient de fait un état d'anarchie.

D'où le sens de la réponse des défenseurs, et sa justification. La technologie a changé, disent ces défenseurs, et la conséquence de ce changement, une fois qu'il s'est diffusé au travers du marché et des normes, est que l'équilibre des protections dont jouissaient les détenteurs de droits a disparu. C'est l'Irak après la chute de Saddam, mais à l'heure actuelle aucun gouvernement ne justifie le pillage qui s'ensuit.

Figure 10.4. 


Pas plus cette analyse que les conclusions qui suivent ne sont nouveaux pour les défenseurs. En effet, dans un « livre blanc » préparé par le Département du commerce (un département lourdement influencé par les défenseurs du copyright) en 1995, cette confusion de modalités régulatrices a déjà été identifiée, et la stratégie pour y répondre déjà élaborée. En réponse aux changements apportés par Internet, le livre blanc affirme que (1) le Congrès devrait durcir les lois protégeant la propriété intellectuelle, (2) les entreprises devraient adopter de nouvelles techniques de marketing, (3) les techniciens devraient être incités à développer du code protégeant les contenus, (4) les éducateurs devraient apprendre aux jeunes à mieux respecter le copyright.

Cette stratégie composite est juste ce dont le copyright aurait besoin—s'il s'agissait de préserver cet équilibre particulier qui existait avant le changement apporté par Internet. Et c'est juste ce qu'on peut s'attendre à ce que les industries du contenu exigent. C'est aussi américain que la tarte aux pommes de considérer l'existence agréable dont vous jouissez comme un droit, et d'attendre de la loi qu'elle protège ce droit si quelque chose se produit qui l'altère. Les propriétaires qui habitent dans le lit d'un fleuve n'hésitent pas à en appeler au gouvernement pour reconstruire (et reconstruire encore) leur maison lorsque le fleuve (architecture) déborde sur leur propriété (loi). Les agriculteurs n'hésitent pas à en appeler au gouvernement pour les tirer d'affaire lorsqu'un virus (architecture) dévaste leurs troupeaux. Les syndicats n'hésitent pas à en appeler au gouvernement lorsque les importations (marché) détruisent l'industrie sidérurgique des U.S.A.

C'est pourquoi il n'y a rien d'anormal ni de surprenant dans la campagne menée par l'industrie du contenu pour se protéger des conséquences néfastes d'une innovation technologique. Et je serais la dernière personne à prétendre que la technologie mouvante d'Internet n'a pas eu un effet profond sur la façon de mener les affaires pour l'industrie du contenu, ou comme le décrit John Seely Brown, sur son « architecture de revenus ».

Mais ce n'est pas parce qu'un intérêt particulier demande l'aide du gouvernement que cette aide doit nécessairement être accordée. Et ce n'est pas parce que le changement technologique a affaibli une manière particulière de faire des affaires que le gouvernement doit nécessairement intervenir pour sauver cette ancienne manière de faire des affaires. Kodak, par exemple, a perdu de l'ordre de 20% du marché traditionnel de la pellicule au profit du marché montant des appareils photos numériques[122]. Y a-t-il quelqu'un pour penser que le gouvernement devrait interdire les appareils numériques juste pour soutenir Kodak ? Les autoroutes ont nuit au transport par rail. Y a-t-il quelqu'un pour penser qu'il faudrait interdire les semi-remorques simplement dans le but de protéger le rail ? En restant plus près du sujet de ce livre, les télécommandes ont nuit au côté « collant » de la publicité télévisée (si un clip ennuyeux passe sur le petit écran, la télécommande rend très facile de zapper), et il se peut bien que ce changement ait nuit au marché de la publicité télévisée. Mais est-ce qu'il y a quelqu'un pour penser qu'il faudrait réglementer l'usage de la télécommande pour soutenir la télévision commerciale ? (peut-être en ne permettant de zapper qu'une fois par minute, ou de ne passer que sur dix canaux par heure ?)

La réponse évidente à toutes ces questions, qui ne sont bien sûr que rhétoriques, est évidemment non. Dans une société libre, avec un marché libre, soutenu par des entreprises libres et un commerce libre, le rôle du gouvernement n'est pas de soutenir une manière de faire des affaires au détriment d'une autre. Son rôle n'est pas de choisir un vainqueur et de le protéger de tout échec. Si le gouvernement faisait cela de façon habituelle, nous n'aurions jamais aucun progrès. Comme Bill Gates, le président de Microsoft l'a écrit en 1991, dans une note critiquant les brevets logiciels, « les entreprises établies ont intérêt à évincer leurs futurs concurrents »[123]. Et en ce qui concerne les start-ups, les entreprises établies ont aussi les moyens de faire cela (songez aux radios RCA et FM). Un monde où des concurrents arrivant avec de nouvelles idées doivent se battre non seulement contre le marché, mais aussi contre le gouvernement, est un monde où les idées nouvelles n'ont aucune chance de succès. C'est un monde qui va vers la stagnation. C'est l'Union soviétique sous Brejnev.

Donc, tandis qu'il est compréhensible que les industries menacées par les nouvelles technologies qui compromettent leurs méthodes commerciales sollicitent la protection du gouvernement, c'est un devoir particulier des politiques de garantir que cette protection ne compromet pas le progrès. C'est le devoir des hommes politiques, en d'autres termes, de garantir que les mesures qu'ils prennent en réponse aux demandes de ceux qui ont été lésés par le changement technologique, sont des mesures qui préservent motivation et opportunités d'innovation.

Dans le contexte des lois qui réglementent l'expression — ce qui inclut, évidemment, la loi sur le copyright — ce devoir est encore plus impérieux. Quand l'industrie, se plaignant des changements technologiques, exige du Congrès des mesures qui pèsent sur l'expression et la créativité, les politiciens devraient être particulièrement prudents. C'est toujours une mauvaise pratique pour le gouvernement de réglementer les marchés de l'expression. Les risques encourus à ce jeu là sont précisément ceux pour lesquels les auteurs de notre constitution ont institué le premier amendement : « Le Congrès ne doit édicter aucune loi... restreignant la liberté d'expression ». Ainsi, lorsqu'on demande au Congrès d'examiner une loi qui risque de « restreindre » la liberté d'expression, il devrait examiner - et soigneusement - si une telle réglementation est justifiée.

L'argument que je vais développer maintenant, n'a rien a voir avec l'hypothèse selon laquelle les changements réclamés par les défenseurs du copyright sont « justifiés ». Cet argument concerne leurs effets. Mais avant d'en venir à la question de la justification, une question difficile qui dépend beaucoup de vos valeurs personnelles, il faut d'abord se demander si nous évaluons bien les conséquences des changements que souhaite l'industrie du contenu.

Voici une métaphore qui illustrera l'argumentation qui suit.

En 1873, le DDT a été synthétisé pour la première fois. En 1948, le chimiste suisse Paul Hermann Muller a reçu le prix Nobel pour son travail démontrant les propriétés insecticides du DDT. Dans les années 50, cet insecticide a été très largement utilisé pour combattre les parasites porteurs de maladie, ainsi que pour augmenter la production agricole.

Personne ne met en doute le fait que supprimer des parasites ou augmenter la production du bétail soit une bonne chose. Personne ne met en doute le fait que le travail de Muller a été de valeur et qu'il a probablement sauvé des vies, peut-être même des millions.

Mais en 1962, Rachel Carson a publié Printemps silencieux, qui démontre que le DDT, quels qu'aient été les bienfaits qu'il a apportés au début, a eu aussi des conséquences imprévues sur l'environnement. Les oiseaux ont perdu leur capacité à se reproduire, toute la chaîne écologique a été détruite.

Personne n'a pour but de détruire l'environnement et Paul Muller n'a certainement jamais voulu faire de mal aux oiseaux. Mais l'effort déployé pour résoudre un ensemble de problèmes a produit un autre ensemble de problèmes, bien plus graves aux yeux de certains que ceux qu'on avait cherché à résoudre en premier lieu. Ou plus précisément, les problèmes causés par le DDT ont été pires que ceux qu'il a résolus, du moins si l'on considère les autres manières, plus écologiques, d'atteindre le but qu'il était censé atteindre.

C'est précisément à cette image que James Boyle, professeur de droit à l'Université de Duke, fait appel lorsqu'il soutient que nous avons besoin d'une « écologie » de la culture[124]. Dans sa perspective, tout comme dans celle que je défend dans ce chapitre, le problème n'est pas que le but du copyright est mauvais, ou que les auteurs ne devraient pas être payés pour leur travail, ou que la musique devrait être distribuée « gratuitement ». Ce qui compte, c'est que certains des moyens que nous pourrions employer pour protéger les auteurs risquent d'avoir des conséquences imprévisibles pour l'environnement culturel, tout comme le DDT en a eues pour l'environnement naturel. Et, tout comme les critiques faites au DDT ne constituent pas une apologie de la malaria ou une attaque contre les agriculteurs, de même la critique d'un ensemble particulier de mesures de protection du copyright ne constitue pas une apologie de l'anarchie ou une attaque de leurs auteurs. Nous cherchons seulement un environnement favorable à la création, et nous devrions prêter attention aux conséquences de nos actions sur cet environnement.

Mon argumentation, dans le cadre de ce chapitre, tente de cartographier ces conséquences. Il n'y a aucun doute sur le fait qu'Internet a eu un effet spectaculaire sur la capacité des détenteurs de copyright à protéger leurs contenus. Mais il ne devrait non plus y avoir que peu de doute sur le fait que si vous additionnez les changements effectués au fil du temps aux lois concernant le copyright au changement technique qu'Internet subit à l'heure actuelle, le résultat ne se réduira pas à une protection efficace des oeuvres sous copyright. Le résultat de cette augmentation massive de protection sera dévastateur pour l'environnement de la créativité.

En une phrase : pour nous débarrasser d'un moustique, nous répandons du DDT, avec des effets sur la culture libre bien plus dévastateurs que ceux qu'aurait causés ce moustique.

10.2. Débuts

L'Amérique a copié les lois anglaises sur le copyright. En fait, nous les avons copiées en les améliorant. Notre constitution rend le but de la « propriété des créations » très clair ; les limitations explicites de ces lois renforcent l'intention initiale des anglais d'éviter que les éditeurs aient un pouvoir excessif.

Le pouvoir d'établir les lois concernant la « propriété des créations » est accordé au Congrès d'une manière qui, pour notre constitution du moins, est très bizarre. L'Article I, section 8, clause 8 de notre Constitution établit que :

Le Congrès a le pouvoir de promouvoir le Progrès des Sciences et Techniques, en assurant pour une durée limitée aux Auteurs et Inventeurs un Droit exclusif sur leurs Écrits et Découvertes respectifs.

Nous pouvons appeler cela une « clause de progrès », pour mettre en lumière ce que cette clause ne dit pas. Elle ne dit pas que le Congrès a le pouvoir d'accorder des « droits de propriété sur les créations ». Elle dit que le Congrès a le pouvoir de promouvoir le progrès. Son objet est d'accorder un pouvoir, et il s'agit d'un but public, pas le but d'enrichir des éditeurs, ni même initialement de rémunérer les auteurs.

La clause de progrès limite explicitement la durée du copyright. Comme nous l'avons vu au chapitre 6, les anglais ont limité la durée du copyright pour garantir qu'un petit nombre ne puisse pas exercer un contrôle disproportionné sur la culture en ayant un contrôle exagéré sur la publication. Nous pouvons supposer que les auteurs de la Constitution ont imité les anglais dans un but similaire. En fait, contrairement aux anglais, ces auteurs ont renforcé cet objectif en exigeant que le copyright ne s'applique qu'aux « auteurs ».

La conception de cette clause de progrès reflète la conception de la Constitution en général. Lorsqu'ils voulaient éviter un problème, ses auteurs ont établi une structure. Pour ne pas concentrer le pouvoir aux mains des éditeurs, ils ont établi une structure qui exclut les éditeurs du copyright et n'accorde qu'une durée brève à celui-ci. Pour ne pas concentrer le pouvoir aux mains d'une église, ils ont interdit au gouvernement de fonder une église. Pour ne pas concentrer le pouvoir aux mains du gouvernement fédéral, ils ont créé des structures qui étendent le pouvoir des états — ce qui inclut le Sénat dont les membres à cette époque étaient désignés par les états, et un collège électoral, lui aussi désigné par les états, pour choisir le président. Dans chaque cas, il y a une structure qui exerce une surveillance et créé un équilibre dans le cadre constitutionnel, conçue pour éviter une concentration de pouvoir qui serait inévitable autrement.

Je ne pense pas que les auteurs de notre constitution reconnaitraient le règlement que nous appelons « copyright » (NDT : « droit-de-copie ») aujourd'hui. Le champ d'application de ce règlement va bien au delà de tout ce qu'ils ont pu imaginer. Pour commencer à comprendre ce qu'ils ont fait, il faut replacer notre « copyright » dans son contexte : il faut voir en quoi il a changé pendant les 210 années écoulées depuis sa conception.

Certains de ces changements proviennent de la loi : certains pour tenir compte de changements technologiques et certains pour tenir compte de changements technologiques dans le contexte d'une concentration particulière de pouvoir au niveau du marché. Dans le langage de notre modèle, nous sommes partis d'ici :

Figure 10.5. 


Nous finirons là :

Figure 10.6. 


Je vais maintenant m'expliquer.

10.3. Loi : durée

Lorsque le premier Congrès a édicté des lois pour protéger la propriété des créations, il s'est trouvé en face de la même incertitude concernant le statut de cette propriété auquel les anglais avaient été confrontés en 1774. Beaucoup d'états avaient fait passer des lois protégeant la propriété des créations, et certains pensent que ces lois ne faisaient que compléter les lois ordinaires protégeant déjà la création[125]. Ce qui signifie qu'il n'y avait pas de domaine public garanti aux États Unis en 1790. Si les copyrights étaient protégés par la loi commune, alors il n'y avait aucun moyen simple de savoir si une oeuvre publiée aux États Unis était libre ou sous protection. Tout comme en Angleterre, cette incertitude durable empêchait les éditeurs de se reposer sur un domaine public pour la republication et la diffusion des oeuvres.

Cette incertitude a pris fin lorsque le Congrès a voté une législation accordant des copyrights. Comme la loi fédérale a précédence sur toute loi contraire d'un état, les protections fédérales des oeuvres sous copyright annulent toute protection due à la loi d'un état. Tout comme en Angleterre le « statut d'Anne » garantit que les copyrights de toutes les oeuvres anglaises finissent par expirer, une loi fédérale stipulait que tout copyright accordé par un état devait expirer également.

En 1790, le Congrès a édicté la première loi sur le copyright. Il a institué un copyright fédéral et garanti ce copyright pour quatorze ans. Si l'auteur était encore en vie à l'issue de ces quatorze années, alors il pouvait choisir de renouveler ce copyright pour quatorze autres années. S'il ne le renouvelait pas, son oeuvre passait dans le domaine public.

Alors que de nombreuses oeuvres ont été créées aux États Unis pendant les dix premières années de la république, seulement 5 pour cent de ces oeuvres étaient en fait enregistrées sous le régime du copyright fédéral. De toutes les oeuvres créées aux États Unis avant 1790 et de 1790 à 1800, 95 pour cent sont passées immédiatement dans le domaine public ; le domaine public a eu un poids prépondérant pendant vingt huit ans au moins, et probablement pendant quarante ans[126].

Ce système de renouvellement constituait une pièce critique du système américain de copyright. Il garantissait que la durée maximum du copyright serait accordée uniquement lorsque c'était souhaitable. À l'issue de la période initiale de quatorze ans, si l'auteur ne prenait pas la peine de renouveler le copyright, alors ce n'était pas la peine que la société maintienne le copyright non plus.

Quatorze ans ne semblent peut-être pas une longue période de temps pour nous, mais pour la grande majorité des détenteurs de copyright à cette époque, c'était bien assez long : seule une petite minorité d'entre eux renouvelait leur copyright ; la mesure permettait que leur travail passe dans le domaine public[127].

Encore aujourd'hui, cette structure serait pertinente. La plupart des créations n'a qu'une vie commerciale de quelques années. La plupart des livres sont épuisés en moins d'un an[128]. Lorsque cela se produit, la vente des livres d'occasion n'est plus soumise aux règles du copyright. Ainsi les livres ne sont plus de fait sous le contrôle du copyright. Le seul usage commercial de ces livres est la vente de livres d'occasion ; cet usage — qui n'implique pas de publication — est libre en effet.

Au cours des cent premières années de la République, la durée du copyright a changé une fois. En 1831, cette durée est passée d'un maximum de 28 ans à un maximum de 42 ans en augmentant la durée initiale du copyright de 14 à 28 ans. Dans les cinquante ans qui ont suivi, cette durée a augmenté une nouvelle fois. En 1909, le Congrès a étendu la durée de la période de renouvellement de 14 à 28 ans, portant la durée maximum à 56 ans.

Puis, au début de 1962, le Congrès a adopté une pratique qui a servi depuis à définir la loi sur le copyright. Onze fois durant les quarante dernières années, le Congrès a augmenté la durée de copyrights existants ; deux fois durant cette période, il a allongé la durée de futurs copyrights. Au début, ces allongements étaient courts, de l'ordre de un à deux ans. En 1976, le congrès a allongé tous les copyrights existants de dix neuf ans. Et en 1998, avec le « Sonny Bono Copyright Term Extension Act », il a allongé la durée des copyrights existants et futurs de vingt ans.

L'effet de ces allongements est simplement de pénaliser, ou de retarder, le passage des oeuvres dans le domaine public. Ce dernier allongement signifie que le domaine public a été pénalisé de trente neuf ans à partir de cinquante cinq ans, ce qui fait une augmentation de 70 pour cent depuis 1962. Donc, pendant les vingt ans qui s'écouleront après l'édiction du « Sonny Bono Act », tandis qu'un million de brevets tomberont dans le domaine public, aucun copyright n'arrivera à l'expiration de sa durée légale.

L'effet de ces allongements a encore été exagéré par un autre changement, peu remarqué de la loi sur le copyright. Souvenez-vous, j'ai dit que les initiateurs de la loi avaient prévu un régime en deux temps, obligeant un détenteur de copyright à le renouveler à l'issue de sa durée initiale. Cette exigence de renouvellement permettait que les oeuvres pour lesquelles la protection du copyright n'était plus nécessaire passent plus vite dans le domaine public. Les oeuvres restant protégées étant celles qui continuaient d'avoir une valeur commerciale.

Les États Unis ont abandonné ce système raisonnable en 1976. Pour les oeuvres créées après 1978, il n'a plus existé qu'une seule durée du copyright — la durée maximale. Pour des auteurs « personnes physiques », cette durée était de cinquante ans après leur mort. Pour les entreprises, cette durée était de soixante quinze ans. Puis, en 1992, le Congrès a abandonné l'exigence de renouvellement pour toutes les oeuvres créées avant 1978. A toutes les oeuvres encore sous copyright était accordé la durée maximale possible. Après le Sonny Bono Act, cette durée était de quatre vingt quinze ans.

Ce changement faisait que la loi américaine n'avait plus aucun moyen de garantir automatiquement que les oeuvres n'étant plus exploitées tombent dans le domaine public. Le domaine public est devenu orphelin après ces changements de législation. Malgré l'exigence d'avoir une durée « limitée », nous n'avons aucune preuve que quelque chose la limitera.

L'effet de ces changements sur la durée moyenne du copyright est considérable. En 1973, plus de 85 pour cent des détenteurs de copyright négligeaient de le renouveler, ce qui fait que la durée moyenne du copyright en 1973 n'était que 32,2 ans. Par suite de la suppression de l'exigence de renouvellement, la durée moyenne du copyright est la durée maximale. En trente ans, la durée moyenne a triplé, passant de 32,2 ans à 95 ans[129].

10.4. Loi : étendue

L'« étendue » d'un copyright est l'éventail des droits accordés par la loi. L'étendue du copyright américain a changé de façon spectaculaire. Ces changements ne sont pas forcément mauvais, mais il faut en comprendre l'importance si nous voulons garder cette discussion dans son contexte.

En 1970, cette étendue était très restreinte. Le copyright couvrait uniquement « les cartes, les graphiques et les livres ». Cela ne concernait donc pas, par exemple, la musique ou l'architecture. Plus précisément, le copyright donnait à l'auteur le droit exclusif de « publier » l'oeuvre sous copyright. Ce qui veut dire que quelqu'un ne violait le copyright que s'il rééditait l'oeuvre sans la permission du détenteur du copyright. Enfin, le droit accordé par le copyright était un droit exclusif sur un livre bien précis. Ce droit ne s'étendait pas à ce que les juristes appellent « les travaux dérivés ». Par conséquent, il n'interférait pas avec le droit de n'importe qui en dehors de l'auteur de traduire un livre sous copyright, ou d'adapter l'histoire à un autre mode de présentation (comme une pièce de théâtre basée sur un livre publié).

Cela aussi a changé considérablement. Tandis qu'il est très difficile de le décrire en des termes simples et généraux, ce droit couvre pratiquement toute oeuvre qui prend une forme tangible. Il couvre aussi bien la musique que l'architecture, le théâtre que les programmes d'ordinateur. Il donne au détenteur du copyright non seulement le droit exclusif de « publier » l'oeuvre, mais aussi celui contrôler toute « copie » de cette oeuvre. Le plus important en ce qui concerne notre propos actuel est que le droit donne au détenteur du copyright tout contrôle non seulement sur son oeuvre proprement dite, mais aussi sur toute « oeuvre dérivée ». De cette façon, le droit protège plus de créations, les protègent de façon plus complète et protègent les oeuvres basées de façon significative sur la création initiale.

En même temps que le champ du copyright s'est étendu, les limitations restreignant les procédures se sont assouplies. Je viens de décrire la suppression complète de l'exigence de renouvellement en 1992. En plus de cette exigence de renouvellement, pendant la plus grande partie de l'histoire de la loi américaine sur le copyright, il y a eu l'exigence que l'oeuvre soit enregistrée avant de jouir de la protection. Il y a eu également l'exigence que toute oeuvre sous copyright soit marquée du fameux (C) ou du mot copyright. Et pendant tout ce temps, on a exigé que les oeuvres soient placées en dépôt auprès du gouvernement avant que le copyright puisse être garanti.

La raison pour cette obligation d'enregistrement était la compréhension sensible que pour la plupart des oeuvres, aucun copyright n'était requis. Une fois encore, pendant les dix premières années de la République, 95 pour cent des oeuvres éligibles au copyright ne furent jamais mises sous copyright. Ainsi, la règle fut le reflet de la norme : la plupart des oeuvres n'avaient apparemment pas besoin de copyright, donc l'enregistrement limitait la régulation de la loi aux quelques qui le faisaient. Le même raisonnement justifiait l'exigence qu'une oeuvre devait être marquée comme étant sous copyright — il était ainsi facile de savoir si un copyright était revendiqué. L'exigence que les oeuvres soient déposées était d'assurer qu'une fois le copyright expiré, il y aurait une copie de l'oeuvre quelque part afin qu'elle puisse être copiée par d'autres sans avoir à localiser l'auteur original.

Toutes ces « formalités » furent abolies dans le système américain quand nous avons décidé de suivre la loi de copyright européenne. Il n'y a pas d'obligation que vous enregistriez une oeuvre pour obtenir un copyright ; le copyright est maintenant automatique ; le copyright existe que vous marquiez ou non votre oeuvre avec un (C) ; et le copyright existe que vous rendiez disponible ou non une copie à d'autres pour qu'ils la reproduisent.

Considérez un exemple pratique pour comprendre la portée de ces différences.

Si, en 1970, vous aviez écrit un livre et que vous étiez un des 5 pour cent qui ont réellement placé ce livre sous copyright, alors la loi du copyright vous protégeait contre d'autres éditeurs voulant prendre votre livre et le rééditer sans votre permission. Le but de cet acte était de réguler les éditeurs afin d'empêcher ce type de compétition injuste. En 1790, il y avait 174 éditeurs aux États-Unis[130]. La loi sur le copyright était donc une réglementation minuscule d'une proportion minuscule d'une part minuscule du marché créatif des États-Unis — les éditeurs.

La loi laissait les autres créateurs totalement déréglementés. Si je copiais votre poème à la main, encore et encore, afin de l'apprendre par coeur, mon acte serait totalement non régulé par la loi de 1970. Si je prenais votre nouvelle et en faisait une pièce de théatre, ou si je la traduisait ou l'abrégeait, aucune de ces activités ne serait régulée par la loi sur le copyright. Ces activités créatives resteraient libres, tandis que les activités des éditeurs seraient restreintes.

Aujourd'hui, l'histoire est très différente : si vous écrivez un livre, votre livre est automatiquement protégé. En effet, pas seulement votre livre. Chaque courriel, chaque note de votre conjoint, chaque griffonnage, chaque acte créatif qui est réduit à une forme tangible — tout ceci est automatiquement placé sous copyright. Il n'y a pas besoin d'enregistrer ou de marquer votre travail. La protection est une conséquence de la création, et non pas des étapes que vous effectuez pour la protéger.

Cette protection vous donne le droit (sujet à une portée limitée d'exceptions de type usage loyal) de contrôler comment les autres copient votre oeuvre, qu'ils la copient pour la rééditer ou pour en partager un extrait.

Tout ceci est la partie évidente. N'importe quel système de droit d'auteur contrôlerait la publication concurrente. Mais il y a une seconde partie dans le copyright d'aujourd'hui qui n'est pas du tout évidente. C'est la protection des « droits dérivés ». Si vous écrivez un livre, personne ne peut en faire un film sans permission. Personne ne peut le traduire sans permission. CliffsNotes (NdT : une série de livres scolaires analysant des oeuvres littéraires) ne pourrait pas en faire un résumé à moins que la permission en soit accordée. Le copyright, en d'autres termes, est maintenant non seulement un droit exclusif sur vos écrits, mais un droit exclusif sur vos écrits et une grande proportion des écrits inspirés par eux.

C'est ce droit dérivatif qui semblerait le plus bizarre à nos législateurs, bien qu'il soit devenu comme une seconde nature pour nous. À l'origine, cette expansion a été créée pour avoir affaire aux contournements évidents d'un copyright plus étroit. Si j'écris un livre, pouvez-vous changer un mot et revendiquer un copyright sur un livre nouveau et différent ? Évidemment cela serait une blague pour le copyright, et donc la loi a été correctement étendue pour inclure ces légères modifications au même titre que les oeuvres originales mot pour mot.

En empêchant cette blague, la loi a créé un pouvoir étonnant à l'intérieur d'une culture libre — tout du moins, c'est étonnnant quand vous comprenez que la loi s'applique pas uniquement à l'éditeur commercial mais aussi à n'importe qui possédant un ordinateur. Je comprends le tort qu'il y a dans la duplication et la revente de l'oeuvre de quelqu'un d'autre. Mais pour antant que cela soit répréhensible, transformer l'oeuvre de quelqu'un d'autre est de nature différente. Certains voient la transformation comme n'étant pas mauvaise du tout — ils croient que notre loi, tels que les législateurs l'ont écrite, ne devrait pas du tout protéger les droits dérivatifs[131]. Que vous alliez ou non aussi loin, il semble simple que quel que soit le tort causé, il est fondamentalement différent du tort de la piraterie directe.

Et pourtant la loi du copyright traite ces deux torts différents de la même manière. Je peux aller devant les tribunaux et obtenir une injonction contre votre piratage de mon livre. Je peux aller devant les tribunaux et obtenir une injonction contre votre usage transformatif de mon livre[132]. Ces deux différents usages de mon oeuvre créative sont traitées de la même manière.

Ceci encore peut vous sembler juste. Si j'ai écrit un livre, alors pourquoi auriez-vous le droit d'écrire un film qui reprend mon histoire et gagne de l'argent dessus sans me payer ou me donner crédit ? Ou si Disney crée une créature appelée « Mickey Mouse », pourquoi auriez-vous le droit de fabriquer des jouets Mickey Mouse et d'être la personne qui fait commerce sur la valeur que Disney a originellement créée ?

Ce sont de bons arguments, et, en général, mon idée n'est pas que les droits dérivatifs soient injustifiés. Mon but est en ce moment bien plus étroit : il est de simplement clarifier que cette expansion est un changement important des droits originellement accordés.

10.5. Loi et Architecture : Atteinte

Alors qu'à l'origine la loi régulait seulement les éditeurs, le changement dans l'étendue du copyright signifie que la loi régule aujourd'hui les éditeurs, les utilisateurs et les auteurs. Elle les régule car tous trois sont capables de faire des copies, et le coeur de la régulation de la loi du coyright est la copie[133].

« Copie ». Cela sonne certainement comme l'évidence même que c'est ce que la loi du copyright doit réguler. Mais comme avec l'argument de Jack Valenti au début de ce chapitre, que la « propriété créative » mérite les « mêmes droits » que toutes les autres propriétés, c'est le mot évident auquel nous devons faire le plus attention. Car tandis qu'il peut être évident que dans le monde avant Internet, les copies étaient le déclencheur évident de la loi du copyright, à la réflexion, il devrait être évident que dans le monde avec Internet, les copies ne devraient pas être le déclencheur de la loi du copyright. Plus précisément, elles ne devraient pas toujours l'être.

C'est peut-être la revendication centrale de ce livre, donc laissez-moi m'y prendre très lentement afin que l'idée ne soit pas facilement manquée. Mon argument est qu'Internet devrait au moins nous forcer à repenser les conditions sous lesquelles la loi du copyright s'applique automatiquement[134], car il est clair que l'étendue actuelle du copyright n'a jamais été envisagée, et encore moins choisie, par les législateurs qui ont ordonné la loi du copyright.

Nous pouvons voir cette idée de manière abstraite en commençant par ce cercle en grande partie vide.

Figure 10.7. 


Pensez à un livre dans l'espace réel, et imaginez ce cercle comme représentant toutes ses utilisations potentielles. La plupart d'entre elles sont non régulées par la loi du copyright, car elles ne créent pas de copie. Si vous lisez un livre, cet acte n'est pas régulé par la loi du copyright. Si vous donnez le livre à quelqu'un, cette acte n'est pas régulé par la loi du copyright. Si vous revendez un livre, cet acte n'est pas régulé (la loi du copyright stipule expressément qu'après la première vente d'un livre, le détenteur du copyright ne peut pas imposer davantage de conditions sur la mise à disposition de ce livre). Si vous dormez sur le livre ou l'utilisez pour surélever une lampe ou laissez votre chiot le mordiller, ces actes ne sont pas régulés par la loi du copyright, car ces actes ne créent pas de copie.

Figure 10.8. 


Évidemment, toutefois, certaines utilisations d'un livre sous copyright sont régulées par la loi du copyright. Rééditer ce livre, par exemple, crée une copie. Cela est donc régulé par la loi du copyright. En effet, cet usage particulier se tient au coeur du cercle des usages possibles d'une oeuvre sous copyright. C'est l'utilisation paradigmatique correctement régulée par la régulation du copyright (voir le premier diagramme 10.9).

Figure 10.9. 


Enfin, il existe une minuscule bande d'usages autrement régulés qui restent non régulés car la loi les considère comme de l'« usage loyal »

Ce sont des utilisations qui elles-même impliquent la copie, mais que la loi traite comme non régulées parce que la politique publique exige qu'elles restent non régulées. Vous êtes libre de tirer des citations de ce livre, même pour une chronique plutôt négative, sans ma permission, malgré que citer crée une copie. Cette copie donnerait normalement au détenteur du copyright les droits exclusifs de dire si la copie est permise ou pas, mais la loi refuse au détenteur tout doit exclusif sur de tels « usages loyaux » en raison de la politique publique (et probablement du Premier Amendement).

Figure 10.10. 


Dans l'espace réel, donc, les utilisations possibles d'un livre sont divisées en trois sortes : (1) utilisations non régulées, (2) utilisations régulées et (3) utilisations régulées qui sont néanmois considérées comme « justes » sans se soucier de l'opinion du détenteur du copyright.

Arrive Internet — un réseau distribué et numérique où chaque utilisation d'une oeuvre sous copyright produit une copie[135]. Et à cause de cette seule et arbitraire caractéristique de la conception d'un réseau numérique, l'étendue de la catégorie 1 change nettement. Des usages qui étaient auparavant présumés non régulés sont maintenant présumés régulés. Il n'y a plus un ensemble d'usages présumés non régulés qui définissent uen liberté associée à une oeuvre sous copyright. Au lieu de cela, chaque usage est maintenant soumis au copyright, parce que chaque usage crée également une copie — la catégorie 1 se fait avaler par la catégorie 2. Et ceux qui défendianet les utilisations non régulées d'oeuvres sous copyright doivent regarder exclusivement la catégorie 3, les usages loyaux, pour supporter le fardeau de ce changement.

Soyons donc très spécifiques pour clarifier cette idée générale. Avant Internet, si vous achetiez un livre et le lisiez dix fois, il n'y avait pas d'argument plausible lié au copyright selon lequel le détenteur du copyright pouvait effectuer le contrôle de l'utilisation de son livre. La loi du copyright n'aurait rien eu à dire à propos de si vous lisiez le livre une fois, dix fois ou chaque soir avant de vous coucher. Aucune de ces instances d'utilisation — la lecture — ne pouvait être régulée par la loi du copyright car aucune de ces utilisations ne produisait de copie.

Mais ce même livre en tant que livre électronique est efficacement réglemeté par un ensemble différent de règles. Maintenant si le détenteur du copyright dit que vous pouvez lire le livre seulement une fois ou seulement une fois par mois, alors la loi du copyright' aiderait le détenteur du copyright à exercer ce degré de contrôle, à cause de la caractéristique accidentelle de la loi du copyright qui déclenche son application selon qu'il y ait une copie. Maintenant si vous lisez le livre dix fois et que la licence dit que vous ne pouvez le lire que cinq fois, alors à chaque fois que vous lisez le livre (ou n'importe quelle partie de lui) au-delà de la cinquième fois, vous faites une copie du livre contrairement à la volonté du détenteur du copyright.

Figure 10.11. 


Il y a certaines personnes qui pensent que c'est parfaitement sensé. Mon but en ce moment n'est pas de discuter si cela est sensé ou pas. Mon but est seulement de clarifier le changement. Une fois que vous voyez cette idée, quelques autres idées deviennent également claires :

Tout d'abord, faire disparaître la catégorie 1 n'a jamais été voulu par quelconque décideur. Le congrès n'a pas pensé à travers l'écroulement des utilisations présumées non régulées des oeuvres sous copyright. Il n'y a aucune preuve que les décideurs avaient cette idée en tête quand ils ont permis à notre politique, dont il est ici question, de changer. Les utilisations non régulées étaient une partie importante de la culture libre avant Internet.

Deuxièmement, ce changement est particulièrement troublant dans le contexte des utilisations transformatrices de contenu créatif. Encore une fois, nous pouvons tous comprendre le mal dans le piratage comemrcial. Mais la loi prétend maintenant réguler n'importe quelle transformation que vous faites d'une oeuvre créative en utilisant une machine. Le « copier coller » et le « couper coller » deviennent des crimes. Bricoler une histoire et la diffuser à d'autres expose le bricoleur à au moins une condition de justification. Aussi troublante soit cette expansion en ce qui concerne la copie d'une oeuvre particulière, elle est extraordinairement troublante en ce qui concerne les usages transformatifs d'une oeuve créative.

Troisièmement, ce changement de la catégorie 1 en catégorie 2 pose un fardeau extraordinaire sur la catégorie 3 (« usage loyal ») que l'usage loyal n'avait jamais eu à supporter auparavant. Si un détenteur de copyright essayait maintenant de contrôler combien de fois je peux lire un livre en ligne, la réponse naturelle serait d'affirmer que c'est une violation de mes droits d'usage loyal. Mais il n'y a jamais eu de litige à propos de si j'ai un droit d'usage loyal de lire, car avant Internet, le fait de lire ne déclenchait pas l'application de la loi du copyright et ainsi de défense contre l'usage loyal. Le droit de lire était effectivement protégé auparavant car lire n'était pas régulé.

Cette idée à propos d'usage loyal est totalement ignorée, même par les défenseurs de la culture libre. Nous avons été coincés dans la discussion que nos droits ne dépendent pas de l'usage loyal — sans jamais même adresser la question précédentes à propos de l'expansion dans la régulation effective. Une protection mince ancrée dans l'usage loyal a du sens quand la majorité des utilisations est non régulée. Mais quand tout devient présumé régulé, alors les protections de l'usage loyal ne suffisent pas.

Le cas de Video Pipeline est un bon exemple. Video Pipeline était fabriquant de « bandes annonces » pour des films disponibles dans les magasins de vidéos. Les magasins de vidéos diffusaient les bandes annonces pour vendre les vidéos. Video Pipeline a obtenu les bandes anonces des distributeurs de films, mis les bandes annonces sur bande, et vendu les bandes aux magasins.

L'entreprise a fait ceci pendant environ quinze ans. Puis, en 1997, elle commença à penser à Internet en tant qu'autre moyen de distribuer ces aperçus. L'idée était d'étendre leur technique de « vente par échantillon » en donnant aux magasins en ligne la même possibilité de permettre la « navigation ». Tout comme dans une librairie vous pouvez lire quelques pages d'un livre avant de l'acheter, donc, vous pourriez aussi voir un bout du film en ligne avant de l'acheter.

En 1998, Video Pipeline informa Disney et d'autres distributeurs de film qu'elle avait l'intention de distribuer les bandes annonces sur Internet (plutôt qu'en envoyant des bandes) aux distributeurs de leurs vidéos. Deux ans plus tard, Disney demanda à Video Pipeline d'arrêter. Le propriétaire de Video Pipeline demanda à Disney de parler de ce sujet — il avait construit une activité sur la distribution de ce contenu comme un moyen d'auder Disney à vendre ses films ; il avait des clients qui dépendaient de sa diffusion de contenu. Disney acceptait de parler seulemetn si Video Pipeline arrêtait la distribution immédiatement. Video Pipeline pensait que cela faisait partie de leurs droits « d'usage loyal » de distribuer des extraits comme ils le faisaient. Donc ils intentèrent un procès pour demander à la cour de déclarer que ces droits étaient en fait leurs droits.

Disney a contrepoursuivi en justice — pour 100 millions de dollars de dommages et intérêts. Ces dommages et intérêts ont été basés sur une plainte que Video Pipeline avait « délibérément violé » le copyright de Disney. Quand un tribunal fait une découverte d'infraction délibérée, il peut accorder des dommages et intérêts non pas sur la base du préjudice réel au détenteur du copyright, mais sur la base d'une quantité spécifiée dans la loi. Parce que Video Pipeline avait diffusé sept cents extraits de films Disney pour permettre aux magasins de vidéos de vendre des copies de ces films, Disney poursuivait désormais Video Pipeline pour 100 millions de dollars.

Disney a le droit de contrôler sa propriété, bien sûr. Mais les magasins de vidéos qui vendaient les films de Disney avaient également quelque sorte de droit de pouvoir vendre les films qu'ils avaient acheté à Disney. La revendication de Disney au tribunal était que les magasins étaient autorisés à vendre les films et étianent autorisés à lister les titres des films qu'ils vendaient, mais n'étaient pas autorisés à montrer des extraits des films dans le but de les vendre sans la permission de Disney.

Maintenant, vous pensez peut-être que c'est un cas proche, et je pense que les tribunaux le considérerait comme un cas proche. Je vais ici cartographier le changement qui donne ce pouvoir à Disney. Avant Internet, Disney ne pouvait pas vraiment contrôler comment les gens ont accès à son contenu. Une fois qu'une vidéo était sur le marché, la « doctrine de la première vente » donnait au vendeur la liberté d'utiliser la vidéo comme il le désirait, incluant le fait de montrer des portions d'elle afin d'engendrer des ventes de la vidéo complète. Mais avec Internet, il devient possible à Disney de centraliser le contrôle sur l'accès à ce contenu. Parce que chaque utilisation d'Internet produit une copie, l'utilisation sur Internet devient soumise au contrôle du détenteur du copyright. La technologie étend la portée du contrôle efficace, parce que la technologie construit une copie dans chaque transaction.

Sans doute, une possibilité n'est pas encore un abus, et donc la possibilité de contrôle n'est pas encore un abus de contrôle. Barnes & Noble (NdT : une chaîne de librairies) a le droit de dire que vous ne pouvez pas toucher un livre sur un étalage dans leur boutique ; la loi de propriété leur donne ce droit. Mais le marché protège efficacement contre cet abus. Si Barnes & Noble bannissait le feuilletage, alors les clients choisiraient d'autres librairies. La compétition protège contre les extrêmes. Et il se peut même (mon argument jusqu'à présent ne remet même pas cela en question) que la compétition empêcherait n'importe quel danger similaire quand il s'agit de copyright. Bien sûr, les éditeurs exerçant les droits que les auteurs leur ont donné peuvent essayer de réguler combien de fois vous lisez un livre, ou essayez de vous empêcher de partager le livre avec quiconque. Mais dans un marché compétitif tel que le marché du livre, le danger que cela arrive est assez léger.

Une fois de plus, mon but jusqu'à présent est simplement de cartographier les changements que cette architecture modifiée permet. Permettre à la technologie d'appliquer le contrôle du copyright signifie que le contrôle du copyright n'est plus défini par une politique équilibrée. Le contrôle du copyright est simplement ce que les propriétaires privés choisissent. Dans certains contextes, au moins, ce fait est inoffensif. Mais dans certains contextes, c'est une recette pour le désastre.

10.6. Architecture et Loi : Force

La disparition des utilisations non régulées serait déjà un changement assez grand, mais un second changement important provoqué par Internet amplifie sa signification. Ce second changement n'affecte pas la portée de la régulation du copyright ; il affecte comment une telle régulation est appliquée.

Dans le monde d'avant la technologie numérique, c'était généralement la loi qui contrôlait si quelqu'un était régulé par la loi du copyright. La loi, ce qui signifie une cour, ce qui signifie un juge : à la fin, c'était un humain, entrainé dans la tradition de la loi et conscient des équilibres que la tradition embrassait, qui disait si et comment une loi restreignait votre liberté.

Il y a une histoire célèbre à propos d'une bataille entre les Marx Brothers et Warner Brothers. Les Marx prévoyaient de faire une parodie de Casablanca. Warner Brothers objecta. Ils écrivirent une lettre menaçante aux Marx, les avertissant qu'il y aurait de graves conséquences légales si ils continuaient avec leur projet[136].

Cela a amené les Marx Brothers à répondre de la sorte. Ils avertirent Warner Brothers que les Marx Brothers « étaient frères bien avant que vous le soyiez ».[137] Les Marx Brothers possédaient ainsi le mot brothers, et si Warner Brothers insistait pour essayer de contrôler Casablanca, alors les Marx Brother insisteraient pour avoir le contrôle sur brothers.

Une menace absurde et creuse, bien sûr, parce que Warner Brothers, comme les Marx Brothers, savait qu'aucun tribunal n'appliquerait jamais une telle demande. Cette extrémisme était sans rapport avec les réelles libertés dont quiconque (y compris Warner Brothers) jouissait.

Sur Internet, toutefois, il n'y a pas de vérification sur les règles idiotes, parce que sur Internet, de plus en plus, les règles sont appliquées non pas par un humain mais par une machine : de plus en plus, les règles de la loi du copyright, telles qu'interprétées par le détenteur du copyright, sont construites dans la technologie que délivre le contenu sous copyright. C'est le code, plutôt que la loi, qui règne. Et le problème avec les régulations par le code est que, contrairement à la loi, le code n'a pas de honte. Le code n'aurait pas compris l'humour des Marx Brothers. La conséquence de ceci n'est pas drôle du tout.

Considérez la vie de mon Adobe eBook Reader (NdT : lecteur de livre électronique Adobe).

Un e-book est un livre livré sous forme électronique. Un Adobe eBook n'est pas un livre qu'Adobe a édité ; Adobe produit simplement le logiciel que les éditeurs utilisent pour livrer les e-books. Elle fournit la technologie, et les éditeurs livrent le contenu en utilisant la technologie.

Figure 10.12. 


Dans la figure 10.12 se trouve une image d'une vieille version de mon Adobe eBook Reader.

Comme vous pouvez le voir, j'ai une petite collection d'e-books dans cette bibliothèque d'e-books. Certains de ces livres reproduisent du contenu qui est dans le domaine public : Middlemarch, par exemple, est dans le domaien public. Certains d'entre eux reproduisent du contenu qui n'est pas dans le domaine public : mon propre livre L'avenir des idées n'est pas encore dans le domaine public. Considérez Middlemarch d'abord. Si vous cliquez sur ma copie e-book de Middlemarch, vous verrez une jolie couverture, et puis un bouton en bas appelé Permissions.

Si vous cliquez sur le bouton Permissions, vous allez voir une liste des permissions que l'éditeur prétend accorder avec ce livre.

Figure 10.13. 


D'après mon eBook Reader, j'ai la permission de copier dans le presse- papiers de l'ordinateur dix sélections de texte tous les dix jours. (Jusqu'à présent, je n'ai copié aucun texte dans le presse-papiers). J'ai également la permission d'imprimer dix pages du livre tous les dix jours. Pour finir, j'ai la permission d'utiliser le bouton Read Aloud (NdT : lire à voix haute) pour entendre Middlemarch lu par l'ordinateur.

Voici le e-book d'une autre oeuvre dans le domaine public (y compris les traductions) : La Politique" d'Aristote.

Figure 10.14. 


D'après ses permissions, aucune impression ni copie n'est permise du tout. Mais heureusement, vous pouvez utiliser le bouton Read Aloud pour écouter ce livre.

Figure 10.15. 


Enfin (et c'est le plus honteux), voici les permissions pour la version e-book originale de mon dernier livre, L'avenir des idées :

Figure 10.16. 


Pas de copie, pas d'impression, et ne vous avisez pas d'essayer d'écouter ce livre !

Maitenant, le Adobe eBook Reader appelle ces contrôles « permissions »—comme si l'éditeur avait le pouvoir de contrôler comment vous utilisez ces oeuvres. Pour des oeuvres soumises au copyright, le détenteur du copyright possède certainement le pouvoir—dans les limites de la loi du copyright. Mais pour des oeuvres non soumises au copyright, il n'existe pas de pouvoir de copyright[138]. Quand mon e-book de Middlemarch dit que j'ai la permission de copier seulement dix sélections de texte dans la mémoire tous les dix jours, ce que cela veut réellement dire est que le eBook Reader a permis à l'éditeur de contrôler comment j'utilise le livre sur mon ordinateur, bien au-delà du contrôle que la loi permettrait.

Au lieu de cela, le contrôle vient du code—de la technologie à l'intérieur de laquelle « vit » le livre électronique. Bien que le e-book dise que ce sont des permissions, ce ne sont pas la sorte de « permissions » à laquelle la plupart d'entre nous avons affaire. Quand une adolescente obtient la « permission » de sortir jusqu'à minuit, elle sait (à moins d'être Cendrillon) qu'elle peut sortir jusqu'à deux heures du matin, mais qu'elle subira une sanction si elle se fait prendre. Mais quans le Adobe eBook Reader dit que j'ai la permission de faire dix copies du texte dans la mémoire de l'ordinateur, cela signifie qu'après dix copies, l'ordinateur n'en fera pas plus. Pareil pour les restrictions d'impression : après dix pages, le eBook Reader n'en imprimera pas plus. C'est la même chose pour la restriction idiote qui dit que vous ne pouvez pas utiliser le bouton Read Aloud pour lire mon livre à voix haute—ce n'est pas que l'entreprise vous poursuivera en justice si vous le faites ; à la place, si vous appuyez sur le bouton Read Aloud avec mon livre, la machine ne lira simplement pas à voix haute.

Ce sont des contrôles, pas des permissions. Imaginez un monde où les Marx Brothers vendraient un logiciel de traitement de texte qui, quand vous tenteriez de taper « Warner Brothers », effacerait « Brothers » de la phrase.

C'est l'avenir de la loi du copyright : ce n'est pas tant la loi du copyright que le code du copyright. Les contrôles sur l'accès au contenu ne seront pas des contrôles ratifiés par les tribunaux ; les contrôles sur l'accès au contenu seront les contrôles qui seton codés par les programmeurs. Et alors que les contrôles qui sont construits dans la loi sont toujours amenés à être vérifiés par un juge, les contrôles qui sont construits dans la technologie n'ont pas de vérification incorporée similaire.

Quelle est l'importance de ceci ? N'est-il pas toujours possible de contourner les contrôles construits dans la technologie ? Auparavant, le logiciel était vendu avec des technologies qui limitaient la capacité des utilisateurs à le copier, mais c'étaient des protections triviales à défaire. Pourquoi ne sera-t-il pas trivial de défaire ces protections aussi ?

Nous n'avons fait qu'égratigner la surface de cette histoire. Retournez à l'Adobe eBook Reader.

Plus tôt dans la vie de l'Adobe eBook Reader, Adobe souffrait de relations publiques cauchemardesques. Parmi les livres que vous pouviez télécharger gratuitement sur le site de Adobe figurait une copie d' Alice au pays des merveilles. Ce merveilleux livre est dans le domaine public. Pourtant quand vous cliquiez sur Permissions pour ce livre, vous aviez le message suivant :

Figure 10.17. 


Voici un livre pour enfants du domaine public que vous n'êtes pas autorisé à copier, ni autorisé à prêter, ni autorisé à donner, et, comme l'indiquent les « permissions », ni autorisé à « lire à voix haute » !

Le cauchemar des relations publiques était attaché à cette dernière permission. Parce que le texte ne disait pas que vous n'étiez pas autorisé à utiliser le bouton Read Aloud ; il disait que vous n'aviez pas la permission de lire le livre à voix haute. Cela a amené certaines personnes à penser qu'Adobe restreignait le droit des parents, par exemple, de lire le livre à leurs enfants, ce qui semblait, c'est le moins qu'on puisse dire, absurde.

Adobe répondit rapidement qu'il était absurde de penser qu'elle essayait de restreindre le droit de lire un livre à voix haute. [Note : Quelle ironie intéressante pour Adobe de dire qu'il est « absurde » de restreindre un livre d'être lu à voix haute quand elle construit exactement cette capacité dans ses logiciels.] Évidemment c'était seulement restreindre la capacité d'utiliser le bouton Read Aloud pour avoir le livre lu à voix haute. Mais la question à laquelle Adobe n'a jamais répondu est celle-ci : est-ce que Adobe est donc d'accord pour qu'un client soit libre d'utiliser son logiciel pour bricoler autour des restrictions construites dans l'eBook Reader ? Si quelque entreprise (appelons-la Elcomsoft) développait un programme pour désactiver la protection technologique construite dans un Adobe eBook afin qu'ile personne aveugle, disons, puisse utiliser un ordinateur pour lire le livre à voix haute, est ce que Adobe serait d'accord qu'un tel usage de l'eBook Reader soit juste ? Adobe n'a pas répondu parce que la réponse, aussi absurde puisse-t-elle paraître, est non.

Ce n'est pas pour dire du mal d'Adobe. En effet, Adobe est parmi les entreprises les plus innovantes, développant des stratégies pour équilibrer l'accès ouvert au contenu avec des incitations pour que des entreprises innovent. Mais la technologie d'Adobe permet le contrôle, et Adobe a une motivation pour défendre ce contrôle. Cette motivation est compréhensible, mais ce qu'elle crée est parfois délirant.

Pour voir cette idée dans un contexte particulièrement absurde, considérez une de mes histoires préférées sur la même idée.

Considérez le chien robotique de Sony nommé « Aibo ». L'Aibo apprend des tours, fait des câlins et vous suit. Il ne mange que ne l'électricité et ne fait pas tant de dégâts que ça (au moins dans votre maison).

L'Aibo est cher et populaire. Des fans du monde entier ont monté des clubs pour échanger des histoires. Un fan en particulier a monté un site Web pour permettre de partager des informations sur le chien Aibo. Ce fan a monté aibopet.org (et aibohack.org, mais celui-ci mêne au même site), et sur ce site il a fourni des informations sur comment apprendre à un Aibo à faire des tours en plus de ceux que Sony lui a appris.

« Apprendre » a ici un sens spécial. Les Aibos sont juste des ordinateurs mignons. Vous apprenez à un ordinateur à faire quelque chose en le programmant différemment. Donc, dire qu'aibopet.com donnait des informations sur comment apprendre au chien à faire de nouveaux tours est juste une manière de dire qu'aibopet.com donnait aux utilisateurs de l'animal de compagnie Aibo l'information sur comment hacker (NdT : bricoler) leur « chien »-ordinateur pour lui faire faire de nouveaux tours (d'où le nom aibohack.com).

Si vous n'êtes pas programmeur ou ne connaissez pas beaucoup de programmeurs, le verbe hacker (NdT : en anglais, tailler ou découper) a une connotation particulièrement peu amicale. Les non-programmeurs taillent des buissons ou la mauvaise herbe. Les non- programmeurs dans des films d'horreur font encore pire. Mais pour les programmeurs, ou codeurs, comme je les appelle, hacker est un terme bien plus positif. Un hack veut juste dire du code qui permet au programme de faire quelque chose qu'il n'était pas prévu ou permis de faire. Si vous achetez une nouvelle imprimante pour un vieil ordinateur, vous verrez peut-être que le vieil ordinateur ne fait pas marcher, ou ne « pilote » pas, l'imprimante. Si vous découvrez ceci, vous seriez plus tard content de découvrir un hack sur le Net fait par quelqu'un qui a écrit un pilote pour permettre à l'ordinateur de contrôler l'imprimante que vous venez d'acheter.

Certains hacks sont faciles. D'autres sont incroyablement difficiles. Les hackeurs en tant que communauté aiment se défier eux-mêmes et mutuellement avec des tâches de plus en plus difficiles. Il y a un certain respect qui va avec le talent de bien hacker. C'est un respect bien mérité qui va avec le talent de hacker éthiquement.

Le fan de Aibo montrait un peu peu des deux quand il a hacké le programme et offert au monde un morceau de code qui permettait à l'Aibo de dansr le jazz. Le chien n'était pas programmé pour danser le jazz. C'était un bout intelligent de bricolage qui a transformé le chien en une créature plus talentueuse que celle que Sony avait construite.

J'ai raconté cette histoire dans de nombreux contextes, à la fois dans et en dehors des États-Unis. Une fois, un membre du public interloqué m'a demandé s'il était permis pour un chien de danser le jazz aux États- Unis ? Nous oublions que les histoires sur l'arrière-pays font toujours le tour d'une grande partie du monde. Soyons donc simplement clairs avant de continuer : ce n'est (plus maintenant) un crime nulle part de danser le jazz. Ce n'est pas non plus un crime d'apprendre à votre chien de danser le jazz. Cela ne devrait pas non plus être un crime (quoique nous n'avons pas beaucoup de quoi continuer ici) d'apprendre à votre chien à danser le jazz. Danser le jazz est une activité complètement légale. On imagine que le propriétaire d'aibopet.com a pensé : quels problèmes potentiels pourraient-ils y avoir à apprendre à un chien robot à danser ?

Mettons le chien en sourdine une minute, et tournons-nous vers un spectacle de poney — pas littéralement un spectacle de poney, mais plutôt un papier qu'un universitaire de Princeton nommé Ed Felten a écrit pour une conférence. Cet universitaire de Princeton est bien connu et respecté. Il a été embauché par le gouvernement dans l'affaire Microsoft pour évaluer les affirmations de Microsoft à propos de ce qui pouvait et ne pouvait pas être fait avec son propre code. Dans ce procès, il a fait preuve à la fois de sa grande intelligence et de sa décontraction. Soumis à un lourd harcèlement de la part des avocats de Microsoft, Ed Felten a maintenu son point de vue. On n'allait pas le museler par la force sur quelque chose qu'il connaissait très bien.

Mais la bravoure de Felten a été réellement mise à mal en avril 2001[139]. Lui et un groupe de collègues étaient en train de travailler sur un papier qui allait être soumis à conférence. Ce papier était destiné à décrire les faiblesses dans un système de chiffrement en cours de développement par Secure Digital Music Initiative en tant que technique pour contrôler la distribution de la musique.

La coalition SDMI avait pour but une technologie visant à permettre aux détenteurs de contenu d'exercer bien mieux le contrôle sur leur contenu que ce qu'Internet, tel qu'il était à l'origine, leur accordait. En utilisant le chiffrement, SDMI espérait développer un standard qui permettrait au détenteur de contenu de dire « cette musique ne peut pas être copiée », et d'avoir un ordinateur qui respecterait cette commande. La technologie devait faire partie d'un « système éprouvé » de contrôle qui ferait que les détenteurs de contenu feraient bien plus confiance au système d'Internet.

Quand SDMI pensa qu'elle était proche d'un standard, elle monta une compétition. En échange de fournir aux participants le code d'un morceau de contenu chiffré à la SDMI, les participants essayeraient de le faire sauter et, si ils réuississaient, rapporteraient les problèmes au consortium.

Felten et son équipe trouvèrent rapidement le système de chiffrement. Lui et son équipe virent la faiblesse de ce système en tant que type : de nombreux systèmes de chiffrement souffraient de la même faiblesse, et Felten et son équipe pensait que cela vaudrait le coup de le faire remarquer à ceux qui étudient le chiffrement.

Passons en revue ce que Felten était en train de faire. Encore une fois, ce sont les États-Unis. Nous avons un principe de liberté d'expression. Nous avons ce principe pas juste parce que c'est la loi, mais aussi parce que c'est une idée vraiment bonne. Une tradition de liberté d'expression fortement protégée a des chances d'encourager une large palette de critiques. Cette critique a des chances, en échange, d'améliorer les systèmes ou les gens ou les idées critiquées.

Ce que Felten et ses collègues étaient en train de faire était la publication d'un papier décrivant la faiblesse dans une technologie. Ils ne diffusaient pas de musique gratuite, ni ne construisaient ou ne déployaient cette technologie. Le papier était un essai académique, inintelligible pour la plupart des gens. Mais il montrait clairement la faiblesse dans le système SDMI, et pourquoi SDMI, comme présentément constitué, ne réussirait pas.

Ce qui lie ces deux-là, aibopet.com et Felten, sont les lettres qu'ils ont reçues. Aibopet.com a reçu une lettre de Sony à propos du hack de aibopet.com. Bien qu'un chien dansant le jazz soit parfaitement légal, Sony écrivit :

Votre site contient de l'information fournissant les moyens de passer outre le protocole de protection contre la copie du produit AIBO, constituant une violation des dispositions du Digital Millennium Copyright Act.

Et bien qu'un paper académique décrivant la faiblesse dans un système de chiffrement devrait également être parfaitement légal, Felten a reçu une lettre d'un avocat de la RIAA disant :

Toute divulgation d'information obtenue de la participation au Public Challenge serait hors du champ des activités permises par l'Accord et pourrait vous exposer vous et votre équipe de recherche à des actions sous le Digital Millennium Copyright Act (« DMCA »).

Dans les deux cas, cette loi étrangement orwellienne était invoquée pour contrôler la diffusion de l'information. Le Digital Millennium Copyright Act faisait de la diffusion de telles informations une offense.

Le DMCA a été ordonné comme réponse à la première peur des détenteurs de copyright concernant le cyberespace. La peur était que l'efficacité du contrôle du copyright soit morte ; la réponse était de trouver des technologies qui pourraient compenser. Ces nouvelles technologies seraient des technologies de protection de copyright—des technologies pour contrôles la réplication et la distribution de choses sous copyright. Elles étianet conçues comme code pour modifier le code original d'Internet, pour réétablir quelque protection pour les détenteurs de copyright.

Le DMCA était un morceau de loi destiné à confirmer la protection de ce code conçu pour protéger le contenu sous copyright. C'était, on pourrait dire, du code légal destiné à soutenir le code logiciel qui lui-même était destiné à soutenir le code légal du copyright.

Mais le DMCA n'a pas été conçu pour simplement protéger les oeuvres sous copyright dans la même mesure que la loi du copyright les protégeait. Sa protection, pour ainsi dire, ne s'est pas arrêtée à la ligne que la loi du copyright avait tracée. Le DMCA régulait des systèmes qui étaient conçus pour contourner des mesures de protection de copyright. Il était conçu pour bannir ces systèmes, que l'utilisation du contenu sous copyright rendue possible par ce contournement soit une violation du copyright ou pas.

Et justement, il y a Aibopet.com et Felten. Le hack du Aibo contournait un système de protection de copyright dans le but de permettre au chien de danser le jazz. Cette activation a sans doute impliqué l'utilisation de matériel sous copyright. Mais comme le site d'aibopet.com était non- commercial, et que l'utilisation ne permettait pas de violations ultérieures de copyright, il n'y a pas de doute que le hack d'aibopet.com était de l'usage loyal du matériel sous copyright de Sony. Pourtant l'usage loyal n'est pas une défense contre le DMCA. La question n'est pas si l'utilisation de matériel sous copyright est une violation du copyright. La question est si un système de protection de copyright a été contourné.

La menace contre Felten était plus atténuée, mais elle suivait la même ligne de raisonnement. En publiant un papier décrivant comment un système de protection de copyright pouvait être contourné, suggéra l'avocat de la RIAA, Felten lui-même était en train de distribuer une technologie de contournement. Ainsi, même si il ne violait pas lui-même le copyright de personne, son papier académique permettait à d'autres de violer le copyright d'autres.

La bizzarerie de ces arguments est capturée dans une caricature dessinée en 1981 par Paul Conrad. À cette époque, un tribunal de Californie avait affirmé que le magnétoscope pouvait être interdit car il était une technologie d'enfreignement du copyright : il permettait aux consommateurs de copier des filsm sans la permission du détenteur du copyright. Il y avait sans doute des utilisations de la technologie qui était légales : Fred Rogers, alias « Mr. Rogers », par exemple, avait témoigné dans cette affaire qu'il voulait que les gens se sentent libres d'enregistrer Mr. Roger's Neighborhood.

Certaines chaînes publiques, aussi bien que des chaînes commerciales, diffusent le « Neighborhood » à des heures où certains enfants ne peuvent pas l'utiliser. Je pense que c'est un vrai service aux familles que d'être capable d'enregistrer de tels programmes et de les montrer à des heures appropriées. J'ai toujours pensé qu'avec la venue de toute cette nouvelle technologie qui permet aux gens d'enregistrer le « Neighborhood » sans avoir à la regarder, et je parle du « Neighborhood » parce que c'est ce que je produis, qu'elles deviendraient bien plus actives dans la programmation de leur vie télévisuelle familiale. Très franchement, je suis opposé au fait que des gens soient programmés par d'autres. Mon approche globale des émissions a toujours été que « Vous êtes une personne importante simplement comme vous êtes. Vous pouvez prendre des décisions saines ». Peut-être que je m'étends, mais je pense simplement que tout ce qui permet à une personne d'être plus active dans le contrôle de sa vie, de manière saine, est important[140].

Même si il y avait des utilisations qui étaient légales, parce que certaines d'entre elles étaient illégales, le tribunal a tenu pour responsables les entreprises produisant le magnétoscope.

Ce qui amena Conrad à dessiner le dessin de la figure 10.18, que nous pouvons adapter au DMCA.

Aucun argument que je puisse avoir ne peut surpasser cette image, mais laissez-moi essayer de m'y approcher.

Figure 10.18. — « Sur quel objet la loi rend-elle responsable les constructeurs et les détaillants d'avoir fourni l'article ? »

— « Sur quel objet la loi rend-elle responsable les constructeurs et les détaillants d'avoir fourni l'article ? »

Les dispositions anti-contournement du DMCA visent les technologies de contournement de copyright. Les technologies de contournement peuvent être utilisées à des fins différentes. Elles peuvent être utilisées, par exemple, pour permettre le piratage massif de matériel sous copyright—une mauvaise fin. Ou elles peuvent être utilisées pour permettre l'utilisation de certains matériels sous copyright selon des manières qui seraient considérées comme de l'usage loyal—une bonne fin.

Un pistolet peut être utilisé pour tuer un policier ou un enfant. Les plupart des gens acquiescerait qu'un tel usage est mauvais. Ou un pistolet peut être utilisé pour s'entrainer au tir ou à se protéger contre un intrus. Au moins quelques personnes diraient que de tels usages seraient bons. C'est, aussi, une technologie qui a à la fois des bons et des mauvais usages.

L'idée évidente du dessin de Conrad est l'étrangeté d'un monde où les pistolets sont légaux, malgré les dommages qu'ils peuvent faire, alors que les magnétoscopes (et les technologies de contournement) sont illégaux. Flash : Personne n'est jamais mort à cause d'un contournement de copyright. Et pourtant la loi bannit absolument les technologies de contournement, malgré le potentiel qu'elles peuvent apporter du bien, mais autorise les pistolets, malgré les dommages évidents et tragiques qu'ils font.

Les exemples de l'Aibo et de la RIAA démontrent comment les détenteurs de copyright sont en train de changer l'équilibre qu'octroie la loi du copyright. En utilisant du code, les détenteurs de copyright restreignent l'usage loyal ; en utilisant le DMCA, ils punissent ceux qui tentent d'échapper aux restrictions sur l'usage loyal qu'ils imposent à travers le code. La technologie devient un moyen par lequel l'usage loyal peut être effacé ; la loi du DMCA soutient cet effacement.

C'est ainsi que le code devient la loi. Les contrôles incorporés dans la technologie de protection contre la copie et l'accès deviennent des règles dont la violation est également une violation de la loi. De cette manière, le code étend la loi—en augmentant sa régulation, même si le sujet qu'il régule (des activités qui constitueraient autrement simplement de l'usage loyal) est au-delà de la portée de la loi. Le code devient la loi ; le code étend la loi ; le codé étend ainsi le contrôle que les détenteurs de copyright effectuent—au moins pour les détenteurs de copyright qui ont des avocats pouvant écrire les lettres menaçantes que Felten et aibopet.com ont reçues.

Il y a un dernier aspect de l'interaction entre l'architecture et la loi qui contribue à la force de la régulation du copyright. C'est l'aisance avec laquelle les infractions de la loi peuvent être détectées. Car contrairement à la réthorique commune à la naissance du cyberespace qui dit que sur Internet, personne ne sait que vous êtes un chien, de plus en plus, selon les technologies changeantes déployées sur Internet, il est facile de trouver le chien qui a commis le tort légal. Les technologies d'Internet son ouvertes aux fureteurs aussi bien qu'aux partageurs, et les fureteurs sont de plus en plus meilleurs pour rechercher l'identité de ceux qui violent les règles.

Par exemple, imaginez que vous feriez partie d'un fan club de Star Trek. Vous vous rassembleriez chaque mois pour partager des anecdotes, et peut-êtes monteriez une sorte de fiction de fan sur la série. Une personne jouerait Spock, une autre Capitaint Kirk. Les personnages commenceraient avec une trame issue d'une vraie histoire, et la continueraient simplement[141].

Avant Internet, c'était, dans le fond, une activité totalement non-régulée. Peu importe ce qui se passait dans la salle de votre club, la police du copyright ne vous aurait jamais dérangé. Vous seriez libre dans cet espace pour faire ce qui vous désireriez avec cette partie de notre culture. Vous aurez le droit de l'utiliser comme vous le dérireriez sans crainte du contrôle légal.

Mais si vous déplaciez votre club sur Internet, et le rendiez disponible généralement aux nouvelles candidatures, cela se passerait très différemment. Des robots parcourant le Net à la recherche d'infractions aux marques et au copyright trouveraient rapidement votre site. Vos écrits de fiction, en fonction de la propriété des séries que vous dépeignez, pourrait bien inspirer une menace d'avocat. Et ignorer la menace de l'avocat serait en effet extrêmement coûteux. La loi du copyright est extrêmement efficace. Les peines sont sévères, et le procédé est rapide.

Ce changement dans la force efficace de la loi est causé par un changement dans la facilité avec laquelle la loi peut être appliquée. Ce changement modifie également l'équilibre de la loi de manière radicale. C'est comme si votre voiture transmettait la vitesse à laquelle vous roulez à chaque moment de votre conduite ; cela serait la dernière étape avant que l'État ne commence à imprimer des amendes selon les donnez que vous envoyez. C'est, en réalité, ce qui est en train de se passer ici.

10.7. Marché : Concentration

La durée du copyright a augmenté de manière considérable – triplement durant les trente dernières années. L'étendue du copyright a augmenté aussi – partant d'un contrôle des éditeurs pour maintenant contrôler tout le monde. L'atteinte au copyright a changé, comme toute action devient une copie elle est susceptible d'être réglementée. Comme les techniciens proposent de meilleurs dispositifs pour contrôler l'usage du contenu et comme le copyright est renforcé par la technologie, la force du copyright change aussi. Le mauvais usage est plus facile à trouver et à contrôler. Cette régulation du processus de création qui commençait comme une petite régulation s'adressant à une parcelle du marché de la création, est devenue le régulateur principal de la création. C'est une extension massive de l'étendue du contrôle gouvernemental sur l'innovation et la créativité ; qui serait totalement méconnaissable pour ceux qui créèrent le copyright.

De mon point de vue, ces changements seraient sans importance, s'il n'y avait un changement supplémentaire que nous devions aussi considérer. C'est d'un changement qui d'une certaine manière nous est très familier même si sa signification et sa portée ne sont pas bien comprises. Il s'agit d'un changement qui crée précisément la raison pour laquelle nous devons nous sentir concernés par toutes les évolutions que j'ai citées.

C'est le changement dans la concentration et l'intégration des média. Dans les vingt dernières années, la nature de la propriété du média a subi une transformation radicale, provoquée par le changement des lois concernant les média. Avant que ce changement survienne, les différentes formes de média étaient la propriété de sociétés différentes. Maintenant, les média sont entre les mains de quelques sociétés. Vraiment, depuis les changements annoncés en juin 2003 par la FCC, la plupart s'attendent à ce que d'ici quelques années 85% des média soient contrôlés par seulement trois sociétés.

Ces changements ont deux aspects : l'étendue de la concentration et sa nature.

Les changements concernant l'étendue sont les plus faciles à décrire. Comme l'a résumé le sénateur John McCain les statistiques sur la propriété des média présentées dans le rapport à la FCC, « cinq sociétés contrôlent 85% de nos sources media »[142]. Les cinq labels Universal Music Group, BMG, Sony Music Entertainment, Warner Music Group, et EMI contrôlent 84,8% du marché musical américain. [143] Les « cinq plus grands opérateurs du câble drainent jusqu'à 74% des abonnés au niveau national. » [144]

L'histoire de la radio est encore plus dramatique. Avant la dérégulation, les plus grandes compagnies de radio possédaient moins de soixante quinze stations. Aujourd'hui une compagnie possède plus de 1200 stations. Durant cette période de concentration, le nombre de possesseurs de stations de radio a chuté de 34%. Aujourd'hui, sur la plupart des marchés, les deux acteurs principaux contrôlent 74% des revenus. Globalement, quatre compagnies drainent 90% des revenus nationaux de la publicité radio.

La concentration dans la possession des journaux a eu lieu aussi. Aujourd'hui, il y a six cents fois moins de quotidiens aux États Unis qu'il y a quatre vingt ans, et dix compagnies contrôlent la moitié des tirages. Il y a vingt éditeurs de journaux importants aux États Unis. Les dix premiers studio de cinéma drainent 99% des revenus cinématographiques. Les dix principales compagnies de câble comptabilisent 85% des revenus du secteur. C'est un marché très éloigné de la presse libre que les rédacteurs de la constitution pensaient protéger. En fait, c'est un marché qui est entièrement protégé – par le marché.

La concentration est une chose. Le changement le plus insidieux concerne la nature de cette concentration. Comme James Fallows le soulignait dans un article récent sur Rupert Murdoch,

Les Sociétés du groupe Murdoch constituent un système de production inégalé dans son intégration. Elles fournissent le contenu Fox-—cinéma...-Fox TV shows... -Fox diffusion sportive, plus des quotidiens et des livres. Elles vendent le contenu au public et aux annonceurs dans les journaux, sur les ondes et les réseaux câblés. Elles gèrent le système de distribution physique qui véhicule le contenu jusqu'aux clients. Le système de satellites de Murdoch diffuse maintenant News Corp en Europe et en Asie ; si Murdoch devient l'unique propriétaire du plus grand système de télévision directe, ce système servira la même fonction aux États Unis [145].

Le modèle de Murdoch c'est le modèle des média modernes. Pas simplement quelques compagnies possédant beaucoup de radio, mais quelques compagnies possédant autant de variétés de média que possible. Un dessin décrit mieux ce modèle que des milliers de mots.

Figure 10.19. 


Est-ce que cette concentration importe ? Affecte-t-elle le contenu ou ce qui est distribué ? Ou s'agit-il simplement d'un moyen plus efficace de produire et distribuer du contenu ?

Mon point de vue était que la concentration ne devrait pas déranger. Je pensais qu'il ne s'agissait que d'une structure financière plus efficace. Mais maintenant, après avoir lu et écouté un ensemble de créateurs essayant de me convaincre du contraire, je commence à changer d'avis.

Voici une histoire qui suggère comment cette concentration peut jouer.

En 1969, Norman Lear créa un film pilote pour All in the Family. Il le présenta à ABC. Il n'a pas plu au réseau. Il dit à Lear que c'était trop crispé, refaite le. Lear le refit encore plus crispé que le premier. ABC était exaspéré. Vous avez raté lui dire-t-il. Nous le voulions moins crispé, pas davantage.

Plutôt que de se lamenter, Lear a proposé le spectacle ailleurs. CBS était heureux d'avoir la série ; ABC ne pouvait pas l'en empêcher. Le copyright de Lear a assuré son indépendance vis à vis du contrôle du réseau[146].

Le réseau ne contrôlait pas ces copyrights car la loi interdisait aux réseaux de contrôler les contenus qu'ils diffusaient. La loi imposait une séparation entre les réseaux et les producteurs de contenu ; cette séparation garantissait la liberté de Lear. Et jusqu'en 1992, à cause de ces règles, la grande majorité des émissions de grande écoute – 75% – était « indépendante » des réseaux.

En 1994, la FCC a supprimé les règles concernant l'indépendance. Après ce changement, les réseaux ont rapidement modifié l'équilibre. En 1985, il existait 25 studio de production de télévision indépendants ; en 2002, il n'en reste plus que 5. « En 1992, seulement 15% des nouvelles séries étaient produites par une filiale d'un réseau. L 'année dernière, le pourcentage des émissions produites par des filiales d'un réseau a été plus que quintuplé pour atteindre 77%. » « En 1992, 16 nouvelles séries ont été produites indépendamment du contrôle d'un conglomérat, l'année dernière, il n'y en a eu qu'une. » [147] En 2002, 75% des émissions de la période de pointe étaient produites par le réseau qui les diffusait. « Dans la période entre 1992 et 2002, le nombre d'heures d'émission de la période de pointe par semaine produites par les réseaux ont augmentés de 200%, tandis que le nombre d'heures d'émission de la période de pointe par semaine produites par des studios indépendants a chuté de 63%. »[148]

Aujourd'hui, un autre Norman Lear avec un autre All in the Family aurait le choix soit de rendre l'émission moins crispée soit d'être renvoyé. Le contenu des productions développées pour un réseau sont de plus en plus la propriété de celui-ci.

Tandis que le nombre de chaînes a augmenté de manière considérable, la propriété de ces chaînes s'est concentrée dans les mains de quelques uns. Comme le disait Barry Diller à Bill Moyers,

Si vous avez des compagnies qui produisent, qui financent, qui diffusent sur leur chaîne et qui distribuent au niveau mondial, tout ce qui passe par leur système de distribution , alors vous aboutissez à ce qu'il y ait de moins en moins d'acteurs dans le processus. Nous avions des douzaines et des douzaines de producteurs indépendants d'émission de télévision. Maintenant il n'en reste même pas une poignée[149].

Cette réduction a un effet sur ce qui est produit. La production de réseau aussi grands et concentrés est de plus en plus homogène. De plus en plus sûre. De plus en plus stérile. La production des journaux d'actualité de ces réseaux est de plus en plus façonnée par le message que le réseau veut véhiculer. Ce n'est pas le parti communiste, bien que de l'intérieur, cela doive ressembler un peu au parti communiste. Personne ne peut mettre en doute sans risque des conséquences – pas nécessairement le bannissement en Sibérie, mais une sanction tout de même. Indépendance, critique, opinion différentes sont bannies. Ce n'est pas un environnement pour une démocratie.

Un parallèle économique permet d'expliquer pourquoi l'intégration touche la créativité. Clay Christensen a écrit « le dilemme des innovateurs » : le fait que de grandes sociétés traditionnelles ignorent de manière délibérée les percées technologiques qui affectent leur cœur de métier. La même analyse pourrait permettre d'expliquer pourquoi de grands groupes de média traditionnels trouvent rationnels d'ignorer de nouvelles tendances culturelles[150]. Les mastodontes non seulement ne sprintent pas, mais ne doivent pas sprinter. Si le terrain est réservé aux géants, il y aura très peu de sprint.

Je ne pense pas que nous connaissions suffisamment l'économie du marché des média pour affirmer avec certitude ce que la concentration et l'intégration amèneront. Les rendements sont importants, et les effets sur la culture difficiles à mesurer.

Mais, il y a un exemple évident qui montre nettement le problème.

En complément de la guerre des copyright, nous sommes au milieu de la guerre de la drogue. La politique gouvernementale combat les cartels de la drogue ; les tribunaux criminels et civils sont surchargés à la suite de ce combat.

Laissez-moi me disqualifier de toute possible accointance avec la position du gouvernement en disant que je crois que ce combat est une erreur profonde. Je ne suis pas pro drogue. Au contraire, je viens d'une famille victime de la drogue, bien que les drogues qui détruisirent ma famille étaient entièrement légales. Je crois que ce combat est une erreur profonde car les dommages collatéraux sont si grands qu'ils rendent folle la poursuite de la guerre. Quand vous additionnez le fardeau sur le système judiciaire, le désespoir de générations d'ado dont la seule réelle opportunité économique est d'être un revendeur, les atteintes aux protections constitutionnelles à cause de la surveillance constante que ce combat implique, et, par dessus tout, la complète destruction du système judiciaire de plusieurs pays d'Amérique latine à cause du pouvoir des cartels de la drogue, je pense qu'il est impossible de croire que le bénéfice marginal de la réduction de la consommation américaine de drogue puisse contrebalancer ces coûts.

Vous n'êtes pas convaincu. D'accord, nous sommes en démocratie et c'est par le vote que nous choisissons notre politique. Mais pour cela, nous sommes fondamentalement tributaire de la presse qui informe les américains de ces sujets.

Au début de 1998, l'office national de lutte contre les drogues lança une campagne médiatique dans sa « guerre contre les drogues ». La campagne produisit des tas de clips traitant de questions relatives aux drogues illégales. Dans une des séries (Nick et Norm) deux hommes dans un bar discutent de l'idée de légaliser des drogues comme un moyen d'éviter certains des dommages collatéraux de cette guerre. L'un avance un argument en faveur de la légalisation des drogues. L'autre répond par un développement convaincant et étayé à l'argument du premier. À la fin, le premier gars change d'avis (c'est de la télé). L'insert publicitaire se termine par une attaque accablante contre la campagne pour la légalisation.

Assez équitable. Bonne publicité. Pas vraiment trompeuse. Elle délivre bien son message. Il s'agit d'un message raisonnable et équilibré.

Imaginons que vous pensiez que le message soit mauvais et que vous vouliez faire une contre publicité. Imaginons que vous vouliez présenter une série de pubs qui cherchent à démontrer les extraordinaires dommages collatéraux de la guerre contre la drogue. Pouvez vous le faire ?

Évidemment toutes ces pubs coûtent beaucoup d'argent. Supposons que vous ayez l'argent. Supposons qu'un groupe de citoyens donne suffisamment d'argent pour vous aider à diffuser votre message. Êtes-vous sûr que votre message sera entendu ?

Non. Les chaînes de télévision ont pour politique d'éviter les pubs sujettes à « controverse ». Les pubs produites par le gouvernement sont supposées ne pas être sujettes à controverse ; les pubs en désaccord avec le gouvernement sont sujettes à controverse. Cette sélectivité peut être jugée incompatible avec le premier amendement, mais la cour suprême a décidé que les stations ont le droit de choisir ce qu'elles diffusent. Donc les principales chaînes commerciales refuseront à une des parties l'opportunité de présenter son avis sur un débat crucial. Et les tribunaux entérineront les droits des stations à de telles pratiques[151].

Je serais ravi de défendre les droits des diffuseurs si nous vivions dans univers médiatique réellement varié. Mais la concentration dans les média met cette condition en péril. Si une poignée de sociétés contrôlent l'accès au média, et que cette poignée de compagnies décide quels sont les opinions politiques que doivent promouvoir ses chaînes, alors il est évident que la concentration pose problème. Vous pouvez partager les opinions que cette poignée de compagnies a sélectionné. Mais vous ne devriez pas apprécier un monde dans lequel seuls quelques uns décident des sujets dont les autres doivent être informés.

10.8. Ensemble

Il y a quelque chose d'innocent et d'évident à propos de la revendication des guerriers du copyright que le gouvernement devrait « protéger ma propriété ». Dans l'abstrait, c'est évidemment vrai et, ordinairement, complètement inoffensif. Aucun non-anarchiste sain d'esprit ne pourrait ne pas être d'accord.

Mais quand nous voyons de quelle manière spectaculaire la « propriété » a changé—quand nous reconnaissons comment elle pourrait maintenant interagir avec à la fois la technologie et les marchés pour signifier que la contraite effective sur la liberté de cultiver notre culture est nettement différente—la revendication commence à être moins innocente et évidente. Étant donnés (1) le pouvoir de la technologie à s'ajouter au contrôle de la loi, et (2) le pouvoir des marchés concentrés à affaiblir l'opportunité de protester, si appliquer strictement les droits de « propriété » massivement étendus accordés par le copyright change fondamentalement la liberté dans cette culture de cultiver et de réutiliser le passé, alors nous devons demander si cette propriété devrait être redéfinie.

Pas violemment. Ou absolument. Je ne dis que que nous devrions abolir le copyright ou revenir au XVIIIe siècle. Ce serait une erreur totale, désastreuse pour les initiatives créatives les plus importantes dans notre culture aujourd'hui.

Mais il y a un espace entre zéro et un, malgré la culture d'Internet. Et ces changements massifs dans le pouvoir effectif de la régulation du copyright, liés à la concentration accrue de l'industrie du contenu et reposant dans les mains d'une technologie qui va de plus en plus permettre de contrôle sur l'utilisation de la culture, devrait nous mener à nous demander si un autre ajustement est requis. Pas un ajustement qui augmenterait le pouvoir du copyright. Pas un ajustement qui augmenterait sa durée. Plutôt, un ajustement qui restaurerait l'équilibre qui a traditionnellement défini la régulation du copyright—un affaiblissement de cette régulation, pour renforcer la créativité.

La loi du copyright n'a pas été un Roc de Gibraltar. Ce n'est pas en ensemble d'engagements constants que, pour quelque raison mystérieuse, les adolescents et les mordus d'informatique méprisent maintenant. Au lieu de cela, le pouvoir du copyright a augmenté sensiblement pendant une courte période de temps, pendant que les technologies de distribution et de création ont changé et que les lobbyistes ont fait pression pour plus de contrôle pour les détenteurs de copyright. Les changements dans le passé en réponse aux changements dans la technologie suggèrent que nous avons peut-être bien besoin de changements similaires à l'avenir. Et ces changements doivent être des réductions de l'étendue du copyright, en réponse à l'augmentation extraordinaire du contrôle que la technologie et le marché permettent.

Car la seule chose qui est perdue dans cette guerre contre les pirates est une chose que nous verrons après avor sondé l'étendue de ces changements. Quand vous additionnez l'effet de la loi modifiée, des marchés concentrés, et la technologie changeante, ensemble ils produisent une conclusion étonnante : Jamais dans notre histoire aussi peu n'ont eu le droit légal de contrôler autant le développement de notre culture que maintenant.

Pas quand les copyright étianet perpétuels, car quand les copyrights étaient perpétuels, ils affectaient seulement ce travail de création précis. Pas quand seulement les éditeurs avaient les outils pour publier, car le marché était alors plus varié. Pas quand il y avait seulement trois chaînes de télévision, car même alors, les journaux, les studios de film, les stations de radio et les éditeurs étaient indépendants des réseaux. Le copyright n'a jamais protégé un tel éventail de droits, contre un éventail aussi grand d'acteurs, pour une durée qui était lointainement aussi longue. Cette forme de régulation—une minuscule régulation d'une minuscule partie de l'énergie créatrice d'une nation à ses débuts—est maintenant une régulation massive de l'ensemble du processus créatif. La loi plus la technologie plus le marché interagissent maintenant pour changer cette régulation historiquement bénigne en la régulation de culture la plus importante que notre société libre a jamais connu.[152]

Cela a été un long chapitre. Son but peut maintenant être brièvement énoncé.

Au début de ce livre, j'ai fait la distinction entre la culture commerciale et non-commerciale. Au cours de ce chapitre, j'ai fait la distinction entre copier une oeuvre et la transformer. Nous pouvons maintenant combiner ces deux distinctions et dessiner une carte claire des changements que la loi du copyright a subi. En 1790, la loi ressemblait à ceci :

 PUBLIETRANSFORME
Commercial©Libre
Non-commercialLibreLibre

L'acte d'éditer une carte, un graphique et un livre était régulé par la loi du copyright. Rien d'autre ne l'était. Les transformations étaient libres. Et comme le copyright s'obtenait uniquement avec une inscription, et comme seuls ceux qui avaient l'intention de bénéficier commercialement s'enregistraient, la copie par l'édition d'oeuvres non-commerciales était également libre.

À la fin du XIXe siècle, la loi avait changé en ceci :

 PUBLIETRANSFORME
Commercial©©
Non-commercialLibreLibre

Les oeuvres dérivées étaient alors régulées par la loi du copyright—si éditées, ce qui encore, étant donné l'économie de l'édition à cette époque, signifie si disponible commercialement. Mais les éditions et transformations non-commerciales étaient encore essentiellement libres.

En 1909, la loi changea pour réguler les copies, pas l'édition, et après ce changement, la portée de la loi était liée à la technologie. Comme la technologie de copie devenait plus répandue, la portée de la loi s'est étendue. Ainsi en 1975, comme les photocopieuses devenaient de plus en plus communes, nous pourrions dire que la loi commençait à ressembler à ceci :

 COPIETRANSFORME
Commercial©©
Non-commercial© / LibreLibre

La loi était interprétée pour atteindre la copie non-commerciale à travers, disons, les photocopieuses, mais pourtant la plupart des copies en dehors du marché commercial restait libre. Mais les conséquences de l'émergence des technologies numériques, en particulier dans le contexte d'un réseau numérique, signifie que la loi ressemble maintenant à ceci :

 COPIETRANSFORME
Commercial©©
Non-commercial©©

Chaque domaine est gouverné par la loi du copyright, alors qu'auparavant la plupart de la créativité ne l'était pas. La loi régule maintenant toute la portée de la créativité—commerciale ou pas, transformative ou pas—avec les mêmes règles conçues pour réguler les éditeurs commerciaux.

Évidemment, la loi du copyright n'est pas l'ennemi. L'ennemi est la régulation qui a un résultat négatif. Donc la question que nous devrions nous poser maintenant est est-ce qu'étendre les régulations de la loi du copyright dans chacun de ces domaines est véritablement une bonne chose.

Je ne doute pas qu'elle fait du bien dans la régulation de la copie commerciale. Mais je ne doute pas non plus qu'elle fait plus de mal que de bien quand elle régule (comme elle régule maintenant) la copie non- commerciale et, particulièrement, la transformation non-commerciale. Et de plus en plus, pour les raisons esquissées en particulier dans les chapitres 7 et 8, on pourrait bien se demander si elle ne fait pas plus de mal que de bien pour la transformation commerciale. Davantage d'oeuvres transformatives commerciales seraient créées si les droits dérivatifs étaient plus nettement limités.

Le problème n'est donc pas simplement de savoir si le copyright est une propriété. Bien sûr le copyright est une sorte de « propriété », et bien sûr, comme avec toute propriété, l'État se doit de la protéger. Mais malgré les premières impressions, historiquement, ce droit de propriété (comme avec tous les droits de propriété[153]) a été conçu pour équilibrer le besoin important de donner aux auteurs et aux artistes des encouragements avec le besoin tout aussi important d'assurer l'accès à l'oeuvre créative. Cet équilibre a toujours été frappé à la lumière de nouvelles technologies. Et pour presque la moitié de notre tradition, le « copyright » n'a pas du tout contrôlé la liberté des autres de réutiliser ou de transformer une oeuvres créative. La culture américaine est née libre, et pendant presque 180 ans notre pays a systématiquement protégé une culture libre vivante et riche.

Nous avons réussi cette culture libre parce que notre loi respectait les limites importantes dans la portée des intérêts protégés par la « propriété ». La naissance même du « copyright » comme droit statutaire reconnaissait ces limites, en octroyant la protection des détenteurs de copyright pour une période limitée (l'histoire du chapitre 6). La tradition de « l'usage loyal » est animée par une préoccupation similaire qui est de plus en plus contrainte alors que le coût d'exercer n'importe quel droit d'usage loyal devient unévitablement élevé (l'histoire du chapitre 7). L'ajout de droits statutaires où le marché pourrait étouffer l'innovation est une autre limite familière sur le droit de propriété qu'est le copyright (chapitre 8). Et permettre une large liberté de collecte pour les archives et les bibliothèques, malgré les revendications de propriété, est une partie cruciale pour garantire l'âme d'une culture (chapitre 9). Les cultures libres, comme les marchés libres, sont construites avec la propriété. Mais la nature de la propriété qui construit une culture libre est très différents de la vision extrémiste qui domine le débat aujourd'hui.

La culture libre est de plus en plus la victime de cette guerre contre le piratage. En réponse à une menace réelle, à défaut d'être quantifiée, que les technologies d'Internet présentent aux modèles économiques du vingtième siècle pour produire et distribuer la culture, la loi et la technologie sont en train d'être transformées d'une manière qui va saper notre tradition de culture libre. Le droit de propriété qu'est le copyright n'est plus le droit équilibré qu'il était, ou qu'il était destiné à être. Le droit de propriété qu'est le copyright est devenu déséquilibré, dangereusement incliné vers un extrême. L'opportunité de créer et de transformer devient plus faible dans un monde où la création requiert la permission et la créativité doit vérifier avec un avocat.



[118] « Enregistrements privés d’œuvres copyrightées », auditions sur les projets de loi H.R. 4783, H.R. 4794, H.R. 4808, H.R. 5250, H.R. 5488 et H.R. 5705 devant la sous-commission sur les tribunaux, les libertés civiles, et l’administration de la justice de la commission des lois de la Chambre des représentants, 97e Congrès, 2e session, 1982, 65, témoignage de Jack Valenti.

[119] Les juristes parlent de la « propriété » non pas comme d’une chose absolue, mais comme d’un ensemble de droits qui sont parfois attachés à un objet particulier. Ainsi, mon « droit de propriété » sur ma voiture me donne le droit de son utilisation exclusive, mais pas le droit de conduire à 250 km/h. Pour la meilleure tentative de relier la notion commune de « propriété » au « langage juridique », voir Bruce Ackerman, Private Property and the Constitution, Yale University Press, 1977, p. 26-27.

[120] En décrivant comment la loi affecte les trois autres modalités, je ne cherche pas à suggérer que les trois autres ne l’affectent pas. Évidemment, elles l’affectent aussi. Ce qui distingue la loi, c’est seulement sa capacité à parler comme si elle avait le droit autoproclamé de changer les trois autres modalités. Le droit des trois autres est plus timidement exprimé. Voir Lawrence Lessig, Code: And Other Laws of Cyberspace, Basic Books, 1999, p. 90-95,  Lawrence Lessig, « The New Chicago School », The Journal of Legal Studies, vol. 27, nº 2, juin 1998, p. 661-691.

[121] Certaines personnes désapprouvent cette façon de parler de la « liberté ». Ils la désapprouvent, car ils considèrent que les seules contraintes qui existent à un moment donné sont celles imposées par le gouvernement. Par exemple, si un orage détruit un pont, ces personnes pensent que cela n’a pas de sens de dire que la liberté de chacun a été réduite. Un pont a disparu, et il est plus difficile d’aller d’un endroit à un autre. Considérer cela comme une perte de liberté, disent-ils, c’est confondre les affaires politiques avec les aléas de la vie ordinaire. Je ne veux pas nier la valeur de ce point de vue réductionniste, qui dépend du contexte où il s’applique. Je veux cependant démontrer que cette vue réductionniste ne caractérise pas à elle seule la liberté. Comme je l’ai souligné dans Code, op. cit., nous sommes issus d’une longue tradition de penseurs politiques qui avaient des préoccupations plus vastes que de savoir simplement ce que le gouvernement a fait et quand. Par exemple, John Stuart Mill a défendu la liberté de parole, contre la tyrannie des personnes étroites d’esprit et non par peur de poursuites de la part du gouvernement (John Stuart Mill, On Liberty, Hackett Publishing, 1978, p. 19). John R. Commons est connu pour avoir défendu la liberté économique du travail contre les contraintes imposées par le marché ; John R. Commons, « The Right to Work », John R. Commons: Selected Essays, Malcom Rutherford et Warren J. Samuels, éd., Routledge, 1997, p. 62. La loi sur les américains handicapés augmente la liberté des handicapés en changeant l’architecture de divers lieux publics, leur donnant ainsi un accès plus facile à ces endroits (titre 42 du United States Code, section 12101, 2000). Chacune de ces interventions pour changer les conditions existantes change la liberté d’un groupe particulier. Les effets de telles interventions devraient être pris en compte pour comprendre la liberté effective de chacun de ces groupes.

[122] Voir Geoffrey Smith, « Film vs. Digital: Can Kodak Build a Bridge? » Business Week Online, 2 août 1999, disponible au lien nº 23. Pour une analyse plus récente de la place de Kodak dans le marché, voir Chana R. Schoenberger, « Can Kodak Make Up for Lost Moments? » Forbes.com, 6 octobre 2003, disponible au lien nº 24.

[123] Fred Warshofsky, The Patent Wars: The Battle to Own the World's Technology, John Wiley & Sons, 1994, p. 170-171.

[124] Voir, par exemple, James Boyle, « A Politics of Intellectual Property: Environmentalism for the Net? » Duke Law Journal, vol. 47, nº 87, 1997, p. 87.

[125] William W. Crosskey, Politics and the Constitution in the History of the United States, University of Chicago Press, 1953, vol. 1, p. 485-486 : « Supprim[ant] par pleine conséquence les droits perpétuels que les auteurs avaient, ou étaient supposés par certains avoir, sous la common law de “la loi suprême du Pays”. »

[126] Bien que 13 000 titres aient été publiés aux États-Unis de 1790 à 1799, seulement 556 copyrights ont été enregistrés : John Tebbel, A History of Book Publishing in the United States, volume I, The Creation of an Industry, 1630-1865, R. R. Bowker Company, 1972, p. 141. Sur les 21 000 réimpressions enregistrées avant 1790, seulement 12 avaient un copyright aux termes de la loi de 1790 : William J. Maher, « Copyright Term, Retrospective Extension and the Copyright Law of 1790 in Historical Context », Journal of the Copyright Society of the U.S.A., vol. 49, nº 4, 2002, disponible au lien nº 25. Ainsi, la majorité écrasante des œuvres entrèrent immédiatement dans le domaine public. Même celles qui avaient un copyright y entrèrent rapidement, parce que la durée du copyright était courte. La durée initiale était de quatorze ans, avec possibilité de renouvellement pour quatorze années supplémentaires (Copyright Act of May 31, 1790, § 1, 1 stat. 124.)

[127] Peu de détenteurs de copyright choisissent finalement de les renouveler. Par exemple, sur les 25 006 copyrights enregistrés en 1883, seulement 894 étaient renouvelés en 1910. Pour une analyse par année des taux de renouvellement des copyrights, voir Barbara A. Ringer, « Study No. 31: Renewal of Copyright », Studies on Copyright, Arthur Fisher et al. éd., vol. 1, Fred B. Rothman & Co, 1963, p. 618. Pour une analyse plus récente et plus complète, voir William M. Landes et Richard A. Posner, « Indefinitely Renewable Copyright », The University of Chicago Law Review, vol. 70, nº 2, 2003, p. 471 et 498-501, et graphiques d’accompagnement.

[128] Voir Barbara A. Ringer, op. cit., ch. 9, n. 2.

[129] Ces statistiques sont sous-estimées. Entre 1910 et 1962 (la première année où la durée de renouvellement a été allongée), la durée moyenne n’a jamais dépassé trente-deux ans, et la moyenne est de trente ans. Voir William M. Landes et Richard A. Posner, op. cit.

[130] Voir Thomas Bender et David Sampliner, « Poets, Pirates, and the Creation of American Literature », New York University Journal of International Law and Politics, vol. 29, nº 1 et 2, 1997, et Federal Copyright Records, 1790-1800, James Gilraeth et Elizabeth Wills éd., Library of Congress, 1987.

[131] Jonathan Zittrain, « The Copyright Cage », Legal Affairs, juillet-août 2003, disponible au lien nº 26.

[132] Le professeur Rubenfeld a présenté un argument constitutionnel puissant à propos la différence que la loi sur le copyright devrait faire (du point de vue du premier amendement) entre de simples « copies » et des œuvres dérivées. Voir Jed Rubenfeld, « The Freedom of Imagination: Copyright’s Constitutionality », Yale Law Journal, vol. 112, nº 1, 2002, p. 1-60 (voir en particulier les pages 53-59).

[133] C’est une simplification de la loi, mais pas tant que ça. La loi réglemente certainement plus que les « copies » — la diffusion publique d’une chanson copyrightée, par exemple, est réglementée même si elle ne crée pas en soi de copie : titre 17 du United States Code, section 106 (4). Et parfois cela ne concerne certainement pas une « copie » : titre 17 du United States Code, section 112 (a). Mais la supposition sous-jacente de la loi existante (qui réglemente les « copies » : titre 17 du United States Code, section 102) est que s’il y a une copie, alors il y a un droit.

[134] Ainsi, mon argument n’est pas qu’à chaque endroit où la loi sur le copyright s’étend, on devrait l’abroger. C’est plutôt que l’on devrait avoir une bonne justification de ces extensions et qu’elles ne devraient pas être faites de façon arbitraire et par des changements automatiquement provoqués par la technologie.

[135] Je ne veux par dire « nature » dans le sens où cela ne pourrait pas être différent, mais plutôt que la mise en œuvre actuelle implique une copie. Les réseaux optiques ne nécessitent pas de faire des copies du contenu qu’ils transmettent et un réseau numérique pourrait être conçu pour supprimer tout ce qu’il copie de façon à garder un nombre identique de copies.

[136] Voir David Lange, « Recognizing the Public Domain », Law and Contemporary Problems, vol. 44, nº 4, 1981, p. 172-173.

[137] Idem. Voir aussi Siva Vaidhyanathan, op. cit., p. 1-3.

[138] En principe, un contrat pourrait m’imposer une exigence. Je pourrais, par exemple, vous acheter un livre qui inclurait un contrat stipulant que je ne lirai ce livre que trois fois, ou que je promets de lire ce livre trois fois. Mais cette obligation (et les limites pour la créer) viendrait alors du contrat et non de la loi sur le copyright, et les obligations contractuelles ne seraient pas nécessairement applicables aux acheteurs suivants de ce livre.

[139] Voir Pamela Samuelson, « Anticircumvention Rules: Threat to Science », Science, vol. 293, nº 5537, 2001, p. 2028 ; Brendan I. Koerner, « Play Dead: Sony Muzzles the Techies Who Teach a Robot Dog New Tricks », The American Prospect, vol. 13, nº 1, janvier 2002, « Court Dismisses Computer Scientists’ Challenge to DMCA », Intellectual Property Litigation Reporter, 11 décembre 2001 ; Bill Holland, « Copyright Act Raising Free-Speech Concerns », Billboard, 26 mai 2001 ; Janelle Brown, « Is the RIAA Running Scared? », Salon.com, 26 avril 2001 ; Electronic Frontier Foundation, « Frequently Asked Questions about Felten and USENIX v. RIAA Legal Case », disponible au lien nº 27.

[140] Sony Corporation of America v. Universal City Studios, Inc., 464 U.S. 417, 455 fn. 27 (1984). Rogers ne changea jamais son point de vue sur le magnétoscope. Voir James Lardner, Fast Forward: Hollywood, the Japanese, and the Onslaught of the VCR, W. W. Norton, 1987, p. 270-271.

[141] Pour une analyse précoce et visionnaire, voir Rebecca Tushnet, « Legal Fictions, Copyright, Fan Fiction, and a New Common Law », Loyola of Los Angeles Entertainment Law Journal, vol. 17, nº 3, 1997, p. 651.

[142] « Surveillance du FCC », auditions devant la commission du commerce, de la science et des transports du Sénat, 108e Congrès, 1re session, 22 mai 2003, déclaration du sénateur John McCain.

[143] Lynette Holloway, « Despite a Marketing Blitz, CD Sales Continue to Slide », The New York Times, 23 décembre 2002.

[144] Molly Ivins, « Media Consolidation Must Be Stopped », Charleston Gazette, 31 mai 2003.

[145] James Fallows, « The Age of Murdoch », The Atlantic Monthly, septembre 2003, p. 89.

[146] Leonard Hill, « The Axis of Access », remarques devant le Weidenbaum Center Forum, Entertainment Economics: The Movie Industry, Washington University in St. Louis, 3 avril 2003 (la transcription des remarques preparées est disponible au lien nº 28 ; pour l’histoire de Lear, non incluse dans la transcription, voir le lien nº 29).

[147] « Fusion NewsCorp./DirecTV et concentration des médias », auditions sur la propriété des médias devant la commission du commerce du Sénat, 108e Congrès, 1re session, 2003, témoignage de Gene Kimmelman au nom de l’Union des consommateurs et de la Fédération des consommateurs d’Amérique, disponible au lien nº 30. Gene Kimmelman cite Victoria Riskin, présidente de la Guilde des écrivains d’Amérique (Ouest) dans ses remarques à l’audience du « FCC en banc », Richmond, Virginia, du 27 février 2003.

[148] Idem.

[149] Barry Diller, « Barry Diller Takes on Media Deregulation », Now with Bill Moyers, entretien avec Bill Moyers, Now on PSB, 25 avril 2003, transcription éditée disponible au lien nº 31.

[150] Clayton M. Christensen, op. cit., qui reconnaît que l’idée avait déjà été suggérée par le doyen Kim B. Clark, voir Kim B. Clark, « The Interaction of Design Hierarchies and Market Concepts in Technological Evolution », Research Policy, vol. 14, nº 5, 1985, p. 235-251. Pour une étude plus récente, voir Richard Foster et Sarah Kaplan, Creative Destruction: Why Companies That Are Built to Last Underperform the Market—and How to Successfully Transform Them, Currency/Doubleday, 2001.

[151] En février 2003, le Marijuana Policy Project chercha à diffuser des publicités Norm sur les chaînes de télévision de la ville de Washington, pour répondre directement à la série Nick and Norm : Comcast refusa ces publicités, les considérant « contraires [à leur] politique », la chaîne locale WRC (une filiale de NBC) les rejeta sans les commenter, la chaîne locale WJOA (une filiale d’ABC) fut au départ d’accord pour les diffuser et accepta le paiement pour le faire, mais décida ensuite de ne pas les diffuser et remboursa l’argent perçu : entretien avec Neal Levine, 15 octobre 2003. Ces refus ne sont bien sûr pas réservés à la politique sur la drogue : voir, par exemple, Nat Ives, « On the Issue of an Iraq War, Advocacy Ads Meet with Rejection from TV Networks », The New York Times, 13 mars 2003. En dehors des périodes électorales, le FCC et les tribunaux cherchent très peu à mettre à égalité les différents acteurs en jeu. Pour un aperçu général, voir Rhonda Brown, « Ad Hoc Access: The Regulation of Editorial Advertising on Television and Radio », Yale Law and Policy Review, vol. 6, nº 2, 1988, p. 449-479, et pour un résumé plus récent de la position du FCC et des tribunaux, voir Radio-Television News Directors Association v. FCC, 184 F. 3d 872 (D.C. Cir. 1999). Les autorités municipales ont les mêmes pouvoirs de contrôle que les réseaux de télévision : ainsi récemment, à San Francisco, la régie de transport de San Francisco a refusé une publicité qui critiquait ses bus municipaux roulant au diesel : Phillip Matier et Andrew Ross, « Antidiesel Group Fuming After Muni Rejects Ad », SFGate.com, 16 juin 2003, disponible au lien #32. Le motif était que la critique était « trop controversée. »

[152] Siva Vaidhyanathan souligne un point similaire dans ses « quatre abandons » de la loi sur le copyright à l’âge du numérique. Voir Siva Vaidhyanathan, op. cit., p. 159-160.

[153] La contribution la plus importante de l’école du « réalisme juridique » a été de démontrer que les droits de propriété sont toujours formulés pour équilibrer les intérêts publics et privés. Voir Thomas C. Grey, « La désintégration de la propriété », Nomos XXII: Property, J. Roland Pennock et John W. Chapman éd., New York University Press, 1980.

Partie III. Casse-têtes

Chapitre 11. Chimères

Dans une nouvelle célèbre de H. G. Wells, un alpiniste du nom de Nunez se retrouve (en descendant une pente verglacée) dans une vallée inconnue et isolée des Andes Péruviennes[154]. La vallée est extraordinairement belle, avec « de l'eau douce, des prairies, un climat constant, des collines d'une terre riche et brune avec des arbustes enchevêtrés qui portaient des fruits excellents. » Mais les villageois sont tous aveugles. Nunez y voit sa chance. « Au royaume des aveugles », se dit-il, « les borgnes sont rois. » Il décide donc de vivre avec les villageois, pour connaître une vie de roi.

Les choses ne se déroulent pas comme prévu. Il essaie d'expliquer l'idée de vision aux villageois. Ils ne comprennent pas. Il leur dit qu'ils sont « aveugles ». Ils ne connaissent pas le mot aveugle. Ils le tiennent pour un idiot. En effet, au fur et à mesure qu'ils se rendent compte des choses qu'il ne sait pas faire (entendre le bruit des pas sur l'herbe, par exemple), ils essaient de le manipuler. Lui, de son côté, devient de plus en plus amer. « Vous ne comprenez pas, dit-il, d'une voix qu'il voulait forte et résolue, mais qui se transforma en pleur. Vous êtes aveugles et moi je vois. Laissez-moi tranquille ! »

Mais les villageois ne le laissent pas tranquille. Pas plus qu'ils ne voient (pour ainsi dire) les avantages de son pouvoir spécial. Même l'objet de tous ses désirs, une jeune femme qui lui semble « la chose la plus belle de toute la création », ne comprend rien à la beauté de la vue. La description faite par Nunez de ce qu'il voit « lui semblait la fantaisie la plus poétique, et elle écoutait sa description des étoiles et des montagnes et de sa propre douce beauté comme s'il s'agissait d'un plaisir coupable. » « Elle ne croyait pas », nous dit Wells et « elle ne pouvait comprendre qu'à moitié, mais elle était mystérieusement enchantée. »

Lorsque Nunez annonce sa volonté d'épouser cet amour « mystérieusement enchanté », son père et le village s'y opposent. « Vois-tu, ma chère », lui explique son père, « c'est un idiot. Il a des illusions. Il ne sait rien faire correctement. » Ils emmènent Nunez chez le médecin du village.

Après un examen attentif, le docteur donne son avis. « Son cerveau est perturbé, » dit-il.

« De quelle manière ? » demande le père. « Ces choses bizarres que l'on appelle les yeux … sont malades … d'une manière qui perturbe son cerveau. »

Le docteur continue : « Je pense pouvoir affirmer sans me tromper que pour le soigner complètement, nous n'avons qu'à effectuer une opération chirurgicale simple et facile — c'est-à-dire enlever ces corps irritants [les yeux]. »

« Remercions le Ciel de nous avoir donné la science ! » dit le père au docteur. Ils informent Nunez de la condition nécessaire pour qu'il soit autorisé à épouser sa fiancée. (Vous devrez lire l'original pour savoir ce qui se passe à la fin. Je crois en une culture libre, mais je ne révèle jamais la fin d'une histoire.)

Il arrive parfois que les oeufs de jumeaux fusionnent dans l'utérus de leur mère. Cette fusion produit une « chimère ». Une chimère est une créature avec deux patrimoines génétiques. L'ADN dans le sang, par exemple, peut être différent de l'ADN de la peau. Cette possibilité est sous-utilisée pour les romans policiers. « Mais l'ADN démontre avec 100 pour cent de certitude qu'elle n'est pas la personne dont on a retrouvé le sang sur les lieux du crime... »

Avant d'avoir lu quelque chose sur ces chimères, j'aurais tenu leur existence pour impossible. Une seule personne ne peut pas avoir deux partimoines génétiques. L'idée même que l'on a de l'ADN est que c'est le code d'un individu. Mais en fait, non seulement deux individus peuvent avoir le même ADN (vrais jumeaux), mais une personne peut avoir deux ADN différents (une chimère). Notre définition d'une « personne » doit prendre en compte cette réalité.

Plus je travaille à comprendre la dispute actuelle au sujet du copyright et de la culture, que j'ai appelée souvent à tort, mais parfois à raison, « la guerre du copyright », plus je pense que nous avons affaire à une chimère. Par exemple, dans la bataille sur la question « Qu'est-ce que le partage de fichier p2p ? », les deux camps ont à la fois raison et tort. Un camp dit : « Le partage de fichier, c'est comme deux enfants qui s'échangent et copient des cassettes — le genre de chose que nous avons fait depuis une trentaine d'années sans jamais nous poser de questions. » C'est vrai, du moins en partie. Quand je dis à mon meilleur ami d'essayer un nouveau CD que j'ai acheté, et au lieu de lui envoyer le CD, je lui indique mon serveur p2p, c'est, à tous points de vue, exactement ce que chaque directeur de chaque maison de disque faisait étant enfant : partager de la musique.

Mais cette description est aussi fausse en partie. Car si mon serveur p2p fait partie d'un réseau p2p à travers lequel tout le monde peut accéder à ma musique, alors bien sûr mes amis peuvent y accéder, mais c'est déformer le sens du mot « ami » que de dire « mes dix mille meilleurs amis » peuvent y accéder. Que partager ma musique avec mon meilleur ami soit ou non « ce que nous avons toujours été autorisés à faire », nous n'avons pas toujours été autorisés à la partager avec « nos dix mille meilleurs amis. »

De même, quand l'autre camp dit : « Partager des fichiers, c'est exactement comme entrer chez Tower Records, prendre un CD du rayonnage et sortir avec », c'est vrai, du moins en partie. Si, après que Lyle Lovett a (enfin) sorti un nouvel album, plutôt que de l'acheter je vais sur Kazaa et j'en trouve une copie gratuite, ca ressemble beaucoup à voler un CD chez Tower.

Mais ce n'est pas complètement comme voler chez Tower. Après tout, si je leur prends un CD, Tower Records a un CD de moins à vendre, et j'ai un morceau de plastique avec une pochette, quelque chose à exhiber sur mon étagère. (Et pendant qu'on y est, on peut aussi remarquer que si je vole un CD chez Tower Records, le montant maximum de l'amende qui peut m'être infligée, du moins selon la loi californienne, est de 1.000 dollars. D'après la RIAA, si à l'inverse je télécharge un CD de dix titres, je suis passible d'une amende de 1.500.000 dollars).

Je ne cherche pas à dire que la réalité est différente de ce que chaque camp décrit. Ce que je veux dire, c'est que la réalité est comme ils la décrivent tous les deux — la RIAA et Kazaa. C'est une chimère. Et au lieu de dénier ce que l'autre camp affirme, nous devons commencer à réfléchir à la manière de répondre à cette chimère. Quelles sont les lois qui la gouvernent ?

Nous pourrions répondre simplement que ce n'est pas une chimère. Nous pourrions, avec la RIAA, décider que chaque acte de partage de fichier est un délit. Nous pourrions poursuivre des familles, et leur réclamer des millions de dollars de dommages, simplement parce que des fichiers ont été échangés sur un ordinateur familial. Et nous pouvons forcer les universités à surveiller tout le trafic sur leurs réseaux, pour s'assurer qu'aucun ordinateur n'est utilisé pour commettre ce délit. Ces réponses sont peut-être extrêmes, mais elles ont toutes été soit proposées soit mises en pratique.[155]

Ou alors, nous pourrions répondre au partage de fichier de la manière anticipée par beaucoup. Nous pourrions le rendre entièrement légal. Faire qu'il n'y ait pas de responsabilité civile ou légale à rendre des contenus sous copyright disponibles sur Internet. Rendre le partage de fichier comme les rumeurs : que sa seule régulation vienne des normes sociales, mais pas de la loi.

Chaque réponse est possible. Je pense que chacune serait une erreur. Plutôt que d'adopter l'un ou l'autre de ces extrémismes, nous devrions adopter quelque chose qui reconnaît la vérité des deux. Et alors que je termine ce livre avec une description d'un tel système, mon but dans le chapitre suivant est de montrer à quel point il serait mauvais d'adopter la tolérance zéro. Je pense que chaque extrême serait pire qu'une alternative raisonnable. Mais je pense que la solution de tolérance zéro serait le pire des deux extrêmes.

Et pourtant la tolérance zéro est de plus en plus la politique de notre gouvernement. Au milieu du chaos créé par l'irruption d'Internet, la carte du pouvoir est en train d'être redessinée de manière radicale. La loi et la technologie y sont déplacées, de manière à donner aux ayant droits un contrôle sur notre culture qu'ils n'ont jamais eu auparavant. Et par cet extrémisme, beaucoup d'opportunités pour innover et créer seront perdues.

Je ne parle pas des opportunités pour les adolescents de « voler » de la musique. Je pense plutôt aux innovations commerciales et culturelles que cette guerre va aussi tuer. Le pouvoir d'innover n'a jamais été aussi largement répandu parmi nos citoyens, et nous n'avons vu que le début de la vague d'innovations que ce pouvoir va libérer. Cependant Internet a déjà vu la perte d'un cycle d'innovation concernant les technologies de distribution de contenu. La loi est responsable de cette perte. En critiquant les protections des contenus ajoutées par le DMCA, le vice président des relations internationales de l'un de ces innovateurs, eMusic.com, disait :

eMusic s'oppose au piratage. Nous sommes un distributeur de contenus sous copyright, et nous voulons protéger ces droits.

Mais construire une forteresse technologique qui sécurise les majors n'est en aucun cas la seule manière de protéger les intérêts du copyright, pas plus que cela n'est nécessairement la meilleure. Il est tout simplement trop tôt pour répondre à cette question. Les forces du marché, en agissant naturellement, pourraient très bien aboutir à une industrie organisée selon un modèle totalement différent.

Ce point est d'une importance critique. Les choix faits par l'industrie au sujet de ces systèmes vont directement modeler le marché des médias numériques, et la manière dont l'information numérique est distribuée. En retour, ceci affectera directement les options disponibles pour les consommateurs, à la fois en termes de facilité d'accès au médias numériques, et d'équipements nécessaire pour y accéder. Faire dès maintenant de mauvais choix retardera la croissance de ce marché, et va à l'encontre de l'intérêt de tout le monde[156].

En Avril 2001, eMusic.com a été rachetée par Vivendi Universal, une des « majors ». Sa position sur ce problème a changé maintenant.

En revenant aujourd'hui sur notre tradition de tolérance, nous n'allons pas seulement éradiquer le piratage. Nous allons aussi sacrifier un certain nombre de valeurs qui sont importantes pour notre culture, et tuer des possibilités qui auraient pu avoir une valeur inestimable.



[154] H. G. Wells, Le Pays des aveugles, 1904, 1911. Voir H. G. Wells, The Country of the Blind and Other Stories, Michael Sherborne éd., Oxford University Press, 1996).

[155] Pour un excellent résumé, voir Copyright and Digital Media in a Post-Napster World, rapport préparé par le groupe GartnerG2 et le Berkman Center for Internet & Society at Harvard Law School, 27 juin 2003, disponible au lien nº 33. Les représentants démocrates John Conyers Jr. (Michigan) et Howard L. Berman (Californie) ont proposé une loi qui assimile toute copie en ligne non autorisée à un délit grave, pouvant conduire à une peine de cinq ans d’emprisonnement ; voir Jon Healey, « House Bill Aims to Up Stakes on Piracy », Los Angeles Times, 17 juillet 2003, disponible au lien nº 34 ; les pénalités au civil sont à ce jour fixées à 150 000 dollars par chanson copiée. Pour le récent (et infructueux) recours en justice de la RIAA demandant à un fournisseur d’accès à Internet de révéler l’identité d’un utilisateur accusé de partager plus de 600 chansons au travers de son ordinateur familial, voir RIAA v. Verizon Internet Services (In re. Verizon Internet Services), 240 F. Supp. 2d 24 (D.D.C. 2003). Un tel utilisateur pourrait être condamné à payer jusqu’à 90 millions de dollars : le montant potentiellement astronomique des amendes donne à la RIAA un arsenal puissant pour poursuivre ceux qui partagent des fichiers. Les amendes allant de 12 000 à 17 500 dollars payées par quatre étudiants accusés d’un partage massif de fichiers sur les réseaux de l’université doivent apparaître comme une maigre pitance à côté des 98 millions que la RIAA pourrait réclamer en justice. Voir Elizabeth Young, « Downloading Could Lead to Fines », Redandblack.com, 26 août 2003, disponible au lien nº 35. Pour un exemple de la RIAA prenant pour cible le partage de fichiers par des étudiants et des assignations à comparaître adressées aux universités pour obtenir l’identité de ces étudiants, voir James Collins, « RIAA Steps Up Bid to Force BC, MIT to Name Students », The Boston Globe, 8 août 2003, disponible au lien nº 36.  

[156] « Le WIPO et le DMCA un an plus tard : évaluation de l’accès des consommateurs aux divertissements numériques sur Internet et autres médias » : auditions devant la sous-commission aux télécommunications, au commerce et à la protection des consommateurs, commission du commerce de la Chambre des représentants, 106e Congrès, 29, 1999, déclaration de Peter Harter, vice-président d’EMusic.com chargé de la politique publique générale et des standards, disponible dans LEXIS, Federal Document Clearing House Congressional Testimony.

Chapitre 12. Dommages

Pour combattre le « piratage » et protéger la « propriété », l'industrie du contenu est entrée en guerre. Le lobbying et de nombreuses campagnes de pressions ont forcé le gouvernement à s'engager dans cette guerre. Comme dans toute guerre, il y aura des victimes directes et des dommages collatéraux. Comme dans toute guerre de prohibition, l'essentiel des dommages sera subi par nos concitoyens.

Jusqu'à présent mon but a été de décrire les conséquences de cette guerre, tout particulièrement pour « la culture libre ». Mais je vais désormais plus loin : cette guerre est-elle justifiée ?

Selon moi, non. Il n'y a aucune raison valable pour que, cette fois, qui serait la première, la loi doive défendre l'ordre ancien contre le nouveau et cela au moment précis où la « propriété intellectuelle » est à son apogée.

Pourtant le « sens commun » ne le voit pas de cette façon. Le sens commun est encore du côté des Causby et de l'industrie du contenu. Les revendications extrêmes de contrôle au nom de la propriété trouvent toujours un écho favorable, et le rejet irrationnel du « piratage » a toujours cours.

La poursuite de cette guerre ne sera pas sans conséquences. Je n'en décrirai que trois. On pourrait dire que chacune des trois est fortuite. Pour la troisième, j'en suis certain. J'en suis moins sûr pour les deux premières. Les deux premières protègent les RCAs modernes, mais il n'y a aucun Howard Armstrong en coulisses pour combattre les monopoles de la culture d'aujourd'hui.

12.1. Contraindre les créateurs

Dans la prochaine décennie, nous devrions voir une explosion des technologies numériques. Ces technologies permettront à tous de reproduire et de partager de l'information. Cela existe bien sûr depuis l'aube de l'humanité. C'est ainsi que nous communiquons et que nous apprenons. Mais la technologie numérique permet une fidélité de reproduction et un pouvoir de diffusion bien plus grands. Vous pouvez envoyer un courriel pour raconter une blague que vous avez vu sur Comedy Central (NdT : chaîne de télévision câblée américaine), ou bien vous pouvez envoyer la séquence vidéo. Vous pouvez écrire un pamphlet sur les incohérences du politicien que vous aimez le plus haïr, ou vous pouvez réaliser un court métrage qui démonte un argumentaire. Vous pouvez écrire un poème pour déclarer votre flamme, ou vous pouvez mélanger des chansons de vos artistes préférés en un seul morceau et le rendre accessible sur le Net.

Cette « reproduction et diffusion » numérique est à la fois une extension de la reproduction et de la diffusion qui a toujours fait partie de notre culture, et à la fois quelque chose de nouveau. C'est la suite de Kodak, mais cela dépasse les frontières de la technologie « type Kodak ». La technologie numérique laisse entrevoir un monde où la créativité serait extrêmement diversifiée, et pourrait être facilement et largement partagée. Et si la démocratie s'applique à cette technologie, elle permettra à grand nombre de citoyens de s'exprimer, de critiquer et de contribuer à la culture globale.

La technologie nous a ainsi donné la possibilité de faire quelque chose de la culture qui n'était possible que pour de petits groupes d'individus. Imaginez un vieil homme racontant une histoire lors d'une rencontre de quartier. Imaginez maintenant que cette histoire soit diffusée dans le monde entier.

En fait, tout cela n'est possible que si ces activités sont supposées légales. Sous le régime législatif actuel, ce n'est pas le cas. Oubliez le partage de fichier pour un moment. Pensez à vos excellents sites favoris sur le Net. Les sites web peuvent offrir un aperçu d'émissions télévisées oubliées ; les sites peuvent cataloguer des dessins animées des années 60 ; les sites peuvent mixer des images et du son pour critiquer les politiciens ou les hommes d'affaires ; les sites peuvent collecter des articles sur des sujets pointus scientifiques ou culturels. Il existe une importante quantité d'oeuvres créatives à travers l'Internet. Mais, à cause de la manière dont la loi est faite, ces oeuvres sont supposées illégales.

Cette présomption va refroidir de plus en plus la créativité, au fur et à mesure que les exemples de condamnations graves pour des infractions floues vont se multiplier. Il est impossible de distinguer clairement ce qui est autorisé de ce qui ne l'est pas, et en même temps, les sanctions pour avoir franchi la ligne sont extrêmement dures. Les quatre étudiants qui avaient été menacés par la RIAA (Jesse Jordan au chapitre 3 n'était qu'un de ceux-là) encouraient une amende de 98 milliards de dollars pour avoir construit des moteurs de recherche qui permettaient de copier des chansons. D'un autre côté, Worldcom, (NdT : entreprise américaine au coeur d'un scandale financier en 2002) qui a escroqué les investisseurs d'une somme de 11 milliards de dollars, et qui a ainsi entraîné une perte de 200 milliards de dollars sur le marché mondial, a eu une amende de seulement 750 millions de dollars[157]. Et d'après la législation actuellement en vigueur au Congrès, un docteur qui amputerait par négligence la mauvaise jambe lors d'une opération ne devrait que 250.000 dollars en dommages et intérêts[158]. Le sens commun peut-il reconnaître l'absurdité d'un monde dans lequel l'amende maximale encourue pour avoir téléchargé deux chansons sur Internet est plus importante que celle encourue par un docteur qui aurait charcuté un patient par négligence ?

La conséquence de ce flou juridique, associé aux sanctions élevées, est qu'une grande quantité de créations ne verra jamais le jour ou ne sera jamais rendue publique. Nous sapons les bases du processus créatif en stigmatisant les « pirates » de Walt Disney. Nous empêchons les entreprises de s'appuyer sur le domaine public, parce que les frontières du domaine public ne sont pas claires. Le seul moyen d'être gagnant, c'est de payer pour le droit de créer, et par conséquent, seuls ceux qui payent sont autorisés à créer. Comme ce fut le cas en Union Soviétique, bien que pour des raisons très différentes, nous allons rentrer dans un monde où l'art sera clandestin — pas parce que le message doit nécessairement être politique, mais parce que le simple fait de créer, est un délit. Déjà, des expositions « d'art illégal » circulent aux États-Unis[159]. En quoi consiste cette « illégalité » ? Dans le fait de mixer la culture autour de nous, dans un esprit critique ou réfléchi.

Cette peur de l'illégalité est en partie due aux changements de la loi. J'ai détaillé ces changements au chapitre 10. Mais elle est, dans une plus grande mesure, la conséquence de la facilité de plus en plus grande avec laquelle les infractions peuvent être détectées. Les amateurs du partage de fichiers ont découvert en 2002 à quel point il était facile, pour les détenteurs de copyright, d'amener les tribunaux à ordonner aux fournisseurs d'accès à Internet de révéler qui possède quel contenu. C'est comme si votre lecteur de cassette transmettait une liste des chansons que vous écoutiez chez vous, que n'importe qui pourrait consulter pour n'importe quel motif.

Jamais dans notre histoire, un peintre n'a eu à s'occuper de savoir si sa peinture empiétait sur le travail de quelqu'un d'autre. Mais le dessinateur contemporain, qui utilise des outils comme Photoshop et partage du contenu sur le web, doit s'en soucier en permanence. Les images sont omniprésentes, mais on ne peut utiliser dans une création que celles achetées à Corbis (NdT : société vendant des images numérisées ; propriété de Bill Gates) ou à une autre banque d'images. Et avec l'achat, la censure arrive. Le marché des crayons est libre ; nous n'avons pas à nous occuper de leurs effets sur la créativité. Mais le marché de l'image culturelle est très concentré et réglementé ; nous ne sommes pas aussi libres de les utiliser et de les transformer.

Les avocats ont rarement conscience de cela, car ils voient rarement les choses de manière pragmatique. Comme je l'ai décrit au chapitre 7, en réponse à l'histoire sur le réalisateur de films documentaires Jon Else, j'ai reçu à maintes reprises la leçon des avocats qui prétendaient que l'utilisation de Else relevait de l'usage loyal, et que j'avais donc tort de dire que la loi réglementait ce genre d'emploi.

Mais, en Amérique, usage loyal signifie simplement le droit de louer les services d'un avocat pour défendre votre droit de créer. Et, comme les avocats ont tendance à l'oublier, notre système de défense de droits tels que l'usage loyal est incroyablement mauvais — dans pratiquement tous les contextes, mais particulièrement dans celui-ci. Il coûte trop cher, il est trop lent, et sa conclusion a souvent peu à voir avec la demande de justice qui sous-tend la requête. Le système légal peut être tolérant pour ceux qui sont très riches. Pour tous les autres, c'est le fardeau d'une tradition qui s'enorgueillit d'être basée sur la loi.

Les juges et les juristes ont beau se dire que l'usage loyal fournit une « marge de manoeuvre » adaptée entre le contrôle par la loi et la liberté d'accès qu'elle devrait garantir. Mais cela mesure à quel point le système légal est maintenant déconnecté de la réalité. Les règles imposées par les éditeurs aux écrivains, par les distributeurs aux réalisateurs de films, par les maisons de presse aux journalistes — ce sont les vraies lois qui gouvernent la créativité. Et ces règles ont peu de rapport avec la « loi », sur laquelle les juges s'appuient.

Car dans un monde qui menace de 150.000 dollars une simple violation de copyright, qui demande des dizaines de milliers de dollars juste pour se défendre face à une accusation de violation de copyright, et qui n'accorde jamais à l'accusé acquitté le moindre remboursement des coûts engagés pour défendre ses droits — dans ce monde, l'extraordinaire emprise des lois étouffe l'expression et la créativité au nom du « copyright ». Et dans ce monde, il faut un aveuglement délibéré pour continuer à croire que la culture est libre.

Comme Jed Horovitz, l'homme d'affaires aux commandes de Video Pipeline, me disait :

Nous perdons des opportunités [créatives] ici et là. Les créateurs sont réduits au silence. Les idées sont baillonnées. Et tandis que beaucoup de choses peuvent [encore] être créées, elles ne seront pas distribuées. Même si l'oeuvre est réalisée […] elle ne sera pas distribuée dans les médias de masse tant que vous n'avez pas un petit mot d'un avocat disant, « Cela a été contrôlé ». Ça ne passera même pas sur PBS (NdT : service de diffusion audiovisuelle non commercial) sans ce type de permission. C'est à ce niveau que s'exerce le contrôle.

12.2. Contraindre les innovateurs

L'histoire de la section précédente était celle d'un gauchiste radical : créativité bridée, artistes censurés, et patati et patata. Peut-être que ca ne vous parle pas. Peut-être que vous pensez qu'il y a assez d'oeuvres d'art bizarres, et assez de voix critiques qui s'expriment sur tous les sujets. Et si c'est ce que vous pensez, vous pensez peut-être qu'il n'y a rien d'inquiétant pour vous dans cette histoire.

Mais il y a un aspect de cette histoire qui n'a rien de gauchiste. En effet, c'est un aspect qui pourrait être écrit par le plus extrémiste des idéologues pro-marché. Et si vous êtes un idéologue de cette espèce (mais d'un genre spécial, pour arriver à lire ce livre jusqu'à la page ), alors vous pourrez y être sensible en remplacant « culture libre » par « marché libre » dans toute mon argumentation. La démonstration est la même, même si les intérêts liés à la culture sont plus fondamentaux.

L'accusation que j'ai faite jusqu'à présent concernant la réglementation de la culture est la même que les défenseurs du marché libre font à propos de la réglementation du marché. Tout le monde, bien sûr, concède qu'une réglementation du marché est nécessaire — au minimum, nous avons besoin de règles de propriété et de contrat, et des tribunaux pour appliquer les deux. De la même manière, dans ce débat sur la culture, tout le monde concède qu'un cadre légal de copyright est également requis. Mais ces deux perspectives insistent avec vigueur sur le fait que ce n'est pas parce qu'une réglementation est bénéfique, qu'il faudrait plus de réglementation. Et les deux perspectives sont systématiquement attentives à l'exploitation de la réglementation par les industries puissantes d'aujourd'hui pour simplement se protéger des concurrents de demain.

C'est spécifiquement l'effet le plus spectaculaire du changement dans la stratégie de réglementation que j'ai décrite dans le chapitre 10. La conséquence de cette menace massive de poursuites, liée aux frontières obscures de la loi du copyright, est que ceux qui veulent innover dans cet espace ne peuvent le faire en sécurité que s'ils ont l'acte de décès des industries dominantes de la génération précédente. C'est cette leçon qui a été donnée aux capital-risqueurs au travers d'une série d'affaires, spécialement conçues et exécutées pour qu'ils l'apprennent. Cette leçon — ce que l'ancien PDG de Napster Hank Barry appelle un « voile nucléaire » qui s'est abattu sur la Sillicon Valley — est maintenant apprise.

Pour illustrer cette idée, prenez par exemple l'histoire dont j'ai raconté le début dans L'avenir des idées et qui a progressé d'une manière que même moi (pourtant extraordinairement pessimiste) n'aurais jamais pu prédire.

En 1997, Michael Robertson lança une société appelée MP3.com. MP3.com avait l'ambition de réinventer le commerce de la musique. Leur but n'était pas juste de faciliter de nouvelles manières d'accéder au contenu. Leur but était aussi de favoriser de nouvelles façons de créer du contenu. Contrairement aux maisons de disques dominantes, MP3.com offrait aux créateurs un endroit pour distribuer leurs créations, sans exiger un engagement exclusif de leur part.

Pour faire marcher ce système, toutefois, MP3.com avait besoin d'une manière fiable de recommander de la musique à ses utilisateurs. L'idée derrière cette alternative était d'exploiter les préférences musicales révélées des auditeurs pour leur recommander de nouveaux artistes. Si vous aimez Lule Lovett, vous avez des chances d'apprécier Bonnie Raitt. Et ainsi de suite.

Cette idée nécessitait d'avoir un moyen simple pour récupérer les préférences des utilisateurs. MP3.com a trouvé une méthode extraordinairement ingénieuse pour récolter ces informations. En janvier 2000, la société lança un service nommé my.mp3.com. En utilisant un logiciel fourni par MP3.com, un utilisateur s'inscrivait à un compte et insérait dans son ordinateur un CD. Le logiciel identifiait le CD, puis donnait à l'utilisateur l'accès à ce contenu. Donc, par exemple, si vous aviez inséré un CD de Jill Sobule, alors, où que vous soyiez — au travail ou à la maison — vous pouviez avoir accès à cette musique avec ce compte. Ce système était ainsi une sorte de juke-box verrouillé.

Il n'y pas de doute que certains pouvaient utiliser ce système pour copier illégalement du contenu. Mais cette possibilité existait avec ou sans MP3.com. Le but du service MP3.com était de donner aux utilisateurs accès à leur propre contenu, et en produit dérivé, de découvrir le genre de musique qu'ils aimaient.

Pour faire marcher ce système, toutefois, MP3.com devait copier 50.000 CDs sur un serveur. (En principe, cela aurait pu être à l'utilisateur d'uploader la musique, mais cela aurait été une grande perte de temps, et et cela aurait donné une qualité de service contestable.) La société acheta donc 50.000 CDs dans un magasin, et commença le processus de copie de ces CDs. Encore une fois, elle ne servait le contenu de ces copies qu'à ceux qui avaient authentifié avoir une copie du CD auquel ils voulaient avoir accès. Donc même si c'était 50.000 copies, c'était 50.000 copies destinées à donner aux clients quelque chose qu'ils avaient déjà acheté.

Neuf jours après que MP3.com ait lancé son service, les cinq maisons de disque dominantes, sous la bannière de la RIAA, attaquèrent MP3.com en justice. MP3.com régla l'affaire avec quatre des cinq majors. Neuf mois plus tard, un juge fédéral déclara MP3.com coupable d'infraction délibérée vis-à-vis de la cinquième major. Appliquant la loi telle qu'elle est, le juge imposa une amende de 118 millions de dollars à MP3.com. MP3.com finit par régler l'affaire avec le dernier plaignant, Vivendi Universal, en payant plus de 54 millions de dollars. Vivendi racheta MP3.com presque un an plus tard.

Je vous ai déjà raconté cette partie de l'histoire. Maintenant attendez sa conclusion.

Après le rachat de MP3.com, Vivendi se retourna contre ses avocats et leur fit un procès pour faute professionnelle, pour lui avoir affirmé de bonne foi que le service offert serait considéré comme légal au regard de la loi sur le copyright. Cette poursuite cherchait à punir tout avocat qui avait osé suggérer que la loi était moins restrictive que ce que les maisons de disques exigeaient.

Le but clair de cette poursuite (qui se termina par un arrangement d'un montant confidentiel peu de temps après que l'histoire ne soit plus couverte par la presse) était d'envoyer un message sans équivoque aux avocats conseillant des clients dans ce domaine : ce n'est pas seulement vos clients qui pourraient souffrir si l'industrie du contenu dirige ses feux contre eux. C'est aussi vous. Donc ceux d'entre vous qui croient que la loi devrait être moins restrictive, devraient réaliser qu'un tel point de vue leur coûtera cher, à eux et à leur établissement.

Cette stratégie ne se limite pas aux avocats. En avril 2003, Universal et EMI poursuivirent Hummer Winblad, l'entreprise de capital risque qui avait financé Napster à un certain stade de son développement, ainsi que son cofondateur (John Hummer), et son associé gérant (Hank Barry)[160]. Ici aussi, le motif de la plainte était que l'entreprise de capital risque aurait dû reconnaitre à l'industrie du contenu le droit de de contrôler comment devait se développer l'industrie. Ils devaient être tenus pour personnellement responsables pour avoir financé une société dont le commerce s'est avéré être hors-la-loi. Ici encore, le but de la poursuite judiciaire est transparent : tout capital risqueur reconnait maintenant que si vous financez une société dont l'activité n'est pas approuvée par les dinosaures, vous prenez des risques pas seulement sur le marché, mais aussi devant un tribunal. Vous investissez non seulement dans une société, mais aussi dans un procès. L'environnement est devenu si extrême que même les fabricants de voiture ont peur des technologies qui touchent au contenu. Dans un article du Business 2.0, Rafe Needleman relate une discussion avec BMW :

J'ai demandé pourquoi, avec toute la capacité de stockage et la puissance informatique qui se trouvent dans une voiture, il n'y avait pas moyen de jouer des fichiers MP3. On m'a dit que les ingénieurs BMW en Allemagne avaient prototypé un nouveau véhicule qui pouvait jouer des MP3 avec son système audio, mais que les départements juridique et marketing de la société n'étaient pas à l'aise avec l'idée de la mettre sur le marché américain. Même aujourd'hui, aucune nouvelle voiture n'est vendue aux Etats-Unis avec de véritables lecteurs MP3[161]...

C'est un véritable système mafieux — rempli d'offres « la bourse ou la vie », gouverné à la fin non pas par les tribunaux mais par les menaces que la loi permet aux détenteurs de copyright d'exercer. C'est un système qui va évidemment et nécessairement étouffer l'innovation. C'est déjà assez difficile de démarrer une entreprise. C'est une difficulté insurmontable si l'entreprise est constamment sous la menace de poursuites.

L'idée n'est pas que les entreprises devraient avoir le droit d'exercer des activités illégales. L'idée est la définition de « illégal ». La loi est une accumulation d'incertitudes. Nous n'avons pas de bon moyen de savoir comment elle devrait s'appliquer aux nouvelles technologies. Et pourtant en inversant notre tradition de respect de la justice, et en adoptant les pénalités étonnament hautes que la loi du copyright impose, ces incertitudes produisent maintenant une réalité qui est bien plus conservatrice que juste. Si la loi imposait la peine de mort pour les contraventions, beaucoup moins de gens conduiraient. Le même principe s'applique à l'innovation. Si l'innovation est constamment à la merci de poursuites aléatoires et illimitées, nous aurons une innovation bien moins dynamique et beaucoup moins de créativité.

L'idée est directement équivalente à l'argument gauchiste concernant l'usage loyal. Quelle que soit la « vraie » loi, la réalité de l'effet de la loi dans ces deux contextes est la même. Ce système de réglementation terriblement punitif va systématiquement étouffer la créativité et l'innovation. Il protégera quelques industries et quelques créateurs, mais fera du mal à l'industrie et à la créativité en général. Le marché libre et la culture libre reposent sur une concurrence dynamique. Et pourtant l'effet de la loi aujourd'hui est de simplement étouffer ce genre de compétition. L'effet est de produire une culture surréglementée, tout comme l'effet de trop de contrôle dans le marché est de produire un marché surréglementé.

La construction d'une culture de permission, plutôt que d'une culture libre, est le premier moyen important avec lequel les changements que j'ai décrits vont entraver l'innovation. Une culture de permission signifie une culture d'avocats — une culture dans laquelle pour pouvoir créer il faut appeler son avocat. Une fois de plus, je ne suis pas anti-avocat, tout du moins quand ils restent à leur place. Je ne suis certainement pas anti-loi. Mais notre profession a perdu le sens de la mesure. Et les leaders de notre profession ne se rendent plus compte des coûts exhorbitants que notre profession impose aux autres. L'inefficacité de la loi est une honte pour notre tradition. Et même si je crois que notre profession devrait donc tout faire pour rendre la loi plus efficace, elle devrait au moins tout faire pour limiter l'étendue de la loi là où elle ne fait rien de bon. Les coûts cachés de transaction dans une culture de permission sont suffisants pour enterrer les créativités les plus diverses. Il faut trouver beaucoup d'arguments pour arriver à justifier un tel résultat.

L'incertitude de la loi est un frein à l'innovation. Il y a un second fardeau qui opère plus directement. C'est l'effort de nombreuses personnes de l'industrie du contenu, d'utiliser la loi pour légiférer directement sur la technologie d'Internet afin qu'elle protège mieux leur contenu.

La motivation de cette réaction est évidente. Internet permet la diffusion efficace de contenu. Cette efficacité est une caractéristique de la conception d'Internet. Mais du point de vue de l'industrie du contenu, cette caractéristique est un « bogue ». La diffusion efficace de contenu signifie que les distributeurs de contenu ont plus de mal à contrôler sa distribution. Une réponse évidente à cette efficacité est donc de rendre Internet moins efficace. Si Internet permet le « piratage », alors, dit cette réponse, nous devrions briser les genoux d'Internet.

Il y a de nombreux exemples de cette forme de législation. Sous la pression de l'industrie du contenu, des membres du Congrès ont menacé de faire une loi qui exigerait que les ordinateurs déterminent si le contenu auquel ils ont accès est protégé ou pas, et qu'ils désactivent la diffusion d'un contenu protégé[162]. Le Congrès a déjà lancé des procédures pour explorer la possibilité de rendre obligatoire un « jeton de diffusion » sur tout système capable de transmettre de la vidéo numérique (c'est-à-dire un ordinateur), et qui désactiverait la possibilité de copier tout contenu signalé pour diffusion. D'autres membres du Congrès ont proposé de protéger les fournisseurs de contenu d'éventuelles poursuites judiciaires pour la technologie qu'ils pourraient déployer pour traquer les violateurs de copyright et neutraliser leurs machines[163].

Dans un sens, ces solutions semblent logiques. Si le problème est le code, pourquoi ne pas réglementer le code pour enlever le problème. Mais toute réglementation d'une infrastructure technique sera toujours adaptée à la technologie particulière du moment. Elle imposera des contraintes et des coûts importants sur la technologie, mais sera susceptible d'être éclipsée par des avancées destinées à contourner précisément ces règles.

En mars 2002, une large coalition de sociétés high-tech, menées par Intel, essayèrent d'amener le Congrès à réaliser les dégâts qu'une telle législation causerait[164]. Leur argument n'était évidemment pas que le copyright ne devrait pas être protégé. Au lieu de cela, ils ont soutenu que toute protection ne devrait pas faire plus de mal que de bien.

Il y a une manière plus évidente par laquelle cette guerre nuit à l'innovation — encore une fois, cette histoire sera assez familière des adeptes du marché libre.

Le copyright est peut-être une propriété, mais comme toutes les propriétés, c'est aussi une forme de réglementation. C'est une réglementation qui bénéficient à certains et cause du tort à d'autres. Bien faite, elle bénéficie aux créateurs et fait du tort aux sangsues. Mal faite, les puissants l'utilisent pour vaincre leurs concurrents.

Comme je l'ai décrit dans le chapitre 10, malgré la partie réglementaire du copyright, par ailleurs objet de restrictions importantes soulignées par Jessica Litman dans son livre Digital Copyright[165], le bilan du copyright sur l'ensemble de son histoire n'est pas mauvais. Comme le détaille le chapitre 10, quand de nouvelles technologies sont arrivées, le Congrès a trouvé le juste milieu pour garantir que le nouveau était protégé de l'ancien. Des licenses obligatoires, ou statutaires, font partie de cette stratégie. L'usage libre (comme dans le cas du magnétoscope) en est une autre.

Mais cette habitude du respect envers les nouvelles technologies a maintenant changé avec l'avènement d'Internet. Plutôt que de trouver un juste milieu entre les prétentions d'une nouvelle technologie et les droits légitimes des créateurs de contenu, à la fois les tribunaux et le Congrès ont imposé des restrictions légales qui auront pour effet d'étouffer le nouveau pour bénéficier à l'ancien.

La réponse des tribunaux est assez universelle[166]. Elle se reflète dans les menaces et les réponses véritablement mises en oeuvre par le Congrès. Je ne ferai pas la liste de toutes ces réponses ici[167]. Mais il y a un exemple qui en capture toute la saveur. C'est l'histoire de la mort des webradios.

Comme je l'ai décrit dans le chapitre 4, quand une station de radio diffuse une chanson, l'artiste-interprète n'est pas payé pour cette « interprétation radiophonique » à moins qu'il ou elle en soit également le compositeur. Donc, par exemple si Marylin Monroe avait enregistré une version de « Happy Birthday » — pour immortaliser sa fameuse prestation devant le Président Kennedy à Madison Square Garden — alors à chaque diffusion de cet enregistrement à la radio, les propriétaires actuels du copyright de « Happy Birthday » recevraient de l'argent, mais pas Marylin Monroe.

Le raisonnement derrière cet équilibre atteint par le Congrès a du sens. La justification était que la radio était une sorte de publicité. L'artiste interprète en bénéficiait donc parce qu'en diffusant sa musique, la station de radio rendait plus probable l'achat de ses disques. Ainsi, l'artiste interprète avait quelque chose, même si c'était indirectement. Probablement que ce raisonnement avait moins à voir avec résultat qu'avec le pouvoir des stations de radio : leurs lobbyistes étaient assez bons pour arrêter toutes tentatives d'obtenir du Congrès une loi de compensation des artistes interprètes.

Arrive la webradio. Comme la radio normale, la webradio est une technologie qui diffuse du contenu d'un émetteur à un auditeur. La diffusion se fait par Internet, et non par des ondes radioélectriques. Ainsi, je peux « capter » une station de webradio à Berlin tout en étant à San Francisco, même s'il n'y a pas moyen pour moi de capter une radio habituelle au-delà de la zone métropolitaine de San Francisco.

Cette caractéristique de l'architecture de la webradio signifie qu'il y a potentiellement un nombre illimité de stations de radio qu'un utilisateur pourrait capter en utilisant son ordinateur, alors qu'avec l'architecture actuelle de la radiodiffusion, il y a une limite évidente du nombre d'émetteurs et des fréquences d'émission. La webradio pourrait donc être plus compétitive que la radio habituelle ; elle pourrait fournir un éventail plus large de stations. Et parce que le public potentiel pour la webradio est le monde entier, des stations de niche pourraient facilement se développer et vendre leur contenu à un nombre relativement élevé d'utilisateurs à travers le monde. D'après certaines estimations, plus de 80 millions d'utilisateurs à travers le monde ont écouté cette nouvelle forme de radio.

Ainsi la webradio est à la radio ce que la FM était à l'AM. C'est une amélioration potentiellement largement plus importante que l'amélioration de la FM par rapport à l'AM, étant donné que non seulement la technologie est meilleure, donc, également, la compétition. En effet, il y a un parallèle direct entre le combat pour instaurer la radio FM et le combat pour protéger la webradio. Comme l'explique un auteur parlant de la lutte d'Howard Armstrong pour permettre à la radio FM d'exister,

Un nombre presque illimité de stations FM était possible dans les ondes courtes, mettant ainsi fin aux restrictions artificielles imposées sur la radio dans les grandes ondes surpeuplées. Si la FM se développait librement, le nombre de stations serait limité uniquement par l'économie et la concurrence, et non par des restrictions techniques. […] Armstrong compara la situation apparue dans la radio à ce qui se passa après l'invention de la presse d'imprimerie, quand les gouvernements et les classes dirigeantes tentèrent de contrôler ce nouvel instrument de communication de masse en lui imposant des licences restrictives. Cette tyrannie fut brisée seulement quand il devint possible aux hommes d'acquérir librement des machines d'impression et de les utiliser librement. La FM dans ce sens était une invention aussi grande que la presse d'imprimerie, car elle donnait aux radios l'opportunité de briser ses chaînes[168].

Ce potentiel pour la radio FM ne se réalisa jamais — pas parce que Armstrong avait tort à propos de la technologie, mais parce qu'il avait sous-estimé le pouvoir des « intérêts particuliers, habitudes, coutumes et [de la] législation »[169] de retarder la croissance de cette technologie compétitive.

On pourrait maintenant faire exactement la même affirmation sur la webradio. Car encore, il n'y a pas de limitation technique qui pourrait restreindre le nombre de stations de webradio. Les seules restrictions sur la webradio sont celles imposées par la loi. La loi du copyright est une de ces lois. Donc la première question que nous devrions nous poser est : quelles sont les règles du copyright qui gouverneraient la webradio ?

Mais ici le pouvoir des lobbyistes est inversé. La webradio est une industrie nouvelle. Les artistes interprètes, d'un autre côté, ont un lobby très puissant, la RIAA. Ainsi lorsque le Congrès considéra le phénomène de la webradio en 1995, les lobbyistes ont poussé le Congrès à adopter une règle différente pour la webradio de celle qui s'applique à la radio terrestre. Alors que la radio terrestre n'a pas à payer notre Marylin Monroe hypothétique quand elle diffuse son enregistrement hypothétique de « Happy Birthday », la webradio le fait. Non seulement la loi n'est pas neutre envers la webradio — en fait la loi est plus contraignante pour la webradio que pour la radio terrestre.

Cette contrainte financière n'est pas légère. Comme l'estime le professeur de droit William Fisher de Harvard, si une webradio distribuait de la musique populaire sans publicité à (environ) dix mille auditeurs, 24 heures par jour, le montant total des frais artistiques à payer par la station de radio s'élèverait à plus de 1 million de dollars par an[170]. Une station de radio normale diffusant le même contenu ne payerait pas de frais équivalents.

La contrainte n'est pas seulement financière. Selon les règles initialement proposées, une station de webradio (mais pas une station de radio terrestre) devrait collecter les informations suivantes de chaque transaction d'écoute :

  1. nom du service ;

  2. chaîne du programme (les stations AM/FM utilisent le « station ID ») ;

  3. type de programme (archivé/en boucle/en direct) ;

  4. date de transmission ;

  5. heure de transmission ;

  6. fuseau horaire d'origine de la transmission ;

  7. désignation numérique de l'endroit de l'enregistrement sonore dans le programme ;

  8. durée de la transmssion (à la seconde près) ;

  9. titre de l'enregistrement sonore ;

  10. code ISRC de l'enregistrement ;

  11. année de sortie de l'album par indication de copyright et dans le cas d'albums de compilations, la date de sortie de l'album et la date de copyright du morceau ;

  12. artiste interprète y figurant ;

  13. titre de vente de l'album ;

  14. maison de disque ;

  15. code UPC de l'album vendu ;

  16. numéro de catalogue ;

  17. informations sur le détenteur du copyright ;

  18. genre musical de la chaîne ou du programme (format de station) ;

  19. nom du service ou entité ;

  20. chaîne ou programme ;

  21. date et heure auxquelles l'utilisateur s'est connecté (dans le fuseau horaire de l'utilisateur) ;

  22. date et heure auxquelles l'utilisateur s'est déconnecté (dans le fuseau horaire de l'utilisateur) ;

  23. fuseau horaire où le signal a été reçu (utilisateur) ;

  24. identifiant unique de l'utilisateur ;

  25. pays où l'utilisateur a reçu les transmissions.

Le président de la Bibliothèque du Congrès a finalement suspendu ces exigences de renseignement, en attente d'étude supplémentaire. Et il changea également les taux fixés initialement par le comité d'arbitrage en charge de fixer les taux. Mais la différence fondamentale entre la webradio et la radio terrestre demeure : la webradio doit payer un type de taxe de copyright que la radio terrestre ne paie pas.

Pourquoi ? Qu'est-ce qui justifie cette différence ? Y a-t-il eu une étude de l'impact économique de la webradio qui justifierait ces différences ? Le motif était-il de protéger les artistes contre le piratage ?

Dans un rare élan de candeur, un expert de la RIAA a admis ce qui semblait évident à tout le monde à cette époque. Comme Alex Alben, vice président de la Politique Publique à Real Networks, me disait :

La RIAA, qui représentait les maisons de disques, présenta des témoignages sur ce qu'ils imaginaient être le prix négocié entre un vendeur et un acheteur potentiels, et c'était bien plus élevé. C'était dix fois plus que ce que les stations de radio payent pour jouer les mêmes chansons sur la même période. Et donc les avocats représentant les diffuseurs sur le web demandèrent à la RIAA, ... « Comment arrivez-vous à un taux qui est tellement plus élevé ? Pourquoi est-ce que cela vaut plus que la radio ? Parce que nous avons ici des centaines de milliers de diffuseurs sur le web prêts à payer, et cela devrait établir le taux du marché, et si vous fixez le taux si haut, vous allez conduire les petits diffuseurs à la faillite. [...] »

Et les experts de la RIAA dirent : « Et bien, nous ne voyons pas vraiment cela comme une industrie avec des milliers de diffuseurs sur le web, nous pensons que cela devrait être une industrie avec, vous voyez, cinq ou six gros acteurs qui peuvent payer un taux élevé, et c'est un marché stable, prévisible. » (Insistance ajoutée.)

Traduction : le but est d'utiliser la loi pour éliminer la concurrence, afin que cette plateforme potentiellement immensément compétitive, qui ferait exploser la diversité et la portée du contenu, ne cause pas de tort aux dinosaures du passé. Il n'y a personne, ni de droite ni de gauche, qui devrait cautionner cette utilisation de la loi. Et pourtant il n'y a pratiquement personne, ni de droite ni de gauche, qui fait quoi que ce soit d'efficace pour l'empêcher.

12.3. Corrompre les citoyens

L'excès de réglementation tue la créativité. Il bride l'innovation. Il donne aux dinosaures un droit de véto sur l'avenir. Il gaspille le potentiel extraordinaire d'une créativité démocratique rendue possible par la technologie numérique.

En plus de ces dommages importants, il y en a un autre, qui était important pour nos prédécesseurs, mais semble oublié aujourd'hui. L'excès de réglementation corrompt les citoyens, et affaiblit l'état de droit.

La guerre qui est livrée aujourd'hui est une guerre de prohibition. Comme toute guerre de prohibition, elle est dirigée contre le comportement d'un très grand nombre de citoyens. Selon le New York Times, 43 millions d'américains ont téléchargé de la musique en mai 2002[171]. Selon la RIAA, le comportement de ces 43 millions d'américains est un délit. Nous avons donc un système de loi qui transforme 20 pour cent de l'Amérique en délinquants. Plus la RIAA fera de procès aux Napster et autres Kazaa, mais aussi à des étudiants qui construisent des moteurs de recherche, et de plus en plus à de simple usagers qui téléchargent du contenu, plus les technologies de partage de fichiers feront de progrès, afin de mieux protéger et cacher leurs usages illégaux. C'est une course aux armements, une guerre civile, où l'extrémisme d'un camp renforce celui de son adversaire.

Les tactiques de l'industrie du contenu exploitent les défaillances du système légal américain. Quand la RIAA a poursuivi Jesse Jordan en justice, elle savait qu'elle avait trouvé en Jordan un bouc-émissaire, et non pas un inculpé. La menace d'avoir à payer tout l'argent du monde en dommages et intérêts (15.000.000 $) ou presque tout l'argent du monde pour se défendre (250.000 $ en frais de justice) amena Jordan à choisir de payer tout l'argent du monde qu'il avait (12.000 $) pour arrêter le procès. La même stratégie anime les procès de la RIAA contre des utilisateurs individuels. En septembre 2003, la RIAA poursuivit 261 personnes — parmi lesquels une fille de 12 ans vivant dans un HLM et un homme de 70 ans qui n'avait aucune idée de ce qu'était le partage de fichiers[172]. Comme le découvrirent ces boucs-émissaires, cela coûtera toujours plus de se défendre contre ces procès que de simplement trouver un arrangement. (La fille de douze ans, par exemple, comme Jesse Jordan, paya avec ses économies de 2.000 $ pour régler l'affaire.) Notre loi est un système abominable pour la défense des droits. C'est une honte pour notre tradition. Et la conséquence de la loi telle qu'elle est, est que ceux qui ont le pouvoir peuvent se servir de la loi pour annuler les droits qui les gênent.

Les guerres de prohibition ne sont pas nouvelles en Amérique. Celle-ci est juste plus extrême que tout ce nous avons vu auparavant. Nous avons fait l'expérience de la prohibition de l'alcool, à une époque où la consommation d'alcool était de 5,7 litres par personne et par an. La guerre contre la boisson a d'abord réduit cette consommation de juste 30 pour cent du niveau précédant la prohibition, mais à la fin de la prohibition, la consommation avait remonté jusqu'à 70 pour cent du niveau précédant la prohibition. Les américains buvaient presque autant, mais un grand nombre étaient maintenant des criminels[173]. Nous avons lancé une guerre contre la drogue visant à réduire la consommation de narcotiques réglementés, que 7 pour cent (ou 16 millions) d'américains consomment actuellement[174]. C'est une chute par rapport au pic de 1979 qui était de 14 pour cent de la population. Nous réglementons les automobiles au point qu'une vaste majorité des américains enfreignent la loi chaque jour. Nous avons un système fiscal tellement complexe qu'une majorité des paiements en liquide fraudent régulièrement[175]. Nous nous enorgueillissons de notre « société libre », mais une liste sans fin de comportements ordinaires est réglementée au sein de notre société. Avec, comme résultat, une énorme proportion d'américains qui violent régulièrement au moins une loi.

Cet état de fait n'est pas sans conséquence. C'est un problème particulièrement saillant pour des professeurs comme moi, dont la travail est d'apprendre aux étudiants en droit l'importance de l'« éthique ». Comme l'a dit mon collègue Charlie Nesson à une classe à Stanford, chaque année les écoles de droit accueillent des milliers d'étudiants qui ont téléchargé illégalement de la musique, consommé illégalement de l'alcool et parfois de la drogue, travaillé illégalement sans payer de taxes, conduit illégalement des voitures. Ce sont des gamins pour qui se comporter illégalement est de plus en plus la norme. Et après, nous, en tant que professeurs de droit, sommes supposés leur apprendre comment se comporter de manière éthique — comment dire non aux pots-de-vin, ou garder les fonds des clients séparés, ou respecter une exigence de divulgation d'un document qui signifiera que votre affaire est terminée. Des générations d'américains — plus dans certaines parties de l'Amérique que d'autres, mais tout de même, partout en Amérique aujourd'hui — ne peuvent pas vivre leur vie à la fois normalement et légalement, étant donné que « normalement » implique un certain degré d'illégalité.

La réponse à cette illégalité générale est soit d'appliquer la loi plus sévèrement ou soit de changer la loi. Nous, en tant que société, devons apprendre comment faire ce choix plus rationnellement. Le fait qu'une loi ait un sens dépend, au moins en partie, de savoir si les coûts de la loi, à la fois prévus et collatéraux, sont plus importants que les bénéfices. Si les coûts, prévus et collatéraux, sont bel et bien plus importants que les bénéfices, alors la loi devrait être changée. Autrement, si les coûts du système existant sont bien plus élevés que les coûts d'une alternative, alors nous avons une bonne raison de considérer cette alternative.

Je ne défends pas l'idée stupide qui voudrait que juste parce que des gens violent une loi, nous devrions donc l'abroger. Évidemment, nous pourrions réduire les statistiques des meurtres de manière spectaculaire en légalisant le meurtre les mercredis et les vendredis. Mais cela n'aurait aucun sens, étant donné que le meurtre est mal tous les jours de la semaine. Une société a raison de bannir le meurtre toujours et partout.

Mon idée est plutôt celle que les démocraties ont comprise pendant des générations, mais que nous avons récemment appris à oublier. L'état de droit dépend des gens obéissant à la loi. Plus nous, en tant que citoyens, faisons l'expérience d'enfreindre la loi, et plus c'est fréquent, moins nous respectons la loi. Évidemment, dans la plupart des cas, la question importante c'est la loi, pas le respect de la loi. Je ne me préoccupe pas de savoir si un violeur respecte la loi ou non ; je veux l'attraper et l'incarcérer. Mais je me soucie de savoir si mes étudiants respectent la loi ou non. Et je me soucie de savoir si les règles du droit génèrent ce manque de respect croissant à cause des réglementations extrêmes qu'elles imposent. Vingt millions d'américains ont atteint la majorité depuis qu'Internet a introduit cette idée différente du « partage ». Nous avons besoin d'être capables d'appeler ces vingt millions d'américains « citoyens », et non pas « délinquants ».

Quand au moins quarante-trois millions de citoyens téléchargent du contenu d'Internet, et qu'ils utilisent des outils pour combiner ce contenu de manière non autorisée par les propriétaires de copyright, la première question que nous devrions nous poser n'est pas de savoir comment mieux impliquer le FBI. La première question devrait être de savoir si cette prohibition particulière est réellement nécessaire pour atteindre les buts particuliers visés par la loi sur le copyright. Y a-t-il un autre moyen de garantir que les artistes soient payés sans transformer quarante-trois millions d'américains en délinquants ? Est-ce que cela a du sens s'il y a d'autres manières d'assurer que les artistes soient payés sans transformer l'Amérique en une nation de délinquants ?

Cette idée abstraite peut être clarifiée avec un exemple particulier.

Nous possédons tous des CDs. Beaucoup d'entre nous possèdent encore des disques vinyles. Ces morceaux de plastique encodent la musique que nous avons d'une certaine manière achetée. La loi protège notre droit d'acheter et de vendre ce plastique : je n'enfreins pas le le copyright si je vends tous mes disques de classique à un magasin de disques d'occasion et si j'achète des disques de jazz pour les remplacer. Cette « utilisation » des enregistrements est libre.

Mais comme l'a montré l'engouement pour les MP3, il y a une autre utilisation des disques vinyles qui est effectivement libre. Parce que ces enregistrements étaient fabriqués sans technique de protection contre la copie, je suis « libre » de copier, ou « ripper », la musique de mes disques sur le disque dur d'un ordinateur. En effet, Apple Corporation est allée jusqu'à suggérer que la « liberté » était un droit : dans une série de publicités, Apple a approuvé les capacités des technologies numériques à « Ripper, Mélanger, Graver ».

Cette « utilisation » de mes enregistrements a certainement de la valeur. J'ai commencé une vaste opération chez moi de ripper tous mes CDs et ceux de ma femme, et de les stocker dans une archive. Puis, en utilisant iTunes d'Apple, ou un programme merveilleux appelé Andromeda, nous pourrons construire différentes playlists de notre musique : Bach, Baroque, Chansons d'Amour, Chansons d'Amour de The Significant Others — le potentiel est infini. Et en réduisant les coûts de mélange des listes de lecture, ces technologies aident à produire une créativité, avec des listes de lecture qui ont chacune, indépendamment des autres, une valeur intrinsèque. Des compilations de chanson sont des créations et ont une signification à leur manière.

Cette utilisation est permise par les médias non protégés — que ce soient les CDs ou des disques. Mais les médias non protégés permettent également le partage de fichier. Le partage de fichier menace (ou c'est ce que l'industrie du contenu croit) la possibilité pour les créateurs de tirer un juste revenu de leur créativité. Et donc, beaucoup commencent à expérimenter des technologies pour supprimer les médias non protégés. Ces technologies, par exemple, permettraient de créer des CDs qui ne pourraient pas être rippés. Ou elles pourraient permettre à des programmes espions d'identifier du contenu rippé sur les machines des gens.

Si ces technologies décollaient, alors la constitution d'une grande archive de votre propre musique deviendrait assez difficile. Vous pourriez fréquenter des cercles de hackers, et obtenir la technologie qui désactiverait les protections de ce contenu. Verser dans ces technologies est illégal, mais peut-être que cela ne vous dérange pas beaucoup. Dans tous les cas, pour la vaste majorité des gens, ces technologies de protection détruiraient effectivement l'archivage des CDs. La technologie, en d'autres termes, nous forcerait tous à retourner dans le monde où, soit nous écouterions la musique en manipulant des morceaux de plastique, soit nous ferions partie d'un système de « gestion des droits numériques » particulièrement complexe.

Si le seul moyen de garantir aux artistes un revenu était d'éliminer la possibilité de déplacer librement du contenu, alors ces technologies qui interfèrent avec la liberté de déplacer du contenu seraient justifiables. Et si néanmoins il y avait un autre moyen de garantir que les artistes soient payés, sans verrouiller tout contenu ? Et si, en d'autres termes, un système différent pouvait garantir la rémunération des artistes tout en préservant également la liberté de déplacer du contenu facilement ?

Je ne vais pas chercher maintenant à prouver qu'il existe un tel système. Je propose une version d'un tel système dans le dernier chapitre de ce livre. Pour le moment, le seul sujet est celui-ci, relativement non controversé : si un système différent atteignait les mêmes objectifs légitimes que le système de copyright existant, mais laissait les consommateurs et les créateurs bien plus libres, alors nous aurions une très bonne raison de suivre cette alternative — à savoir, la liberté. Le choix, en d'autres termes, ne serait pas entre la propriété et le piratage ; le choix serait entre différents systèmes de propriété et les libertés que chacun permettrait.

Je crois qu'il existe un moyen d'assurer que les artistes soient payés sans changer quarante-trois millions d'américains en délinquants. Mais l'aspect saillant de cette alternative est que cela conduirait à un marché de production et de distribution de la créativité très différent. Les quelques dominants, qui contrôlent aujourd'hui la vaste majorité de la distribution de contenu dans le monde, n'exerceraient plus ce contrôle extrême. Au lieu de cela, ils finiraient comme les calèches.

A ceci près que les fabricants de calèches actuels ont déjà sellé le Congrès, et chevauchent la loi pour se protéger contre cette nouvelle forme de concurrence. Pour eux, le choix est entre quarante-trois millions d'américains à considérer comme des criminels et leur propre survie.

On peut comprendre pourquoi ils choisissent de faire ainsi. On ne peut pas comprendre pourquoi nous, en tant que démocratie, continuons à faire ainsi. Jack Valenti est charmant ; mais pas si charmant quand il justifie l'abandon d'une tradition aussi profonde et importante que notre tradition d'avoir une culture libre.

Il y a un aspect supplémentaire de cette corruption, particulièrement important pour les libertés civiles, et qui découle directement de toute guerre de prohibition. Comme l'explique Fred von Lohmann, l'avocat de l'Electronic Frontier Foundation, c'est le « dommage collatéral » qui « survient à chaque fois que vous changez un très grand pourcentage de la population en criminels ». C'est le dommage collatéral sur les libertés civiles en général.

« Si vous pouvez traiter quelqu'un comme un hors-la-loi présumé », explique von Lohmann,

alors tout d'un coup de nombreuses protections fondamentales de la liberté civile s'évaporent à un degré ou à un autre. […] Si vous êtes un contrevenant du copyright, comment pouvez-vous espérer avoir de quelconques droits à la vie privée ? Si vous êtes un contrevenant du copyright, comment pouvez-vous espérer être en sécurité contre des saisies de votre ordinateur ? Comment pouvez-vous espérer continuer à recevoir l'accès à Internet ? […] Nos sensibilités changent aussitôt que nous pensons : « Oh, bon, mais cette personne est un criminel, un hors-la-loi ». Et bien, ce que cette campagne contre le partage de fichier a fait, c'est transformer un pourcentage remarquable des internautes américains en « hors-la-loi ».

Et la conséquence de cette transformation du public américain en criminels est qu'il devient banal, au regard du traitement attendu, d'effacer effectivement une grande partie de la vie privée à laquelle la plupart prétendent.

Les internautes ont commencé à voir cela généralement en 2003 lorsque la RIAA lança sa campagne pour forcer les fournisseurs d'accès à Internet à révéler les noms des clients que la RIAA croyait coupable d'enfreindre la loi sur le copyright. Verizon lutta contre cette demande et perdit. Avec une simple demande à un juge, et sans aucune injonction donnée au client, l'identité d'un internaute serait désormais révélée.

La RIAA étendit ensuite cette campagne, en annonçant une stratégie générale pour poursuivre des internautes présumés coupables d'avoir téléchargé de la musique sous copyright à partir de systèmes de partage de fichiers. Mais comme nous l'avons vu, les dédommagements potentiels de ces poursuites sont astronomiques : si un ordinateur familial est utilisé pour télécharger la valeur d'un CD de musique, la famille s'expose à une amende de 2 millions de dollars en dommages et intérêts. Cela n'a pas empêché la RIAA de poursuivre un certain nombre de ces familles, tout comme elle avait poursuivi Jesse Jordan[176].

Même ceci sous-estime l'espionnage mené actuellement par la RIAA. Un rapport de CNN à la fin de l'été dernier décrivait une stratégie adoptée par la RIAA pour traquer les utilisateurs de Napster[177]. En utilisant un algorithme de hachage sophistiqué, la RIAA prenait ce qui est en fait une signature de chaque chanson dans le catalogue de Napster. Toute copie d'un de ces MP3s aura la même « signature ».

Alors imaginez le scénario suivant, tout à fait plausible : imaginez qu'un ami donne un CD à votre fille — une collection de chansons tout comme les cassettes que vous faisiez étant enfant. Vous ne savez pas, et votre fille non plus, d'où viennent ces chansons. Mais elle les copie sur son ordinateur. Puis elle emmène son ordinateur au lycée et le connecte au réseau de l'université, et si le réseau informatique de l'université « collabore » avec l'espionnage de la RIAA, et qu'elle n'a pas correctement protégé son contenu du réseau (savez-vous faire cela vous-même ?), alors la RIAA pourra détecter votre fille comme étant une « criminelle ». Et d'après le réglement que les universités commencent à appliquer[178], votre fille peut perdre le droit d'utiliser le réseau informatique de l'université. Elle peut, dans certains cas, être renvoyée.

Maintenant, bien sûr, elle aura le droit de se défendre. Vous pouvez lui prendre un avocat (à 300 $ de l'heure, si vous avez de la chance), et elle peut plaider qu'elle ne savait rien sur l'origine des chansons, ou du fait qu'elle venaient de Napster. Il se peut très bien que l'université la croit. Mais l'université pourrait ne pas la croire. Elle pourrait traiter cette « contrebande » avec une présomption de culpabilité. Et comme l'ont déjà appris un certain nombre d'étudiants, la présomption d'innocence disparaît au milieu des guerres de prohibition. Cette guerre n'est pas différente. Comme le dit von Lohmann,

Donc quand nous parlons de nombres comme quarante ou soixante millions d'américains considérés comme étant essentiellement des violeurs de copyright, vous créez une situation où les libertés civiles de ces personnes sont d'une manière générale grandement en péril. Je ne pense pas qu'il existe une quelconque analogie où vous pourriez choisir une personne au hasard dans la rue et être convaincu qu'elle a commis un acte illégal qui pourrait la mettre au pilori par d'éventuelles poursuites au pénal pour crime, ou par une amende de centaines de millions de dollars à payer au civil. Bien sûr nous roulons tous trop vite, mais rouler vite n'est pas le genre d'acte pour lequel nous perdons régulièrement des libertés civiles. Certaines personnes prennent de la drogue, et je pense que c'est l'analogie la plus proche, mais de nombreuses personnes ont noté que la guerre contre la drogue a érodé toutes nos libertés civiles parce qu'elle a traité tant d'américains comme des criminels. Et bien, je pense qu'il est juste de dire que le partage de fichiers est, en nombre d'américains, à un ordre de magnitude plus grand que la prise de drogue. […] Si quarante à soixante millions d'américains sont devenus des hors-la-loi, alors nous sommes vraiment sur une pente glissante qui mènera à la perte de beaucoup de libertés civiles pour chacun de ces quarante à soixante millions d'individus.

Quand quarante à soixante millions d'américains sont considérés comme « criminels » par la loi, et quand la loi pourrait atteindre le même objectif — sécuriser les droits des auteurs — sans considérer ces millions d'individus comme « criminels », qui est le méchant ? Les américains ou la loi ? Qu'est-ce qui est américain, une guerre constante contre notre peuple ou un effort concerté par voie démocratique pour changer notre loi ?



[157] Voir Lynne W. Jeter, Disconnected: Deceit and Betrayal at WorldCom, John Wiley & Fils, 2003, p. 176 et 204. Pour les détails du règlement, voir le communiqué de presse de MCI, « MCI Wins U.S. District Court Approval for SEC Settlement », 7 juillet 2003, disponible au lien nº 37.

[158] La loi, conçue d’après la réforme de la responsabilité pénale de la Californie, a été votée par la Chambre des représentants, mais a été rejetée en juillet 2003 par le Sénat. Pour une vue d’ensemble, voir Tanya Albert, « Measure Stalls in Senate: “We'll Be Back,” Say Tort Reformers », Amednews.com, 28 juillet 2003, disponible au lien nº 38, et Dan Collins, « Senate Turns Back Malpractice Caps », CBSNews.com, 9 juillet 2003, disponible au lien nº 39. Le président Bush a continué à pousser la réforme de la responsabilité pénale dans les derniers mois.

[159] Voir Danit Lidor, « Artists Just Wanna Be Free », Wired, 7 juillet 2003, disponible au lien nº 40. Pour un aperçu de l’exposition, voir lien nº 41.

[160] Voir Joseph Menn, « Universal, EMI Sue Napster Investor », Los Angeles Times, 23 avril 2003. Pour un argument parallèle sur les effets de l’innovation sur la distribution de musique, voir Janelle Brown, « The Music Revolution Will Not Be Digitized », Salon.com, 1er juin 2001, disponible au lien nº 42. Voir aussi Jon Healey, « Online Music Services Besieged », Los Angeles Times, 28 mai 2001.

[161] Rafe Needleman, « Driving in Cars with MP3s », Business2.com, 16 juin 2003, disponible au lien nº 43. Je remercie Dr Mohammad Al-Ubaydli de m’avoir signalé cet exemple.

[162] GartnerG2 et Berkman Center for Internet & Society at Harvard Law School, op. cit., p. 33-35, disponible au lien nº 44.

[163] Idem, p. 26-27.

[164] Voir David McGuire, « Tech Execs Square Off Over Piracy », Newsbytes (Entertainment), 28 février 2002.

[165] Jessica Litman, Digital Copyright, Prometheus Books, 2001.

[166] La seule exception auprès d’un « tribunal de circuit » (NDT. Un Circuit cour est un tribunal itinérant : il s’agit d’un dispositif spécifique aux pays de common law) se trouve dans Recording Industry Association of America (RIAA) v. Diamond Multimedia Systems, 180 F. 3d 1072 (9th Cir. 1999). Il y apparaît que la cour d’appel du neuvième circuit argumenta que les fabricants de lecteurs MP3 portables ne pouvaient être tenus responsables de contribuer aux infractions sur les copyrights pour un appareil incapable d’enregistrer ou de rediffuser de la musique (un appareil qui a seulement une fonction de copie ne peut dupliquer qu’un fichier lui-même déjà stocké sur le disque dur de l’utilisateur). Au niveau des cours de district, la seule exception se trouve dans Metro-Goldwyn-Mayer Studios, Inc. v. Grokster, Ltd., 259 F. Supp. 2d 1029 (C.D. Cal., 2003), où la cour trouva que le lien entre un distributeur et le comportement d’un utilisateur était trop ténu pour rendre le distributeur responsable d’une infraction commise par autrui, ni directement ni par fourniture de moyen.

[167] Par exemple, en juillet 2002, le représentant Howard Berman proposa un Peer-to-Peer Piracy Prevention Act (H.R. 5211) qui aurait protégé les propriétaires de copyright de poursuites judiciaires en cas de détérioration des ordinateurs provoquée par l’utilisation de technologies de protection des copyrights. En août 2002, le député Billy Tauzin introduisit un projet de loi prévoyant que les technologies permettant la rediffusion de copies numériques de films diffusés à la TV (c.-à-d. d’ordinateurs) empêchent de copier un contenu qui serait signalé « pour la diffusion ». Et en mars de la même année, le sénateur Fritz Hollings proposa un Consumer Broadband and Digital Television Promotion Act, qui tendait à faire appliquer les technologies de protection des copyrights sur tous les supports numériques. GartnerG2 et Berkman Center for Internet & Society at Harvard Law School, op. cit., p. 33-34, disponible au lien nº 44.

[168] Lawrence Lessing, op. cit., p. 239.

[169] Idem, p. 229.

[170] Cet exemple est dérivé des taxes fixées dans les actes originaux du Copyright Arbitration Royalty Panel (CARP), et est tiré de l’exemple donné par le professeur William Fisher. « Actes de conférence », iLaw (Stanford), le 3 juillet 2003, dossier de l’auteur. Les professeurs Fisher et Zittrain soumirent un témoignage au CARP qui a finalement été rejeté. Voir Jonathan Zittrain, Digital Performance Right in Sound Recordings and Ephemeral Recordings, Docket No. 2000-9, CARP DTRA 1 et 2, disponible au lien nº 45. Pour une excellente analyse sur un point similaire, voir Randal C. Picker, « Copyright as Entry Policy: The Case of Digital Distribution », The Antitrust Bulletin, vol. 47, nº 423, 2002, p. 461 : « Ce n’était pas du désarroi, mais juste la bonne vieille méthode pour faire barrage à de nouveaux arrivants. Les stations de radio analogiques sont protégées des arrivants numériques, réduisant ainsi la possibilité d’avoir de nouveaux acteurs et la diversité dans ce secteur. Oui, cela a été fait sous prétexte de rémunérer les ayants droit, mais sans de puissants intérêts en jeu, cela aurait pu être fait d’une façon neutre vis à vis du moyen de transmission. »

[171] Mike Graziano et Lee Rainie, « The Music Downloading Deluge », Pew Internet and American Life Project, 24 avril 2001, disponible au lien nº 46. Le Pew Internet and American Life Project estime que 37 millions d’américains ont téléchargé des fichiers de musique via Internet depuis le début de 2001.

[172] Alex Pham, « The Labels Strike Back: N.Y. Girl Settles RIAA Case », Los Angeles Times, 10 septembre 2003.

[173] Jeffrey A. Miron et Jeffrey Zwiebel, « Alcohol Consumption During Prohibition », The American Economic Review, vol. 81, nº 2, 1991, p. 242.

[174] « Politique nationale de lutte contre la drogue », audition devant la commission de la surveillance et de la réforme du gouvernement de la Chambre des représentants, 108e Congrès, 1re session, 5 mars 2003, déclaration de John P. Walters, directeur du National Drug Control Policy.

[175] Voir James Andreoni, Brian Erard et Jonathan Feinstein, « Tax Compliance », Journal of Economic Literature, vol. 36, nº 2, 1998, p. 818 (vue d’ensemble des études sur la conformité des taxations).

[176] Voir Frank Ahrens, « RIAA’s Lawsuits Meet Surprised Targets; Single Mother in Calif., 12-Year-Old Girl in N.Y. Among Defendants », The Washington Post, 10 septembre 2003 ; Chris Cobbs, « Worried Parents Pull Plug on File “Stealing”; With the Music Industry Cracking Down on File Swapping, Parents are Yanking Software from Home PCs to Avoid Being Sued », Orlando Sentinel Tribune, 30 août 2003 ; Jefferson Graham, « Recording Industry Sues Parents », USA Today, 14 septembre 2003 ; John Schwartz, « She Says She's No Music Pirate. No Snoop Fan, Either », The New York Times, 25 septembre 2003 ; Margo Varadi, « Is Brianna a Criminal? » Toronto Star, 18 septembre 2003.

[177] Voir Associated Press, « Revealed: How RIAA Tracks Downloaders: Music Industry Discloses Some Methods Used », dépêche reprise par CNN.com, 28 août 2003, disponible au lien nº 47.

[178] Voir Jeff Adler, « On Campus, Pirates Are Not Penitent », The Boston Globe, 18 mai 2003 ; Frank Ahrens, « Four Students Sued over Music Sites; Industry Group Targets File Sharing at Colleges », The Washington Post, 4 avril 2003 ; Elizabeth Armstrong, « Students “Rip, Mix, Burn” at Their Own Risk », The Christian Science Monitor, 2 septembre 2003 ; Robert Becker et Angela Rozas, « Music Pirate Hunt Turns to Loyola; Two Students Names Are Handed Over; Lawsuit Possible », Chicago Tribune, 16 juillet 2003 ; Beth Cox, « RIAA Trains Antipiracy Guns on Universities », InternetNews.com, 30 janvier 2003, disponible au lien nº 48 ; Benny Evangelista, « Download Warning 101: Freshman Orientation This Fall to Include Record Industry Warnings Against File Sharing », San Francisco Chronicle, 11 août 2003 ; « Raid, Letters Are Weapons at Universities », USA Today, 26 septembre 2000.

Partie IV. Équilibres

Voici la scène : Vous êtes debout au le bord de la route. Votre voiture a pris feu. Vous êtes énervé et en colère parce que vous êtes en partie responsable de l'incendie. Et maintenant vous ne savez pas comment l'éteindre. Près de vous se trouve un seau rempli d'essence. Évidemment, ce n'est pas avec de l'essence que vous allez l'éteindre.

Alors que vous êtes en train de réfléchir, quelqu'un arrive. Paniquée, elle s'empare du seau. Avant que vous n'ayez pu lui dire d'arrêter (ou avant qu'elle n'ait pu comprendre pourquoi arrêter) le seau vole en l'air. L'essence est sur le point de toucher la voiture en flammes. Et elle est sur le point de mettre le feu à tout ce qui se trouve autour.

Une guerre du copyright fait rage autour de nous, et nous nous occupons d'un faux problème. Sans doute, les technologies actuelles menacent certaines entreprises. Aucun doute qu'elles menacent aussi certains artistes. Mais les technologies changent. Les industries et les ingénieurs ont beaucoup de moyens d'utiliser la technologie pour se protéger des menaces engendrées par Internet. C'est un feu qui, livré à lui même, s'éteindrait tout seul.

Cependant nos décideurs ne veulent pas laisser ce feu tout seul. Les poches pleines de l'argent des lobbyistes, ils sont décidés à intervenir pour éliminer le problème qu'ils perçoivent. Mais le problème qu'ils perçoivent n'est pas la véritable menace qui pèse sur notre culture. Car pendant que nous regardons ce petit feu dans un coin de la scène, un changement massif est en train de se produire partout ailleurs, dans la manière dont la culture est produite.

D'une manière ou d'une autre, nous devons trouver un moyen de tourner notre attention vers ce problème plus important et plus fondamental. Nous devons trouver un moyen d'éviter de répandre de l'essence sur ce feu.

Nous n'avons pas encore trouvé ce moyen. Au lieu de quoi nous semblons enfermés dans un point de vue simple et binaire. Quel que soit le nombre de gens qui essaient d'ouvrir ce débat, c'est le point de vue simple et binaire qui l'emporte. Nous nous retournons pour contempler le feu quand nous devrions garder les yeux sur la route.

J'ai consacré mon existence à ce défi pendant les dernières années. Cela a aussi été un échec. Dans les deux chapitres qui suivent, je décris quelques-uns de mes efforts, jusqu'ici sans succès, pour trouver un moyen de recentrer le débat. Nous devons comprendre ces échecs si nous voulons comprendre comment gagner.

Chapitre 13. Eldred

En 1995, un père était frustré que ses filles semblent ne pas apprécier Hawthorne. Nul doute qu'il y avait plus d'un père dans cette situation, mais au moins l'un d'entre eux tenta d'y changer quelque chose. Eric Eldred, un programmeur à la retraite qui vivait dans le New Hampshire, décida de mettre Hawthorne sur le web. Une version électronique, pensa Eldred, avec des liens vers des images et des textes explicatifs, ressusciterait l'œuvre de cet auteur du dix-neuvième siècle.

Cela ne marcha pas — du moins pour ses filles. Elles ne trouvèrent pas Hawthorne plus intéressant qu'avant. Mais l'expérience d'Eldred donna naissance à un hobby, et ce hobby engendra une vocation : Eldred allait construire une bibliothèque d'œuvres du domaine public, en scannant ces œuvres et en les mettant gratuitement à la disposition de tous.

La bibliothèque d'Eldred n'était pas simplement une copie de certaines œuvres du domaine public, quoique même une copie eût été d'une grande valeur pour les gens de par le monde qui ne peuvent pas accéder aux versions imprimées de ces œuvres. Au lieu de cela, Eldred produisait des œuvres dérivées de ces œuvres du domaine public. Tout comme Disney changea Grimm en histoires plus accessibles au vingtième siècle, Eldred transforma Hawthorne, et de nombreux autres, en une forme plus accessible — techniquement accessible — aujourd'hui.

La liberté d'Eldred de faire ça avec l'œuvre d'Hawthorne est issue de la même source que celle de Disney. Scarlet Letter d'Hawthorne est passé dans le domaine public en 1907. Il était donc libre d'accès pour quiconque, sans besoin de la permission des héritiers de Hawthorne ou de qui que ce soit d'autre. Certains, comme Dover Press et Penguin Classics, prennent des œuvres du domaine public et produisent des éditions imprimées, qu'ils vendent en librairie partout dans le pays. D'autres, comme Disney, prennent ces histoires et les changent en dessins animés, parfois avec succès (Cendrillon), parfois sans (Notre-Dame de Paris, La Planète au Trésor). Ce sont toutes des publications commerciales d'œuvres du domaine public.

Internet a créé la possibilité de faire des publications non commerciales des œuvres du domaine public. Celle d'Eldred n'est qu'un exemple. Il y en a littéralement des milliers d'autres. Des centaines de milliers de personnes de par le monde ont découvert cette plateforme d'expression et l'utilisent maintenant pour partager des œuvres qui sont, aux yeux de la loi, d'accès libre et gratuit. Cela a produit ce que nous pourrions appeler une « industrie non commerciale de publication », qui, avant Internet, était limitée aux gens avec un grand ego ou avec une cause politique ou sociale. Mais avec Internet, cela comprend une population très diverse et des groupes dévoués à la diffusion de la culture en général[179].

Comme je l'ai dit, Eldred habite dans le New Hampshire. En 1998, la collection de poèmes de Robert Frost, New Hampshire, était promise au passage dans le domaine public. Eldred voulait publier cette collection dans sa bibliothèque publique gratuite. Mais le Congrès s'interposa. Comme je l'ai décrit dans le chapitre 10, en 1998, pour la onzième fois en quarante ans, le Congrès prolongea la durée des copyrights existants — cette fois de vingt ans. Eldred devrait attendre 2019 avant d'être libre d'ajouter à sa collection des oeuvres créées après 1923. En effet, aucune oeuvre sous copyright ne passerait dans le domaine public avant cette date (sauf si le Congrès prolonge à nouveau la durée). En comparaison, pendant la même période, plus de un million de brevets passeront dans le domaine public.

C'était le Sonny Bono Copyright Term Extension Act (CTEA) (NdT : Loi d'Extension du Délai de Copyright de Sonny Bono), édictée à la mémoire du membre du Congrès et ancien musicien Sonny Bono, qui, selon sa veuve, Mary Bono, croyait que « les copyright devraient durer pour toujours ».[180]

Eldred décida de se battre contre cette loi. Il s'y résolut d'abord par la désobéissance civile. Dans une série d'entretiens, Eldred annonça qu'il publierait comme prévu, malgré le CTEA. Mais à cause d'une deuxième loi passée en 1998, le NET (No Electronic Theft, Pas de Vol Électronique) Act, son acte de publication allait faire d'Eldred un criminel — que quelqu'un porte plainte ou non. C'était une stratégie dangereuse à entreprendre pour un programmeur invalide.

C'est à ce moment que je fus impliqué dans la bataille d'Eldred. J'étais un spécialiste de la constitution, dont la première passion était l'interprétation constitutionnelle. Et bien que les cours de droit constitutionnel ne se focalisent jamais sur la Clause de Progrès (Progress Clause), elle m'avait toujours frappé comme étant crucialement différente. Comme vous le savez, la Constitution dit :

Le Congrès a le pouvoir de promouvoir le Progrès de la Science [...] en sécurisant pour une Durée limitée aux Auteurs [...] un Droit exclusif sur leurs [...] Écrits.

Comme je l'ai décrit, cette clause est unique parmi la clauses d'allocation de pouvoir de la section 8 de l'Article I de notre Constitution. Toute autre clause conférant du pouvoir au Congrès dit simplement que le Congrès a le pouvoir de faire quelque chose — par exemple, de réglementer « le commerce parmi les divers États » ou de « déclarer la guerre ». Mais ici, le « quelque chose » est très particulier — de « promouvoir [...] le Progrès » — à travers des moyens également spécifiques — en « sécurisant » des « Droits exclusifs » (c'est-à-dire des copyrights) « pour une Durée limitée ».

Au cours des quarante dernières années, le Congrès a pris l'habitude de prolonger la durée existante de la protection du copyright. Ce qui m'a rendu perplexe dans cette pratique c'est que, si le Congrès a le pouvoir de prolonger les durées existantes, alors l'exigence de la Constitution que ces durées soient « limitées » n'aura pas d'effet pratique. Si à chaque fois qu'un copyright est sur le point d'expirer le Congrès a le pouvoir de le prolonger, alors le Congrès peut réussir ce que la Constitution interdit clairement — la durée perpétuelle « par versements échelonnés », comme le dit si bien le Professeur Peter Jaszi.

En tant qu'universitaire, ma première réaction fut de me plonger dans les livres. Je me souviens être resté assis tard au bureau, fouillant des bases de données en ligne à la recherche de toute considération sérieuse sur la question. Personne n'avait jamais contesté la pratique du Congrès de prolonger les durées existantes. Cette lacune constitue peut-être en partie la raison pour laquelle le Congrès semblait si confortablement installé dans son habitude. Ceci, et aussi le fait que cette pratique est devenue si lucrative pour le Congrès. Le Congrès sait que les détenteurs de copyright seront disposés à payer des sommes considérables pour voir leurs durées de copyright prolongées. Et donc le Congrès est assez satisfait d'exploiter ce bon filon.

Car c'est le cœur de la corruption dans notre système actuel de gouvernement. « Corruption » non pas dans le sens où les représentants sont soudoyés. Plutôt, « corruption » dans le sens où le système incite les bénéficiaires des lois du Congrès à donner de l'argent au Congrès pour l'inciter à voter les lois. Le temps est limité ; et le Congrès ne peut pas tout faire. Pourquoi ne pas limiter ses actions aux choses à faire impérativement — et qui rapportent ? Prolonger la durée du copyright est très lucratif.

Si cela n'est pas évident pour vous, considérez la chose suivante : disons que vous êtes un des quelques très chanceux propriétaires d'un copyright qui continue à rapporter de l'argent cent ans après sa création. La succession de Robert Frost est un bon exemple. Frost est mort en 1963. Sa poésie continue à avoir une valeur extraordinaire. Ainsi les ayants droit de Robert Frost bénéficient grandement de toute prolongation du copyright, puisqu'aucun éditeur ne donnerait de l'argent aux ayants droit si les poèmes écrits par Frost pouvaient être édités par quiconque gratuitement.

Donc imaginez que l'ayant droit de Robert Frost gagne 100 000 dollars par an pour trois poèmes de Frost. Et imaginez que le copyright pour ces poèmes soit sur le point d'expirer. Vous siégez au comité qui gère l'héritage de Robert Frost. Votre conseiller financier vient à votre réunion du comité avec un rapport très morose :

« L'année prochaine », annonce le conseiller, « nos droits sur les œuvres A, B et C vont expirer. Cela signifie que l'année prochaine, nous ne recevrons plus le chèque annuel de droits d'auteur de 100 000 dollars des éditeurs de ces œuvres ».

« Il y a une proposition au Congrès, toutefois », continue-t-il, « qui pourrait changer ça. Quelques membres du Congrès ont émis un projet de loi pour prolonger la durée du copyright de vingt ans. Cette loi aurait une valeur extraordinaire pour nous. Donc nous devrions espérer que cette loi soit adoptée. »

« Espérer ? » dit un membre du comité. « Ne pouvons-nous pas y faire quelque chose ? »

« Eh bien, évidemment, oui », répond le conseiller. « Nous pourrions contribuer aux campagnes d'un certain nombre de représentants pour essayer de s'assurer de leur soutien au projet de loi. »

Vous détestez la politique. Vous détestez contribuer aux campagnes. Donc vous voulez savoir si cette pratique répugnante en vaut le coup. « Combien obtiendrions-nous si cette prolongation passait ? » demandez-vous au conseiller. « Combien vaut-elle ? »

« Et bien », dit le conseiller, « si vous êtes sûr que vous continuerez à obtenir au moins 100.000 dollars par an de ces copyrights, et que vous utilisez le taux d'escompte que nous utilisons pour évaluer les investissements de la succession (6 pour cent), alors cette loi vaudrait 1.146.000 dollars pour la succession. »

Vous êtes un peu choqué par ce montant, mais vous arrivez rapidement à la conclusion correcte :

« Donc vous dites que cela vaudrait le coup pour nous de payer plus de un millon de dollars en contributions de campagne si nous étions sûrs que ces contributions feraient passer cette loi ? »

« Absolument », répond le conseiller. « Cela vaut le coup pour vous de contribuer jusqu'à la valeur actualisée du revenu que vous attendez de ces copyrights. Ce qui pour nous signifie plus d'un million de dollars. »

Vous voyez rapidement l'idée — vous, en tant que membre du comité et, j'espère, vous le lecteur. Chaque fois que les copyrights sont sur le point d'expirer, tout bénéficiaire dans la position des héritiers de Robert Frost est face au même choix : si il peut contribuer à obtenir une loi qui prolonge le copyright, il bénéficiera grandement de cette prolongation. Et donc à chaque fois que les copyright sont sur le point d'expirer, il y a une quantité massive de lobbying pour prolonger leur durée.

D'où une machine à mouvement perpétuel en direction du congrès : aussi longtemps que la législation pourra être achetée (bien qu'indirectement), il y aura toutes les motivations du monde à acheter davantage de prolongations de copyright.

Dans le lobbying qui a mené au vote du Sonny Bono Copyright Term Extension Act, cette « théorie » sur les motivations s'est avérée juste. Dix des trente représentants ayant soutenu la loi à la Chambre ont reçu la contribution maximale du comité d'action politique de Disney ; au sénat, huit des douze représentants ont reçu des contributions[181]. On estime que la RIAA et la MPAA ont dépensé plus de 1,5 million de dollars en lobbying dans le cycle électoral de 1998. Ils ont payé plus de 200.000 dollars en contributions de campagne[182]. On estime que Disney a contribué pour plus de 800.000 dollars aux campagnes de réélection du cycle de 1998[183].

La loi constitutionnelle n'oublie pas les choses évidentes. Ou au moins, elle n'en a pas besoin. Donc quand j'examinais la plainte d'Eldred, cette réalité à propos des motivations sans fin pour augmenter la durée du copyright était centrale dans ma réflexion. De mon point de vue, un tribunal pragmatique, engagé à interpréter et appliquer la Constitution de nos concepteurs, verrait que si le Congrès a le pouvoir d'augmenter les durées existantes, alors il n'y aurait aucune exigence constitutionnelle effective que ces durées soient « limitées ». S'ils pouvaient le faire une fois, ils le feraient à nouveau, encore et encore.

C'était également mon avis que cette Cour Suprême ne permettrait pas au Congrès de prolonger les durées existantes. Comme le sait toute personne proche de la Cour Suprême, cette Cour a de plus en plus restreint le pouvoir du Congrès quand elle a vu que les actions du Congrès excédaient le pouvoir accordé par la Constitution. Pour les spécialistes constitutionnels, l'exemple le plus célèbre de cette tendance est la décision de la Cour Suprême prise en 1995 de faire tomber une loi qui interdisait la possession d'armes près des écoles.

Depuis 1937, la Cour Suprême a fait une interprétation très étendue des pouvoirs accordés au Congrès ; donc, tandis que la constitution accorde au Congrès le pouvoir de ne réglementer que le « commerce entre les différents états » (aussi appelé « commerce inter-état »), la Cour Suprême a interprété ce pouvoir comme incluant le pouvoir de réglementer toute activité qui touche simplement le commerce entre états.

Alors que l'économie grandissait, ce standard signifiait de plus en plus qu'il n'y avait pas de limite au pouvoir de réglementation du Congrès, étant donné que quasiment toute activité, considérée à l'échelle nationale, affecte le commerce entre états. Une Constitution conçue pour limiter le pouvoir du Congrès était à la place interprétée comme n'imposant aucune limite.

La cour suprême, sous la présidence du juge Rehnquist, changea ça au procès États-Unis contre Lopez. Le gouvernement avait affirmé que posséder des armes près des écoles affectait le commerce entre états. Les armes près des écoles augmentent le crime, le crime fait baisser la valeur immobilière, et ainsi de suite. Dans sa plaidoirie, le président de la Cour demanda au gouvernement si avec un tel raisonnement il y avait quelconque activité qui pourrait ne pas affecter le commerce entre états. Le gouvernement dit qu'il n'y en avait pas ; si le Congrès dit qu'une activité affecte le commerce entre états, alors cette activité affecte le commerce entre états. Selon le gouvernement, la Cour Suprême n'était pas en position de remettre en question le Congrès.

« Nous marquons une pause pour examiner les implications des arguments du gouvernement », écrivit le président de la Cour[184]. Si le Congrès pouvait à sa guise considérer que n'importe quel sujet concerne le commerce entre état, alors il n'y aurait aucune limite au pouvoir du Congrès. Cette décision dans Lopez fut réaffirmée cinq ans plus tard dans États-Unis contre Morrison[185].

Si un principe est applicable ici, alors il devrait s'appliquer à la Clause de Progrès autant qu'à la Clause de Commerce[186]. Et s'il est appliqué à la Clause de Progrès, cela devrait mener à la conclusion que le Congrès ne peut pas étendre une durée existante. Si le Congrès pouvait étendre une durée existante, alors il n'y aurait pas de « point d'arrêt » à son pouvoir sur les durées, alors que la Constitution établit expressément qu'une telle limite existe. Ainsi, le même principe appliqué au pouvoir d'accorder des copyrights devrait impliquer que le Congrès n'a pas le droit de prolonger la durée des copyrights existants.

Si, pour ainsi dire, le principe annoncé dans Lopez représentait un principe. Beaucoup crurent que la décision dans Lopez était une manoeuvre politique — une Cour Suprême conservatrice, qui croyait dans les droits des états, utilisant son pouvoir sur le Congrès pour mettre en avant ses propres préférences politiques personnelles. Mais j'ai rejeté ce point de vue sur la décision de la Cour Suprême. En effet, peu après la décision, j'ai écrit un article démontrant que cette décision était « fidèle » à l'esprit de la Constitution. L'idée que la Cour Suprême fonde ses décisions sur des calculs politiques m'a paru extraordinairement ennuyeuse. Je n'allais pas dévouer ma vie à enseigner la loi constitutionnelle si ces neuf juges se comportaient en petits politiciens.

Faisons maintenant une pause pendant un instant pour être sûr de bien comprendre quelle argumentation ne s'applique pas à l'affaire Eldred. En insistant sur les limites de la Constitution sur le copyright, Eldred ne cautionnait évidemment pas le piratage. En effet, à l'évidence, il combattait une sorte de piratage — le piratage du domaine public. Quand Robert Frost écrivit son oeuvre et quand Walt Disney créa Mickey Mouse, la durée maximale du copyright était de seulement cinquante-six ans. À cause de changements dans l'intervalle, Frost et Disney avaient déjà bénéficié d'un monopole de soixante-quinze ans sur leur oeuvre. Ils avaient profité du marché que la Constitution imagine : en échange d'un monopole protégé pendant cinquante-six ans, ils créaient de nouvelles oeuvres. Mais maintenant ces entités utilisaient leur pouvoir — par l'argent des lobbyistes — pour avoir vingt ans de plus de monopole. Ce morceau de vingt ans était pris du domaine public. Eric Eldred combattait un piratage qui nous concerne tous.

Certaines personnes voient le domaine public avec mépris. Dans leur dossier devant la Cour Suprême, la Nashville Songwriters Association écrivit que le domaine public n'était rien d'autre que du « piratage légal »[187]. Mais ce n'est pas du piratage quand la loi l'autorise ; et dans notre système constitutionnel, la loi l'exige. Certains peuvent ne pas apprécier les exigences de la Constitution, mais cela n'en fait pas une charte de pirate.

Comme nous l'avons vu, notre système constitutionnel impose des limites aux copyrights afin de garantir que leurs propriétaires n'influencent par trop lourdement le développement et la distribution de notre culture. Pourtant, comme l'a découvert Eric Eldred, nous avons installé un système qui garantit que la durée des copyrights sera constamment prolongée. Nous avons créé là un scénario catastrophe pour le domaine public. Les copyrights n'ont pas expiré, et n'expireront pas, aussi longtemps que le Congrès est libre d'être acheté pour les prolonger à nouveau.

Ce sont les copyrights de valeur qui sont responsables de l'allongement de la durée. Mickey Mouse et « Rhapsody in Blue ». Ces oeuvres ont trop de valeur pour que les détenteurs de copyright les lâchent. Mais le vrai préjudice à notre société de ces prolongations de copyright n'est pas que Mickey Mouse reste à Disney. Oubliez Mickey Mouse. Oubliez Robert Frost. Oubliez toutes les oeuvres des années 1920 et 1930 qui continuent à avoir une valeur commerciale. Le vrai préjudice ne vient pas de ces oeuvres célèbres. Le vrai préjudice touche les oeuvres qui ne sont pas célèbres, pas commercialisées, et qui en conséquence ne sont plus disponibles.

Si vous regardez les oeuvres créées dans les vingt premières années (de 1923 à 1942) concernées par le Sonny Bono Copyright Term Extension Act, deux pour cent de ces oeuvres continuent à avoir une quelconque valeur commerciale. Ce sont les propriétaires de copyright de ces deux pour cent qui ont fait passer le CTEA. Mais la loi et ses effets ne se sont pas limités à ces deux pour cent. La loi a prolongé la durée du copyright de façon générale[188].

Pensez aux conséquences pratiques de cette extension — concrètement, comme un homme d'affaire, pas comme un avocat désireux d'avoir plus de travail juridique. En 1930, 10.047 livres ont été publiés. En 2000, 174 d'entre eux étaient encore imprimés. Imaginons que vous êtes Brewster Kahle, et que vous vouliez rendre disponible au monde dans votre projet iArchive les 9.873 livres restants. Qu'auriez-vous à faire ?

Et bien, tout d'abord, vous auriez à déterminer lesquels de ces 9.873 livres sont encore sous copyright. Cela nécessiterait d'aller dans une bibliothèque (ces données ne sont pas en ligne) et de tourner les pages de nombreux tomes, à faire les vérifications croisées des titres et des auteurs des 9.873 livres avec le registre du copyright, et les enregistrements de renouvellement des oeuvres publiées en 1930. Cela produira une liste de livres encore sous copyright.

Puis pour les livres encore sous copyright, vous auriez besoin de localiser les propriétaires actuels du copyright. Comment feriez-vous cela ?

La plupart des gens pensent qu'il doit y avoir une liste de ces propriétaires de copyright quelque part. Les gens pragmatiques pensent ainsi. Comment pourrait-il y avoir des milliers et des milliers de monopoles gouvernementaux sans qu'il y ait au moins une liste ?

Mais il n'y a pas de liste. Il y a peut-être un nom en 1930, et puis en 1959, de la personne qui a enregistré le copyright. Mais imaginez simplement la difficulté, en pratique insurmontable, de retrouver des milliers de tels enregistrements — d'autant plus que la personne enregistrée n'est pas forcément le propriétaire actuel. Et nous ne parlons que de 1930 !

« Mais il n'y a pas une liste générale des propriétaires », répondent les apologistes du système. « Pourquoi devrait-il y en avoir une des propriétaires de copyright ? »

Eh bien, en fait, si vous y réfléchissez, il y a de nombreuses listes de qui possède quelle propriété. Pensez aux actes de vente dans l'immobilier, ou aux titres de propriété sur les voitures. Et quand bien même il n'y aurait pas de liste, les conventions de l'espace physique sont assez bonnes pour suggérer qui est le propriétaire d'une partie de propriété. (Une balançoire installée dans votre jardin est probablement à vous.) Donc formellement ou de façon informelle, nous avons un moyen plutôt bon de dire qui possède quelle propriété tangible.

Donc : vous marchez dans la rue et vous voyez une maison. Vous pouvez savoir qui possède cette maison en regardant dans le registre du palais de justice. Si vous voyez une voiture, il y a habituellement une plaque d'immatriculation qui fera le lien avec le propriétaire de la voiture. Si vous voyez un tas de jouets d'enfants devant la pelouse d'une maison, il est assez facile de déterminer qui possède les jouets. Et s'il nous arrive de voir une balle de baseball traîner dans un caniveau sur le côté de la route, cherchez du regard un peu autour de vous des enfants jouant à la balle. Si vous ne voyez pas d'enfant, alors d'accord : voici un morceau de propriété dont il n'est pas facile de déterminer le propriétaire. C'est l'exception qui confirme la règle : que d'ordinaire nous savons assez bien qui possède quelle propriété.

Comparez cette histoire à la propriété intangible. Vous allez dans une bibliothèque. La bibliothèque possède les livres. Mais qui possède les copyrights ? Comme décrit précédemment, il n'existe pas de liste de propriétaires de copyright. Il y a les noms des auteurs, bien sûr, mais leurs copyrights peuvent être assignés, ou passés à un héritier comme les vieux bijoux de Grand-Mère. Pour savoir qui possède quoi, il vous faudrait embaucher un détective privé. Au bout du compte : le propriétaire ne peut pas être facilement localisé. Et dans un régime comme le nôtre, dans lequel utiliser une propriété sans la permission du propriétaire est un délit, la propriété ne va tout bonnement pas être utilisée.

La conséquence par rapport aux vieux livres est qu'ils ne vont pas être numérisés, et ainsi ils vont simplement disparaître en pourrissant sur les étagères. Mais la conséquence pour d'autres oeuvres de création est bien plus affreuse.

Considérez l'histoire de Michael Agee, président de Hal Roach Studios, qui possède les copyrights des films de Laurel et Hardy. Agee est un bénéficiaire direct du Bono Act. Les films de Laurel et Hardy ont été faits entre 1921 et 1951. Seul un de ces films, The Lucky Dog, est actuellement hors copyright. Mais sans le CTEA, les films réalisés après 1923 auraient commencé à entrer dans le domaine public. Parce que Agee contrôle les droits exclusifs de ces films populaires, il se fait beaucoup d'argent. D'après une estimation, « Roach a vendu environ 60.000 cassettes vidéos et 50.000 DVDs des films muets du duo »[189].

Et pourtant Agee s'est opposé au CTEA. Son raisonnement démontre une vertu rare dans cette culture : l'altruisme. Il argumenta dans un dossier devant la Cour Suprême que le Sonny Bono Copyright Term Extension Act, si il était maintenu, détruirait tout une génération de cinéma américain.

Son argument est direct. Une minuscule fraction de cette oeuvre continue à avoir une quelconque valeur commerciale. Le reste — dans la mesure qu'il survive — reste dans des coffres à ramasser de la poussière. Il se peut que certaines de ces oeuvres actuellement sans valeur commerciale soient considérées dans le futur par les propriétaires des coffres comme ayant de la valeur. Pour que cela arrive, toutefois, il faut que le bénéfice commercial de l'oeuvre excède les coûts de fabrication pour sa distribution.

On ne sait pas se prononcer sur les bénéfices, mais on en connaît beaucoup sur les coûts. Dans la majeure partie de l'histoire du cinéma, les coûts de restauration d'un film étaient très élevés ; les technologies numériques ont considérablement baissé ces coûts. Alors que la restauration d'un film en noir et blanc de quatre-vingt-dix minutes coûtait plus de 10.000 dollars en 1933, cela ne coûte maintenant que 100 dollars pour numériser une heure d'un film de 8 mm[190].

La technologie de restauration n'est pas le seul coût, ni le plus important. Les avocats, aussi, sont un coût, un coût très important et en croissance. En plus de préserver le film, un distributeur a besoin de sécuriser les droits. Et pour sécuriser les droits d'un film sous copyright, vous avez besoin de localiser le propriétaire du copyright.

Ou plus précisément, les propriétaires. Comme nous l'avons vu, il n'y a pas seulement un seul copyright associé à un film ; il y en a beaucoup. Il n'y a pas une unique personne que vous pouvez contacter pour ces copyrights ; il y en a autant que de propriétaires de droits, ce qui s'avère être un nombre très grand. Ainsi les coûts pour acquitter les droits de ces films sont exceptionnellement élevés.

« Mais ne pouvez-vous pas juste restaurer le film, le distribuer, et ensuite payer la propriétaire du copyright quand elle se présente ? » Bien sûr, si vous voulez commettre un délit. Et même si commetre un délit vous est égal, quand elle se présentera, elle aura le droit de vous poursuivre pour tout le profit que vous avez fait. Donc, si le film est un succès, vous pouvez être sûr que vous aurez un coup de fil de l'avocat de quelqu'un d'autre. Et si le film ne marche pas, vous ne pourrez même pas couvrir les frais de votre propre avocat. Dans tous les cas, vous devez parler à un avocat. Et comme c'est trop souvent le cas, dire que vous devez parler à un avocat est pareil que dire que vous ne gagnerez pas assez d'argent.

Pour certains films, le bénéfice de sortir le film peut bien excéder ces coûts. Mais dans la grande majorité des cas, les bénéfices ne peuvent pas l'emporter sur les coûts légaux. Ainsi, pour la vaste majorité des vieux films, argumenta Agee, le film ne sera pas restauré et distribué jusqu'à ce que le copyright expire.

Mais d'ici à ce que le copyright de ces films expire, le film aura disparu. Ces films ont été produits à base de nitrate, et le nitrate se dissout au fil du temps. Ils seront partis, et la cartouche de métal dans laquelle ils sont maintenant rangés sera remplie avec rien d'autre que de la poussière.

De toutes les oeuvres de création produites par des humains où que ce soit, une minuscule fraction a toujours une valeur commerciale. Pour cette minuscule fraction, le copyright est un système légal d'une importance cruciale. Pour cette minuscule fraction, le copyright crée des motivations pour produire et distribuer cette oeuvre. Pour cette minuscule fraction, le copyright agit comme un « moteur d'expression libre ».

Mais même pour cette minuscule fraction, la véritable durée pendant laquelle l'oeuvre de création a une vie commerciale est extrêmement courte. Comme je l'ai indiqué, la plupart des livres imprimés sont épuisés en une année. La même chose est vraie pour la musique et le cinéma. La culture commerciale est comme un requin. Elle doit toujours être en mouvement. Et quand une oeuvre de création tombe en disgrâce des distributeurs commerciaux, la vie commerciale s'achève.

Cela ne veut toutefois pas dire que la vie de l'oeuvre s'achève. Nous ne gardons pas des bibliothèques pour faire de la concurrence à Barnes & Noble, et nous n'avons pas des archives de films parce que nous nous attendons à ce que les gens choisissent entre passer le vendredi soir à regarder des films nouveaux et passer le vendredi soir à regarder un documentaire d'actualités de 1930. La vie non commerciale de la culture est importante et a de la valeur — pour le divertissement mais aussi, et surtout, pour le savoir. Pour comprendre qui nous sommes, et d'où nous venons, et comprendre nos erreurs et leur origine, nous avons besoin d'avoir accès à cette histoire.

Dans ce contexte, les copyrights ne favorisent pas un moteur d'expression libre. Dans ce contexte, il n'y a pas besoin d'un droit exclusif, et les copyrights ont un effet négatif.

Pourtant, pendant la majeure partie de notre histoire, ils ont aussi causé peu de préjudice. Quand une oeuvre avait fini sa vie commerciale, il n'y avait pas d'utilisation liée au copyright qui pouvait être interdite par un droit exclusif. Quand un livre était épuisé, vous ne pouviez pas l'acheter chez un éditeur. Mais vous pouviez toujours l'acheter dans une bouquinerie, et quand une bouquinerie le vend il n'y a pas besoin de payer quelque chose au propriétaire du copyright, en Amérique tout du moins. Ainsi, l'usage ordinaire d'un livre après sa commercialisation n'était pas assujeti à la loi sur le copyright.

C'était aussi le cas pour le cinéma. Les coûts de restauration d'un film — les coûts économiques réels, pas les frais d'avocat — étaient si élevés, qu'il n'était pas du tout envisageable de préserver ni de restaurer un film. Comme les restes d'un grand diner, quand c'est fini, c'est fini. Une fois qu'un film terminait sa vie commerciale, il peut avoir été archivé pendant un moment, mais c'était la fin de sa vie tant que le marché n'avait pas plus à offrir.

En d'autres termes, bien que le copyright ait été relativement court pendant la majeure partie de notre histoire, des copyrights longs n'auraient pas posé de problème aux oeuvres ayant perdu leur valeur commerciale. L'existence de copyrights longs pour ces oeuvres aurait été sans conséquence.

Mais la situation a maintenant changé.

Une conséquence d'une importance cruciale de l'émergence des technologies numériques est de permettre l'archivage dont Brewster Kahle rêve. Les technologies numériques rendent maintenant possible la préservation et l'accès à toute sorte de connaissance. Lorsqu'un livre est épuisé, nous pouvons imaginer le numériser et le rendre disponible à quiconque, pour toujours. Lorsqu'un film n'est plus distribué, nous pourrions le numériser et le rendre disponible à quiconque, pour toujours. Les technologies numériques donnent une nouvelle vie au matériel sous copyright une fois sa commercialisation terminée. Il est maintenant possible de préserver et d'assurer un accès universel à cette connaissance et culture, ce qui n'était pas le cas auparavant.

Et maintenant la loi du copyright s'interpose. Chaque étape de la production de cette archive numérique pour notre culture enfreint le droit exclusif du copyright. Numériser un livre, c'est le copier. Ce qui requiert la permission du propriétaire du copyright. Pareil pour la musique, les films, ou tout autre partie de notre culture protégée par copyright. Les efforts pour rendre ces choses disponibles aux historiens, ou aux chercheurs, ou à ceux qui veulent juste explorer, sont maintenant inhibés par un ensemble de règles initialement écrites pour un contexte radicalement différent.

Voici l'effet néfaste principal de l'allongement de la durée : maintenant que la technologie permet de reconstruire la bibliothèque d'Alexandrie, la loi s'interpose. Et elle ne s'interpose pas pour un but utile du copyright, comme de permettre au marché commercial de diffuser la culture. Non, nous parlons de culture après sa vie commerciale. Dans ce contexte, le copyright ne sert aucun but lié à la diffusion du savoir. Dans ce contexte, le copyright n'est pas un moteur d'expression libre. Le copyright est un frein.

Vous demanderez peut-être, « Mais si les technologies numériques baissent les coûts pour Brewster Kahle, alors elles baisseront les coûts pour les Éditions Machin, également. Donc, les Éditions Machin ne vont-t-il pas faire aussi bien que Brewster Kahle dans la diffuson large de la culture ? »

Peut-être. Un jour. Mais il n'y a absolument pas de preuve que les éditeurs seraient aussi complets que les bibliothèques. Si Barnes & Noble proposait le prêt à bas prix de ses livres en magasin, est-ce que cela éliminerait le besoin de bibliothèques ? Seulement si vous pensez que le seul rôle d'une bibliothèque est de servir la demande « du marché ». Mais si vous pensez que son rôle est plus important que cela — comme d'archiver la culture, qu'il y ait une demande ou non pour la partie archivée — alors nous ne pouvons pas compter sur le marché commercial pour faire le travail de bibliothécaire pour nous.

Je serais le premier d'accord pour qu'il en fasse le plus possible : nous devrions compter sur le marché autant que possible pour diffuser et rendre possible la culture. Mon message n'est absolument pas anti-marché. Mais là où nous voyons que le marché ne fait pas du bon travail, alors nous devrions accorder aux forces externes au marché la liberté de remplir les trous. Comme l'a calculé un chercheur pour la culture américaine, 94 pour cent des films, des livres et de la musique produits entre 1923 et 1946 n'est pas disponible commercialement. Aussi immodéré soit l'amour que l'on peut porter au marché, si l'accès aux oeuvres est un de nos buts, y pourvoir à hauteur de 6 pour cent est un échec[191].

En janvier 1999, nous avons engagé des poursuites au nom d'Eric Eldred au tribunal de district fédéral de Washington, D.C., en demandant au tribunal de déclarer le Sonny Bono Copyright Term Extension Act anticonstitutionnel. Les deux revendications centrales que nous fîmes étaient (1) qu'étendre la durée existante violait l'exigence de « durée limitée » de la Constitution et (2) qu'allonger la durée de vingt ans supplémentaires violait le Premier Amendement.

Le tribunal de district rejeta nos plaintes sans même entendre un argument. Un jury de la Cour d'Appel du Circuit de D.C. (NdT : un circuit est une division administrative d'un État) rejeta également nos plaintes, après cependant avoir entendu une argumentaire développé. Mais cette décision reçut au moins un avis contraire, celui d'un des juges les plus conservateurs de ce tribunal. Cet avis minoritaire donna vie à nos plaintes.

Le juge David Sentelle dit que le CTEA violait l'exigence que les copyrights soient seulement pour une « durée limitée ». Son argumentaire était aussi élégant que simple : si le Congrès peut prolonger la durée existante, alors il n'y a pas de « point d'arrêt » au pouvoir du Congrès sous la Clause du Copyright. Le pouvoir d'allonger des durées existantes signifie que le Congrès n'a pas l'obligation d'accorder des durées qui sont « limitées ». Ainsi, argumenta le juge Sentelle, le tribunal devait interpréter l'expression « durée limitée » pour lui donner du sens. Et la meilleure interprétation, argumenta le juge Sentelle, serait de priver le Congrès du pouvoir de prolonger la durée existante.

Nous avions demandé la Cour d'Appel du Circuit de D.C. en entier pour instruire l'affaire. D'ordinaire, les affaires sont instruites par un jury de trois, excepté pour les affaires importantes ou celles qui soulèvent des problèmes spécifiques au Circuit en entier, auquel cas le tribunal siège « en banc » pour instruire l'affaire.

La Cour d'Appel rejeta notre demande d'instruire l'affaire en banc. Cette fois, le Juge Sentelle était rejoint par le membre le plus libéral du Circuit D.C., le Juge David Tatel. À la fois le juge le plus conservateur et le juge le plus libéral du Circuit D.C. croyaient que le Congrès avait dépassé ses limites.

C'était ici que la plupart s'attendaient à ce que l'affaire Eldred contre Ashcroft meure, car la Cour Suprême révise rarement une décision d'une cour d'appel. (Elle instruit environ cent affaires par an, sur plus de cinq cent appels.) Et elle ne révise pratiquement jamais une décision qui confirme une loi si aucun autre tribunal n'a déjà révisé la loi.

Mais en février 2002, la Cour Suprême a surpris le monde en répondant à notre pétition pour réviser le jugement du Circuit D.C. L'exposé était prévu pour octobre 2002. L'été serait consacré à l'écriture de dossiers et à préparer la plaidoierie.

C'est terminé maintenant, un an plus tard alors que j'écris ces mots. C'est encore étonnamment difficile. Si vous savez quelque chose à propos de cette histoire, vous savez que nous avons perdu l'appel. Et si vous en savez un peu plus que le minimum, vous pensez probablement qu'il n'y avait aucune chance que l'affaire puisse être gagnée. Après notre défaite, j'ai reçu littéralement des milliers de missives de sympathisants et de soutiens, me remerciant pour mon travail au nom de cette cause noble mais vouée à l'échec. Et aucune de cette pile n'était plus important pour moi que le courriel de mon client, Eric Eldred.

Mais mon client et ces amis avaient tort. Cette affaire pouvait être gagnée. Elle aurait due être gagnée. Et peu importe avec quelle insistance j'essaye de me raconter à nouveau cette histoire à moi-même, je ne peux pas m'empêcher de croire que c'est ma propre erreur qui a fait perdre cette affaire.

L'erreur a été faite tôt, bien qu'elle n'est devenue évidente qu'à la toute fin. Notre affaire a été soutenue depuis le tout début par un avocat extraordinaire, Geoffrey Stewart, et par le cabinet d'avocat qu'il a rejoint, Jones, Day, Reavis et Pogue. Jones Day ont encaissé une bonne quantité de mécontentement de la part de leurs clients protectionnistes du copyright pour nous avoir soutenu. Ils ont ignoré cette pression (quelque chose que peu de cabinets d'avocats feraient aujourd'hui), et tout au long de l'affaire, ils ont donné tout ce qu'ils pouvaient.

Il y avait trois avocats clés de Jones Day sur l'affaire. Geoff Stewart était le premier, mais ensuite Dan Bromberg et Don Ayer furent pas mal impliqués. Bromberg et Ayer en particulier avaient une vision commune sur comment l'affaire pouvait être gagnée : nous ne gagnerions, m'ont-ils continuellement dit, que si nous pouvions faire paraitre le problème « important » aux yeux de la Cour Suprême. Ça devait apparaître comme une atteinte dramatique à la liberté d'expression et à la culture libre ; sinon, ils ne voteraient jamais contre « les plus puissants groupes de médias du monde ».

Je déteste cette vision de la loi. Bien sûr je pensais que le Sonny Bonno Act portait un préjudice dramatique à la liberté d'expression et à la culture libre. Bien sûr que je continue à le penser. Mais l'idée que la Cour Suprême décide de la loi en fonction de l'importance qu'elle porte aux problèmes est simplement fausse. Elle pourrait être « juste » dans le sens de « vraie », je pensais, mais elle est « fausse » dans le sens de « cela ne devrait pas être ainsi ». Comme je croyais que toute interprétation fidèle de ce que les concepteurs de la Constitution ont fait mènerait à la conclusion que le CTEA était anticonstitutionnel, et comme je croyais que toute interprétation fidèle de ce que signifiait le Premier Amendement mènerait à la conclusion que le pouvoir d'allonger la durée existante du copyright est anticonstitutionnel, je n'étais pas persuadé que nous aurions à vendre notre affaire comme du savon. Tout comme une loi interdisant la swastika est anticonstitutionnelle, non pas parce que la Cour aime les Nazis, mais parce qu'une telle loi violerait la Constitution, alors également, à mes yeux, la Cour déciderait si la loi du Congrès était anticonstitutionnelle en se basant sur la Constitution, et non pas en fonction de leur appréciation des valeurs qu'elle contient.

Dans tous les cas, pensais-je, la Cour devait déjà voir le danger et le mal causé par cette sorte de loi. Pour quelle autre raison accorderaient-ils une révision ? Il n'y avait aucune raison d'entendre l'affaire à la Cour Suprême si ils n'étaient pas convaincus que cette réglementation était nocive. Donc à mes yeux, nous n'avions pas besoin de les persuader que cette loi était mauvaise, nous avions besoin de montrer qu'elle était anticonstitutionnelle.

Il y avait un aspect, toutefois, où je sentais que la politique aurait son importance et pour lequel je pensais avoir trouvé une réponse. J'étais convaincu que la Cour n'entendrait pas nos arguments si elle pensait qu'ils ne venaient que d'une bande de gauchistes idiots. La Cour Suprême n'allait pas se lancer dans un nouveau champ de révision judiciaire s'il lui semblait que c'était simplement la préférence d'une petite minorité politique. Même si mon objectif dans l'affaire n'était pas de démontrer à quel point le Sonny Bono Act était mauvais mais de démontrer qu'il était anticonstitutionnel, j'espérais pouvoir établir mon argumentaire à partir de dossiers couvrant toute la gamme des points de vue politiques. Pour montrer que cette plainte contre le CTEA était bien établie sur la loi et non sur de la politique, donc, nous avons essayé de rassembler le spectre le plus large de critiques crédibles — crédibles non pas parce qu'elles étaient riches et célèbres, mais parce que, en synthèse, elles démontraient que cette loi était anticonstitutionnelle indépendamment de la tendance politique de chacun.

La première étape est arrivée d'elle-même. L'organisation de Phyllis Schlafly, Eagle Forum, a été un adversaire du CTEA dès le tout début. Mme Schlafly voyait le CTEA comme une trahison de la part du Congrès. En novembre 1998, elle écrivit un éditorial piquant qui attaquait le Congrès Républicain pour avoir permis à la loi de passer. Comme elle l'écrivit : « Vous demandez-vous parfois pourquoi les lois qui créent une aubaine financière à de intérêts particuliers spécifiques passent facilement à travers le tortueux processus législatif, alors que les loi qui bénéficient au bien public semblent s'embourber ? » La réponse, comme le documente l'éditorial, était le pouvoir de l'argent. Schlafly énuméra les contributions de Disney aux acteurs-clés des comités. C'était l'argent, et non pas la justice, qui donna à Disney vingt ans de plus sur le contrôle de Mickey Mouse, argumenta Schlafly.

À la cour d'appel, Eagle Forum était enthousiaste d'enregistrer un dossier soutenant notre position. Leur dossier constituait l'argument qui est devenu la revendication centrale devant la Cour Suprême : si le Congrès peut étendre la durée existante du copyright, il n'y a pas de limite au pouvoir du Congrès à fixer la durée. Cet argument fortement conservateur persuada un juge fortement conservateur, le Juge Sentelle.

À la Cour Suprême, les dossiers de notre côté étaient aussi variés que possible. Ils incluaient un dossier extraordinairement historique de la Free Software Foundation (foyer du projet GNU qui a rendu possible GNU/Linux). Ils incluaient un dossier puissant sur les coûts de l'incertitude par Intel. Il y avait deux dossiers de professeurs de loi, un par des experts du copyright et un par des experts du Premier Amendement. Il y avait un dossier exhaustif et incontesté, fait par des experts mondiaux de l'histoire de la Clause de Progrès. Et bien sûr, il y avait un nouveau dossier par Eagle Forum, répétant et renforçant ses arguments.

Ces dossiers formulaient un argument légal. Puis, pour soutenir l'argument légal, il y avait un certain nombre de dossiers puissants issus de bibliothèques et d'archives, parmi lesquelles l'Internet Archive, la American Association of Law Libraries, et la National Writers Union.

Mais deux dossiers capturèrent au mieux l'argument politique. Un des deux fit l'argument que j'ai déjà décrit : un dossier de Hal Roach Studios affirmait qu'à moins que la loi soit enterrée, toute une génération de film américain disparaîtrait. L'autre rendit l'argument économique absolument clair.

Ce dossier d'économistes était signé par dix-sept économistes, parmi lesquels cinq Prix Nobel, parmi lesquels Ronald Coase, James Buchanan, Milton Friedman, Kenneth Arrow et George Akerlof. Les économistes, comme le démontre la liste des lauréats du Prix Nobel, s'étendaient sur tout le spectre politique. Leurs conclusions étaient puissantes : il n'y avait rien de plausible dans la revendication que l'allongement de la durée des copyrights existants favoriserait une quelconque augmentation des motivations à créer. De tels allongements n'étaient rien d'autre qu'une « recherche de rente » — le terme élégant que les économistes utilisent pour décrire une législation d'intérêt particulier hors de contrôle.

La même recherche d'équilibre se reflétait dans l'équipe juridique que nous avions rassemblée pour écrire nos dossiers dans l'affaire. Les avocats de Jones Day étaient avec nous depuis le début. Mais quand l'affaire s'est retrouvée devant la Cour Suprême, nous avons ajouté trois avocats pour nous aider à présenter l'argumentaire pour cette Cour : Alan Morrison, un avocat de Public Citizen, un groupe de Washington qui a contribué à l'histoire constitutionnelle avec une série de victoires marquantes à la Cour Suprême pour la défense des droits individuels ; ma collègue et doyenne, Kathleen Sullivan, qui a soutenu de nombreuses affaires à la Cour, et qui nous a conseillés dès le début sur une stratégie avec le Premier Amendement ; et finalement Charles Fried, ancien conseiller auprès du Ministre de la Justice.

Fried était une victoire particulière pour notre camp. Tous les autres anciens conseillers auprès du Ministre de la Justice étaient embauchés par l'autre camp pour défendre le pouvoir du Congrès de donner aux sociétés des médias la faveur spéciale d'une durée étendue de copyright. Fried était le seul qui avait décliné ce poste lucratif pour prendre la défense de quelque chose auquel il croyait. Il avait été l'avocat en chef de Ronald Reagan à la Cour Suprême. Il a aidé à constituer la série d'affaires qui ont limité le pouvoir du Congrès dans le cadre de la Clause de Commerce. Et bien qu'il eut soutenu de nombreuses positions à la Cour Suprême avec lesquelles j'étais personnellement en désaccord, son ralliement à la cause était un vote de confiance pour notre argumentaire.

Le gouvernement, pour la défense de la loi, avait sa collection d'amis, également. De manière significative, cependant, aucun historien ou économiste ne figuraient parmi ces « amis ». Les dossiers dans l'autre camp de l'affaire étaient écrits exclusivement par des sociétés de média majeures, des députés, et des propriétaires de copyright.

Les sociétés de média n'étaient pas une surprise. Elles avaient le plus à gagner avec cette loi. Les députés n'étaient pas non plus une surprise — ils défendaient leur pouvoir et, indirectement, le filon des contributions que ce pouvoir induisait. Et bien sûr ce n'était pas surprenant que les détenteurs de copyright défendent l'idée qu'ils devraient continuer à avoir le droit de contrôler qui faisait quoi avec le contenu qu'ils voulaient contrôler.

Les représentants du Dr. Seuss, par exemple, soutinrent qu'il était mieux pour les successeurs du Dr. Seuss de contrôler ce qu'il arrivait à l'oeuvre du Dr. Seuss — mieux que de permettre qu'elle tombe dans le domaine public — car si cette créativité était dans le domaine public, alors les gens pourraient l'utiliser pour « glorifier les drogues et créer de la pornographie »[192]. C'était également le motif des successeurs de Gershwin, qui défendaient leur « protection » de l'oeuvre de George Gershwin. Ils refusent, par exemple, d'accorder un droit d'exploitation pour Porgy and Bess à quiconque qui refuse d'utiliser des Afro-Américains dans la distribution[193]. C'est leur vision de comment cette partie de la culture américaine devrait être contrôlée, et ils voulaient que cette loi les aide à effectuer ce contrôle.

Cet argument a rendu clair un sujet qui est peu relevé dans ce débat. Quand le Congrès décide de prolonger la durée des copyrights existants, le Congrès choisit quels porte-paroles elle va favoriser. Des détenteurs de copyrights célèbres et adorés, tels que les successeurs de Gershwin et du Dr. Seuss, viennent au Congrès et disent, « Donnez-vous vingt ans pour contrôler l'expression à propos de ces icônes de la culture américaine. Nous ferons mieux pour eux que n'importe qui d'autre ». Bien sûr le Congrès aime récompenser les gens populaires et célèbres en leur donnant ce qu'ils veulent. Mais lorsque le Congrès donne à des gens un droit exclusif de parler d'une certaine façon, c'est juste ce que le Premier Amendement est censé empêcher.

Nous avons argumenté de cette façon dans un dossier final. Non seulement maintenir le CTEA signifie qu'il n'y a pas de limite au pouvoir du Congrès d'étendre le copyright — allongements qui concentreraient davantage le marché ; cela voudrait également dire qu'il n'y avait pas de limite au Congrès de faire du favoritisme, à travers le copyright, avec qui a le droit de parler.

Entre février et octobre, je n'ai pas fait grand chose hormis préparer le dossier. Dès le début, comme je l'ai dit, j'avais fixé la stratégie.

La Cour Suprême était divisée en deux camps importants. Un camp que nous avons appelé « les Conservateurs ». L'autre, nous l'avons appelé « le Reste ». Parmi les Conservateurs figuraient le président de la Cour Rehnquist, le juge O'Connor, le juge Scalia, le juge Kennedy, et le juge Thomas. Ces cinq-là ont été les plus constants pour limiter le pouvoir du Congrès. C'étaient les cinq qui avaient soutenu la série d'affaires Lopez/Morrison qui disaient qu'une clause de pouvoir devait être interprétée pour garantir que les pouvoirs du Congrès aient des limites.

Les quatre juges qui s'étaient fortement opposés à la limitation du pouvoir du Congrès formaient le Reste. Ces quatre-là — le juge Stevens, le juge Souter, le juge Ginsburg et le juge Breyer — ont soutenu à plusieurs reprises que la Constitution donne au Congrès toute discrétion de décider comment mettre en oeuvre au mieux ses pouvoirs. Affaire après affaire, ces juges ont soutenu que le rôle de la Cour devrait être un rôle de respect. Même si j'avais été personnellement le plus souvent d'accord avec les votes de ces quatre juges, c'étaient également les votes que nous avions le moins de chance d'obtenir.

En particulier, le moins probable était celui du juge Ginsburg. En plus de son point de vue général sur le respect du Congrès (excepté là où des problèmes de genre sexuel étaient impliqués), elle avait été particulièrement respectueuse des décisions du Congrès au sujet de la protection de la propriété intellectuelle. Elle et sa fille (une excellente et bien connue experte en propriété intellectuelle) étaient faites de la même étoffe concernant la propriété intellectuelle. Nous nous attendions à ce qu'elle soit d'accord avec les écrits de sa fille : que le Congrès avait le droit dans ce contexte de faire comme il le désirait, même si ce que le Congrès désirait avait peu de sens.

Juste derrière Justice Ginsburg, se trouvaient deux juges que nous considérions également comme des alliés improbables, malgré de possibles surprises. Le juge Souter était fortement en faveur du respect du Congrès, comme l'était le juge Breyer. Mais les deux étaient également très sensibles aux intérêts de la liberté d'expression. Et, comme nous le croyions fortement, il y avait un argument contre ces prolongations rétrospectives qui était très important pour la liberté d'expression .

Le seul vote en lequel nous pouvions avoir confiance était celui du juge Stevens. L'histoire se souviendra du juge Stevens comme un des meilleurs juges de cette Cour. Ses votes sont systématiquement éclectiques, ce qui signifie simplement qu'aucune idéologie simple n'explique ce qu'il défendra. Mais il avait systématiquement soutenu les limites concernant la propriété intellectuelle en général. Nous étions assez confiants qu'il reconnaitrait les limites ici.

Cette analyse du « Reste » montrait très clairement où devait porter notre effort : sur les Conservateurs. Pour remporter l'affaire, nous avions à fracturer ces cinq-là et obtenir au moins une majorité pour tracer notre route. Ainsi, l'unique argument prédominant qui animait notre revendication reposait sur l'innovation jurisprudentielle la plus importante des Conservateurs — l'argument sur lequel s'est appuyé le juge Sentelle à la Cour d'Appel, à savoir que le pouvoir du Congrès doit être interprété afin que ses clauses de pouvoir aient des limites.

C'était donc là le coeur de notre stratégie — une stratégie dont je suis responsable. Nous aménerions la Cour à voir que tout comme avec l'affaire Lopez, sous l'argument du gouvernement ici, le Congrès aurait toujours le pouvoir illimité de prolonger des durées existantes. S'il y avait bien quelque chose de clair dans la Clause de Progrès, c'était que le pouvoir du Congrès était supposé être « limité ». Notre but était d'obtenir que la Cour réconcilie Eldred avec Lopez : si le pouvoir du Congrès de réglementer le commerce était limité, alors, également, le pouvoir du Congrès de réglementer le copyright devait être limité.

L'argumentation du côté du gouvernement se résumait à ceci : le Congrès l'a déjà fait auparavant. Il devrait être autorisé à le refaire. Le gouvernement affirmait que depuis le tout début, le Congrès prolonge la durée des copyrights existants. Donc, soutenait le gouvernement, la Cour ne devrait pas dire maintenant que cette pratique est anticonstitutionnelle.

Il y avait une part de vérité dans l'affirmation du gouvernement, mais pas beaucoup. Nous étions certainement d'accord que le Congrès a prolongé la durée existante en 1831 et en 1909. Et bien sûr, en 1962, le Congrès a commencé à prolonger régulièrement les durées existantes — onze fois en quarante ans.

Mais il faudrait relativiser cette « habitude ». Le Congrès a prolongé les durées existantes une fois dans les cent premières années de la République. Il l'a refait une fois les cinquante années suivantes. Ces rares prolongations contrastent avec la pratique désormais régulière de prolonger les durées existantes. Quel que soit la retenue que le Congrès a eu dans le passé, cette retenue avait maintenant disparu. Le Congrès était maintenant dans un cycle d'extensions ; il n'y avait pas de raison de s'attendre à ce que ce cycle s'arrête. Cette Cour n'avait pas hésité à intervenir dans le passé lorsque le Congrès était dans un cycle similaire de prolongation. Il n'y avait pas de raison qu'elle ne puisse pas intervenir ici.

La plaidoirie était prévue pour la première semaine d'octobre. Je suis arrivé dans le D.C. deux semaines avant la plaidoirie. Durant ces deux semaines, j'étais à plusieurs reprises « interrogé » par des avocats qui se sont portés volontaires pour aider dans cette affaire. De tels « interrogatoires » étaient simplement des rounds d'entraînement, où des aspirants juge bombardent de questions des aspirants vainqueurs.

J'étais convaincu que pour gagner, j'avais à garder la Cour concentrée sur une simple idée : que si cette extension était permise, alors il n'y aurait aucune limite au pouvoir de fixer les durées. Suivre le gouvernement signifierait que les durées seraient effectivement illimitées ; nous suivre donnerait au Congrès une ligne claire à suivre : ne prolongez pas les durées existantes. Les interrogatoires étaient un entraînement efficace ; j'ai trouvé les moyens de ramener chaque question à cette idée centrale.

Un interrogatoire se fit devant les avocats de Jones Day. Don Ayer était le sceptique. Il avait servi dans le Département de Justice de Reagan avec le Conseiller auprès du Ministre de la Justice Charles Fried. Il avait soutenu de nombreuses affaires devant la Cour Suprême. Et dans sa revue de l'interrogatoire, il a exprimé son inquiétude :

« J'ai juste peur qu'à moins qu'ils voient vraiment le mal causé, ils ne seront pas disposés à perturber cette pratique que le gouvernement dit être habituelle depuis deux-cents ans. Vous devez les amener à voir le préjudice causé — les amener passionnément à voir le préjudice. Car s'ils ne voient pas ça, alors nous n'avons aucune chance de gagner. »

Il pouvait avoir soutenu de nombreuses affaires devant cette Cour, pensais-je, mais il n'en comprenait pas l'essence. En tant que greffier, j'avais vu les juges rendre la bonne décision — pas à cause de la politique mais parce que c'était juste. En tant que professeur de droit, j'avais passé ma vie à enseigner à mes étudiants que cette Cour fait la bonne chose — pas à cause de la politique mais parce que c'est juste. En écoutant l'argumentation de Ayer pour sa passion des pressions politiques, je compris son idée, et je la rejetai. Notre plaidoierie était juste. C'était suffisant. Laissez les politiciens apprendre à voir que c'est également bon.

La nuit précédant la plaidoirie, une file de personnes commençait à se former devant la Cour Suprême. L'affaire avait capté l'attention de la presse et du mouvement de la culture libre. Des centaines de personnes faisaient la queue pour avoir la chance de voir la procédure. Des douzaines ont passé la nuit sur les marches de la Cour Suprême pour être sûrs d'avoir un siège.

Tout le monde n'avait pas à faire la queue. Les gens qui connaissaient les juges pouvaient demander des sièges qu'ils contrôlaient. (J'ai demandé au cabinet du juge Scalia des sièges pour mes parents, par exemple.) Les membres du barreau de la Cour Suprême peuvent obtenir un siège dans une section spéciale qui leur est réservée. Et les sénateurs et députés ont un emplacement spécial où ils peuvent s'asseoir, aussi. Et enfin, bien sûr, la presse a une tribune, tout comme les greffiers travaillant pour les juges à la Cour. Et ce matin là, au moment où nous entrions, il n'y avait plus aucune place de libre. C'était une plaidoirie concernant la loi sur la propriété intellectuelle, et pourtant les salles étaient pleines. Alors que j'entrai pour prendre place devant la Cour, je vis mes parents assis sur la gauche. Et comme je m'asseyai à la table, je vis Jack Valenti assis dans la section spéciale réservée habituellement à la famille des juges.

Quand le président de la Cour m'appela pour commencer ma plaidoierie, je commençai là où j'avais l'intention de rester : sur la question des limites du pouvoir du Congrès. C'était une affaire sur les pouvoirs en nombre limité (ou clauses de pouvoir), dis-je, et si ces pouvoirs avaient une quelconque limite.

Le juge O'Connor m'arrêta en moins d'une minute de mon ouverture. L'histoire la dérangeait.

JUGE O'CONNOR : Le Congrès a déjà prolongé la durée si souvent à travers les ans, et si vous avez raison, ne courons-nous pas le risque de remettre en cause les prolongations de durée précédentes ? Je veux dire, cela semble être une pratique qui a commencé dès la toute première loi.

Elle était assez disposée à concéder que « cela remettait directement en question ce que les concepteurs avaient à l'esprit ». Mais ma réponse était encore et encore d'insister sur les limites du pouvoir du Congrès.

M. LESSIG : Et bien, si cela remet en question ce que les concepteurs avaient à l'esprit, alors la question est : y a-t-il une manière d'interpréter leurs mots qui donne un effet à ce qu'ils avaient à l'esprit, et la réponse est oui.

Il y a deux moments dans cette plaidoirie où j'aurais du voir où la Cour était en train d'aller. Le premier c'était une question de Justice Kennedy, qui observa :

JUGE KENNEDY : Et bien, je suppose qu'il est implicite dans cet argumentation que la loi de 1976, également, aurait dû être déclarée nulle, et que nous pourrions l'abandonner à cause de dérangement provoqué, en ceci que pendant toutes ces années la loi a entravé le progrès de la science et des arts utiles. Je ne vois juste aucune preuve empirique de cela.

Et voici mon erreur criante. Comme un professeur corrigeant un étudiant, je répondis,

M. LESSIG : Juge, nous ne faisons pas du tout d'affirmation empirique. Rien dans notre plainte sur la Clause de Copyright ne repose sur l'assertion empirique d'une gêne au progrès. Notre seul argument est celui d'une limite structurelle nécessaire pour assurer que ce qui serait une durée effectivement perpétuelle ne soit pas permise sous les lois du copyright.

C'était une réponse correcte, mais ce n'était pas la bonne réponse. La bonne réponse était plutôt qu'il y avait un préjudice évident et profond. Tout un tas de dossiers a été écrit là-dessus. Il voulait l'entendre. Et c'était là le moment où le conseil de Don Ayer aurait du servir. C'était du softball (NdT : sorte de baseball) ; ma réponse était une frappe manquée.

Le second vint du président de la Cour, pour qui toute l'affaire avait été conçue. Car le président avait élaboré l'arrêt Lopez, et nous espérions qu'il verrait cette affaire comme son cousin germain.

Il était clair en l'espace d'une seconde qu'il n'était pas du tout sympathique. Pour lui, nous étions une bande d'anarchistes. Comme il le demanda :

PRÉSIDENT DE LA COUR : Et bien, mais vous voulez plus que cela. Vous voulez le droit de copier mot pour mot les livres des autres gens, n'est-ce pas ?

M. LESSIG : Nous voulons le droit de copier mot pour mot des oeuvres qui devraient être dans le domaine public et qui le seraient s'il n'y avait pas une loi qui ne peut pas être justifiée sous une analyse ordinaire du Premier Amendement ou sous une lecture appropriée des limites incorporées dans la Clause de Copyright.

Les choses s'améliorèrent pour nous quand le gouvernement donna son argumentation ; car maintenant la Cour avait saisi le coeur de notre revendication. Comme le demanda le juge Scalia au Conseiller auprès du Ministre de la Justice Olson,

JUGE SCALIA : Vous dites que l'équivalent fonctionnel d'une durée illimitée serait une violation [de la Constitution], mais c'est précisément l'argumentation qui est en train d'être faite par les pétitionneurs ici, qu'une durée limitée qui est extensible est fonctionnellement équivalente à une durée illimitée.

Lorsque Olson eut fini, ce fut à mon tour de donner la réfutation finale. Les gesticulations d'Olson avaient ravivé ma colère. Mais ma colère était toujours dirigée vers des principes, non pas vers du concret. Le gouvernement argumentait comme si c'était la toute première affaire qui envisageait des limites sur le pouvoir du Congrès sur la Clause de Copyright et de Brevet. Toujours en professeur et non comme avocat, je terminai en rappelant la longue histoire de la Cour imposant des limites au pouvoir du Congrès au nom de la Clause de Copyright et de Brevet — en effet, la toute première affaire qui a annulé une loi du Congrès et relative à un abus sur une clause de pouvoir était basée sur la Clause de Copyright et de Brevet. Entièrement vrai. Mais cela n'allait pas ramener la Cour de mon côté.

En quittant le tribunal ce jour-là, je savais qu'il y avait une centaine de points que j'aurais voulu refaire. Il y avait une centaine de questions auxquelles j'aurais voulu répondre différemment. Mais vue sous un certain angle, cette affaire me laissait optimiste.

On avait demandé au gouvernement encore et encore, quelle est la limite ? Encore et encore, il avait répondu qu'il n'y avait pas de limite. C'était précisément la réponse que je voulais que la Cour entende. Car je ne pouvais pas imaginer comment la Cour, en comprenant que le gouvernement croyait que le pouvoir du Congrès sur les durées de la Clause de Copyright était illimité, pouvait soutenir la position du gouvernement. Le Conseiller auprès du Ministre de la Justice avait fait mon argumentation à ma place. Peu importe combien de fois j'ai essayé, je ne pouvais pas comprendre comment la Cour pourrait promulguer un jugement où le pouvoir sur la Clause du Commerce était limité, mais illimité sur Clause du Copyright. Dans ces rares moments où je me laissais croire que nous avions dominé, c'était parce je pensais que cette Cour — en particulier les Conservateurs — se sentirait elle-même contrainte par la règle de la loi qu'elle avait établie ailleurs.

Le matin du 15 janvier 2003, j'étais en retard de cinq minutes au bureau et j'ai manqué l'appel de 7 heures du matin du greffier de la Cour Suprême. En écoutant le message, je pouvais dire en un instant qu'elle avait de mauvaises nouvelles à rapporter. La Cour Suprême avait confirmé la décision de la Cour d'Appel. Sept juges avaient voté dans la majorité. Il y avait deux minoritaires.

Quelques secondes plus tard, les délibérations arrivèrent par courriel. J'ai décroché le téléphone, posté une annonce sur notre blog, et me suis assis pour voir où j'avais eu tort dans mon raisonnement.

Mon raisonnement. Voici une affaire qui a engouffré tout l'argent du monde contre le raisonnement. Et voici le dernier professeur de droit naïf, parcourant les pages, cherchant un raisonnement.

J'ai d'abord parcouru le jugement, cherchant comment la Cour distinguerait le principe dans cette affaire, du principe de Lopez. L'argumentaire était introuvable nulle part. L'affaire n'était même pas citée. L'argumentation centrale de notre affaire n'apparaissait même pas dans le jugement de la Cour.

Le juge Ginsbourg ignorait simplement l'argument des clauses de pouvoir. En accord avec son point de vue que le pouvoir du Congrès n'était pas limité en général, elle avait jugé le pouvoir du Congrès non limité ici.

Son opinion était parfaitement honnête — pour elle, et pour le juge Souter. Aucun ne croyait en Lopez. C'eût été trop attendre d'eux qu'ils écrivent un jugement qui reconnaitrait, et encore moins qui expliquerait, la doctrine qu'ils avaient tant cherché à vaincre.

Mais alors que je réalisais ce qui s'était passé, je ne pouvais pas croire ce que j'étais en train de lire. J'avais dit qu'il n'était pas possible que cette Cour puisse réconcilier les pouvoirs limités de la Clause de Commerce avec les pouvoirs illimités de la Clause de Progrès. Je n'aurais jamais pu imaginer qu'ils pourraient réconcilier les deux simplement en ne mentionnant pas l'argument. Il n'y avait pas d'incohérence parce qu'ils ne parlaient pas des deux ensemble. Il n'y avait donc aucun principe qui s'ensuivait de l'affaire Lopez : dans cette affaire, le pouvoir du Congrès était limité, mais dans celle-ci, non.

Et pourtant, de quel droit pouvaient-ils choisir les valeurs des concepteurs qu'ils respecteraient ? De quel droit pouvaient-ils — les cinq silencieux — sélectionner la partie de la Constitution qu'ils appliqueraient, en se basant sur les valeurs qu'ils pensaient importantes ? On en revenait à l'argumentation que je disais détester du début : j'avais échoué à les convaincre que le problème ici était important, et j'avais échoué à reconnaître qu'en dépit de mon aversion pour un tel système dans lequel la Cour choisit les valeurs constitutionnelles qu'il respectera, c'était le système actuel.

Le juge Breyer et le juge Stevens écrivirent des avis minoritaires très forts. L'avis de Stevens était construit sur des considérations internes à la loi : il argumenta que la tradition de la loi de la propriété intellectuelle ne devrait pas soutenir cette prolongation injustifiée des durées. Sa démonstration reposait sur l'analyse comparative avec la législation des brevets (tout comme nous). Mais le reste de la Cour émit des doutes sur ce parallèle — sans expliquer comment exactement les même mots dans la Clause de Progrès pouvaient signifier des choses totalement différentes selon que cela parle de brevets ou de copyrights. La Cour a laissé l'accusation du juge Stevens sans réponse.

L'avis du juge Breyer, peut-être le meilleur avis qu'il ait jamais écrit, était externe à la Constitution. Il soutenait que la durée des copyrights est devenue si longue qu'elle en est devenue illimitée dans les faits. Nous avions dit que sous la durée actuelle, un copyright donnait à un auteur 99,8 pour cent de la valeur d'un copyright illimité. Breyer disait que nous avions tort, que le véritable chiffre était 99,9997 pour cent d'une durée perpétuelle. Dans un cas comme dans l'autre, l'idée était claire : si la Constitution disait qu'une durée devait être « limitée », et que la durée existante était longue au point d'être effectivement illimitée, alors c'était anticonstitutionnel.

Ces deux juges avaient compris tous les arguments que nous avions plaidés. Mais parce qu'aucun ne croyait en l'affaire Lopez, aucun ne voulait s'appuyer sur ce cas pour justifier le rejet de cette prolongation. L'affaire avait été décidée sans que personne n'ait remarqué l'argument que nous avions rapporté du Juge Sentelle. C'était Hamlet sans le Prince.

La défaite amène la dépression. On dit que c'est un signe de santé quand la dépression fait place à la colère. Ma colère est venue rapidement, mais elle n'a pas soigné la dépression. Cette colère était de deux sortes.

C'était d'abord ma colère contre les cinq « Conservateurs ». Cela aurait été bien de leur part d'avoir expliqué en quoi le principe de Lopez ne s'appliquait pas dans cette affaire. Cela n'aurait pas été un argument très convaincant, je pense, l'ayant lu par d'autres, et ayant essayé de l'utiliser moi-même. Mais cela aurait été au moins un acte d'intégrité. Ces juges en particulier ont dit à plusieurs reprises que l'interprétation correcte de la Constitution est l'« originalisme » — d'abord comprendre le texte des concepteurs, interprété dans leur contexte, à la lumière de la structure de la Constitution. Cette méthode a produit Lopez, et de nombreux autres verdicts « originalistes ». Où était leur « originalisme » maintenant ?

Ici, ils avaient rejoint un avis qui n'a jamais essayé d'expliquer ce que les concepteurs avaient voulu dire en rédigeant la Clause de Progrès comme ils l'ont fait ; un avis qui n'a jamais essayé d'expliquer comment la structure de cette clause affecterait l'interprétation du pouvoir du Congrès. Et aussi un avis qui n'a même pas essayé d'expliquer pourquoi cet octroi de pouvoir pouvait être illimité, alors que la Clause de Commerce était limitée. Bref, ils avaient rejoint un avis qui ne s'appliquait pas à, et était incohérent avec, leur propre méthode d'interprétation de la Constitution. Cet avis peut bien avoir donné le résultat qu'ils veulent. Il ne s'y trouve aucun raisonnement quoi soit en accord avec leurs propres principes.

Ma colère envers les Conservateurs a rapidement mené à une colère contre moi-même. Car j'avais laissé une vision de la loi que j'aimais interférer avec une vision de la loi telle qu'elle est.

La plupart des avocats, et la plupart des professeurs de droit, ne s'attardent pas sur l'idéalisme des tribunaux en général et de cette Cour Suprême en particulier. La plupart a une vue bien plus pragmatique. Quand Don Ayer disait que cette affaire serait gagnée si je pouvais convaincre les juges que les valeurs des concepteurs étaient importantes, j'ai lutté contre l'idée, parce que je ne voulais pas croire que c'est ainsi que la Cour décide. J'ai insisté pour plaider l'affaire comme si c'était une simple application d'un ensemble de principes. J'avais un argument qui suivait la logique. Je n'avais pas besoin de perdre mon temps à démontrer qu'elle serait populaire.

En lisant la transcription de cette plaidoirie en octobre, je voyais une centaine d'endroits où les réponses auraient pu emmené la discussion dans différentes directions, où la vérité sur le préjudice que ce pouvoir incontrôlé causerait aurait pu être explicité à cette Cour. Le juge Kennedy, de bonne foi, voulait qu'on le lui montre. Moi, bêtement, j'ai corrigé sa question. Le juge Souter, de bonne fois, voulait qu'on lui montre les dommages au Premier Amendement. Moi, comme un professeurs de maths, j'ai recadré la question pour faire une argumentation logique. Je leur avais montré comment ils pouvaient annuler cette loi du Congrès s'ils le voulaient. Il y avait une centaine d'endroits où j'aurais pu les aider à le vouloir, mais mon entêtement, mon refus de céder, m'a arrêté. J'avais essayé de persuader des centaines d'auditoires auparavant ; j'avais mis de la passion dans cette volonté de persuader ; mais j'ai refusé d'essayer de persuader cette auditoire avec la passion que j'avais utilisée ailleurs. Ce n'était pas sur cette base qu'un tribunal devrait décider d'un enjeu.

Cela aurait-il été différent si j'avais plaidé différemment ? Cela aurait-il été différent si Don Ayer l'avait soutenue ? Ou Charles Fried ? Ou Kathleen Sullivan ?

Mes amis ont fait bloc autour de moi pour insister que non. La Cour n'était pas prête, insistèrent mes amis. C'était voué à l'échec. Il en faudrait beaucoup plus pour montrer à notre société pourquoi nos concepteurs avaient raison. Et quand nous le ferons, nous seront capables de le montrer à cette Cour.

Peut-être, mais j'en doute. Ces juges n'ont pas d'intérêt financier à ne pas faire la chose juste. Ils ne sont pas sous pression. Ils ont peu de raison de s'interdire à faire bien. Je ne peux pas m'empêcher de penser que si j'étais revenu de cette belle image de la justice dépassionnée, j'aurais pu les persuader.

Et même si je ne le pouvais pas, cela ne justifie pas ce qui s'est passé en janvier. Car au début de cette affaire, un des plus importants professeurs en propriété intellectuelle d'Amérique déclara publiquement que le fait que je présente cette affaire était une erreur. « La Cour n'est pas prête », dit Peter Jaszi ; ce problème ne devrait pas être soulevé jusqu'à ce qu'elle soit prête.

Après la plaidoirie et la délibération, Peter me dit, et publiquement, qu'il avait tort. Mais si en effet cette Cour ne pouvait pas être persuadée, alors c'est encore la preuve que Peter avait raison. Soit je n'étais pas prêt pour défendre cette affaire de manière à ce qu'elle se termine bien, soit la cour n'était pas prête à l'entendre et y donner une issue favorable pour nous. Dans tous les cas, la décision de présenter cette affaire — une décision que j'ai prise quatre ans auparavant — était mauvaise.

Alors que les réactions au Sonny Bono Act lui-même étaient presque unanimement négatives, les réactions à la décision de la Cour étaient mitigées. Personne, au moins dans la presse, n'essaya de dire que prolonger la durée du copyright était une bonne idée. Nous avions gagné la bataille des idées. Là où la décision était louée, cela venait de journaux qui avaient été sceptiques concernant l'activisme de la Cour dans d'autres affaires. Le respect du Congrès était une bonne chose, même s'il laissait intact une loi stupide. Mais là où la décision était attaquée, c'était parce qu'elle laissait intacte une loi stupide et nuisible. Le New York Times écrivit dans son éditorial,

En effet, la décision de la Cour Suprême rend probable que nous voyions le début de la fin du domaine public et la naissance de la perpétuité du copyright. Le domaine public est une grande expérience, une qu'on ne devrait pas laisser mourir. La possibilité de créer librement à partir de l'intégralité de la production créative de l'humanité est une des raisons pour laquelle nous vivons dans une époque d'un tel ferment créatif fructueux.

Les meilleures réactions étaient celles des caricatures. Il y avait une foule d'images hilarantes — de Mickey en prison ou dans ce genre-là. La meilleure, de mon point de vue de l'affaire, était celle de Ruben Bolling, reproduite par la figure 13.1. La ligne « puissant et riche » est un peu injuste. Mais le coup de poing dans la figure ressemblait exactement à ça.

Figure 13.1. 


L'image qui restera toujours dans ma tête était celle évoquée par la citation du New York Times. Cette « grande expérience » que nous appelons le « domaine public » est-elle terminée ? Quand je pourrai faire la lumière dessus, je pense, ce sera « Chérie, j'ai rétréci la Constitution ». Mais je peux difficilement faire la lumière dessus. Nous avions dans la Constitution un engagement pour la culture libre. Dans l'affaire que j'ai portée, la Cour Suprême a effectivement renoncé à cet engagement. Un meilleur avocat leur aurait fait voir les choses différemment.



[179] Il y a un parallèle avec la pornographie qui est un peu difficile à décrire, mais qui est fort. Un des phénomènes qu’Internet a créé est un monde de pornographes amateurs — des gens qui distribuent du porno, mais qui n’en tirent pas d’argent, ni directement ni indirectement. Une telle catégorie n’existait pas avant Internet parce les coûts de distribution étaient trop élevés. Et cependant, ce nouveau type de distributeurs reçut une attention spéciale de la Cour suprême quand elle annula le Communications Decency Act de 1996. C’était en partie grâce au poids des porte-parole des amateurs, dont le statut s’est trouvé dépasser le pouvoir du Congrès. La même chose aurait pu être faite pour les éditeurs non-commerciaux après la venue d’Internet. Les Eric Eldred du monde d’avant Internet étaient extrêmement peu. On aurait cependant pu penser que c’était au moins aussi important de les protéger que de protéger les pornographes amateurs.

[180] Le texte complet est : « Sonny [Bono] voulait que la protection par copyright soit définitive. Je suis informé par mon équipe qu’un tel changement violerait la constitution. Je vous invite tous à travailler avec moi pour renforcer nos lois sur le copyright avec tous les moyens à notre disposition. Comme vous le savez, il y a aussi la proposition de Jack Valenti pour une durée infinie moins un jour. Peut-être que la commission peut regarder ça au prochain Congrès », 144 Cong. Rec. H9946, 9951-2, 7 octobre 1998.

[181] Associated Press, « Disney Lobbying for Copyright Extension No Mickey Mouse Effort; Congress OKs Bill Granting Creators 20 More Years », Chicago Tribune, 17 octobre 1998.

[182] Voir Nick Brown, « Fair Use No More?: Copyright in the Information Age », disponible au lien nº 49.

[183] Alan K. Ota, « Disney in Washington: The Mouse That Roars », Congressional Quarterly This Week, 10 août 1990, disponible au lien nº 50.

[184] United States v. Lopez, 514 U.S. 549, 564 (1995).

[185] United States v. Morrison, 529 U.S. 598 (2000).

[186] Si un principe s’applique à un des pouvoirs, alors il s’applique à n’importe quel autre pouvoir. Le point important dans le contexte de la Clause de commerce était que l’interprétation donnée par le gouvernement lui attribuerait le pouvoir de réglementer le commerce pour une durée infinie — en dépit des limitations du commerce interétatique. C’est aussi vrai dans le contexte de la Clause de copyright. Là encore, l’interprétation du gouvernement l’autoriserait à réglementer le copyright pour une durée infinie — en dépit de sa limitation à des « durées limitées ».

[187] Dossier de l’association des auteurs de chanson de Nashville (Nashville Songwriters Association), Eldred v. Ashcroft, 537 U.S. 186 (2003) (No. 01-618), n. 10, disponible au lien nº 51.

[188] Le chiffre de 2 % est une extrapolation, à partir de l’étude faite par le Congressional Research Service et à la lumière de l’ordre de grandeur estimée des renouvellements. Voir le dossier des pétitionnaires Eldred v. Ashcroft, 7, disponible au lien nº 52.

[189] Voir David G. Savage, « High Court Scene of Showdown on Copyright Law », Los Angeles Times, 6 octobre 2002 ; David Streitfeld, « Classic Movies, Songs, Books at Stake; Supreme Court Hears Arguments Today on Striking Down Copyright Extension », Orlando Sentinel Tribune, 9 octobre 2002.

[190] Dossier de Hal Roach Studios et Michael Agee en tant qu’amicus curiæ soutenant les pétitionnaires Eldred v. Ashcroft, 12. Voir aussi le dossier d’amicus curiæ monté au nom des pétitionnaires par Internet Archive, disponible au lien nº 53.

[191] Jason Schultz, « The Myth of the 1976 Copyright “Chaos” Theory », 20 décembre 2002, disponible au lien nº 54.

[192] Dossier de Amici Dr. Seuss Enterprise et al., Eldred v. Ashcroft, 19.

[193] Dinitia Smith, « Immortal Words, Immortal Royalties? Even Mickey Mouse Joins the Fray », The New York Times, 28 mars 1998.

Chapitre 14. Eldred II

Le jour où la décision sur l'affaire Eldred fut prononcée, le destin voulut que je doive me rendre à Washington D.C. (Le jour où la pétition demandant une réaudition pour Eldred fut refusée — signifiant que l'affaire était réellement finalement terminée — le sort voulut que je donne un discours aux ingénieurs à Disney World.) C'était un vol particulièrement long pour ma ville la moins préférée. L'arrivée dans la ville en provenance de Dulles était retardée à cause du trafic, donc j'ai ouvert mon ordinateur et j'ai écrit un éditorial.

C'était un acte de contrition. Durant tout le vol de San Francisco à Washington, je ressassais en boucle dans ma tête le même conseil de Don Ayer : vous devez leur faire voir pourquoi c'est important. Et cette consigne alternait avec la question du juge Kennedy : « Pendant toutes ces années la loi a entravé le progrès de la science et des arts utiles. Je ne vois juste aucune preuve empirique de ceci. » Et donc, ayant échoué dans l'argument du principe constitutionnel, finalement, je me suis tourné vers un argument politique.

Le New York Times publia le texte. Dedans, je proposais une solution de dépannage simple : cinquante ans après qu'une oeuvre a été publiée, le propriétaire du copyright serait obligé d'enregistrer l'oeuvre et de payer un petit tarif. Si il payait le tarif, il aurait le bénéfice de la durée totale du copyright. Sinon, l'oeuvre passerait dans le domaine public.

Nous l'appelâmes la Loi Eldred (NdT : Eldred Act), mais c'était juste pour lui donner un nom. Eric Eldred était assez gentil pour laisser son nom être utilisé une fois de plus, mais comme il l'avait dit plus tôt, elle ne passera pas tant qu'elle n'aura pas un autre nom.

Ou deux autres noms. Car selon le point de vue, c'est soit la « Loi d'Amélioration du Domaine Public » ou la « Loi de Dérégulation de la Durée du Copyright ». De toute façon, l'idée essentielle est claire et évidente : enlever le copyright là où il ne fait que bloquer l'accès et la diffusion de la connaissance. Laissez-le durer aussi longtemps que le Congrès le permet pour les oeuvres valant moins de 1 dollar. Mais pour tout le reste, libérez l'oeuvre.

La réaction à cette idée fut incroyablement forte. Steve Forbes l'a soutenue dans un éditorial. J'ai reçu une avalanche de courriels et de lettres de soutien. Quand vous vous concentrez sur le problème de la créativité perdue, les gens peuvent voir que le système du copyright n'a pas de sens. Comme tout bon Républicain pourrait le dire, ici la réglementation du gouvernement bloque simplement l'innovation et la créativité. Et comme tout bon Démocrate pourrait le dire, ici le gouvernement bloque l'accès et la diffusion de la connaissance sans bonne raison. En effet, il n'y a pas de différence réelle entre les Démocrates et les Républicains sur ce sujet. N'importe qui peut reconnaitre le préjudice stupide causé par le système actuel.

En effet, de nombreuses personnes ont reconnu le bénéfice évident de l'obligation d'enregistrement. Car une des choses les plus difficiles à propos du système actuel pour les gens qui veulent obtenir un droit sur du contenu est qu'il n'y a pas d'endroit évident où chercher les propriétaires actuels de copyright. Puisque l'enregistrement n'est pas requis, que marquer le contenu n'est pas requis, qu'aucune formalité n'est requise du tout, il est souvent trop difficile de localiser les propriétaires de copyright pour leur demander la permission d'utiliser ou obtenir un droit sur leur oeuvre. Le système pourrait baisser ces coûts, en établissant au moins un registre où les propriétaires de copyright pourraient être identifiés.

Comme je l'ai décrit dans le chapitre 10, les formalités de la loi du copyright furent supprimées en 1976, lorsque le Congrès suivit les Européens en abandonnant toute exigence de formalité pour se voir accorder un copyright[194]. On dit que les Européens voient le copyright comme un « droit naturel ». Les droits naturels n'ont pas besoin de formulaires pour exister. Les européens pensaient que les traditions qui exigeaient que les détenteurs de copyright remplissent un formulaire pour avoir leurs droits protégés, à l'exemple de la tradition anglo-américaine, ne respectaient pas vraiment la dignité de l'auteur. Mon droit en tant que créateur dépend de ma créativité, et non pas d'une faveur spéciale du gouvernement.

C'est de la bonne réthorique. Cela a l'air merveilleusement romantique. Mais c'est une politique de copyright absurde. C'est absurde particulièrement pour les auteurs, car un monde sans formalités cause du tort au créateur. La possibilité de diffuser la « créativité Walt Disney » est détruite quand il n'y a pas de moyen simple de savoir ce qui est protégé et ce qui ne l'est pas.

Le combat contre les formalités a remporté sa première victoire réelle à Berlin en 1908. Des avocats du copyright international amendèrent la Convention de Berne en 1908, pour exiger que la durée du copyright soit la vie de l'auteur plus cinquante ans, ainsi que l'abolition des formalités du copyright. Ces formalités étaient détestées parce que les histoires de pertes par inadvertance étaient de plus en plus banales. C'était comme si un personnage de Charles Dickens gérait tous les bureaux de copyright, et que l'oubli d'un point sur un i ou d'une barre sur un t faisait perdre le seul revenu d'une veuve.

Ces protestations étaient fondées et raisonnables. Et la rigueur des formalités, en particulier aux États-Unis, était absurde. La loi devrait toujours avoir un moyen de pardonner les erreurs innocentes. Il n'y a pas de raison que la loi du copyright ne le puisse pas, également. Plutôt que d'abandonner complètement les formalités, la réaction à Berlin aurait du être d'adopter un système d'enregistrement plus équitable.

Cependant, même un tel système aurait suscité de la résistance, car l'enregistrement aux dix-neuvième et vingtième siècles était encore cher. C'était aussi une corvée. L'abolition des formalités promettait non seulement de sauver les veuves affamées, mais également d'alléger le fardeau d'une réglementation inutile imposée aux créateurs.

En plus de la protestation pratique des auteurs en 1908, il y avait également une revendication morale. Il n'y avait aucune raison que la propriété intellectuelle soit une forme de propriété de seconde classe. Si un charpentieur construit une table, ses droits sur la table ne dépendent pas du remplissage d'un formulaire avec le gouvernement. Il a « naturellement » un droit de propriété sur la table, et il peut faire valoir ce droit contre quiconque volerait la table, qu'il ait informé ou non le gouvernement de sa possession de la table.

Cet argument est juste, mais ses implications sont trompeuses. Car l'argument en faveur des formalités ne dépend pas du fait que la propriété créative soit une propriété de seconde classe. L'argument en faveur des formalités vient des problèmes spécifiques que la propriété créative présente. La loi des formalités répond à la physique spéciale de la propriété créative, pour assurer qu'elle peut être efficacement et équitablement répartie.

Personne ne pense, par exemple, que la propriété foncière est de seconde classe, juste parce que vous devez enregistrer un acte auprès d'un tribunal pour rendre la vente effective. Et peu de gens penseraient qu'une voiture est une propriété de seconde classe juste parce que vous devez la faire immatriculer auprès de l'État et poser les plaques avec un permis. Dans les deux cas, tout le monde voit qu'il y a une raison importante pour sécuriser l'enregistrement — dans les deux cas parce que cela rend le marché plus efficace et parce que cela sécurise mieux les droits du propriétaire. Sans système d'enregistrement pour le terrain, les propriétaires devraient perpétuellement garder leur domaine. Avec l'enregistrement, ils peuvent simplement montrer un acte à la police. Sans système d'enregistrement pour les voitures, le vol de voiture serait bien plus facile. Avec un système d'enregistrement, le voleur a bien plus de difficultés pour vendre une voiture volée. Le détenteur de propriété a une légère contrainte, mais ces contraintes produisent généralement un bien meilleur système de protection de la propriété.

C'est une physique spéciale similaire qui rend les formalités importantes dans la loi sur le copyright. Contrairement à la table d'un charpentier, il n'y a rien par nature qui rend relativement évident qui possède un morceau particulier de propriété de création. Un enregistrement du dernier album de Lyle Lovett peut se trouver dans un milliard d'endroits sans que rien ne puisse nécessairement le relier à un propriétaire particulier. Et comme pour une voiture, il est impossible d'acheter et de vendre une propriété de création en confiance s'il n'y a pas un moyen simple d'authentifier qui en est l'auteur et quels droits il possède. Les transactions simples sont détruites dans un monde sans formalités. Des transactions d'avocat, complexes et chères, les remplacent.

C'était la compréhension du problème du Sonny Bono Act que nous avions essayé de démontrer à la Cour. C'était la partie que je n'avais pas « comprise ». Parce que nous vivons dans un système sans formalités, il n'y a aucun moyen facile de réutiliser ou transformer notre culture issue du passé. Si les durées du copyright étaient, comme le juge Story disait qu'elles seraient, « courtes », alors cela n'aurait pas beaucoup d'importance. Sous le système des concepteurs, une oeuvre était présumée contrôlée pendant quatorze ans. Après quatorze ans, elle était présumée non contrôlée.

Mais maintenant que les copyrights peuvent durer environ un siècle, l'incapacité de savoir ce qui est protégé et ce qui ne l'est pas devient un frein énorme et évident sur le processus créatif. Si le seul moyen pour qu'une bibliothèque puisse offrir une exposition sur le New Deal sur Internet est de faire appel à un avocat pour acquitter les droits de chaque image et son, alors le système du copyright pèse sur la créativité à un niveau jamais vu auparavant parce qu'il n'y a pas de formalités.

La Loi Eldred a été conçue pour répondre exactement à ce problème. Si cela vaut 1 dollar pour vous, alors enregistrez votre oeuvre et vous pourrez avoir la durée la plus longue. Les autres sauront comment vous contacter et, donc, comment obtenir votre permission si ils veulent utiliser votre oeuvre. Et vous aurez le bénéfice d'une durée de copyright étendue.

Si pour vous cela ne vaut pas la peine d'enregistrer pour profiter d'une durée prolongée, alors cela ne devrait pas non plus valoir la peine pour le gouvernement de défendre votre monopole sur cette oeuvre. L'oeuvre devrait passer dans le domaine public où tout le monde peut la copier, ou créer des archives avec, ou réaliser un film basé dessus. Elle devrait devenir libre si elle ne vaut pas 1 dollar pour vous.

Certains s'inquiètent de la contrainte sur les auteurs. La contrainte d'enregistrer l'oeuvre ne signifiera-t-elle pas que le 1 dollar est en fait trompeur ? La corvée ne vaut-elle pas plus de 1 dollar ? N'est-ce pas le vrai problème avec l'enregistrement ?

Exact, c'est le problème. La corvée est épouvantable. Le système actuel est affreux. Je suis complètement d'accord que le Copyright Office a fait un travail lamentable (sans doute parce qu'ils sont horriblement financés) concernant la possibilité de faire un enregistrement simple et bon marché. Toute solution réelle au problème des formalités doit régler le problème réel des gouvernements se tenant au coeur de tout système de formalités. Dans ce livre, j'offre une telle solution. Cette solution refait essentiellement le Copyright Office. Pour l'instant, imaginez que c'est Amazon qui gère le système d'enregistrement. Imaginez que c'est l'enregistrement en un clic. La Loi Eldred proposerait un enregistrement simple en un clic cinquante ans après la publication d'une oeuvre. D'après des données historiques, ce système mettrait jusqu'à 98 pour cent des oeuvres commerciales, oeuvres qui ne sont plus commercialisées, dans le domaine public en l'espace de cinquante ans. Qu'en pensez-vous ?

Quand Steve Forbes a soutenu cette idée, certaines personnes à Washington commencèrent à y prêter attention. De nombreuses personnes me contactèrent en m'indiquant des élus qui seraient enclins à mettre en place la Loi Eldred. Et j'en avais quelques uns qui ont directement suggéré qu'ils seraient enclins à faire le premier pas.

Un élu, Zoe Lofgren en Californie, est allé jusqu'à écrire un projet de loi. La loi résolvait tout problème concernant le droit international. Elle imposait la plus simple des exigences possible sur les propriétaires de copyright. En mai 2003, il semblait que le loi serait mise en place. Le 16 mai, j'ai posté sur le blog de la Loi Eldred, « nous sommes tout proche ». Il y a eu une réaction générale dans la communauté des blogs qu'une bonne chose pourrait se passer à ce moment-là.

Mais à ce stade, les lobbyistes commencèrent à intervenir. Jack Valenti et le conseil général de la MPAA allèrent au bureau de la députée pour donner le point de vue de la MPAA. Assisté par son avocat, comme me l'a dit Valenti, Valenti informa la députée que la MPAA s'opposerait à la Loi Eldred. Les raisons sont honteusement maigres. Surtout, la faiblesse de ces arguments montre clairement quel est l'objet réel du débat.

La MPAA a d'abord soutenu que le Congrès avait « fermement rejeté le principe même de la loi proposée » — que les copyrights soient renouvelés. C'était vrai, mais sans aucun rapport, étant donné que le « rejet ferme » du Congrès avait eu lieu bien avant qu'Internet ne permette de simplifier le renouvellement. Deuxièmement, elle a soutenu que la proposition causerait du tort aux propriétaires de copyright pauvres — apparemment ceux qui ne pouvaient pas se permettre le prix de 1 dollar. Troisièmement, elle a soutenu que le Congrès avait déterminé qu'allonger la durée d'un copyright encouragerait le travail de restauration. Peut-être pour le petit pourcentage des oeuvres couvertes par la loi du copyright ayant encore une valeur commerciale, mais là encore c'était sans aucun rapport, puisque la proposition n'interromprait pas la durée allongée à moins que le prix de 1 dollar ne soit pas payé. Quatrièmement, la MPAA a soutenu que la loi imposerait des coûts « énormes », puisqu'un système d'enregistrement n'est pas gratuit. C'est assez vrai, mais ces coûts sont certainement mois élevés que les coûts pour s'acquitter des droits d'un copyright d'un propriétaire inconnu. Cinquièmement, elle s'est inquiétée des risques si le copyright d'une histoire sous-jacente à un film devait passer dans le domaine public. Mais quel risque est-ce ? Si c'est dans le domaine public, alors le film est une utilisation dérivée valide.

Finalement, la MPAA a soutenu que la loi actuelle permettait aux propriétaires de copyright de le donner s'ils le souhaitaient. Mais toute l'idée est qu'il y a des milliers de propriétaires de copyright qui ne savent même pas qu'ils ont un copyright à donner. Qu'ils soient libres de renoncer à leur copyright ou pas — une revendication controversée dans cette affaire — à moins qu'ils soient au courant d'un copyright, ils ne sont pas susceptibles de le faire.

Au début de ce livre, j'ai raconté deux histoires à propos de la loi réagissant aux changements technologiques. Dans l'une, le bon sens a prévalu. Dans l'autre, le bon sens a été retardé. La seule différence entre ces deux histoires, c'est le pouvoir de l'opposition — le pouvoir du côté de ceux qui se sont battus pour défendre le status quo. Dans les deux cas, une nouvelle technologie menaçait de vieux intérêts. Mais dans un seul cas, ces intérêts avaient le pouvoir de se protéger contre la menace de cette nouvelle concurrence.

J'ai utilisé ces deux cas comme un moyen de cadrer la guerre qui est le sujet de ce livre. Car ici aussi, une nouvelle technologie force la loi à réagir. Et ici aussi, nous devrions demander, est-ce que la loi suit ou résiste au bon sens ? Si le bon sens soutient la loi, qu'est-ce qui explique ce bon sens ?

Quand le problème est le piratage, il est juste que la loi soutienne les propriétaires de copyright. Le piratage commercial que j'ai décrit est mauvais et nuisible, et la loi devrait travailler à l'éliminer. Quand le sujet est le partage par peer-to-peer, il est facile de comprendre pourquoi la loi soutienne encore les propriétaires : une bonne part de ce partage est mauvais, même s'il est inoffensif. Quand le sujet porte sur la durée du copyright sur Mickey Mouse dans le monde, il est encore possible de comprendre pourquoi la loi favorise Hollywood : la plupart des gens ne voient pas les raisons de limiter la durée du copyright ; il est donc encore possible de voir de la bonne foi dans la résistance.

Mais quand les propriétaires de copyright s'opposent à une proposition telle que la Loi Eldred, alors, finalement, voilà un exemple qui met à nu les intérêts personnels qui motivent cette guerre. Cette loi libérerait une palette extraordinaire de contenu qui n'est pas utilisé autrement. Elle n'empêcherait pas un propriétaire de copyright d'exercer un contrôle continu sur son contenu. Elle libérerait simplement ce que Kevin Kelly appelle le « Contenu Caché » qui remplit les archives du monde entier. Alors quand les guerriers s'opposent à un changement comme celui-ci, nous devrions poser une simple question :

Que veut réellement l'industrie ?

Avec très peu d'effort, ces guerriers pourraient protéger leur contenu. La volonté de bloquer une chose comme la Loi Eldred n'a donc pas pour but de protéger leur contenu. C'est un effort pour s'assurer que plus rien ne passe dans le domaine public. C'est une étape supplémentaire pour s'assurer que le domaine public ne fera jamais concurrence, qu'il n'y aura aucune utilisation de contenu non contrôlée commercialement, et qu'il n'y aura aucune utilisation commerciale de contenu sans leur permission d'abord.

L'opposion à la Loi Eldred révèle à quel point l'autre camp est extrêmiste. Le plus puissant et sexy et aimé des lobbys n'a pas pour but la protection de la « propriété », mais en réalité le rejet de la tradition. Leur but n'est pas simplement de protéger ce qui est à eux. Leur but est de s'assurer que tout ce qui est ici est à eux.

Il n'est pas difficile de comprendre pourquoi les guerriers adoptent ce point de vue. Il n'est pas difficile de voir quel parti ils tireraient si la concurrence du domaine public couplé à Internet pouvait d'une façon ou d'une autre être annulée. Tout comme la RCA craignait la concurrence de la FM, ils craignent la concurrence du domaine public connecté à un public qui a maintenant les moyens de créer à partir d'oeuvres publiques, et de partager ses propres créations.

Ce qui est difficile à comprendre, c'est pourquoi le public adopte ce point de vue. C'est comme si la loi faisait des avions des violeurs de propriété. La MPAA se dresse avec les Causbys et demande que leurs droits de propriété inutiles et lointains soient respectés, de telle sorte que les détenteurs de ces copyrights lointains et oubliés puissent bloquer le progrès des autres.

Tout cela semble découler facilement de cette acceptation confortable du principe de « propriété » dans la propriété intellectuelle. Le sens commun le soutient, et tant qu'il le soutient, les assauts pleuveront sur les technologies d'Internet. La conséquence sera une « société de la permission » croissante. Le passé peut être cultivé seulement si vous pouvez identifier le propriétaire et obtenir la permission de réutiliser son oeuvre. Le futur sera contrôlé par cette emprise (souvent introuvable) du passé.



[194] Jusqu’à la révision de Berlin de la convention de Berne en 1908, la législation nationale imposait parfois, pour qu’un copyright soit protégé, des formalités telles que l’enregistrement, le dépôt et l’apposition d’une indication de la revendication de copyright par l’auteur. Toutefois, à partir de la révision de 1908, chaque texte de la convention stipule que « la jouissance et l’exercice » des droits qu’elle garantit « ne doivent pas être soumis à quelconque formalité. » L’interdiction de ces formalités est actuellement incorporée à l’article 5(2) de la révision de Paris de la Convention de Berne. De nombreux pays continuent à imposer une forme d’exigence de dépôt ou d’enregistrement, bien que ce ne soit pas une condition du copyright. La loi française, par exemple, exige le dépôt des œuvres dans des dépôts nationaux, principalement à la Bibliothèque nationale de France. Des copies de livres publiés au Royaume-Uni doivent être déposées à la British Library. La loi allemande sur le copyright a mis en place un registre des auteurs, où le vrai nom de l’auteur peut être inscrit dans le cas d’œuvres anonymes ou pseudonymes. Paul Goldstein, International Intellectual Property Law, Cases and Materials, Foundation Press, 2001, p. 153-154.

Chapitre . Conclusion

Il y a plus de trente-cinq millions de personnes atteintes par le virus du SIDA dans le monde. Vingt-cinq millions d'entre elles sont en Afrique sub-saharienne. Dix-sept millions sont déjà mortes. Dix-sept millions d'Africains, cela représente, en proportion de la population, sept millions d'américains. Mais ça fait surtout dix-sept millions d'Africains.

Il n'y a pas de remède contre le SIDA, mais il existe des médicaments qui ralentissent sa progression. Ces thérapies antirétrovirales sont encore expérimentales, mais elles ont eu un effet radical. Aux États-Unis, les malades du SIDA qui prennent régulièrement un cocktail de ces médicaments augmentent leur espérance de vie de dix à vingt ans. Pour certains, les médicaments rendent la maladie presque invisible.

Ces médicaments coûtent cher. Quand ils furent mis sur le marché aux États-Unis, ils coûtaient entre 10.000 et 15.000 dollars par personne et par an. Aujourd'hui, certains coûtent 25.000 dollars par an. A ces prix, bien sûr, aucun pays d'Afrique ne peut offrir ces médicaments à la grande majorité de sa population : 15.000 dollars, c'est trente fois le PNB par habitant du Zimbabwe. A ce prix, les médicaments sont complètement inaccessibles.[195]

Ces prix ne sont pas élevés parce que les ingrédients des médicaments coûtent cher. Ils sont élevés parce que les médicaments sont protégés par des brevets. Les entreprises pharmaceutiques qui produisent ces mixtures salvatrices jouissent d'un monopole d'au moins vingt années sur leurs inventions. Elles utilisent ce monopole pour gagner le plus d'argent possible du marché. Ce pouvoir est en retour utilisé pour maintenir des prix élevés.

Beaucoup de gens sont sceptiques au sujet des brevets, en particulier des brevets sur les médicaments. Je ne le suis pas. En effet, de tous les domaines de recherche qui pourraient bénéficier des brevets, la recherche de médicaments est, à mon avis, celui qui en a le plus clairement besoin. Les brevets donnent à une entreprise pharmaceutique la garantie que si elle invente un nouveau médicament qui soigne une maladie de façon efficace, elle sera capable d'avoir un retour sur son investissement, et même de gagner plus. C'est une incitation extrêmement utile. Je serais la dernière personne à réclamer que la loi les abolisse, du moins sans rien changer d'autre.

Mais c'est une chose que d'être en faveur des brevets, même des brevets sur les médicaments. C'en est une autre que de savoir comment gérer au mieux une crise. Et quand les dirigeants africains commencèrent à comprendre quelle dévastation le SIDA apportait, ils cherchèrent des moyens d'importer des traitements contre le VIH à un coût très inférieur aux prix du marché.

En 1997, l'Afrique du Sud tenta une parade. Elle autorisa l'importation de médicaments brevetés qui avaient été produits ou mis sur le marché d'un autre pays avec l'accord du détenteur de copyright. Par exemple, si un médicament était vendu en Inde, il pouvait être exporté d'Inde vers l'Afrique. Ceci est appelé une « importation parallèle », et est en général autorisé par les lois du commerce international, et est spécifiquement autorisé à l'intérieur de l'Union Européenne.[196]

Cependant, les États-Unis s'opposèrent à cette loi. Et c'est le moins qu'on puisse dire. Comme le rapporte l'Association Internationale de la Propriété Intellectuelle, « Le gouvernement U.S. pressa l'Afrique du Sud… de ne pas autoriser les licences contraignantes, ou bien les importations parallèles »[197]. Par l'intermédiaire du Bureau des Représentants de Commerce des États-Unis (USTR), le gouvernement demanda à l'Afrique du Sud de changer sa loi— et pour ajouter de la pression à cette demande, en 1998 le USTR désigna l'Afrique du Sud pour d'éventuelles sanctions commerciales. La même année, plus de quarante compagnies pharmaceutiques entamèrent des procès dans les tribunaux sud-africains, pour remettre en question la politique du gouvernement. Les États-Unis furent ensuite rejoints par d'autres gouvernements de l'Union Européenne. Leur argument, et l'argument des compagnies pharmaceutiques, était que l'Afrique du Sud manquait à ses obligations selon la loi internationale, en ne respectant pas les brevets pharmaceutiques. La demande de ces gouvernements, États-Unis en tête, était que l'Afrique du Sud respectât ces brevets, tout comme elle respectait les autres types de brevets, nonobstant toute conséquence sur le traitement du SIDA en Afrique du Sud.[198]

Nous devrions replacer l'intervention des États-Unis dans son contexte. Il ne fait aucun doute que les brevets ne sont pas la raison principale pour laquelle les Africains n'ont pas accès aux médicaments. La pauvreté, et l'absence totale d'infrastructure médicale sont plus importants. Mais que les brevets soient ou non la raison principale, le prix des médicaments a un effet sur la demande, et les brevets ont un effet sur leur prix. Ainsi donc, l'intervention de notre gouvernement a contribué à stopper l'afflux de médicaments en Afrique, que son effet soit marginal ou non.

En stoppant le flux de médicaments contre le SIDA vers l'Afrique, le gouvernement des États-Unis n'a pas mis de côté ces médicaments, pour les réserver à ses propres citoyens. Ce n'est pas comme pour du blé (ce qu'ils mangent n'est plus pour nous). Au contraire, le flux que les États-Unis ont stoppé était, de fait, un flux de connaissance : savoir comment, à partir de matières premières qui existent en Afrique, synthétiser des médicaments qui sauveraient 15 à 30 millions de vies.

L'intervention des États-Unis n'a pas non plus servi à protéger les profits des compagnies pharmaceutiques américaines — du moins, pas significativement. Ces pays étaient loin de pouvoir acheter leurs médicaments à ces compagnies, au prix où ils étaient vendus. Une fois de plus, les Africains sont bien trop pauvres pour pouvoir se payer ces médicaments aux prix proposés. Stopper les importations parallèles de ces médicaments ne servait pas à augmenter les ventes des compagnies U.S.

Non, l'argument en faveur d'une restriction de ce flux d'information, qui était nécessaire pour sauver des millions de vies, concernait l'intouchabilité de la propriété.[199] C'est parce que la « propriété intellectuelle » aurait été violée que ces médicaments ne devaient pas aller en Afrique. C'est un principe concernant l'importance de la « propriété intellectuelle » qui a conduit ces gouvernants à intervenir contre la politique anti-sida de l'Afrique du Sud.

Prenons un peu de recul maintenant. D'ici une tentaine d'années, nos enfants nous demanderont comment nous avons pu laisser faire une chose pareille. Comment avons-nous pu autoriser une politique dont la conséquence directe a été d'accélérer la mort de 15 à 30 millions d'Africains, et dont le véritable bénéfice a été d'affirmer l'« intouchabilité » d'une idée ? Quelle justification possible pouvait-il y avoir à une politique qui a provoqué tant de morts ? Quelle est cette folie qui a laissé mourir tant de gens au nom d'une abstraction ?

Certains accusent les compagnies pharmaceutiques. Pas moi. Ce sont des entreprises. Leurs dirigeants ont l'obligation légale de faire des bénéfices. Ils mettent en avant une certaine politique des brevets, non pas par idéal, mais parce que c'est la politique qui leur permet de gagner le plus d'argent. Et si cette politique est celle qui leur rapporte le plus d'argent, c'est uniquement à cause d'une certaine corruption de notre système politique — une corruption dont les compagnies pharmaceutiques ne sont certainement pas responsables.

Cette corruption est le manque d'intégrité de nos propres politiciens. En effet les compagnies pharmaceutiques aimeraient beaucoup, disent-elles, et je les crois, vendre leurs médicaments aussi bon marché que possible à certains pays pays d'Afrique ou d'ailleurs. Bien sûr elles auraient quelques problèmes à résoudre, pour s'assurer que ces médicaments ne soient pas remis sur le marché aux États-Unis, ces problèmes sont d'ordre techniques. Ils peuvent être surmontés.

Cependant, un problème différent ne pourrait pas être évité. C'est la peur qu'un politicien démagogue n'interpelle les présidents des compagnies pharmaceutiques devant le Sénat ou la Chambre des Représentants, et ne demande : « Comment se fait-il que vous puissiez vendre ce médicament anti-sida pour un dollar le comprimé en Afrique, et que le même médicament coûte 1.500 dollars à un américain ? » Parce qu'il n'y a pas de « réponse simple » à cette question, son effet serait d'induire une régulation des prix en Amérique. Les compagnies pharmaceutiques évitent d'entrer dans cette spirale. Elles renforcent l'idée que la propriété doit être sacrée. Elles adoptent une stratégie rationnelle dans un contexte irrationnel, et dont la conséquence involontaire est peut-être la mort de millions de personnes. Et au final cette stratégie rationnelle se cache derrière un idéal : l'intouchabilité d'une idée appelée « propriété intellectuelle ».

Donc, quand le sens commun de vos enfants vous interrogera, que direz vous ? Quand le sens commun de toute une génération finira par se se révolter contre ce que nous avons fait, comment pourrons-nous le justifier ? Par quel argument ?

Une politique raisonnable en matière de brevets pourrait endosser et soutenir le système de brevets, sans pour autant atteindre tout le monde en tout endroit de la même manière. De même qu'une politique raisonnable en matière de droit d'auteur pourrait endosser et soutenir un système de droits sans devoir réglementer la diffusion de la culture de manière parfaite et immuable, une politique raisonnable en matière de brevets pourrait endosser et soutenir un système de brevets sans nécessairement bloquer la diffusion de médicaments dans des pays trop pauvres pour jamais pouvoir les acheter aux prix du marché. Une politique raisonnable, en d'autres termes, serait une politique équilibrée. Pour l'essentiel de notre histoire, nos politiques en matières de droit d'auteur et de brevets ont justement été équilibrées en ce sens.

Mais nous avons, en tant que culture, perdu ce sens de la mesure. Nous avons perdu le regard critique qui nous aide à voir ce qui sépare la vérité de l'extrémisme. Un certain fondamentalisme de la propriété, qui n'a aucun lien avec notre tradition, règne maintenant dans la culture — de manière incongrue, et avec des conséquences autrement plus sérieuses pour la circulation des idées et de la culture que presque toute les décisions politiques que nous pouvons prendre en tant que démocratie.

Une idée simple nous aveugle, et à la faveur de l'obscurité, beaucoup de choses se passent que nous rejetterions si nous les voyions. Nous prenons si peu de recul pour accepter l'idée de propriété des idées que nous ne remarquons pas à quel point il est monstrueux de refuser leur bénéfice à un peuple qui meurt. Nous prenons si peu de recul pour accepter l'idée de propriété culturelle que nous ne nous interrogeons même pas lorsque le contrôle de cette propriété nous empêche, en tant que peuple, de développer notre culture démocratiquement. La cécité devient notre sens commun. Et le défi à relever pour quiconque voudrait restaurer notre droit à développer une culture est de trouver le moyen de faire ouvrir les yeux à ce sens commun.

Jusqu'ici, le sens commun sommeille. Il n'y a pas de révolte. Le sens commun ne voit même pas pourquoi se révolter. L'extrémisme qui domine maintenant ce débat trouve écho dans des idées qui paraissent naturelles, et cette écho est amplifié par les RCA d'aujourd'hui. Ils mènent une guerre fanatique contre le « piratage », et dévastent une culture au nom de la créativité. Ils défendent l'idée de « propriété de création », en transformant les véritables créateurs en paysans sans terre des temps modernes. Ils sont choqués par l'idée que leurs droits puissent être équilibrés, alors même que les acteurs principaux de cette guerre du contenu ont profité d'un contexte plus équilibré. Ça sent l'hypocrisie. Mais même dans une ville comme Washington, l'hypocrisie passe inaperçue. Des lobbys puissants, des problèmes complexes, et une faculté d'attention digne de MTV, produisent une « tempête parfaite » pour la culture libre.

En août 2003, une dispute éclata aux États-Unis au sujet d'une décision de l'Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle d'annuler une conférence[200]. A la demande d'intérêts divers, l'OMPI avait décidé d'organiser un séminaire sur les « projets ouverts et collaboratifs pour créer des biens publics ». C'est le type de projets qui a réussi à produire des biens publics sans s'appuyer sur un usage uniquement propriétaire de la propriété intellectuelle. Internet et le Web en sont des exemples, tous deux ont été développés à partir de protocoles du domaine public. Une mouvement nouveau visant à développer des revues scientifiques ouvertes, comme le projet Public Library of Science décrit dans la Postface, en faisait partie. De même qu'un projet pour recenser les Single Nucleotide Polymorphisms (SNP), dont l'importance pour la recherche biomédicale est tenue pour cruciale. (Ce projet non-commercial comprenait un consortium rassemblant le Wellcome Trust et des compagnies pharmaceutiques et technologiques, dont Amersham Biosciences, AstraZeneca, Aventis, Bayer, Bristol-Myers Squibb, Hoffmann-La Roche, Glaxo-SmithKline, IBM, Motorola, Novartis, Pfizer, and Searle.) Le Global Positioning System (GPS), que Ronald Reagan avait rendu libre au début des années 1980, en faisait partie. De même que les « logiciels libres et open-source ».

Le but de la conférence était de considérer ces projets divers à la lumière d'un aspect commun : à savoir qu'aucun de ces projets n'était lié à cet extrémisme de la propriété intellectuelle. Au lieu de quoi, dans chacun d'entre eux, la propriété intellectuelle était équilibrée par des accords visant à maintenir un accès ouvert, ou à limiter les appropriations possibles.

Du point de vue de ce livre, donc, la conférence était idéale[201]. Parmi les projets à l'ordre du jour, on comptait à la fois des travaux commerciaux et non-commerciaux. Ils s'occupaient essentiellement de science, mais avec différents points de vue. Et l'OMPI était un hôte idéal pour cette discussion, puisque c'est l'organisme international préeminent qui s'occupe des problèmes de propriété intellectuelle.

En effet, il m'est arrivé d'être raillé en public pour ne pas avoir reconnu ce rôle à l'OMPI. En février 2003, j'ai donné un discours à une conférence préparatoire du Sommet Mondial sur la Société de l'Information (WSIS). Au cours d'une conférence de presse qui précédait mon discours, on me demanda ce que j'allais dire. Je répondis que j'allais parler un peu de l'importance d'équilibrer la propriété intellectuelle pour le développement de la société de l'information. La modératrice m'interrompit brusquement, pour m'informer ainsi que les journalistes présents, qu'aucune question relative à la propriété intellectuelle ne serait discutée au WSIS, car ces questions étaient du ressort exclusif de l'OMPI. Dans le discours que j'avais préparé, j'avais fait de la propriété intellectuelle un thème relativement mineur. Mais après cette déclaration étonnante, je fis de la propriété intellectuelle l'unique sujet de mon discours. Il n'était pas possible de parler d'une « Société de l'Information » sans parler aussi de la partie de l'information et de la culture qui serait libre. Mon discours ne rendit pas très heureuse mon immodeste modératrice. Et il ne fait aucun doute qu'elle avait raison de penser que la protection de la propriété intellectuelle était en principe du ressort de l'OMPI. Mais à mon avis, il ne saurait y avoir trop de conversations au sujet de la quantité de propriété intellectuelle dont nous avons besoin. Car à mon avis, l'idée même d'équilibre de la propriété intellectuelle s'est perdue.

Ainsi donc, que WSIS fut ou non l'endroit pour discuter d'équilibrer la propriété intellectuelle, j'avais pensé qu'il était certain que l'OMPI l'était. Et la conférence sur les « projets ouverts et collaboratifs pour créer des biens publics » semblait convenir parfaitement à l'agenda de l'OMPI.

Mais il y a un projet dans cette liste qui est très controversé, du moins parmi les lobbyistes. Il s'agit du projet « logiciels libres et open- source ». Microsoft, en particulier, prend soin d'éviter toute discussion sur le sujet. De leur point de vue, une conférence pour discuter de logiciels libres et open-source serait comme une conférence pour discuter du système d'exploitation d'Apple. Les logiciels libres et open-source sont en concurrence avec ceux de Microsoft. Et à l'international, beaucoup de gouvernements ont commencé à tester l'obligation, pour leurs propres administrations, d'utiliser des logiciels libres ou open-source, plutôt que des « logiciels propriétaires ».

Je ne veux pas entrer dans ce débat ici. Qu'il me suffise de préciser que la différence n'est pas entre logiciel commercial et non-commercial. Il y a beaucoup d'entreprises de premier plan qui dépendent fondamentalement du logiciel libre et open-source, IBM étant la plus en vue. IBM déplace de plus en plus son activité vers le système GNU/Linux, le « logiciel libre » le plus célèbre — et IBM est évidemment une entité commerciale. Ainsi, soutenir le « logiciel libre et open-source » n'est pas s'opposer aux entités commerciales. C'est au contraire soutenir un modèle de développement logiciel différent de celui de Microsoft.[202]

Plus important pour le sujet qui nous occupe, soutenir le « logiciel libre et open-source » n'est pas s'opposer au copyright. Les « logiciels libres et open-source » ne sont pas dans le domaine public. Au contraire, comme les logiciels de Microsoft, les détenteurs de copyright de logiciels libres et open-source insistent fortement pour que les termes de leurs licenses soient respectés par leurs utilisateurs. Ces termes sont évidemment différents de ceux d'une licence de logiciel propriétaire. Par exemple, un logiciel libre sous la Général Public Licence (GPL) requiert que le code source du logiciel soit rendu public par quiconque le modifie et le redistribue. Mais cette contrainte n'est effective que si le copyright est respecté. Sinon, le logiciel libre ne pourrait pas imposer ce genre de contraintes à ses utilisateurs. Il dépend donc des lois sur le droit d'auteur, au même titre que Microsoft.

Il est donc compréhensible qu'en tant que développeur de logiciels, Microsoft se soit opposé à cette conférence de l'OMPI, et compréhensible qu'il utilise ses lobbyistes pour pousser le gouvernement des États-Unis à s'y opposer aussi. Et en effet, c'est exactement ce qui s'est passé, semble-t'il. Selon Jonathan Krim du Washington Post, les lobbyistes de Microsoft réussirent à faire que le gouvernement des États-Unis s'oppose à la conférence[203]. Et sans soutien des U.S., la conférence fut annulée.

Je ne blâme pas Microsoft de faire ce qu'il peut pour servir ses propres intérêts, dans le respect de la loi. Et il est tout a fait légal de faire du lobbying auprès du gouvernement. Il n'y a rien de surprenant qu'ils en fassent ici, et rien non plus de très surprenant à ce que l'éditeur de logiciels le plus puisant des États-Unis ait du succès dans ses efforts de lobbying.

Ce qui est surprenant a été la raison avancée par le gouvernement des États-Unis pour s'opposer à la conférence. Comme le rapporte à nouveau Krim, Lois Boland, le directeur des relations internationales du bureau américain des brevets et des marques, expliqua que « le logiciel open source va à l'encontre de la mission de l'OMPI, qui est de promouvoir les droits de propriété intellectuelle ». Elle est citée disant : « Organiser une conférence dont le but est de contester ou de relaxer ces droits semble contraire à la mission de l'OMPI. »

Ces affirmations sont étonnantes à bien des égards.

Premièrement, elles sont tout simplement fausses. Comme je l'ai expliqué, la plupart des logiciels open source et libres reposent sur cette propriété intellectuelle appelée « copyright ». Sans elle, les restrictions imposées par ces licences ne marcheraient pas. Par conséquent, dire qu'il va « à l'encontre » de la mission de promotion des droits de propriété intellectuelle révèle une faille extraordinaire de raisonnement — le genre d'erreur qui est excusable chez un étudiant de première année en droit, mais embarrasse quand elle est commise par un haut officiel du gouvernement, chargé de s'occuper des questions de propriété intellectuelle.

Deuxièmement, qui a dit que la mission exclusive de l'OMPI était de « promouvoir » la propriété intellectuelle sous sa forme maximale ? Comme on me l'a rappelé lors de cette conférence préparatoire du sommet WSIS, le but de l'OMPI n'est pas seulement de trouver comment protéger au mieux la propriété intellectuelle, mais aussi de trouver quel est le meilleur équilibre pour cette propriété intellectuelle. Comme le sait n'importe économiste ou juriste, la vraie question pour la loi sur la propriété intellectuelle est de trouver cet équilibre. Mais le fait qu'il doit y avoir des limites est, je croyais, incontesté. Il faudrait demander à Mme Boland si les médicaments génériques (des médicaments qui en imitent d'autres dont les brevets ont expiré) sont contraires à la mission de l'OMPI. Le domaine public affaiblit-il la propriété intellectuelle ? Aurait-il mieux valu que les protocoles d'Internet fussent brevetés ?

Troisièmement, même si l'on croit que la mission de l'OMPI est de maximiser les droits de propriété intellectuelle, dans notre tradition ces droits sont détenus par des individus et des corporations. Ils ont le loisir de décider quoi faire de ces droits parce que, encore une fois, ce sont leurs droits. Si ils choisissent de « donner » ou de « renoncer à » ces droits, c'est parfaitement en accord avec notre tradition. Quand Bill Gates donne plus de 20 milliards de dollars à des oeuvres de bienfaisance, ça n'est pas en contradiction avec les objectifs du système de propriété. C'est, bien au contraire, précisément ce qu'un système de propriété est censé permettre : donner aux individus le droit de décider quoi faire de leur propriété.

Quand Mme Boland dit qu'il y a un problème avec une conférence « dont le but est de donner ou de renoncer à ces droits », elle dit que l'OMPI cherche à interférer avec les choix des individus qui détiennent des droits de propriété intellectuelle. Que d'une manière ou d'une autre, le but de l'OMPI devrait être d'empêcher les gens de « donner » ou de « renoncer » à leurs droits de propriété intellectuelle. Que l'OMPI souhaite non seulement que les droits de propriété intellectuelle soient maximisés, mais aussi qu'ils soient exercés de la manière la plus extrême et la plus restrictive possible.

Un tel système de propriété existe dans l'Histoire, et est bien connu de la tradition Anglo-Américaine. Il est appelé « féodalisme ». Sous ce système, non seulement la propriété était détenue par un nombre relativement restreint d'individus et d'entités, et non seulement les droits qui administraient cette propriété étaient puissants et exhaustifs, mais le système lui-même avait fortement intérêt à assurer que les propriétaires n'affaiblissent pas le système, en libérant des individus ou des propriétés qui était sous leur contrôle, pour les rendre au marché libre. Le féodalisme dépendait d'un contrôle maximal et d'une concentration maximale. Il combattait toute liberté qui aurait pu interférer avec ce contrôle.

Comme le rapportent Peter Drahos et John Braithwaite, c'est précisément le choix que nous sommes en train de faire au sujet de la propriété intellectuelle[204]. Nous aurons une société de l'information. C'est certain. Notre seul choix maintenant est entre une société de l'information libre et une féodale. Nous nous dirigeons vers une société de l'information féodale.

Lorsque cette battaille a éclaté, j'en ai parlé sur mon blog. Un débat intéressant s'en est suivi dans la partie réservée aux commentaires. Mme Boland avait un certain nombre de partisans qui tentèrent de montrer pourquoi elle avait raison. Mais il y eut un commentaire qui fut particulièrement déprimant pour moi. Un auteur anonyme écrivit :

George, vous avez mal compris Lessig : Il ne parle que du monde tel qu'il devrait être (« le but de l'OMPI, et le but de tout gouvernement, devrait être de promouvoir un bon équilibre des droits de propriété intellectuelle, pas simplement de promouvoir ces droits »), et non tel qu'il est. Si nous parlions du monde tel qu'il est, alors bien sûr Boland n'a rien dit de faux. Mais dans le monde rêvé de Lessig, bien sûr elle a tort. Toujours prendre garde à la différence entre le monde de Lessig et le nôtre.

Je n'ai pas saisi l'ironie du message la première fois que je l'ai lu. Je l'ai lu rapidement, et j'ai cru que l'auteur défendait l'idée que notre gouvernement devrait rechercher l'équilibre. (Bien sûr, ma critique de Mme Boland ne concernait pas le fait qu'elle cherche un équilibre ou non ; ma critique était que ses commentaires trahissaient une erreur digne d'un étudiant en droit de première année. Je ne me fais pas d'illusions sur l'extrémisme de notre gouvernement, qu'il soit Républicain ou Démocrate. Ma seule illusion, semble-t-il, concerne le fait que notre gouvernement doive ou non dire la vérité).

Évidemment, ce n'était pas l'idée que défendait l'auteur. Au contraire, il ridiculisait l'idée même que dans le monde réel, le « but » d'un gouvernement puisse être de « promouvoir un bon équilibre » de la propriété intellectuelle. Cette idée lui semblait évidemment idiote. Et elle trahissait, selon lui, mon propre utopisme idiot. « Typique pour un universitaire », aurait-il pu ajouter.

Je comprends qu'on me reproche d'être un universitaire utopiste. Je pense moi aussi que l'utopisme est idiot, et je serais le premier à me gausser des idéaux absurdement irréalistes des universitaires au cours de l'histoire (et pas seulement l'histoire de notre pays).

Mais s'il est devenu idiot de supposer que le rôle du gouvernement est de « chercher l'équilibre », comptez-moi parmi les idiots, car cela veut dire que c'est devenu assez grave, en effet. S'il devient évident pour chacun que le gouvernement ne recherche pas l'équilibre, que le gouvernement n'est que l'outil des lobbyistes les plus puissants, que l'idée que le gouvernement soit supposé faire autre chose est absurde, que l'idée d'attendre du gouvernement qu'il dise la vérité et non des mensonges est naïve, alors que sommes nous, la démocratie la plus puissante au monde, devenus ?

C'est peut être folie que d'attendre d'un porte-parole du gouvernement qu'il dise la vérité. C'est peut-être folie de croire que la politique du gouvernement doive être plus que l'exécutant des intérêts les plus puissants. C'est peut-être folie de soutenir que nous devrions préserver une tradition qui a été la nôtre pour l'essentiel de notre histoire — la culture libre.

Si tout cela est folie, alors qu'il y ait plus de fous ! Et vite !

Il y a des moments d'espoir dans ce combat. Et des moments qui surprennent. Alors que la FCC envisageait d'assouplir les lois sur la propriété, ce qui aurait eu pour conséquence d'augmenter la concentration des médias, une coalition extraordinaire s'est formée, au delà des partis, pour combattre ce changement. Peut être pour la première fois dans l'histoire, des intérêts aussi hétéroclites que la NRA, l'ACLU, Moveon.org, William Safire, Ted Turner, et CodePink Femmes pour la Paix se sont organisés pour s'opposer au changement de politique de la FCC. Un nombre impressionnant de lettres, 700.000, furent envoyées à la FCC, demandant plus de débats et un résultat différent.

Cet activisme n'a pas arrêté la FCC, mais peu après, une large coalition au Sénat votait l'annulation de la décision de la FCC. Les débats d'opposition qui ont conduit à ce vote ont révélé à quel point ce mouvement était devenu puissant. Il n'y avait pas de soutien substantiel à la décision de la FCC, et il y avait un soutien large et continu pour combattre toute concentration supplémentaire des médias.

Mais même ce mouvement oublie une part importante du puzzle. La taille en soi n'est pas mauvaise. La liberté n'est pas menacée simplement parce que certains deviennent très riches, ou parce qu'il n'y a qu'une poignée d'acteurs de taille. La qualité déplorable des Big Mac et Quarter Pounder ne veut pas dire que vous ne pouvez pas acheter un bon hamburger ailleurs.

Le danger de la concentration des médias ne vient pas de la concentration, mais du féodalisme que cette concentration produit, lié aux changements dans le droit d'auteur. Le danger n'est pas qu'un petit nombre de compagnies puissantes contrôlent une part grandissante des médias. C'est plutôt le fait que cette concentration puisse invoquer des droits aussi extensifs — des droits sur la propriété dont l'étendue est une première historique, qui la rend mauvaise.

Il est donc significatif que tant de gens se soient unis pour demander de la compétition et plus de diversité. Néanmoins, le fait que cette union soit vue comme une union contre la taille en soi n'est pas très surprenant. Nous autres américains avons l'habitude de nous opposer à ce qui est « grand », que ce soit justifié ou non. Que nous puissions être motivés pour nous battre une fois de plus contre les « grands » n'a rien de nouveau.

Il serait nouveau, et très important, si une coalition aussi importante pouvait se lever pour combattre l'extrémisme grandissant qui accompagne l'idée de « propriéte intellectuelle ». Non que l'équilibre soit étranger à notre tradition ; en fait, comme j'ai essayé de le montrer, l'équilibre fait partie de notre tradition. Mais plutôt parce que la capacité de penser de manière critique à l'étendue de quelque chose appelée « propriété », n'est plus très bien exercée dans cette tradition.

Si nous étions Achille, ceci serait notre talon. Ce serait le lieu de notre perte.

Alors que j'écris ces derniers mots, les journaux sont remplis d'histoires au sujet des procès menés par la RIAA contre presque trois cent individus[205]. Eminem vient d'être poursuivi pour avoir « échantilloné » la musique de quelqu'un d'autre[206]. L'histoire au sujet de Bob Dylan qui a « volé » un auteur japonais vient tout juste de cesser de faire les gros titres[207]. Un correspondant de Hollywood (qui tient à rester anonyme) rapporte « une conversation étonnante avec les gens des studios. Ils ont des [vieux] films extraordinaires, qu'ils adoreraient utiliser, mais ils ne peuvent pas car ils ne peuvent pas acquitter les droits. Il ont des tas de gens qui pourraient faire des choses étonnantes avec ce contenu, mais il faudrait d'abord des tas d'avocats pour en démêler les droits. » Le Congrès parle de détourner des virus informatiques afin d'attaquer les ordinateurs suspectés de violer la loi. Les universités menacent d'expulsion les étudiants qui utilisent un ordinateur pour partager du contenu.

Et pourtant de l'autre côté de l'Atlantique, la BBC vient d'annoncer qu'elle va créer une « Archive des Créations », à partir de laquelle les sujets britanniques pourront télécharger les contenus de la BBC, les éditer, mélanger, réutiliser[208]. Et au Brésil, le ministre de la culture, Gilberto Gil, lui-même un héros populaire de la musique brésilienne, s'est allié aux Creative Commons pour diffuser du contenu et des licences libres dans ce pays d'Amérique latine[209]. L'histoire que j'ai racontée est bien sombre. La vérité est plus mitigée. Une technologie nous a donné une liberté nouvelle. Lentement, certains commencent à comprendre que cette liberté ne veut pas forcément dire anarchie. Nous pouvons transposer notre culture libre dans le vingt-et-unième siècle, sans que les artistes ne soient lésés, et sans que le potentiel de la technologie numérique ne soit gâché. Il faudra des efforts de reflexion, et surtout de la volonté, pour transformer en Causby les RCA d'aujourd'hui.

Il faut que le sens commun se révolte. Il faut qu'il agisse pour libérer la culture. S'il le fait, qu'il le fasse vite.



[195] Commission britannique des droits de propriété intellectuelle, Intégrer les droits de propriété intellectuelle et la politique de développement, Londres, 2002, disponible au lien nº 55. Selon un communiqué de l’Organisation mondiale de la santé du 9 juillet 2002, seulement 230 000 personnes reçoivent des médicaments parmi les six millions de personnes du tiers-monde qui en ont besoin — et la moitié d’entre eux est au Brésil.

[196] Voir Peter Drahos et John Braithwaite, op. cit., p. 37.

[197] International Intellectual Property Institute (IIPI), Patent Protection and Access to HIV/AIDS Pharmaceuticals in Sub-Saharan Africa, a Report Prepared for the World Intellectual Property Organization, IIPI, 2000, p. 14, disponible au lien nº 56. Pour un compte rendu de première main sur la lutte pour l’Afrique du Sud, voir l’audition devant la sous-commission de la justice criminelle, la politique des stupéfiants et les ressources humaines, commission de la surveillance et de la réforme du gouvernement de la Chambre des représentants, 106e Congrès, 1re session, série nº 106-126, 22 juillet 1999, p. 150-157, déclaration de James Love.

[198] International Intellectual Property Institute (IIPI), op. cit., p. 15.

[199] Voir Sabin Russell, « New Crusade to Lower AIDS Drug Costs: Africa’s Needs at Odds with Firms' Profit Motive », San Francisco Chronicle, 24 mai 1999, disponible au lien nº 57 (« les licences obligatoires et les marchés gris mettent en péril le système entier de la protection de la propriété intellectuelle ») ; Robert Weissman, « AIDS and Developing Countries: Democratizing Access », Foreign Policy in Focus, août 1999, disponible au lien nº 58 (décrit la politique américaine) ; John A. Harrelson, « TRIPS, Pharmaceutical Patents, and the HIV/AIDS Crisis: Finding the Proper Balance Between Intellectual Property Rights and Compassion, a Synopsis », Widener Law Symposium Journal, 2001, p. 175.

[200] Jonathan Krim, « The Quiet War over Open-Source », The Washington Post, 21 août 2003, disponible au lien nº 59 ; William New, « Global Group’s Shift on “Open Source” Meeting Spurs Stir », National Journal’s Technology Daily, 19 août 2003, disponible au lien nº 60, et « U.S. Official Opposes “Open Source” Talks at WIPO », idem, 19 août 2003, disponible au lien nº 61.

[201] Je devrais révéler que j’étais une des personnes qui demanda au WIPO de tenir cette réunion.

[202] La position de Microsoft sur le logiciel libre et Open Source est plus subtile. Comme il l’a affirmé à maintes reprises, Microsoft n’a pas de problème avec les logiciels « Open Source » ou mis dans le domaine public : sa principale opposition concerne les logiciels libres sous licence « Copyleft », qui impliquent que les travaux dérivés de ces logiciels soient soumis à la même licence. Voir Bradford L. Smith, « The Future of Software: Enabling the Marketplace to Decide », Government Policy Toward Open Source Software, AEI-Brookings Joint Center for Regulatory Studies, Robert Hahn éd., 2002, p. 69, disponible au lien nº 62. Voir aussi Craig Mundie, vice-président senior de Microsoft, The Commercial Software Model, débat au New York University Stern School of Business, 3 mai 2001, disponible au lien nº 63.

[203] Jonathan Krim, op. cit., disponible au lien nº 64.

[204] Voir Peter Drahos et John Braithwaite, op. cit., p. 210-220.

[205] John Borland, « RIAA Sues 261 File Swappers », CNET.com, 8 septembre 2003, disponible au lien nº 65 ; Paul R. La Monica, « Music Industry Sues Swappers », CNN/Money, 8 septembre 2003, disponible au lien nº 66 ; Soni Sangha et Phyllis Furman, « Sued for a Song, N.Y.C. 12-Yr- Old Among 261 Cited as Sharers », New York Daily News, 9 septembre 2003 ; Frank Ahrens, « RIAA’s Lawsuits Meet Surprised Targets », op. cit. ; Katie Dean, « Schoolgirl Settles with RIAA », Wired, 9 octobre 2003, disponible au lien nº 67.

[206] Jon Wiederhorn, « Eminem Gets Sued … by a Little Old Lady », MTVnews.com, 17 septembre 2003, disponible au lien nº 68.

[207] Kenji Hall, Associated Press, « Japanese Book May Be Inspiration for Dylan Songs », Kansascity.com, 9 juillet 2003, disponible au lien nº 69.

[208] « BBC Plans to Open Up Its Archive to the Public », BBC press release, 24 août 2003, disponible au lien nº 70.

[209] « Creative Commons and Brazil », Creative Commons Weblog, 6 août 2003, disponible au lien nº 71.

Chapitre . Postface

Au moins une partie de ceux qui ont lu jusqu'ici conviendront que quelque chose doit être fait pour changer la direction que nous avons prise. Le reste de ce livre décrit ce qui pourrait être fait.

Je sépare ces moyens en deux catégories : ce que chacun peut faire maintenant, et ce qui requiert l'aide des législateurs. S'il y a une leçon à tirer de l'histoire du sens commun, c'est que son évolution requiert un changement des mentalités.

Ceci veut dire que le mouvement doit commencer par la base. Il doit recruter un nombre significatif de parents, enseignants, libraires, créateurs, auteurs, musiciens, metteurs en scène, scientifiques — pour que chacun répète cette histoire à sa manière, et qu'ils expliquent à leurs voisins pourquoi ce combat est si important.

Une fois que ce mouvement aura un effet sur la base, alors il pourra avoir un effet sur Washington. Nous sommes encore une démocratie. Ce que pensent les gens joue un rôle. Pas aussi important qu'il ne devrait l'être, du moins quand une RCA s'y oppose, mais quand même un rôle. Et donc, dans la deuxième partie qui suit, je décris les changements que le Congrès pourrait entreprendre afin de mieux assurer une culture libre.

1. Nous, maintenant

Le bon sens appartient à ceux qui s'opposent au copyright, car le débat n'a jusqu'ici été défini qu'en termes extrêmes — comme un grand soit ceci/soit cela : soit la propriété soit l'anarchie, soit un contrôle total soit les artistes ne seront pas payés. Si le choix est vraiment de cette nature, alors les opposants au copyright devraient l'emporter.

L'erreur consiste ici à négliger des positions médianes. Il y a des extrêmes dans ce débat mais il n'y a a pas qu'eux. Il y a ceux qui croient en un copyright maximal — « Tous droits réservés » — et ceux qui le rejettent — « Libre de droits ». Les partisans du « Tous droits réservés » soutiennent que toute « utilisation » d'une oeuvre soumise à copyright devrait d'abord faire l'objet d'une autorisation. Les promoteurs du « Libre de droits » pensent que vous devriez pouvoir exploiter le contenu à votre guise, que vous en ayez la permission ou non.

À sa naissance, l'architecture de l'Internet s'est dans les faits rattachée à l'approche « libre de droits ». Le contenu pouvait être copié fidèlement et facilement ; les droits ne pouvaient être aisément contrôlés. Ainsi, indépendamment du souhait de qui que ce soit, le régime effectif du copyright associé à la structure d'origine de l'Internet relevait du « Libre de droits ». Le contenu était « exploité » quels qu'en soient les droits. Tout droit était dans les faits non protégé.

Ce caractère originel engendra une réaction (opposée quoique pas de même intensité) de la part des détenteurs de copyright. Cette réaction a fait l'objet de ce livre. À travers la législation, le contentieux et les changements dans la conception du réseau, les détenteurs de copyright ont été capables de changer le caractère essentiel de l'environnement de l'Internet originel. Si l'architecture originelle faisait que le régime effectif était « Libre de droits », l'architecture future créera par défaut un régime effectif de « Tous droits réservés ». L'architecture et la loi qui entourent la conception d'Internet produiront de plus en plus un environnement où toute utilisation de contenu requiérera une permission. Le monde « copier-coller » qui définit Internet aujourd'hui deviendra un monde « obtenir la permission de copier-coller » qui est un cauchemar de créateur.

Ce qu'il faut, c'est un moyen de dire quelque chose entre les deux, ni « tous droits reservés » ni « aucun droit reservé », mais « des droits réservés » — et ainsi une façon de respecter les copyrights tout en permettant aux auteurs de libérer les droits comme ils le souhaitent. En d'autres termes, nous avons besoin de rétablir un ensemble de libertés que nous tenions pour acquises auparavant.

1.1. Reconstruire les libertés autrefois présumées acquises : exemples

Si vous prenez du recul par rapport à la bataille que j'ai décrite ici, vous reconnaitrez ce problème à partir d'autres contextes. Pensez à la vie privée. Avant Internet, la plupart d'entre nous n'avait pas beaucoup à se soucier à propos des informations sur notre vie que nous diffusions au monde entier. Si vous entriez dans une librairie pour y feuilleter des oeuvres de Karl Marx, vous n'aviez pas besoin de vous inquiéter des explications sur vos habitudes de lecture à donner à vos voisins ou à votre chef. La « vie privée » de vos habitudes de lecture était assurée.

Qu'est-ce qui l'assurait ?

Eh bien, si nous pensons en termes des modalités que j'ai décrites dans le chapitre 10, votre vie privée était assurée à cause d'une architecture inefficace pour rassembler des données, et par conséquent à cause d'une contrainte du marché (le coût) sur quiconque voulait rassembler ces données. Si vous étiez suspecté d'être un espion pour la Corée du Nord, il ne fait pas de doute pour la CIA que votre vie privée ne serait pas assurée. Mais c'est parce que la CIA trouverait (nous l'espérons) valable de dépenser les milliers de dollars nécessaires pour vous pister. Mais pour la plupart d'entre nous (là encore, nous l'espérons), l'espionnage ne vaut pas le coût. L'architecture extrêmement inefficace de l'espace réel signifie que nous jouissons tous d'une forte protection de la vie privée. Cette vie privée nous est garantie par la friction. Pas par la loi (il n'y a pas de loi protégeant la « vie privée » dans un espace public), et dans de nombreux endroits, pas par les normes (les indiscrétions et les potins sont trop amusants), mais plutôt par les coûts que la friction impose à quiconque voudrait espionner.

Arrive Internet, où le coût pour surveiller la navigation en particulier est devenu dérisoire. Si vous êtes un client d'Amazon, alors tandis que vous consultez les pages, Amazon collecte les données sur ce que vous avez regardé. Vous le savez car sur un coté de la page, il y a une liste des pages « récemment consultées ». Maintenant, à cause de l'architecture du Net et de la fonction des cookies sur le Net, rien n'est plus facile que de collecter des données. La friction a disparu, et ainsi toute forme de « vie privée » protégée par la friction disparaît, également.

Amazon, bien sûr, n'est pas le problème. Mais nous pourrions commencer à nous inquiéter à propos des bibliothèques. Si vous êtes un de ces gauchistes fous qui pensent que le gens devraient avoir le « droit » de chercher dans une bibliothèque sans que le gouvernement sache quels livres vous regardez (et je suis aussi un de ces gauchistes) alors ce changement dans la technologie de surveillance pourrait vous préoccuper. Si il devient simple de rassembler et de classer qui fait quoi dans les espaces électroniques, alors la vie privée d'hier induite par la friction disparaît.

C'est cette réalité qui explique l'initiative de nombreuses personnes pour définir la « vie privée » sur Internet. C'est la reconnaissance que la technologie peut enlever ce que la friction nous donnait auparavant qui pousse de nombreuses personnes à militer pour que des lois fassent ce que la friction faisait[210]. Et que vous soyiez en faveur de ces loi ou pas, c'est le motif qui est important ici. Nous devons faire des étapes affirmatives pour sécuriser un type de liberté dont on bénéficait passivement auparavant. Un changement dans la technologie force maintenant ceux qui croient en la vie privée à agir affirmativement où, auparavant, la vie privée était donnée par défaut.

Une histoire similaire pourrait être racontée sur la naissance du mouvement du logiciel libre. Quand les ordinateurs avec logiciels furent mis à disposition commercialement pour la première fois, le logiciel — à la fois le code source et les binaires — était libre. Vous ne pouviez pas faire tourner un programme écrit pour une machine Data General sur une machine IBM, donc Data General et IBM ne se préoccupaient pas de contrôler leur logiciel.

C'était le monde dans lequel est né Richard Stallman, et alors qu'il était chercheur au MIT, il s'est attaché à aimer la communauté qui s'est développée avec cette liberté d'explorer et de bricoler le logiciel qui tournait sur les machines. Étant lui-même d'un genre malin, et un programmeur talentueux, Stallman considérait comme nécessaire d'avoir la la liberté d'ajouter et de modifier le travail d'autres personnes.

Dans un contexte universitaire, tout du moins, ce n'est pas une idée terriblement radicale. Dans une section de mathématiques, quiconque était libre d'adapter une preuve que quelqu'un donnait. Si vous aviez une meilleure manière de prouver un théorème, vous pouviez prendre ce que quelqu'un d'autre avait fait et le modifier. Dans une section de littérature classique, si vous pensiez que la traduction faite par un collègue d'un texte récemment découvert etait imparfaite, vous étiez libre de l'améliorer. Ainsi, pour Stallman, il semblait évident que vous puissiez être libre de reprendre et d'améliorer un code qui tournait sur une machine. Ceci, également, était du savoir. Pourquoi ne serait-il pas ouvert à la critique comme n'importe quoi d'autre ?

Personne n'a répondu à cette question. À la place, le modèle de revenu dans l'informatique a changé. Comme il était devenu possible d'importer des programmes d'un système à un autre, il était devenu économiquement attractif (au moins aux yeux de certains) de cacher le code de votre programme. De même que les compagnies commençaient à vendre des périphériques pour des systèmes mainframes. Si je pouvais juste prendre le pilote de votre imprimante et le copier, alors cela serait plus facile pour moi de vendre une imprimante sur marché que ça ne l'était pour vous.

Ainsi, la pratique du code propriétaire commença à se répandre, et au début des années 1980, Stallman s'est trouvé entouré de code propriétaire. Le monde du logiciel libre avait été effacé par un changement dans l'économie de l'informatique. Et comme il le croyait, si il n'y faisait rien, alors la liberté de changer et de partager le logiciel serait fondamentalement affaiblie.

Ainsi, en 1984, Stallman commença un projet pour construire un système d'exploitation libre, afin qu'au moins une souche de logiciel libre survive. C'était la naissance du projet GNU, dans lequel le noyau « Linux » de Linus Torvald a été ajouté pour produire le système d'exploitation GNU/Linux.

La technique de Stallman était d'utiliser la loi du copyright pour construire un monde de logiciels qui doivent rester libre. Un logiciel sous licence GPL de la Free Software Foundation ne peut pas être modifié et distribué à moins que le code source de ce logiciel soit rendu également disponible. Ainsi, quiconque réutilisant un logiciel sous GPL doit rendre sa réutilisation libre également. Cela assurerait, croyait Stallman, qu'une écologie de code se développerait en restant libre pour que d'autres la réutilise. Son but fondamental était la liberté ; le code créatif innovant était un effet secondaire.

Stallman faisait ainsi pour le logiciel ce que les défenseurs de la vie privée font maintenant pour la vie privée. Il cherchait un moyen de reconstruire une sorte de liberté qui était prise pour acquise auparavant. À travers l'utilisation affirmative de licences qui lient du code sous copyright, Stallman récupérait affirmativement un espace où le logiciel libre survivrait. Il protégeait activement ce qui était auparavant passivement garanti.

Finalement, considérez un exemple très récent qui résonne plus directement avec l'histoire de ce livre. C'est le changement dans la manière dont les revues scientifiques et de recherche sont produites.

Alors que les technologies numériques se développaient, il devint évident pour beaucoup qu'imprimer des milliers de copies de revues chaque mois et les envoyer aux bibliothèques n'était peut-être pas la manière la plus efficace de distribuer le savoir. Au lieu de cela, les revues deviennent de plus en plus électroniques, et les bibliothèques et leurs utilisateurs se voient donner l'accès à ces revues électroniques à travers des sites protégés par mot de passe. Quelque chose de similaire à ceci est arrivé à la loi pendant presque trente ans : Lexis et Westlaw avaient des versions électroniques de rapports d'affaires disponibles pour les membres de leur service. Bien qu'un avis de la Cour Suprême ne soit pas sous copyright, et que quiconque soit libre d'aller dans une bibliothèque et de le lire, Lexis et Westlaw sont également libres de faire payer les utilisateurs pour le privilège d'obtenir l'accès à cet avis de la Cour Suprême à travers leurs services respectifs.

Il n'y a rien de mal en général avec cela, et, en effet, la possibilité de faire payer l'accès à du contenu même du domaine public est une bonne incitation pour que gens développent des manières nouvelles et innovantes de diffusion du savoir. La loi est d'accord, c'est pourquoi Lexis et Westlaw ont pu prospérer. Et s'il n'y a rien de mal à vendre le domaine public, alors il ne devrait y avoir rien de mal, en principe, à vendre l'accès à du contenu qui n'est pas dans le domaine public.

Mais que se passe-t-il si la seule façon d'obtenir l'accès à des données sociales et scientifiques passe par des services propriétaires ? Que se passe-t-il si personne n'a la possibilité de consulter ces données excepté en payant un abonnement ?

Comme beaucoup commencent à le remarquer, c'est de plus en plus la réalité pour les revues scientifiques. Quand ces revues étaient distribuées sous forme papier, les bibliothèques pouvaient les rendre disponibles à quiconque avait accès à la bibliothèque. Ainsi, les patients atteints de cancer pouvaient devenir des experts du cancer parce que la bibliothèque leur en donnait l'accès. Ou bien les patients essayant de comprendre les risques d'un traitement particulier pouvaient rechercher ces risques en lisant tous les articles disponibles sur ce traitement. Cette liberté était donc une fonction de l'institution des bibliothèques (les normes) et de la technologie du papier (l'architecture) — pour ainsi dire, il était très difficile de contrôler l'accès à une revue papier.

Toutefois, alors que les revues deviennent électroniques, les éditeurs exigent que les bibliothèques ne donnent pas d'accès public général aux revues. Cela signifie que les libertés données par les revues papier dans les bibliothèques publiques commencent à disparaître. Ainsi, tout comme pour la vie privée et le logiciel, un changement de technologie et le marché réduisent une liberté prise pour acquise auparavant.

Cette réduction de liberté a conduit de nombreuses personnes à prendre des mesures affirmatives pour retrouver la liberté perdue. La Public Library of Science (PLoS) (NdT : Bibliothèque Publique des sciences), par exemple, est une organisation à but non lucratif dédiée à rendre la recherche scientifique disponible à quiconque possédant une connexion à internet. Des auteurs d'ouvrages scientifiques soumettent leurs travaux à la Public Library of Science. Ces ouvrages sont ensuite soumis à revue. S'ils sont acceptés, ils sont alors déposés dans une archive publique électronique et rendus disponibles de façon permanente gratuitement. PLoS vend également une version imprimée de ses ouvrages, mais le copyright pour la version imprimée n'inhibe pas le droit de quiconque de redistribuer gratuitement l'ouvrage.

C'est un des nombreux efforts pour restaurer une liberté prise pour acquise auparavant, mais maintenant menacée par une technologie changeante et les marchés. Il n'y a pas de doute que ces alternatives sont en concurrence avec les éditeurs traditionnels et leurs efforts pour faire de l'argent à partir de la distribution exclusive de contenu. Mais la concurrence dans notre tradition est supposée être une bonne chose — en particulier quand elle aide à diffuser la connaissance et la science.

1.2. Reconstruire la culture libre : une idée

La même stratégie pourrait être appliquée à la culture, en tant que réaction au contrôle croissant obtenu par la loi et la technologie.

Arrive Creative Commons. Creative Commons est une société à but non lucratif fondée dans le Massachusetts, mais avec son siège à l'Université de Stanford. Son but est de construire une couche de copyright raisonnable par-dessus les extrêmes qui règnent actuellement. Elle le fait en rendant facile aux gens la réutilisation des oeuvres d'autres personnes. De simples étiquettes, liées à des descriptions humainement lisibles, liées à des licences inattaquables, rendent ceci possible.

Simples — ce qui signifie sans intermédiaire, ou sans avocat. En développant un ensemble libre de licences que les gens peuvent attacher à leur contenu, Creative Commons vise à marquer une gamme de contenu qui peut être facilement, et de manière fiable, réutilisé. Ces étiquettes sont ensuite liées à des versions de la licence lisibles par la machine, qui permettent à des ordinateurs d'identifier automatiquement du contenu qui peut être facilement partagé. Ces trois couches ensembles — une licence juridique, une description humainement lisible et des étiquettes lisibles par une machine — constituent une licence Creative Commons. Une licence Creative Commons constitue une garantie de liberté à quiconque accède à la licence, et de manière plus importante, c'est une expression de l'idéal que la personne qui souscrit cette licence croit en quelque chose différent des extrêmes « Tous » ou « Aucun ». Le contenu est marqué avec la marque CC, qui ne signifie pas que le copyright est abandonné, mais que certaines libertés sont données.

Ces libertés vont au-delà des libertés promises par l'usage loyal. Leurs contours précis dépendent des choix faits par le créateur. Le créateur peut choisir une licence qui permet n'importe quel usage, du moment que l'attribution est donnée. Il peut choisir une licence qui permet seulement un usage non commercial. Il peut choisir une licence qui permet toute utilisation du moment que les mêmes libertés sont données aux autres usages (« partage et partage à l'identique »). Ou n'importe quel usage du moment qu'aucun usage dérivé n'est fait. Ou n'importe quel usage dans des pays en voie de développement. Ou n'importe quelle utilisation d'extraits, du moment qu'il n'y a pas de copie complète de l'oeuvre. Ou enfin, n'importe quel usage éducatif.

Ces choix établissent ainsi une gamme de libertés supérieure à la loi du copyright par défaut. Ils permettent aussi des libertés qui vont au-delà de l'usage loyal traditionnel. Et le plus important est que ces libertés sont formulées de manière à ce que les utilisateurs ultérieurs puissent les utiliser et compter dessus sans devoir faire appel à un avocat. Creative Commons vise ainsi à construire une couche de contenu, gouvernée par une couche de loi de copyright raisonnable, que d'autres peuvent réutiliser. Des individus et des créateurs feront le choix volontaire de rendre ce contenu disponible. Et ce contenu nous permettra en retour à reconstruire un domaine public.

C'est juste un projet parmi d'autres de Creative Commons. Et bien sûr, Creative Commons n'est pas la seule organisation recherchant de telles libertés. Mais ce qui distingue Creative Commons de beaucoup d'autres initiatives est que nous ne cherchons pas seulement à parler d'un domaine public ou à avoir l'aide des législateurs le pour construire. Notre but est de construire un mouvement de consommateurs et de producteurs de contenu (les « conducteurs de contenu » comme les appelle l'avocat Mia Garlick) qui aident à construire le domaine public et, par leur travail, démontrent son importance pour les autres créativités.

Le but n'est pas de combattre toutes les sortes de « Tous droits réservés ». Le but est de les compléter. Les problèmes que la loi nous crée en tant que culture sont causés par les conséquences folles et involontaires de lois écrites il y a des siècles, appliquées à une technologie que seul Jefferson aurait pu imaginer. Ces règles peuvent très bien avoir eu du sens face à des technologies d'il y a des siècles, mais elles n'ont pas de sens dans le contexte des technologies numériques. De nouvelles règles — avec des libertés différentes, exprimées de manière à ce que des humains sans avocat puissent les utiliser — sont nécessaires. Creative Commons donne aux gens une manière de commencer efficacement à construire ces règles.

Pourquoi les créateurs participeraient-ils en renonçant à un contrôle total ? Certains participent à une meilleure diffusion de leur contenu. Cory Doctorow, par exemple, est un auteur de science-fiction. Son premier roman, Down and Out in the Magic Kingdom, a été publié en ligne et gratuitement, sous une licence Creative Commons, le même jour que sa sortie en librairie.

Pourquoi un éditeur donnerait-il son accord pour cela ? Je soupçonne que son éditeur a raisonné ainsi : il y a deux groupes de personnes : (1) ceux qui vont acheter le livre de Cory qu'il soit ou non sur Internet et (2) ceux qui n'entendraient jamais parler du livre de Cory, s'il n'est pas rendu disponible gratuitement sur Internet. Une certaine partie des (1) téléchargera le livre de Cory au lieu de l'acheter. Appelez-les les mauvais-(1). Une certaine partie des (2) téléchargera le livre de Cory, l'aimera et décidera de l'acheter. Appelez-les les bons-(2). S'il y a plus de bons-(2) que de mauvais-(1), la stratégie de diffuser le livre de Cory gratuitement en ligne augmentera probablement les ventes du livre de Cory.

Effectivement, la suite donna clairement raison aux déductions de l'éditeur. Le premier tirage du livre fut épuisé des mois avant la date prévue par l'éditeur. Ce premier roman d'un auteur de science-fiction fut un succès total.

L'idée que le contenu libre puisse augmenter la valeur du contenu non-libre a été confirmée par l'expérience d'un autre auteur. Peter Wayner, qui a écrit un livre sur le mouvement du logiciel libre intitulé Free for All, en fit une version électronique gratuite sous une licence Creative Commons, après que le livre imprimé fut épuisé. Il a ensuite surveillé les prix du livre dans des boutiques de livres d'occasion. Comme prédit, alors que le nombre de téléchargements augmentait, le prix de ce livre d'occasion augmentait, également.

Ce sont des exemples d'utilisation des Creative Commons pour mieux diffuser du contenu propriétaire. Je crois que c'est un usage merveilleux et courant des Commons. Il y en a d'autres qui utilisent les licences Creative Commons pour d'autres raisons. Beaucoup de ceux qui utilisent la « sampling license » (NdT : licence d'échantillonnage) le font car quoi que ce soit d'autre serait hypocrite. La licence d'échantillonnage dit que les autres sont libres, dans des buts commerciaux ou non commerciaux, d'utiliser des extraits de l'oeuvre sous licence ; ils ne sont simplement pas libres de mettre à disposition des copies complètes de l'oeuvre. C'est cohérent avec leur propre art — eux aussi prennent des extraits chez d'autres. Parce que les coûts légaux de l'échantillonnage sont si élevés (Walter Leaphart, manager du groupe de rap Public Enemy, qui a commencé en échantillonnant la musique des autres, a affirmé qu'il ne « permettait » plus à Public Enemy d'échantillonner, parce que les coûts légaux sont trop élevés[211]), ces artistes diffusent dans l'environnement créatif du contenu que les autres peuvent réutiliser, afin que cette forme de créativité puisse croître.

Enfin, il y en a beaucoup qui mettent leurs contenus sous licence Creative Commons juste pour exprimer aux autres l'importance de l'équilibre dans ce débat. Si vous suivez le système tel qu'il est, vous dites effectivement que vous croyez dans le modèle « Tous droits réservés ». Tant mieux pour vous, mais beaucoups n'y croient pas. Beaucoup croient que même si cette règle est adaptée pour Hollywood et ses caprices, elle ne représente pas le point de vue de la plupart des créateurs sur les droits de leurs oeuvres. La licence Creative Commons exprime cette notion de « Des droits réservés », et donne l'opportunité à beaucoup de le dire aux autres.

Dans les six premiers mois de l'expérience Creative Commons, plus d'un million d'objets furent placés sous ces licences de culture libre. L'étape suivante est des partenariats avec des fournisseurs de contenus intermédiaires pour les aider à incorporer dans leur technologie des manières simples pour que les utilisateurs marquent leur contenu avec des libertés Creative Commons. Puis l'étape suivante est d'observer et de célébrer les créateurs qui construisent du contenu en se basant sur du contenu libéré.

Ce sont les premières étapes pour reconstruire un domaine public. Ce ne sont pas de simples arguments ; ce sont des actions. Construire un domaine public est la première étape pour montrer aux gens à quel point ce domaine est important pour la créativité et l'innovation. Creative Commons compte sur des actions volontaires pour réussir cette reconstruction. Elles mèneront à un monde dans lequel plus que des actions volontaires sont possibles.

Creative Commons est juste un exemple d'efforts volontaires de la part d'individus et de créateurs pour changer le mélange des droits qui gouvernent maintenant le champ créatif. Le projet n'est pas en compétition avec le copyright ; il le complète. Son but n'est pas de vaincre les droits des auteurs, mais de rendre plus facile aux auteurs et aux créateurs l'exercice de leurs droits de façon plus souple et à bon marché. Cette différence, nous le croyons, permettra à la créativité de se répandre plus facilement.

2. Eux, bientôt

Nous ne rétablirons pas une culture libre uniquement par l’action individuelle. Cela nécessitera aussi d’importantes réformes législatives. Un long chemin nous attend avant que les politiciens écoutent ces idées et mettent en œuvre ces réformes. Cependant, cela veut aussi dire que nous avons le temps de faire prendre conscience des changements requis.

Dans ce chapitre, je propose cinq changements : quatre qui sont d’ordre général, et un qui est spécifique au débat le plus agité d’aujourd’hui : la musique. Chacun n’est qu’une étape, pas une fin. Cependant, chacune de ces étapes nous rapprocheraient beaucoup de notre but.

2.1. 1. Davantage de formalités

Si vous achetez une maison, vous devez enregistrer la vente selon un acte de vente ; si vous achetez une parcelle de terrain dans le but d’y construire une maison, vous devez enregistrer cette acquisition dans un acte. Si vous achetez une voiture, vous recevez une facture et vous déclarez cette voiture. Si vous achetez un ticket d’avion, ce dernier portera votre nom.

Toutes ces formalités sont associées à la propriété. Ce sont des obligations que nous devons supporter si nous voulons que la propriété soit protégée.

A contrario, selon la loi du copyright en vigueur, vous détenez automatiquement un copyright, que vous soyez ou non en conformité avec une quelconque formalité. Vous n’avez pas à déclarer. Vous n’avez même pas à marquer votre contenu. Le contrôle est là par défaut, les « formalités » sont exclues.

Pourquoi ?

Comme je l’ai suggéré dans le chapitre 10, la motivation d’abolir les formalités était une bonne chose. Dans le monde antérieur aux technologies numériques, les formalités imposaient un fardeau sur les titulaires de copyright sans beaucoup de bénéfice. Ainsi, ce fut un progrès quand la loi relâcha les formalités qu’un titulaire de copyright devait remplir pour protéger et sécuriser son œuvre. Ces formalités étaient un obstacle.

Mais Internet change tout cela. Les formalités aujourd’hui n’ont pas besoin d’être un fardeau. Plutôt, c'est le monde sans formalité qui pèse sur la créativité. Aujourd’hui, il n’y a pas de moyen simple de savoir qui possède quoi, ou avec qui on doit avoir affaire afin d’utiliser ou de réutiliser les créations des autres. Il n’y a pas d’enregistrements, il n’y a pas de système pour tracer — il n’y a pas de manière simple de savoir comment obtenir la permission. Et pourtant, étant donnée l’augmentation massive du champ d'application de la règle du copyright, obtenir la permission est une étape nécessaire pour tout travail qui réutilise notre passé. Et ainsi, le manque de formalités réduit de nombreuses personnes au silence au lieu de leur permettre de parler.

La loi devrait donc changer cette obligation[212] — mais elle ne devrait pas la changer en revenant à l'ancien système défectueux. Nous devrions requérir des formalités, mais nous devrions établir un système qui crée les incitations pour minimiser le poids de ces formalités.

Les formalités importantes sont au nombre de trois : marquer les œuvres sous copyright, enregistrer les copyrights, et demander le renouvellement du copyright. Traditionnellement, la première des trois était quelque chose que le titulaire du copyright faisait ; les deux autres étaient quelque chose que le gouvernement faisait. Mais un système de formalités révisé bannirait le gouvernement du processus, à l'exception de l'unique objectif d’approuver des standards développés par d’autres.

2.1.1. Enregistrement et renouvellement

Dans l’ancien système, un titulaire de copyright devait s’enregistrer auprès du Copyright Office, pour y déclarer ou renouveler un copyright. En faisant cet enregistrement, le titulaire de copyright payait des frais. Comme avec la plupart des agences gouvernementales, le Copyright Office avait peu de motivation à réduire la lourdeur de l’enregistrement ; il avait également peu de motivation pour minimiser les frais. Et comme le Copyright Office n’est pas un sujet prioritaire dans la politique du gouvernement, le bureau est historiquement terriblement sous-financé. Ainsi, quand des gens qui connaissent la procédure entendent cette idée de formalités, leur première réaction est la panique — rien ne pourrait être pire que forcer les gens à avoir affaire à ce pétrin qu’est le Copyright Office.

Et pourtant il est toujours étonnant pour moi que nous, qui sommes issus d’une tradition d’innovation extraordinaire dans la conception du gouvernement, ne sachions plus penser de manière innovante à la conception des fonctions gouvernementales. Le simple fait qu’il y ait un but public dans un rôle gouvernemental, n'implique pas que le gouvernement doive véritablement l'administrer. Au contraire, nous devrions créer des incitations pour que le privé serve le public, selon les normes que le gouvernement fixe.

Concernant l’enregistrement, un modèle évident est Internet. Il existe au moins 32 millions de sites web enregistrés à travers le monde. Les titulaires de nom de domaine pour ces sites web doivent payer des frais pour maintenir leur enregistrement. Dans les domaines principaux (.com, .org, .net), il y a un enregistrement central. Les enregistrements à proprement parler sont, toutefois, effectuées par de nombreux greffiers en concurrence. Cette compétition fait baisser les coûts de l’enregistrement, et de manière plus importante, elle conduit à simplifier la procédure d'inscription.

Nous devrions adopter un modèle similaire pour l’enregistrement et le renouvellement des copyrights. Le Copyright Office peut bien servir de registre central, mais il ne devrait pas s'occuper des enregistrements. Au lieu de cela, il devrait établir une base de données, et un ensemble de normes pour les greffiers. Il devrait approuver les greffiers qui sont conformes à ces normes. Ces greffiers seraient ensuite en compétition les uns contre les autres pour délivrer les systèmes les moins onéreux et les plus simples pour enregistrer et renouveler les copyrights. Cette compétition réduirait significativement la lourdeur de cette formalité — tout en produisant un registre qui faciliterait l’obtention d’un droit d’exploitation du contenu.

2.1.2. Marquage

Il fut un temps où l’oubli d’inclure une marque de copyright sur une œuvre de création signifiait que le copyright était déchu. C’était une sanction dure pour ne pas s’être conformé à un réglement — un peu comme imposer la peine de mort pour une contravention dans le monde des droits des créations. Là encore, il n’y a pas de raison qu’une obligation de marquage ait besoin d’être appliquée de cette manière. Et de manière plus importante, il n’y a pas de raison qu’une obligation de marquage doive être appliquée uniformément à tous les médias.

Le but du marquage est de signaler au public que cette œuvre est sous copyright et que l’auteur veut appliquer ses droits. La marque facilite également la localisation d’un titulaire de copyright pour assurer la permission d’utiliser l’œuvre.

Un des problèmes auquel le système du copyright a été confronté tôt, était que des œuvres différentes sous copyright devaient être marquées différemment. Il n'était pas précisé comment et où une statue, un disque, ou un film devaient être marqués. Une nouvelle obligation de marquage pourrait résoudre ces problèmes en reconnaissant les spécificités de chaque support, et en autorisant le système de marquage à évoluer avec les possibilités offertes par les technologies. Le système pourrait rendre possible un signal spécial venant de l’absence de marquage — pas la perte du copyright, mais la perte du droit de pénaliser quelqu’un pour ne pas avoir obtenu la permission au préalable.

Commençons avec le dernier point. Si un titulaire de copyright permet que son œuvre soit publiée sans indication de copyright, la conséquence de cette absence ne doit pas être la perte du copyright. La conséquence serait plutôt que tout le monde a le droit d’utiliser cette œuvre, jusqu’à ce que l'ayant droit s’en plaigne, démontre que c’est son œuvre, et qu’il ne donne pas la permission de l'utiliser[213]. La signification d’une œuvre non marquée serait donc « utilisez-là à moins que quelqu’un ne s’en plaigne ». Si quelqu’un s’en plaint, alors l’obligation serait de ne plus l'utiliser à partir de ce moment dans de nouvelles créations, bien qu’aucune pénalité ne soit exigible pour les utilisations existantes. Cela créerait une forte incitation pour que les titulaires de copyright marquent leur œuvre.

Cela soulève en retour la question sur comment l’œuvre devrait être marquée au mieux. Là encore, le système a besoin de s’adapter alors que les technologies évoluent. La meilleure manière de s’assurer que le système s'adapte est de limiter le rôle du Copyright Office à celui d’approuver des normes de marquage de contenu développées ailleurs.

Par exemple, si une association d’industrie du disque concevait une méthode pour marquer les CDs, elle la proposerait au Copyright Office. Le Copyright Office tiendrait une séance, dans laquelle d’autres propositions pourraient être faites. Le Copyright Office sélectionnerait ensuite la proposition qu’elle juge préférable, et elle baserait ce choix uniquement sur sa capacité à être la mieux intégrée dans le système d’enregistrement et de renouvellement. Nous ne compterions pas sur le gouvernement pour innover ; mais nous compterions sur le gouvernement pour garder le produit de l’innovation en accord avec ses autres fonctions importantes.

Enfin, marquer le contenu clairement simplifierait les exigences d’enregistrement. Si les photographies étaient marquées par auteur et par année, il y aurait peu de raisons pour ne pas permettre à un photographe d’enregistrer à nouveau, par exemple, toutes les photographies prises durant une année particulière, rapidement en une fois. Le but de cette formalité n’est pas de gêner le créateur ; le système lui-même devrait rester le plus simple possible.

L’objectif des formalités est de clarifier les choses. Le système existant ne fait rien pour clarifier les choses. En effet, il semble être conçu pour rendre les choses confuses.

Si des formalités telles que l’enregistrement étaient réinstaurées, une des difficultés majeures quand on compte sur le domaine public serait levées. Il serait simple d’identifier quel contenu est présumé libre ; il serait simple d’identifier qui contrôle les droits pour un type particulier de contenu, il serait simple de déclarer ces droits, et de renouveler cette déclaration au moment approprié.

2.2. 2. Une durée plus courte

La durée du copyright est allée de quarante ans à quatre-vingt-quinze ans pour les auteurs personnes morales, et à la vie de l’auteur plus soixante- dix ans pour les auteurs personnes physiques.

Dans L’Avenir des idées, j’ai proposé une durée de soixante-quinze ans, accordée par périodes de cinq ans avec une obligation de renouvellement tous les cinq ans. Cela semblait assez radical à l’époque. Mais après que nous ayons perdu Eldred contre Ashcroft, les propositions sont devenues encore plus radicales. The Economist a soutenu une proposition pour une durée de copyright de quarante-cinq ans[214]. D’autres ont proposé d’attacher la durée à la durée des brevets.

Je suis d’accord avec ceux qui croient que nous avons besoin d’un changement radical dans la durée du copyright. Mais que ce soit quarante-cinq ou soixante-quinze ans, il y a quatre principes qu’il est important de garder à l’esprit concernant la durée du copyright.

  1. Gardez-la courte : la durée devrait être aussi longue que nécessaire pour donner l’incitation de créer, mais pas plus longue. Si elle était liée à des protections très fortes des auteurs (afin que les auteurs puissent récupérer des droits des éditeurs), les droits pour la même œuvre (pas les œuvres dérivées) pourraient être étendus davantage. La clé est de ne pas attacher l’œuvre à des réglementations légales quand elle ne bénéficie plus à un auteur.

  2. Gardez-la simple : la ligne entre le domaine public et le contenu protégé doit rester claire. Les avocats aiment le flou de l’« usage loyal », et la distinction entre « les idées » et « l’expression ». Ce genre de loi leur donne beaucoup de travail. Mais nos premiers législateurs avaient une idée plus simple en tête : protégé contre non protégé. L'intérêt d'une durée courte est qu'il est peu nécessaire d’inclure des cas d'exceptions dans le copyright lorsque cette durée reste courte. Une « zone sans avocat » claire et active rend moins nécessaire de faire appel aux complexités de l’« usage loyal » et de l’« idée/expression ».

  3. Gardez-la vivante : le renouvellement de copyright devrait être nécessaire. En particulier si la durée maximale est longue, le titulaire du copyright devrait être obligé de signaler de manière périodique qu’il veut que la protection continue. Cela ne doit pas être une contrainte onéreuse, mais il n’y a pas de raison que ce monopole de protection soit accordé gratuitement. En moyenne, cela prend quatre-vingt-dix minutes pour qu’un vétéran fasse une demande de pension[215]. Si nous infligeons cette contrainte aux vétérans, je ne vois par pourquoi nous n’exigerions pas des auteurs qu’ils passent dix minutes tous les cinquante ans pour remplir un unique formulaire.

  4. Gardez-la prospective : quelle que soit la durée que doit avoir le copyright, la leçon la plus claire que les économistes enseignent est qu’une durée une fois accordée ne devrait pas être étendue. C’était peut-être une erreur en 1923 de la part de la loi que d’offrir aux auteurs une durée de seulement cinquante-six ans. Je ne le pense pas, mais c’est possible. Si c’était une erreur, alors la conséquence est qu'il y avait moins d’auteurs qui créaient en 1923 que nous n'aurions eu sinon. Mais nous ne pouvons pas corriger cette erreur aujourd’hui en augmentant la durée. Peu importe ce que nous faisons aujourd’hui, nous n’augmenterons pas le nombre d’auteurs qui ont écrit en 1923. Bien sûr, nous pouvons augmenter la récompense de ceux qui écrivent maintenant (ou alternativement, augmenter le poids du copyright qui étouffe de nombreuses œuvres qui sont aujourd’hui invisibles). Mais augmenter leur récompense n’augmentera pas leur créativité en 1923. Ce qui n’est pas fait n’est pas fait, et il n’y a rien que nous puissions y faire maintenant.

Ces modifications mises ensembles devraient produire une durée moyenne de copyright bien plus courte que la durée actuelle. Jusqu’en 1976, la durée moyenne était juste de 32,2 ans. Nous devrions viser la même chose.

Il ne fait pas de doute que les extrémistes qualifieront ces idées de « radicales ». (Après tout, je les appelle « extrémistes ».) Mais là encore, la durée que j’avais recommandée était plus longue que la durée sous Richard Nixon. À quel point est-ce « radical » de demander une loi du copyright plus généreuse que ce qu’elle était sous Richard Nixon ?

2.3. 3. Usage libre contre usage loyal

Comme je l’ai observé au début de ce livre, la loi de la propriété accordait à l’origine aux propriétaires le droit de contrôler leur propriété du sol jusqu’au paradis. L’avion est arrivé. La portée des droits de propriété changea rapidement. Il n’y a pas eu de scandale, ni de défi constitutionnel. Cela n’avait plus de sens d’accorder autant de contrôle, étant donné l’émergence de cette nouvelle technologie.

Notre Constitution donne au Congrès le pouvoir de donner aux auteurs un « droit exclusif » à « leurs écrits ». Le Congrès a donné aux auteurs un droit exclusif à « leurs écrits » ainsi qu’à tout écrit dérivé (fait par d’autres) suffisament proche de l’œuvre originale de l’auteur. Ainsi, si j’écris un livre, et que vous faites un film basé sur ce livre, j’ai le pouvoir de vous refuser le droit de sortir ce film, même si ce film n’est pas « mon écrit ».

Le Congrès a accordé les débuts de ce droit en 1870, lorsqu'il a étendu le droit exclusif du copyright pour y inclure le droit de contrôler les traductions et la théâtralisation d’une œuvre[216]. Les tribunaux l’ont ensuite étendu lentement par interprétation judiciaire. Cette expansion a été commentée par un des meilleurs juges, le Juge Benjamin Kaplan.

Nous nous sommes tellement habitués à l’extension du monopole à une vaste gamme de soi-disant œuvres dérivées, que nous ne sentons plus l’étrangeté d’accepter un tel aggrandissement du copyright, tout en psalmodiant pourtant l’abracadabra d’une idée et expression.[217]

Je pense qu’il est temps de reconnaitre qu’il y a des avions dans ce champ et que l’expansion de ces droits d’usage dérivé n’a plus de sens. Plus précisément, ils n’ont pas de sens sur la période pendant laquelle le copyright s'applique. Et ils n’ont pas de sens en tant qu’allocation amorphe. Considérez chacune de ces limitations l’une après l’autre.

Durée : si le Congrès veut accorder un droit dérivatif, alors ce droit devrait avoir une durée bien plus courte. Cela a un sens de protéger le droit de John Grisham de vendre les droits du film issu de son dernier roman (ou du moins je veux bien supposer qu’il y en a) ; mais cela n'a pas de sens qu'il ait la même durée que le copyright sous-jacent. Le droit dérivatif pourrait être important pour inciter à la créativité ; il n’est pas important longtemps après la réalisation de l'oeuvre.

Portée : de la même manière, la portée des droits dérivatifs devrait être réduite. Une fois de plus, il y a certains cas où les droits dérivatifs sont importants. Ceux-ci devraient être spécifiés. Mais la loi devrait tracer une ligne claire entre les usages réglementés et non réglementés de contenu sous copyright. Quand toutes les « réutilisations » d’une création étaient sous le contrôle des entreprises, peut-être que cela avait un sens de faire appel à des avocats pour négocier les lignes. Cela n'a plus de sens que des avocats négocient les lignes. Pensez à toutes les possibilités de création offertes par les technologies numériques ; imaginez maintenant un déversement de mélasse dans les machines. C’est ce que cette exigence générale de permission fait au processus créatif. Elle l’étouffe.

C’est ce qu’Alben a montré en décrivant l’élaboration du CD Clint Eastwood. Alors qu’il est logique de demander la négociation pour des droits dérivatifs prévisibles — tirer un film d’un livre, ou une piste musicale d’un poème — cela n'a pas de sens de demander à négocier pour l’imprévisible. Ici, un droit statutaire aurait eu beaucoup plus de sens.

Dans chacun de ces cas, la loi devrait marquer les usages qui sont protégés, et la présomption devrait être que les autres usages ne sont pas protégés. C’est l’inverse de la recommandation de mon collègue Paul Goldstein[218]. Son point de vue est que c’est la loi qui devrait être écrite afin que des protections étendues suivent des usages étendus.

Les analyses de Goldstein seraient totalement pertinentes si le coût du système légal était faible. Mais comme nous le voyons actuellement dans le contexte d’Internet, l’incertitude sur l’étendue de la protection, et les incitations pour protéger les modèles de revenu existants, combinées avec un copyright fort, affaiblissent le processus d’innovation.

La loi pourrait remédier à ce problème soit en enlevant la protection au-delà de la partie explicitement tracée ou en accordant des droits de réutilisation selon certaines conditions statutaires. Dans tous les cas, l’effet serait de libérer une grande partie de la culture pour que d’autres la cultivent. Et sous un régime de droits statutaires, cette réutilisation rapporterait plus de revenus aux artistes.

2.4. 4. Libérer la musique, à nouveau

La bataille qui provoqua toute cette guerre concerne la musique, donc il ne serait pas juste de terminer ce livre sans aborder le problème qui est, pour la plupart des gens, le plus pressant — la musique. Il n’y a pas de problème de politique qui puisse mieux enseigner les leçons de ce livre que les batailles autour du partage de musique.

L’attrait de la musique par partage de fichiers a été la cocaïne de la croissance d’Internet. Elle a stimulé les demandes d'accès à Internet plus fortement que toute autre application. C'était l’application « mortelle » d’Internet — probablement dans les deux sens du terme. C'est sans aucun doute l’application qui a conduit à l'augmentation de la bande passante. Elle est peut-être bien l’application qui a conduit aux demandes de réglementations qui vont finalement tuer l’innovation sur le réseau.

Le but du copyright, par rapport au contenu en général et à la musique en particulier, est de créer les incitations pour que la musique soit composée, jouée et, c'est le plus important, diffusée. La loi le fait en donnant un droit exclusif à un compositeur pour contrôler les exécutions publiques de son œuvre, et à un artiste interprète pour contrôler les copies de son interprétation.

Les réseaux d’échange de fichiers compliquent ce modèle en rendant possible la diffusion de contenu pour lequel l’interprète n’a pas été payé. Mais bien sûr, ce n’est pas tout ce que les réseaux de partage de fichiers permettent. Comme je l’ai décrit dans le chapitre 5, ils permettent quatre différents types de partage :

  1. Il y en a certains qui utilisent les réseaux de partage comme substituts à l’achat de CDs.

  2. Il y en a aussi certains qui utilisent les réseaux de partage pour écouter des extraits, afin d’acheter des CDs.

  3. Il y en a beaucoup qui utilisent les réseaux de partage de fichier pour accéder à du contenu qui n’est plus vendu mais qui est encore soumis au copyright, ou qu’il serait trop compliqué d’acheter sur Internet.

  4. Il y a beaucoup qui utilisent les réseaux de partage de fichiers pour accéder à du contenu qui n’est pas sous copyright ou pour avoir un accès que le titulaire du copyright approuve totalement.

Toute réforme de la loi doit garder en vue ces différents usages. Elle doit éviter de gêner le type D même si elle vise à éliminer le type A. L’avidité avec laquelle la loi cherche à éliminer le type A, de plus, doit dépendre de la magnitude du type B. Tout comme avec les magnétoscopes, si l’effet total du partage n’est pas très nuisible, le besoin de réglementation devient considérablement plus faible.

Comme je l’ai dit dans le chapitre 5, la nuisance réelle est sujet à controverse. Dans l’objectif de ce chapitre, toutefois, je suppose que le mal est réel. Je suppose, en d’autres termes, que le type A de partage est bien plus grand que le type B, et est l’utilisation dominante des réseaux de partage.

Néanmoins, il y a un fait crucial à propos du contexte technologique actuel que nous devons garder à l’esprit si nous voulons comprendre comment la loi devrait répondre.

Aujourd’hui, le partage de fichiers est addictif. Dans dix ans, il ne le sera plus. Il est addictif aujourd’hui parce que c’est la manière la plus facile d’avoir accès à une large palette de contenu. Ce ne sera pas le moyen le plus facile d’avoir un tel accès dans dix ans. Aujourd’hui, l’accès à Internet est fastidieux et lent — nous, aux États-Unis, sommes chanceux d’avoir du haut débit à 1,5 méga, et nous avons très rarement un service à cette vitesse à la fois en émission et en réception. Bien que l’accès sans fil augmente, la plupart d’entre nous utilise une connexion filaire. La plupart d’entre nous ne peut se connecter qu'avec une machine avec un clavier. L’idée d’un Internet toujours allumé, toujours connecté est principalement juste un fantasme.

Mais cela va devenir une réalité, et cela signifiera que la manière dont nous accédons à Internet aujourd’hui est une technologie en transition. Les faiseurs de politique ne devraient pas faire de politique sur la base d’une technologie en transition. Ils devraient faire une politique en fonction du devenir de la technologie. La question ne devrait pas être, comment la loi devrait réglementer le partage dans ce monde ? La question devrait être, qu'attendra-t-on de la loi quand le réseau deviendra ce qu’il est clairement en train de devenir ? Ce réseau dans lequel toute machine électrique est essentiellement sur le Net ; dans lequel où que vous soyiez — excepté peut-être dans le désert des Rocheuses — vous pouvez être instantanément connecté à Internet. Imaginez Internet aussi omniprésent que le meilleur service de téléphonie mobile, où en actionnant un appareil, vous êtes connecté.

Dans ce monde-là, il sera extrêmement facile de se connecter à des services qui vous donnent accès à du contenu à la volée — tels que des webradios, le contenu étant diffusé à l’utilisateur sur demande. Ici, donc, c'est le point critique : quand il devient extrêmement facile de se connecter à des services qui donnent accès à du contenu, il deviendra plus facile de se connecter à ces services que de télécharger et stocker ce contenu sur tous les nombreux appareils où vous voudrez le jouer. Il sera plus facile, en d’autres termes, de s’inscrire que d’être un gestionnaire de base de données, comme le sont finalement tous ceux qui font du téléchargement-partage de type Napster. Les services de contenu rivaliseront avec le partage de contenu, même si les services font payer pour le contenu auquel ils donnent accès. Il y a déjà des services pour téléphones portables au Japon qui offrent de la musique (payante) diffusée sur les téléphones portables (améliorés avec des prises casque). Les Japonais payent pour ce contenu même si du contenu « gratuit » au format MP3 est disponible sur le web[219].

Cette idée sur le futur a pour but de suggérer une perspective sur le présent : il est catégoriquement temporaire. Le « problème » avec le partage de fichiers — dans la mesure où il y a un problème réel — est un problème qui va de plus en plus disparaître alors qu’il deviendra plus facile de se connecter à Internet. Et ainsi c’est une erreur extraordinaire de la part des faiseurs de politique que de « résoudre » ce problème à la lumière d’une technologie qui ne sera plus là demain. La question ne devrait pas être comment réglementer Internet pour éliminer le partage de fichiers (l'évolution du Net fera disparaître ce problème). La question devrait plutôt être comment garantir que les artistes sont payés, pendant cette transition entre les modèles commerciaux du vingtième siècle et les technologies du vingt-et-unième siècle.

La réponse commence en reconnaissant qu’il y a ici différents « problèmes » à résoudre. Commençons par le contenu de type D — le contenu sans copyright ou le contenu sous copyright que l’artiste veut voir partagé. Le « problème » avec ce contenu est de s’assurer que la technologie qui permettra ce genre de partage ne soit pas rendue illégale. Vous pouvez le penser de cette manière : les cabines téléphoniques sont utilisées pour faire des demandes de rançon, sans doute. Mais beaucoup de ceux qui ont besoin d'utiliser les cabines téléphoniques n'ont rien à voir avec des demandes de rançon. Ce serait une erreur de supprimer les cabines téléphoniques pour ne plus avoir d'enlèvements.

Le contenu de type C soulève un « problème » différent. C’est du contenu qui était, à une époque, publié et qui n’est plus disponible. Il n’est peut-être plus disponible parce que l’artiste n’a plus assez de valeur pour la maison de disques avec laquelle il a signé pour porter son œuvre. Ou il n’est peut-être plus disponible parce que l’œuvre est oubliée. De toutes les façons, le but de la loi devrait être de faciliter l’accès à ce contenu, idéalement d’une manière qui rapporte quelque chose à l’artiste.

Ici encore, le modèle est celui de la librairie. Une fois qu’un livre est épuisé, il peut être encore disponible dans des librairies et des revendeurs de livres d'occasion. Mais les librairies et les bouquineries ne payent pas le titulaire du copyright quand quelqu’un lit ou achète un livre épuisé. Cela a complètement du sens, bien sûr, étant donné que n’importe quel autre système serait si pénible qu’il éliminerait la possibilité pour des bouquineries d’exister. Mais du point de vue de l’auteur, ce « partage » de son contenu sans compensation est moins qu’idéal.

Le modèle des livres d'occasion suggère que la loi pourrait simplement considérer la musique épuisée de la même façon. Si l’éditeur ne rend pas disponible à la vente des copies de la musique, alors les distributeurs commerciaux et non commerciaux seraient libres, sous cette règle, de « partager » ce contenu, même si le partage implique de faire une copie. La copie ici serait sans importance pour la transaction ; dans un contexte où la publication commerciale est terminée, vendre de la musique devrait être aussi libre que de vendre des livres.

Ou bien, la loi pourrait créer une licence statutaire qui assurerait que les artistes obtiendraient quelque chose pour la vente de leur travail. Par exemple, si la loi fixait un taux statutaire bas pour le partage commercial de contenu qui n’est plus en vente par un éditeur commercial, et si ce taux était automatiquement transféré à une administration au bénéfice de l’artiste, alors des affaires pourraient se développer autour de l’idée du partage de ce contenu, et les artistes pourraient bénéficier de ce commerce.

Ce système créerait également une incitation pour que les éditeurs continuent à commercialiser les œuvres. Les œuvres disponibles à la vente ne seraient pas soumises à cette licence. Ainsi, les éditeurs pourraient protéger le droit de faire payer ce qu’ils veulent pour une oeuvre qui reste commercialisée. Mais si l'oeuvre n'est plus commercialisée, et si au lieu de cela, les disques durs des ordinateurs de fans du monde entier la gardent vivante, alors tout droit d'auteur dû pour une telle copie devrait être moins élevé que le montant dû à un éditeur commercial.

Le cas difficile est celui du contenu de type A et B, et là encore, ce cas est difficile seulement parce que la portée du problème va changer au fur et à mesure des changements de technologie pour accéder au contenu. La solution de la loi devrait être aussi flexible que le problème, en comprenant que nous sommes au cœur d’une transformation radicale dans la technologie de distribution et d’accès au contenu.

Voici donc une solution qui semblera à première vue très étrange aux deux camps de ce conflit, mais qui à la réflexion, je le souhaite, devrait avoir quelque sens.

Une fois expurgée toute la réthorique sur la sainteté de la propriété, la revendication basique de l’industrie du contenu est la suivante : une nouvelle technologie (Internet) a fait du tort à un ensemble de droits qui sécurisent le copyright. Si ces droits doivent être protégés, alors l’industrie du contenu devrait obtenir une compensation pour ce préjudice. Tout comme l' industrie du tabac a nui à la santé de millions d’américains, ou que l'utilisation de l’amiante a provoqué de graves maladies pour des milliers de mineurs, alors, également, la technologie des réseaux numériques a fait du tort aux intérêts de l’industrie du contenu.

J’aime Internet, et donc je n’aime pas l’assimiler au tabac ou à l’amiante. Mais l’analogie est juste du point de vue de la loi. Et elle suggère une réponse juste : plutôt que de chercher à détruire Internet, ou les technologies p2p qui portent actuellement préjudice aux fournisseurs de contenu sur Internet, nous devrions trouver une manière relativement simple de donner une compensation à ceux qui en sont victimes.

L’idée serait de repartir d’une proposition qui a été lancée par William Fisher, professeur de droit à Harvard[220]. Fisher propose un moyen très ingénieux pour sortir de l’impasse actuelle d’Internet. Selon son plan, tout contenu pouvant être transmis numériquement serait (1) marqué avec un filigrane numérique (ne vous faites pas de souci sur la facilité avec laquelle on peut leur échapper ; comme vous allez le voir, il n’y a pas d’intérêt à leur échapper). Une fois que le contenu est marqué, alors des entrepreneurs développeraient (2) des sytèmes pour surveiller combien d’exemplaires de chaque contenu seraient distribués. Sur la base de ces nombres, alors (3) les artistes recevraient une compensation. La compensation serait payée par (4) une taxe appropriée.

La proposition de Fisher est prudente et complète. Elle soulève un million de questions, auxquelles pour la plupart il répond dans son prochain livre Promises to Keep. La modification que j’apporterais est relativement simple : Fisher imagine que sa proposition remplacerait le système de copyright existant. J’imagine qu’elle complémenterait le système existant. Le but de la proposition serait de faciliter la compensation dans la mesure où le préjudice causé pourrait être démontré. Cette compensation serait temporaire, visant à faciliter une transition entre les régimes. Et il faudrait la renouveller après quelques années. À ce moment là, si elle reste pertinente pour faciliter les échanges libres de contenu, soutenus par un système de taxation, alors elle pourrait être prolongée. Si cette forme de protection n’est plus nécessaire, alors le système serait abandonné avec l’ancien système de contrôle d'accès.

Fisher rechignerait à l’idée de permettre l'abandon du système. Son but n’est pas juste d’assurer que les artistes soient payés, mais également d’assurer que le système couvre le domaine de la « démocratie sémiotique » le plus largement possible. Mais les objectifs de la démocratie sémiotique seraient satisfaits si d’autres changements que j’ai décrits étaient appliqués — en particulier, la limitation des usages dérivés. Un système qui ferait simplement payer l’accès ne gênerait pas considérablement la démocratie sémiotique, s’il y avait ensuite peu de limitations sur les droits d'utilisation du contenu lui-même.

C'est évident qu’il serait difficile de calculer le montant véritable du « préjudice » causé à une industrie. Mais la difficulté de faire ce calcul serait largement compensée par le bénéfice de faciliter l’innovation. Ce système de compensation n’aurait pas non plus besoin d’interférer avec des offres innovantes telles que le MusicStore d’Apple. Comme le prédisaient les experts quand Apple a lancé le MusicStore, il pourrait battre le « gratuit » car plus facile d'utilisation. Cela s’est avéré juste : Apple a vendu des millions de chansons même au prix très élevé de 99 cents par chanson. (À 99 cents, le coût est équivalent au prix d'un CD par chanson, alors que les maisons de disques n’ont pas de frais de production d'un CD). Real Networks fit une offre concurrente d’Apple, avec un prix de 79 centimes par chanson.Et il ne fait aucun doute qu'il y aura une compétition acharnée pour offrir et vendre de la musique en ligne.

Cette concurrence à l'encontre de la musique « gratuite » des systèmes p2p a déjà fait son apparition. Comme le savent les vendeurs de télévision par câble depuis trente ans, et les vendeurs d’eau en bouteille depuis plus longtemps que cela, il n’est pas du tout impossible d’« être en concurrence avec le gratuit ». En effet, la compétition incite plutôt les concurrents à offrir des produits nouveaux et meilleurs. C’est précisément le but du marché concurrentiel. Ainsi à Singapour, malgré un piratage répandu, les salles de cinéma sont souvent luxueuses — avec des sièges « première classe », et des repas servis pendant que vous regardez un film — car elles luttent et réussissent à trouver des moyens pour concurrencer le « gratuit ».

Ce régime concurrentiel, avec un talon pour garantir que les artistes ne sont pas lésés, favoriserait de nombreuses innovations dans la distribution de contenu. Cette concurrence réduirait toujours plus le partage de type A. Elle inspirerait un éventail extraordinaire de nouveaux innovateurs — ceux qui auraient un droit sur le contenu, et qui ne craindraient plus les sanctions de la loi, incertaines et d'une sévérité barbare.

En somme, donc, ma proposition est la suivante :

Internet est en transition. Nous ne devrions pas réglementer une technologie en transition. Nous devrions plutôt réglementer pour minimiser les préjudices causés par ce changement technologique, tout en permettant, et en encourageant, les technologies les plus efficaces que nous puissions créer.

Nous pouvons minimiser ce préjudice tout en maximisant le bénéfice de l’innovation en :

  1. garantissant le droit de s’engager dans le type D de partage ;

  2. permettant le partage non commercial de type C sans contrainte, et le partage commercial de type C à un taux bas et fixé par décret ;

  3. pendant cette transition, taxant et compensant pour le partage de type A, dans la mesure où le véritable préjudice est démontré.

Mais si le « piratage » ne disparaissait pas ? Et si il y avait un marché concurrentiel avec des offres de contenu à un coût bas, mais qu’un nombre important de consommateurs continuent à « prendre » ce contenu pour rien ? La loi devrait-elle alors faire quelque chose ?

Oui, elle devrait. Mais, encore, ce qu’elle devrait faire dépend de comment la situation se développe. Ces changements peuvent ne pas éliminer le partage de type A. Mais le vrai problème n’est pas si cela élimine le partage en théorie. Le vrai problème est son effet sur le marché. Est-ce mieux (a) d’avoir une technologie qui est sécurisée à 95 pour cent et qui produit un marché de taille x, ou (b) d’avoir une technologie qui est sécurisée à 50 pour cent mais qui produit un marché de cinq fois x ? Le moins sécurisé pourrait produire plus de partage non autorisé, mais il est susceptible de produire également un marché bien plus gros dans le partage autorisé. La chose la plus importante est d’assurer la compensation des artistes sans casser Internet. Une fois ceci assuré, alors il serait bien approprié de trouver des manières de traquer les petits pirates.

Mais la route est longue avant de réduire le problème à ce sous-ensemble de partageurs de type A. Et jusqu’à ce que nous y arrivions on ne devrait pas se focaliser sur la recherche de moyens pour casser Internet. D'ici là on devrait se concentrer sur comment garantir la rémunération des artistes, tout en protégeant l’espace pour l’innovation et la créativité qu’est Internet.

2.5. 5. Virer beaucoup d'avocats

Je suis un avocat. Je gagne ma vie en formant des avocats. Je crois en la loi. Je crois en la loi du copyright. En effet, j’ai consacré ma vie à travailler dans le droit, pas parce c'est qu’il y a beaucoup d'argent à se faire mais parce qu'il y a certains idéaux qu'à la fin j’aimerais vivre.

Et pourtant une grande partie de ce livre a été une critique des avocats, ou du rôle qu’ont joué les avocats dans ce débat. La loi parle aux idéaux, mais de mon point de vue, notre profession est devenue trop à l'écoute du client. Et dans un monde où les clients riches ont un point de vue tranché, le refus de la profession de remettre en question ou de contrer ce point de vue fort met la loi dans une position difficile.

Le preuve de cette inclinaison est flagrante. Je suis attaqué en tant que « radical » par de nombreux représentants de la profession, et pourtant les positions pour lesquelles je me bats sont précisément les positions de certaines des figures les plus modérées et importantes dans l’histoire de cette branche de la loi. Nombreux, par exemple, sont ceux qui ont trouvé insensé le défi que nous avions mené face au Copyright Term Extension Act. Et pourtant il y a juste trente ans, l’universitaire et juriste dominant dans le champ du copyright, Melville Nimmer, trouvait cela évident[221].

Toutefois, ma critique du rôle que les avocats ont joué dans ce débat n’est pas juste à propos d’un biais professionnel. Elle est de manière plus importante à propos de notre échec à véritablement calculer les coûts de la loi.

Les économistes sont supposés être bons pour calculer les coûts et les bénéfices. Mais le plus souvent, les économistes, sans aucune idée claire sur la façon dont le système légal fonctionne, supposent simplement que les coûts de transaction du système légal sont faibles[222]. Ils voient un système qui existe depuis des siècles, et ils supposent qu’il fonctionne de la manière que leurs cours d’éducation civique de l’école élémentaire leur ont appris.

Mais le système légal ne fonctionne pas. Ou plus précisément, il ne fonctionne pour personne excepté pour ceux qui ont le plus de ressources. Non pas parce que le système est corrompu. Je ne pense pas du tout que notre système légal (au niveau fédéral, tout du moins) soit corrompu. Je veux simplement dire que les coûts de notre système légal sont si étonnament élevés que la justice ne peut en pratique jamais être faite.

Ces coûts distordent la culture libre de nombreuses façons. Le temps d’un avocat est facturé dans les plus grandes firmes à plus de 400 dollars de l'heure. Combien de temps un vrai avocat devrait-il passer à lire attentivement les dossiers, ou à rechercher des détails obscurs  ? La réponse est, de plus en plus, une triste réalité : très peu. La loi dépendait de l’articulation attentive et du développement de la doctrine, mais l’articulation attentive et le développement d’une doctrine légale dépendent d’un travail attentif. Et pourtant ce travail attentif coûte trop cher, excepté pour les dossiers les plus notoires et donc les plus coûteux.

Le coût, la maladresse et le caractère aléatoire de ce système se moquent de notre tradition. Et les avocats, tout comme les universitaires, devraient considérer que c'est leur devoir de changer la manière dont fonctionne la justice — ou mieux, de changer la loi afin qu’elle fonctionne. C’est une mauvaise chose que le système fonctionne bien uniquement pour les un pour cent des clients les plus riches. Il pourrait être radicalement plus efficace, et économique, et ainsi radicalement plus juste.

Mais jusqu’à ce que cette réforme soit complète, nous, en tant que société, devrions tenir éloignée la loi des zones où nous savons qu’elle n’y fera que des dégâts. Et c’est précisément ce que la loi fera trop souvent si une trop grande part de notre culture est laissée à son examen.

Pensez aux choses étonnantes que votre enfant pourrait faire avec les technologies numériques — le film, la musique, la page web, le blog. Ou pensez aux choses étonnantes que votre communauté pourrait faire plus facilement avec la technologie numérique — un wiki, une levée de fonds, l’activisme pour changer quelque chose. Pensez à toutes ces choses créatives, et ensuite imaginez de la mélasse froide versée dans les machines. C’est ce que tout régime qui requiert la permission produit. Encore une fois, c’est la réalité de la Russie de Brejnev.

La loi devrait réglementer certaines zones de la culture — mais elle devrait réglementer la culture seulement là où la réglementation fait du bien. Et pourtant les avocats remettent rarement en question leur pouvoir, ou le pouvoir qu’ils promeuvent, en répondant à une simple question pragmatique : « Causera-t-il du bien ? » Quand ils sont questionnés à propos de l’étendue croissante de la loi, les avocats répondent « Pourquoi pas ? »

Nous devrions demander « Pourquoi ? » Montrez-moi pourquoi votre réglementation de la culture est nécessaire. Montrez-moi en quoi elle est bonne. Et tant que vous ne pouvez pas me montrer les deux, tenez vos avocats éloignés.



[210] Voir, par exemple, Marc Rotenberg, « Fair Information Practices and the Architecture of Privacy; (What Larry Doesn't Get) », Stanford Technology Law Review, vol. 1, 2001, par. 6-18, disponible au lien nº 72 (description d’exemples dans lesquels la technologie définit la politique de vie privée). Voir aussi Jeffrey Rosen, The Naked Crowd: Reclaiming Security and Freedom in an Anxious Age, Random House, 2004 (cartographie des compromis entre la technologie et la vie privée).

[211] Willful Infringement: A Report from the Front Lines of the Real Culture Wars (2003), documentaire produit par Jed Horovitz, réalisé par Greg Hittelman et produit par Fiat Lucre, disponible au lien nº 72.

[212] La proposition que j’avance ici ne s’appliquerait qu’aux œuvres américaines. Je pense évidemment que ce serait bénéfique si d’autres pays l’adoptaient également.

[213] Il y aurait une complication avec les œuvres dérivées, que je n’ai pas résolue ici. De mon point de vue, la loi sur les œuvres dérivées crée un système compliqué que les perspectives marginales de gains qu’il crée ne justifient pas.

[214] « Copyrights: A Radical Rethink », The Economist, 23 janvier 2003, disponible au lien nº 74.

[215] Department of Veterans Affairs, Veteran's Application for Compensation and/or Pension, VA Form 21-526 (OMB Approved No. 2900-0001), disponible au lien nº 75.

[216] Benjamin Kaplan, An Unhurried View of Copyright, Columbia University Press, 1967, p. 32.

[217] Idem, p. 56.

[218] Paul Goldstein, Copyright’s Highway: From Gutenberg to the Celestial Jukebox, Stanford University Press, 2003, p. 187-216.

[219] Voir, par exemple, Music Media Watch, nº 12, J@pan Inc., 3 avril 2002, disponible au lien nº 76.

[220] William Fisher, Digital Music: Problems and Possibilities (dernière révision : 10 octobre 2000), disponible au lien nº 77 et Promises to Keep: Technology, Law, and the Future of Entertainment, Stanford University Press, 2004, ch. 6, disponible au lien nº 78. Le professeur Netanel a proposé une idée proche qui exempterait de copyright le partage non commercial et établirait une rémunération aux artistes pour compenser le manque à gagner, voir Neil Weinstock Netanel, « Impose a Noncommercial Use Levy to Allow Free P2P File Sharing », Harvard Journal of Law & Technology, vol. 17, nº 1, 2003, disponible au lien nº 79. Pour d’autres propositions, voir Lawrence Lessig, « Who’s Holding Back Broadband? » The Washington Post, 8 janvier 2002 ; Philip S. Corwin au nom de Sharman Networks, Lettre au sénateur Joseph R. Biden Jr., président de la commission aux affaires étrangères du Sénat, 26 février 2002, disponible au lien nº 80 ; Serguei Osokine, A Quick Case for Intellectual Property Use Fee (IPUF), 3 mars 2002, disponible au lien nº 81 ; Jefferson Graham, « Kazaa, Verizon Propose to Pay Artists Directly », USA Today, 13 mai 2002, disponible au lien nº 82 ; Steven M. Cherry, « Getting Copyright Right », IEEE Spectrum Magazine, vol. 39, nº 2, 2002, disponible au lien nº 83 ; Declan McCullagh, « Verizon’s Copyright Campaign », CNETNews.com, 29 août 2002, disponible au lien nº 84. La proposition de William Fisher est très similaire à celle de Richard Stallman sur le DAT. À la différence de celle William Fisher, la proposition de Richard Stallman ne rémunérerait pas proportionnellement les artistes, même si les artistes les plus populaires recevaient plus que ceux qui le sont moins. De façon typique avec Richard Stallman, sa proposition anticipe d’une décennie le débat actuel. Voir le lien nº 85.

[221] Lawrence Lessig, « Copyright’s First Amendment » (Melville B. Nimmer Memorial Lecture), UCLA Law Review, vol. 48, 2001, p. 1057 et 1069-1070.

[222] Un bon exemple est le travail du professeur Stan Liebowitz. Stan Liebowitz est une référence pour son analyse scrupuleuse des données sur les infractions, ce qui l’a amené à être publiquement interrogé sur sa position — deux fois. Il a initialement prédit que le téléchargement nuirait de façon significative à l’industrie. Il a ensuite revu son opinion à la lumière des données, et il a encore changé d’avis depuis. Comparez Stan J. Liebowitz, op. cit. (qui revoit son point de vue initial, mais en exprimant du scepticisme) avec Stan J. Liebowitz, « Will MP3s Annihilate the Record Industry? » texte de travail, juin 2003, disponible au lien nº 86. L’analyse méticuleuse de Stan Liebowitz est extrêmement précieuse pour estimer l’effet du partage de fichier. De mon point de vue, cependant, il sous-estime les coûts du système légal. Voir par exemple : Lawrence Lessig, Rethinking, op. cit., p. 174-176.

Chapitre . Notes

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Index

Symboles

11 septembre 2001, attaque terroriste du, « Simples copistes »-« Simples copistes », Collectionneurs
60 Minutes, Collectionneurs

A

ABC, « Simples copistes », Marché : Concentration
Afrique du Sud, importations de médicaments par, Conclusion-Conclusion
Afrique, médicaments pour traiter les malades du SIDA, Conclusion-Conclusion
Agee, Michael, Eldred-Eldred
agriculture, Pourquoi Hollywood a raison
Aibo, robot chien, Architecture et Loi : Force-Architecture et Loi : Force
Akerlof, George, Eldred
Alben, Alex, Transformateurs-Transformateurs, Contraindre les innovateurs-Contraindre les innovateurs, 3. Usage libre contre usage loyal
All in the Family, Marché : Concentration
Allen, Paul, Transformateurs
Amazon, Reconstruire les libertés autrefois présumées acquises : exemples-Reconstruire les libertés autrefois présumées acquises : exemples
American Association of Law Libraries, Eldred
American Graphophone Company, Musique enregistrée
Americans with Disabilities Act (1990), « Propriété »
Andromeda, Corrompre les citoyens
Anello, Douglas, Télévision par câble
Angleterre, lois sur le copyright en, Fondateurs-Fondateurs
Apple Corporation, Conclusion, 4. Libérer la musique, à nouveau
architecture, contrainte effectuée par, « Propriété », Pourquoi Hollywood a raison-Pourquoi Hollywood a raison
archive.org, Collectionneurs
(voir aussi Internet Archive)
Archives du Cinéma (Movie Archive), Collectionneurs
archives numériques, Collectionneurs-Collectionneurs, Ensemble, Eldred
Archives Télévisées (Television Archive), Collectionneurs
Aristote, Architecture et Loi : Force
Armstrong, Edwin Howard, Introduction-Introduction, Dommages, Contraindre les innovateurs
Arrow, Kenneth, Eldred
art clandestin, Contraindre les créateurs
artistes
compilation pour rétrospective sur, Transformateurs-Transformateurs
droits à l'image des, Transformateurs
rémunérations par l'industrie du disque, Catalogues, Radio-Radio, Piratage II, Contraindre les innovateurs, 4. Libérer la musique, à nouveau-4. Libérer la musique, à nouveau
ASCAP, « Piratage »
Asie, piratage commercial en, Piratage I, 4. Libérer la musique, à nouveau
assurance responsabilité civile professionnelle, Enregistreurs
AT&T, Introduction
Ayer, Don, Eldred, Eldred II

B

Bacon, Francis, Fondateurs
bandes dessinées doujinshi, Créateurs-Créateurs
bandes dessinées japonaises, Créateurs-Créateurs
Barish, Stephanie, « Simples copistes »
Barlow, Joel, Introduction
Barnes & Noble, Loi et Architecture : Atteinte
Barry, Hank, Contraindre les innovateurs
BBC, Conclusion
Beatles (Les), Musique enregistrée
Beckett, Thomas, Fondateurs
Bell, Alexander Graham, Introduction
Berman, Howard L., Chimères, Contraindre les innovateurs
Bernstein, Leonard, Piratage II
Betamax, Piratage II-Piratage II
Bibliothèque du Congrès, Collectionneurs, Contraindre les innovateurs
bibliothèques
d'oeuvres du domaine public, Eldred-Eldred
droits à la vie privée des utilisateurs des, Reconstruire les libertés autrefois présumées acquises : exemples
fonction d'archivage des, Collectionneurs
journaux dans les, Reconstruire les libertés autrefois présumées acquises : exemples
Black, Jane, Piratage II
blogs (Web-logs), « Simples copistes »-« Simples copistes »
BMG, Marché : Concentration
BMW, Contraindre les innovateurs-Contraindre les innovateurs
Boies, David, Transformateurs
Boland, Lois, Conclusion
Bolling, Ruben, Eldred
Bono, Mary, Eldred
Bono, Sonny, Eldred
Boswell, James, Fondateurs
Boyle, James, Pourquoi Hollywood a raison
Braithwaite, John, Conclusion
Branagh, Kenneth, Fondateurs
Brandeis, Louis D., Introduction, « Simples copistes »
Brésil, culture libre au, Conclusion
brevets
brevets futurs vs. copyrights futurs, Eldred-Eldred
dans le domaine public, Loi : durée, Eldred
pharmaceutiques, Conclusion-Conclusion
sur la technique cinématographique, Cinéma-Cinéma
brevets agricoles, Piratage I
brevets pharmaceutiques, Conclusion-Conclusion
Breyer, Stephen, Eldred
Brezhnev, Leonid, Pourquoi Hollywood a raison, 5. Virer beaucoup d'avocats
broadcast flag, Cinéma, Piratage II, Contraindre les innovateurs
Bromberg, Dan, Eldred
Brown, John Seely, « Simples copistes »-« Simples copistes », Pourquoi Hollywood a raison
Buchanan, James, Eldred
Bunyan, John, Fondateurs
Burdick, Quentin, Télévision par câble
Bush, George W., Contraindre les créateurs

C

caméscope numérique, « Simples copistes », Pourquoi Hollywood a raison
Camp Chaos, Transformateurs
campagne contre la drogue de Nick et Norm, Marché : Concentration
capital risqueurs, Contraindre les innovateurs
CARP (Copyright Arbitration Royalty Panel), Contraindre les innovateurs
Carson, Rachel, Pourquoi Hollywood a raison
Casablanca, Architecture et Loi : Force
Causby, Thomas Lee, Introduction, Dommages, Eldred II, Conclusion
Causby, Tinie, Introduction, Dommages, Eldred II, Conclusion
CBS, « Simples copistes »
CD-ROMs, extraits de film mis sur, Transformateurs-Transformateurs
CDs
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marquage du copyright sur, Marquage
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piratage étranger de, Piratage I-Piratage I
prix des, 4. Libérer la musique, à nouveau
technique de mixage et, Corrompre les citoyens-Corrompre les citoyens
Chambre des Lords, Fondateurs-Fondateurs
chimères, Chimères-Chimères
Christensen, Clayton M., Piratage II, Marché : Concentration
Clark, Kim B., Marché : Concentration
Clause de Progrès, Débuts-Débuts, Eldred-Eldred
CNN, « Simples copistes »
Coase, Ronald, Eldred
Code (Lessig), Préface, « Propriété »
code propriétaire, Reconstruire les libertés autrefois présumées acquises : exemples-Reconstruire les libertés autrefois présumées acquises : exemples
Coe, Brian, « Simples copistes »
collège électoral, Débuts
Comcast, Marché : Concentration
commerce inter-état, Eldred-Eldred
Commerce, département du (US), Pourquoi Hollywood a raison
Commons, John R., « Propriété »
communiqués de presse de la Maison Blanche, Collectionneurs
compositeurs, protections par copyright des, Piratage II
concurrence du marché, Pourquoi Hollywood a raison, Loi et Architecture : Atteinte
Conger, Fondateurs
Congrès des États-Unis
Court Suprême restriction, Eldred-Eldred
dans la Clause de Progrès constitutionnelle, Débuts-Débuts, Eldred
durée du copyright prolongée par le, Loi : durée-Loi : durée, Eldred-Eldred
pouvoirs constitutionnels du, Eldred-Eldred
sur l'industrie du disque, Musique enregistrée-Musique enregistrée, Piratage II-Piratage II, Contraindre les innovateurs
sur la radio, Contraindre les innovateurs
sur la technique du magnétoscope (VCR), Piratage II
sur les lois du copyright, Musique enregistrée-Musique enregistrée, Piratage II-Piratage II, Loi : durée-Loi : durée, Contraindre les innovateurs
connaissance, liberté de, Fondateurs
Conrad, Paul, Architecture et Loi : Force
Constitution des USA
but du copyright établi par la, Débuts-Débuts, Eldred
Clause de Commerce de la, Eldred
Clause de Progrès de la, Débuts-Débuts, Eldred-Eldred
équilibres et contrôles structurels de la, Débuts
Premier Amendement de la, Introduction, Pourquoi Hollywood a raison, Loi et Architecture : Atteinte, Marché : Concentration
sur la propriété des créations, Débuts
contes de Grimm, Créateurs-Créateurs, Eldred
contraintes du marché, « Propriété »-« Propriété », Pourquoi Hollywood a raison, Contraindre les innovateurs-Contraindre les innovateurs
contrats, Architecture et Loi : Force
Convention de Berlin (1988), Eldred II
Conyers, John, Jr., Chimères
cookies, Internet, Reconstruire les libertés autrefois présumées acquises : exemples
copyright, Créateurs
(voir aussi Loi sur le copyright)
but constitutionnel du, Débuts, Eldred
comme droit de monopole restreint, Fondateurs-Fondateurs
des auteurs indivduels vs. entreprises, Loi : durée
durée du, Créateurs-Créateurs, Fondateurs-Fondateurs, Débuts, Loi : durée-Loi : durée, Eldred-Eldred
efforts volontaristes de réforme du, Postface-Postface, Nous, maintenant-Reconstruire la culture libre : une idée
étendue de la, Loi : étendue-Loi : étendue
marquage de, Loi : étendue-Loi : étendue
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quatre modalités réglementaires sur le, Pourquoi Hollywood a raison-Pourquoi Hollywood a raison, Débuts
renouvellement de, Fondateurs, Loi : durée-Loi : durée
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Country of the Blind, The (Wells), Chimères-Chimères
cour d'appel
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accès aux opinions de, Reconstruire les libertés autrefois présumées acquises : exemples
actions du Congrès restreintes par la, Eldred
Chambre des Lords vs., Fondateurs-Fondateurs
droits de l'espace aérien vs. fonciers, Introduction-Introduction
factions de la, Eldred-Eldred
sur l'équilibre des intérêts dans la loi sur le copyright, Piratage II
sur l'interdiction de publicité à la télévision, Marché : Concentration
cours d'appel pour le neuvième circuit, Transformateurs
couverture des informations, « Simples copistes »-« Simples copistes », Collectionneurs-Collectionneurs
Creative Commons, Conclusion, Reconstruire la culture libre : une idée-Reconstruire la culture libre : une idée
créativité, « Piratage »
(voir aussi innovation)
par transformation d'oeuvres antérieures, Créateurs-Créateurs
restrictions légales de la, « Piratage »-« Piratage »
Crichton, Michael, « Simples copistes »
Crosskey, William W., Loi : durée
CTEA, Loi : durée
(voir aussi Sonny Bono Copyright Term Extension Act (CTEA) (1998))
culture, Introduction
(voir aussi culture libre)
commercial vs. non-commercial, Introduction-Introduction
culture de permission
coût de transaction de la, Contraindre les innovateurs-Contraindre les innovateurs
culture libre vs., Introduction
culture libre
culture de permission vs., Introduction
efforts de restauration sur les aspects antérieurs de la, Reconstruire les libertés autrefois présumées acquises : exemples-Reconstruire les libertés autrefois présumées acquises : exemples
fondement juridique anglais de la, Fondateurs
oeuvres dérivées issues de la, Créateurs-Créateurs
quatre modalités de contrainte sur la, « Propriété »-Pourquoi Hollywood a raison
Cyber Rights (Godwin), « Simples copistes »

D

Daguerre, Louis, « Simples copistes »
Daley, Elizabeth, « Simples copistes »-« Simples copistes »
DAT (Digital Audio Tape), Piratage II
Data General, Reconstruire les libertés autrefois présumées acquises : exemples
Day After Trinity, The, Enregistreurs
DDT, Pourquoi Hollywood a raison-Pourquoi Hollywood a raison
Dean, Howard, « Simples copistes »
démocratie
dans les techniques d'expression, « Simples copistes »
discours public en, « Simples copistes »-« Simples copistes »
Média : concentration, Marché : Concentration
partage numérique en, Contraindre les créateurs
sémiotique, 4. Libérer la musique, à nouveau
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dessins animés, Créateurs-Créateurs
Digital Copyright (Litman), Contraindre les innovateurs
Diller, Barry, Marché : Concentration
discours politique, « Simples copistes »
Disney, Inc., Créateurs-Créateurs, « Propriété », Loi et Architecture : Atteinte-Loi et Architecture : Atteinte
Disney, Walt, Créateurs-Créateurs, « Simples copistes »-« Simples copistes », Piratage II, Collectionneurs, Loi : étendue, Eldred-Eldred
Doctorow, Cory, Piratage II
doctrine de la première vente, Loi et Architecture : Atteinte
domaine public
bibliothèque d'oeuvres dérivées issues du, Eldred-Eldred
brevets futurs vs. copyrights futurs, Loi : durée-Loi : durée
défini, Créateurs-Créateurs
droits d'accès à du contenu du, Reconstruire les libertés autrefois présumées acquises : exemples
durée traditionnelle pour passage dans le, Créateurs-Créateurs
équilibre du contenu américain dans le, Loi : durée-Loi : durée
fondement juridique anglais de la, Fondateurs-Fondateurs
projets publics dans le, Conclusion
restrictions des e-books sur le, Architecture et Loi : Force-Architecture et Loi : Force
système de license pour reconstruire le, Reconstruire les libertés autrefois présumées acquises : exemples-Reconstruire la culture libre : une idée
dommages-intérêts, Catalogues
Donaldson contre Beckett, Fondateurs-Fondateurs
Donaldson, Alexander, Fondateurs-Fondateurs
Douglas, William O., Introduction-Introduction
Down and Out in the Magic Kingdom (Doctorow), Piratage II
Drahos, Peter, Piratage I, Conclusion
Dreyfuss, Rochelle, « Piratage »
droits à la vie privée, Reconstruire les libertés autrefois présumées acquises : exemples-Reconstruire les libertés autrefois présumées acquises : exemples
droits de propriété
intangibilité des, « Propriété »
système féodal des, Conclusion-Conclusion
trafic aérien vs., Introduction-Introduction, 3. Usage libre contre usage loyal
droits de propriété intellectuelle, Introduction-Introduction
des brevets phramaceutiques, Conclusion-Conclusion
organisations internationales portant sur les, Conclusion-Conclusion
droits du compositeur vs. droits du producteur, Piratage II
Drucker, Peter, Transformateurs
Dryden, John, Fondateurs
Duck and Cover, film, Collectionneurs
Dylan, Bob, Conclusion

E

e-mail, « Simples copistes »
Eagle Forum, Eldred
Eastman, George, « Simples copistes »-« Simples copistes »
école du réalisme juridique, Ensemble
écoles de droit, Corrompre les citoyens
écologie, Pourquoi Hollywood a raison-Pourquoi Hollywood a raison
Edison, Thomas, Introduction
éditeurs écossais, Fondateurs
édition musicale, « Piratage », Musique enregistrée-Musique enregistrée
éducation
bricolage comme méthode d', Catalogues
dans la lecture des médias, « Simples copistes »-« Simples copistes »
Eldred, Eric, Eldred-Eldred
élections, « Simples copistes »-« Simples copistes »
Electronic Frontier Foundation, Architecture et Loi : Force, Corrompre les citoyens
Else, Jon, Enregistreurs-Enregistreurs
EMI, Marché : Concentration, Contraindre les innovateurs
enregistrement de cassette, Piratage II
magnétoscopes, Piratage II-Piratage II, Architecture et Loi : Force-Architecture et Loi : Force, Contraindre les innovateurs, 4. Libérer la musique, à nouveau
enregistrements de musique (voir industrie du disque) (voir peer-to-peer (p2p), partage de fichier)
nombre total de, Collectionneurs
entreprises
dans l'industrie pharmaceutique, Conclusion-Conclusion
durée de copyright pour, Loi : durée
Erskine, Andrew, Fondateurs
États-Unis contre Lopez, Eldred-Eldred
États-Unis contre Morrison, Eldred
expression, technique d'
démocratique, « Simples copistes »
lecture des médias et, « Simples copistes »-« Simples copistes »

F

FAI (Fournisseurs d'Accès à Internet), identités de clients révélées par, Chimères, Contraindre les créateurs, Corrompre les citoyens-Corrompre les citoyens
Fallows, James, Marché : Concentration
Fanning, Shawn, Piratage II
Faraday, Michael, Introduction
FCC
sur la radio FM, Introduction-Introduction
film documentaire, Enregistreurs-Enregistreurs
films
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copyrights multiples attachés aux, Enregistreurs
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films d'animation, Créateurs-Créateurs
Films de Laurel et Hardy, Eldred
films ephémères, Collectionneurs
Fisher, William, 4. Libérer la musique, à nouveau
Florida, Richard, « Piratage »
Forbes, Steve, Eldred II
formalités, Loi : étendue-Loi : étendue
Fourneaux, Henri, Musique enregistrée-Musique enregistrée
Fox (firme cinématographique), Enregistreurs-Enregistreurs
Fox, William, Cinéma
Free for All (Wayner), Reconstruire la culture libre : une idée
frères Wrights, Introduction-Introduction
Fried, Charles, Eldred
Friedman, Milton, Eldred
Frost, Robert, Eldred
Future of Ideas, The (Lessig), Architecture et Loi : Force, Contraindre les innovateurs

G

Garlick, Mia, Reconstruire la culture libre : une idée
Gates, Bill, Pourquoi Hollywood a raison, Conclusion
General Film Company, Cinéma
General Public License (GPL), Conclusion
Gershwin, George, Eldred
Gil, Gilberto, Conclusion
Ginsburg, Ruth Bader, Eldred-Eldred
Girl Scouts, « Piratage »
Global Positioning System (GPS), Conclusion
Godwin, Mike, « Simples copistes »
Goldstein, Paul, 3. Usage libre contre usage loyal
Google, Catalogues-Catalogues
GPL (General Public License), Conclusion
Gracie Films, Enregistreurs-Enregistreurs
Grisham, John, Musique enregistrée-Musique enregistrée, 3. Usage libre contre usage loyal
Groening, Matt, Enregistreurs-Enregistreurs
Grokster, Ltd., Contraindre les innovateurs
Guerre en Irak, « Simples copistes », Collectionneurs

H

hacks, Architecture et Loi : Force
Hal Roach Studios, Eldred
Hand, Learned, Radio
Hawthorne, Nathaniel, Eldred-Eldred
Henry V, Fondateurs
Henry VIII, roi d'Angleterre, Fondateurs
Herrera, Rebecca, Enregistreurs-Enregistreurs
Heston, Charlton, Télévision par câble
histoire, archives, Collectionneurs
Hollings, Fritz, Contraindre les innovateurs
Hummer Winblad, Contraindre les innovateurs
Hummer, John, Contraindre les innovateurs
Hyde, Rosel H., Télévision par câble

I

IBM, Conclusion, Reconstruire les libertés autrefois présumées acquises : exemples
images, propriété des, « Simples copistes »-« Simples copistes », Contraindre les créateurs
importation parallèle, Conclusion-Conclusion
indistrie de la métallurgie, Pourquoi Hollywood a raison
industrie cinématographique
bandes annonces de l', Loi et Architecture : Atteinte-Loi et Architecture : Atteinte
cinémas de luxe vs. piratage de vidéos dans l', 4. Libérer la musique, à nouveau
industrie cinématographique de Hollywood, Cinéma
(voir aussi industrie cinématographique)
industrie du disque
diffusion radio et, Radio-Radio, Piratage II, Contraindre les innovateurs-Contraindre les innovateurs
procès pour infraction au copyright dans l', Catalogues-Catalogues, Contraindre les innovateurs
protections par copyright dans, Piratage II
rémunération de l'artiste dans l', Catalogues, Piratage II, Contraindre les innovateurs-Contraindre les innovateurs
système de licence statutaire dans l', Musique enregistrée-Musique enregistrée
Webradio entravée par l', Contraindre les innovateurs-Contraindre les innovateurs
industrie du rail, Pourquoi Hollywood a raison
infraction délibérée, Loi et Architecture : Atteinte
innovation, Piratage II
(voir aussi créativité)
industrie en place opposée à l', Contraindre les innovateurs-Contraindre les innovateurs
insecticide, conséquence sur l'environnement, Pourquoi Hollywood a raison-Pourquoi Hollywood a raison
Intel, Contraindre les innovateurs, Eldred
inter-état, commerce, Eldred-Eldred
Internet
actualités sur, « Simples copistes »-« Simples copistes »
applicabilité du copyright modifiée par la technologie d', Loi et Architecture : Atteinte-Loi et Architecture : Atteinte
blogs sur, « Simples copistes »-« Simples copistes »
classement par référencement sur, « Simples copistes »
développement de, Introduction-Introduction, Conclusion, Nous, maintenant-Nous, maintenant
diffusion efficace de contenu sur, « Piratage »
discours public mené sur, « Simples copistes »-« Simples copistes »
enregistrement de nom de domaine sur, Enregistrement et renouvellement
équilibre perdu de la réglementation sur le copyright, avec, Pourquoi Hollywood a raison-Pourquoi Hollywood a raison
Liberté originelle de, Nous, maintenant-Nous, maintenant
livres sur, Piratage II-Piratage II, Loi et Architecture : Atteinte-Loi et Architecture : Atteinte, Architecture et Loi : Force-Architecture et Loi : Force
moteurs de recherche utilisés sur, Catalogues-Catalogues
protection de la vie privée sur, Reconstruire les libertés autrefois présumées acquises : exemples-Reconstruire les libertés autrefois présumées acquises : exemples
radio sur, Contraindre les innovateurs-Contraindre les innovateurs
Internet Archive, Collectionneurs
Internet Explorer, Piratage I
Iwerks, Ub, Créateurs

L

Leaphart, Walter, Reconstruire la culture libre : une idée
Lear, Norman, Marché : Concentration
lecteur de livre électronique Adobe, Architecture et Loi : Force-Architecture et Loi : Force
lecteurs MP3, Contraindre les innovateurs
lecture des médias, « Simples copistes »-« Simples copistes »
Les aventures d'Alice au pays des merveilles (Carroll), Architecture et Loi : Force-Architecture et Loi : Force
Lessig, Lawrence, « Propriété », Architecture et Loi : Force, Contraindre les innovateurs
dans le débat international sur la propriété intellectuelle, Conclusion-Conclusion
implication dans l'affaire Eldred de, Eldred-Eldred
Lessing, Lawrence, Introduction-Introduction
Lexis et Westlaw, Reconstruire les libertés autrefois présumées acquises : exemples-Reconstruire les libertés autrefois présumées acquises : exemples
Libraires anglais, Fondateurs-Fondateurs
licence contraignante, Musique enregistrée-Musique enregistrée
licence statutaire, Musique enregistrée-Musique enregistrée, Piratage II, Contraindre les innovateurs
licences copyleft, Conclusion
Licensing Act (1662), Fondateurs
Liebowitz, Stan, Piratage I, Piratage II, 5. Virer beaucoup d'avocats
Litman, Jessica, Introduction, Contraindre les innovateurs
livres
épuisés, Piratage II, Collectionneurs, Loi : durée, 4. Libérer la musique, à nouveau
loi anglaise sur le copyright des, Fondateurs-Fondateurs
nombre total de, Collectionneurs
parutions libres en ligne de, Piratage II-Piratage II, Reconstruire la culture libre : une idée-Reconstruire la culture libre : une idée
reventes de, Piratage II, Loi : durée, 4. Libérer la musique, à nouveau
sur Internet, Loi et Architecture : Atteinte-Loi et Architecture : Atteinte, Architecture et Loi : Force-Architecture et Loi : Force
trois types d'utilisation des, Loi et Architecture : Atteinte-Loi et Architecture : Atteinte
livres électroniques, Loi et Architecture : Atteinte-Loi et Architecture : Atteinte
Lofgren, Zoe, Eldred II
logiciel libre/logiciel open-source (FS/OSS), Piratage I, Conclusion-Conclusion, Reconstruire les libertés autrefois présumées acquises : exemples-Reconstruire les libertés autrefois présumées acquises : exemples
logiciel open-source (voir logiciel libre/logiciel open-source (FS/OSS))
loi
bases de données d'affaires de, Piratage I, Reconstruire les libertés autrefois présumées acquises : exemples-Reconstruire les libertés autrefois présumées acquises : exemples
comme modalité de contrainte, « Propriété »-« Propriété », Pourquoi Hollywood a raison
commune vs. positive, Fondateurs-Fondateurs
fédérale vs. d'état, Loi : durée-Loi : durée
Loi allemande sur le copyright, Eldred II
loi commune, Fondateurs
Loi de Berlin (1908), Eldred II
loi internationale, Conclusion-Conclusion
loi positive, Fondateurs
Loi sur le copyright
anglais, « Piratage », Fondateurs-Fondateurs
comme modalité de réglementation ex post, « Propriété »-« Propriété »
comme protection des créateurs, Introduction, Débuts-Débuts
copies comme problème principal de, Loi et Architecture : Atteinte-Loi et Architecture : Atteinte
créativité entravée par, « Piratage »
deux buts principaux de la, Piratage II
développement de, Fondateurs-Fondateurs
étendue de la, Loi et Architecture : Atteinte-Loi et Architecture : Atteinte
européenne, Loi : étendue
histoire américaine de la, Débuts-Loi : durée
innovation entravée par la, Contraindre les innovateurs-Contraindre les innovateurs
Japonais, Créateurs-Créateurs
liberté d'innvation équilibrée par une rémunération juste dans la, Pourquoi Hollywood a raison-Pourquoi Hollywood a raison
licences statutaires dans la, Musique enregistrée-Musique enregistrée, Piratage II-Piratage II, Contraindre les innovateurs
obligation d'enregistrement de, Loi : étendue-Loi : étendue
prolongement de la durée dans la, Loi : durée-Loi : durée, Eldred-Eldred
reproduction vs. transformation d'une oeuvre originale, « Piratage »-« Piratage », Loi : étendue, Loi et Architecture : Atteinte-Loi et Architecture : Atteinte
sanction pénale pour infraction à la, Eldred
sur l'enregistrement de musique, Musique enregistrée-Musique enregistrée, Piratage II-Piratage II
technologie comme application automatique de la, Architecture et Loi : Force
usage loyal et, Enregistreurs-Enregistreurs, Loi et Architecture : Atteinte-Loi et Architecture : Atteinte
Loi sur le Copyright (1790), Loi : durée-Loi : durée, Loi : étendue-Loi : étendue
Lott, Trent, « Simples copistes »
Lovett, Lyle, Radio, Chimères, Contraindre les innovateurs, Eldred II
Lucas, George, Enregistreurs
Lucky Dog, The, Eldred
Lumières, les, Fondateurs

M

Madonna, Radio-Radio, Piratage II, « Propriété »
magnétoscopes, Contraindre les innovateurs, 4. Libérer la musique, à nouveau
manga, Créateurs-Créateurs
Mansfield, William Murray, Lord, « Piratage »-« Piratage », Fondateurs-Fondateurs
marché libre, changements technologiques dans un, Pourquoi Hollywood a raison-Pourquoi Hollywood a raison
Marijuana Policy Project, Marché : Concentration
Marx Brothers, Architecture et Loi : Force-Architecture et Loi : Force
McCain, John, Marché : Concentration
médias
concentration des, Introduction-Introduction, « Simples copistes »
impératifs commerciaux des, « Simples copistes »-« Simples copistes »
pression des blogs sur les, « Simples copistes »-« Simples copistes »
médicaments
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médicaments antirétroviraux, Conclusion-Conclusion
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médicaments génériques, Conclusion
Mehra, Salil, Créateurs-Créateurs
MGM, « Propriété »
Michigan Technical University, Catalogues
Mickey Mouse, Créateurs-Créateurs, Loi : étendue
Microsoft, Transformateurs
en opposant de la conférence de l'OMPI, Conclusion
piratage logiciel international de, Piratage I
procès du gouvernement contre, Architecture et Loi : Force
stratégies compétitives de, Piratage I
sur le logiciel libre, Conclusion-Conclusion
système d'exploitation Windows, Piratage I
système de fichier en réseau de, Catalogues-Catalogues
Millar contre Taylor, Fondateurs-Fondateurs
Milton, John, Fondateurs
monopole, coyright en tant que, Fondateurs-Fondateurs
Monroe, Marilyn, Contraindre les innovateurs
Montée de la classe créative, La (Florida), « Piratage »
Morrison, Alan, Eldred
moteurs de recherche, Catalogues-Catalogues
mouvement des Femmes en Rose pour la Paix, Préface, Conclusion
Moyers, Bill, Marché : Concentration
MP3.com, Contraindre les innovateurs-Contraindre les innovateurs
MP3s, Pourquoi Hollywood a raison
MTV, Piratage II
Müller, Paul Hermann, Pourquoi Hollywood a raison-Pourquoi Hollywood a raison
MusicStore, 4. Libérer la musique, à nouveau
musique rap, Reconstruire la culture libre : une idée
my.mp3.com, Contraindre les innovateurs-Contraindre les innovateurs

N

Napster, « Simples copistes », Piratage II-Piratage II, Transformateurs
capital risque pour, Contraindre les innovateurs
gamme du contenu de, Piratage II
industrie du disque traquant les utilisateurs de, Corrompre les citoyens-Corrompre les citoyens
matériel illégal bloqué par, Piratage II-Piratage II
nombre d'enregistrements sur, Piratage II
remplacement de, Piratage II
Nashville Songwriters Association, Eldred
National Writers Union, Eldred
NBC, Marché : Concentration
Needleman, Rafe, Contraindre les innovateurs-Contraindre les innovateurs
NET (No Electronic Theft) Act (1998), Eldred
Netanel, Neil Weinstock, Introduction, 4. Libérer la musique, à nouveau
Netscape, Piratage I
New Hampshire (Frost), Eldred
Nimmer, David, Transformateurs
Nimmer, Melville, 5. Virer beaucoup d'avocats
No Electronic Theft (NET) Act (1998), Eldred
noms de domaine, Enregistrement et renouvellement
normes, influence réglementaire des, « Propriété », Pourquoi Hollywood a raison-Pourquoi Hollywood a raison

O

O'Connor, Sandra Day, Eldred
oeuvres dérivées
développements technologiques et, Loi et Architecture : Atteinte-Loi et Architecture : Atteinte
glissement historique de la portée du copyright sur les, Loi : étendue-Loi : étendue
piratage vs., Créateurs-Créateurs, Loi : étendue-Loi : étendue, Loi et Architecture : Atteinte-Loi et Architecture : Atteinte
usage loyal vs., Loi et Architecture : Atteinte-Loi et Architecture : Atteinte
Olafson, Steve, « Simples copistes »
Olson, Theodore B., Eldred
Opéra de San Francisco, Enregistreurs
Oppenheimer, Matt, Catalogues
originalisme, Eldred
Orwell, George, Collectionneurs-Collectionneurs

P

Paramount Pictures, « Propriété »
parlement britannique, Fondateurs
parole, liberté de
garantie constitutionnelle de, Pourquoi Hollywood a raison
Parti Démocrate, Eldred II
Parti Républicain, Eldred II
partition, « Piratage », Musique enregistrée
Patent and Trademark Office, US., Conclusion-Conclusion
Patterson, Raymond, Fondateurs
pays en développement, prix des brevets étrangers dans les, Conclusion-Conclusion
peer-to-peer (p2p), partage de fichier
efficacité de, « Piratage »-« Piratage »
équilibre de la réglementation perdu dans le, Pourquoi Hollywood a raison
protection anti-infraction dans le, Piratage II-Piratage II
quatre types de, Piratage II-Piratage II
sanctions pénales pour, Eldred
pension des vétérans, 2. Une durée plus courte
permissions
photographie exemptée de, « Simples copistes »-« Simples copistes »
photographie, « Simples copistes »-« Simples copistes »
Picker, Randal C., Cinéma, Radio, Piratage II, Contraindre les innovateurs
piratage
dans le développement de l'industrie du contenu, « Pirates »-Télévision par câble
en asie, Piratage I, 4. Libérer la musique, à nouveau
oeuvre dérivée vs., Créateurs-Créateurs, Loi : étendue-Loi : étendue, Loi et Architecture : Atteinte-Loi et Architecture : Atteinte
pistolet, Architecture et Loi : Force-Architecture et Loi : Force
plainte pour erreur médicale, Contraindre les créateurs
PLoS (Public Library of Science), Conclusion, Reconstruire les libertés autrefois présumées acquises : exemples
Pogue, David, Préface-Préface
Politiques, de Aristote, Architecture et Loi : Force
polymorphismes mono-nucléotidiques (SNPs), Conclusion
Porgy and Bess, Eldred
pornographie, Eldred
pouvoir, concentration de, Préface-Préface, Introduction
Prelinger, Rick, Collectionneurs
Premier amendement, Introduction, Pourquoi Hollywood a raison, Loi et Architecture : Atteinte, Marché : Concentration
Princeton University, Catalogues
procès pour infraction au copyright
accusés intimidés par, Catalogues-Catalogues
contre le partage de fichier d'un étudiant, Catalogues-Catalogues
convictions d'infraction délibérée aux, Loi et Architecture : Atteinte-Loi et Architecture : Atteinte
créativité commerciale comme principal but des, Introduction-Introduction
dans l'industrie du disque, Catalogues-Catalogues, Contraindre les créateurs, Contraindre les innovateurs-Contraindre les innovateurs
dommages-intérêts des, Catalogues
plaintes abusives, Catalogues, Contraindre les créateurs, Contraindre les innovateurs
technologie de diffusion cible des, Contraindre les innovateurs
tolérance zéro des, Piratage II-Piratage II
prohibition de l'alcool, Corrompre les citoyens
Promises to Keep (Fisher), 4. Libérer la musique, à nouveau-4. Libérer la musique, à nouveau
propriété des créations, « Piratage »
(voir aussi droits de propriété intellectuelle)
autres droits de propriété vs., Loi et Architecture : Atteinte-Loi et Architecture : Atteinte
protections par la loi commune, Loi : durée
théorie de la valeur implique droit, « Piratage »-« Piratage »
tradition constitutionnelle sur la, Débuts-Débuts
propriété foncière, et trafic aérien, Introduction-Introduction, 3. Usage libre contre usage loyal
protection des artists vs. intérêts commerciaux, Introduction
Public Citizen, Eldred
Public Enemy, Reconstruire la culture libre : une idée
Public Library of Science (PLoS), Conclusion, Reconstruire les libertés autrefois présumées acquises : exemples
publicitaire, « Simples copistes », Pourquoi Hollywood a raison, Loi et Architecture : Atteinte-Loi et Architecture : Atteinte, Marché : Concentration-Marché : Concentration
publicités, « Simples copistes », Pourquoi Hollywood a raison, Marché : Concentration-Marché : Concentration

Q

Quayle, Dan, Collectionneurs

R

radio
concentration des propriétaires de, Marché : Concentration-Marché : Concentration
disques de musique joués sur, Radio-Radio, Piratage II, Contraindre les innovateurs-Contraindre les innovateurs
spectre de fréquence FM, Introduction-Introduction, Pourquoi Hollywood a raison
sur Internet, Contraindre les innovateurs-Contraindre les innovateurs
radio FM, Introduction-Introduction, Pourquoi Hollywood a raison
RCA, Introduction-Introduction, Pourquoi Hollywood a raison, Postface
Reagan, Ronald, Eldred, Conclusion
Real Networks, Contraindre les innovateurs, 4. Libérer la musique, à nouveau
recherche biomédicale, Conclusion
Recording Industry Association of America (RIAA)
concernant les taxes sur la webradio, Contraindre les innovateurs-Contraindre les innovateurs
pouvoir de lobbying des, Catalogues, Contraindre les innovateurs-Contraindre les innovateurs
procès pour infraction au copyright engagés par, Catalogues-Catalogues, Contraindre les innovateurs
tactiques d'intimidation, Catalogues-Catalogues
réforme de la responsabilité pénale, Contraindre les créateurs
réglementation
comme protectionnisme des acquis, Pourquoi Hollywood a raison-Pourquoi Hollywood a raison, Contraindre les innovateurs-Contraindre les innovateurs
pénalités énormes de la, Contraindre les innovateurs
quatre modalités de, « Propriété »-Pourquoi Hollywood a raison
Rehnquist, William H., Eldred
Rensselaer Polytechnic Institute (RPI), Catalogues-Catalogues
moteur de recherche du réseau du, Catalogues-Catalogues
reprise de chansons, Musique enregistrée
réseaux d'ordinateurs d'université, partage de fichier (p2p) sur, Catalogues-Catalogues
revues scientifiques, Conclusion, Reconstruire les libertés autrefois présumées acquises : exemples-Reconstruire les libertés autrefois présumées acquises : exemples
Roberts, Michael, Contraindre les innovateurs
robot chien, Architecture et Loi : Force-Architecture et Loi : Force
robots, Collectionneurs, Architecture et Loi : Force
Rogers, Fred, Architecture et Loi : Force
Roméo et Juliette (Shakespeare), Fondateurs-Fondateurs
Rose, Mark, Fondateurs, Remerciements
Royaume Uni
archives publiques des créations au, Conclusion
histoire du copyright au, Fondateurs-Fondateurs
RPI (voir Rensselaer Polytechnic Institute (RPI))
Rubenfeld, Jeb, Loi : étendue
Russel, Phil, Musique enregistrée

S

Safire, William, Préface, Conclusion
Sarnoff, David, Introduction
Scalia, Antonin, Eldred
Scarlet Letter, The (Hawthorne), Eldred
Schlafly, Phyllis, Eldred
Seasons, The (Thomson), Fondateurs
Sénat US, Débuts
Shakespeare, William, Créateurs, Fondateurs
Silent Spring (Carson), Pourquoi Hollywood a raison
Simpsons, Les, Enregistreurs-Enregistreurs
Sites web, enregistrement du nom de domaine de, Enregistrement et renouvellement
Sommet mondial sur la société de l'information (WSIS), Conclusion-Conclusion
Sonny Bono Copyright Term Extension Act (CTEA) (1998), Loi : durée-Loi : durée, Eldred-Eldred
défi de la Cour Supême au, 5. Virer beaucoup d'avocats
Sony
robot chien Aibo produit par, Architecture et Loi : Force-Architecture et Loi : Force
technologie Betamax développée par, Piratage II-Piratage II
Sony Pictures Entertainment, « Propriété »
Sousa, John Philip, Musique enregistrée
Stallman, Richard, Reconstruire les libertés autrefois présumées acquises : exemples-Reconstruire les libertés autrefois présumées acquises : exemples
Stanford University, Reconstruire la culture libre : une idée
Star Wars, Enregistreurs
Statut des Monopoles (1656), Fondateurs
Statute of Anne (1710), Fondateurs, Loi : durée
Steamboat Bill, Jr., Créateurs-Créateurs, « Simples copistes »
Steamboat Willie, Créateurs-Créateurs
Stevens, Ted, Préface
Steward, Geoffrey, Eldred
Superman (bande dessinée), Créateurs
survol, Loi et Architecture : Atteinte, Reconstruire les libertés autrefois présumées acquises : exemples-Reconstruire les libertés autrefois présumées acquises : exemples
Sutherland, Donald, Transformateurs
système d'exploitation GNU/Linux, Piratage I, Eldred, Conclusion, Reconstruire les libertés autrefois présumées acquises : exemples
système d'exploitation Linux, Piratage I, Eldred, Conclusion, Reconstruire les libertés autrefois présumées acquises : exemples
système de jury, « Simples copistes »
système féodal, Conclusion-Conclusion
système judiciaire, Marché : Concentration
système légal, frais d'avocats dans le, Catalogues

T

Talbot, William, « Simples copistes »
Tatel, David, Eldred
Tauzin, Billy, Contraindre les innovateurs
Taylor, Robert, Fondateurs
technique d'appareil photographique, « Simples copistes »-« Simples copistes », Pourquoi Hollywood a raison
technologie
application du copyright contrôlée par la, Architecture et Loi : Force
industries en place menacées par les évolutions de la, Pourquoi Hollywood a raison
objectif du copyright modifié par, Loi et Architecture : Atteinte-Loi et Architecture : Atteinte
réglementation obscure sur la, Contraindre les innovateurs
télécommandes, Pourquoi Hollywood a raison
téléphones portables, musique streamée sur, 4. Libérer la musique, à nouveau
télévision
câble vs. radio-diffusion, 4. Libérer la musique, à nouveau
controverse évitée par, Marché : Concentration
publicité à la, « Simples copistes », Pourquoi Hollywood a raison, Marché : Concentration-Marché : Concentration
télévision par câble, Télévision par câble-Télévision par câble, Piratage II-Piratage II, Marché : Concentration, 4. Libérer la musique, à nouveau
thérapies contre le SIDA, Conclusion-Conclusion
Thomas, Clarence, Eldred
Thomson, James, Fondateurs-Fondateurs
Thurmond, Strom, « Simples copistes »
Tocqueville, Alexis de, « Simples copistes »
Tonson, Jacob, Fondateurs-Fondateurs
Torvalds, Linus, Reconstruire les libertés autrefois présumées acquises : exemples
trafic aérien, vs. propriété foncière, Introduction-Introduction
Turner, Ted, Conclusion
Twentieth Century Fox, « Propriété »

U

United States Trade Representative (USTR), Conclusion
Universal Music Group, Marché : Concentration, Contraindre les innovateurs
Universal Pictures, « Propriété »
usage loyal, Loi et Architecture : Atteinte-Loi et Architecture : Atteinte
dans un film documentaire, Enregistreurs-Enregistreurs
poids d'Internet sur l', Loi et Architecture : Atteinte
tactiques juridiques d'intimidation contre l', Enregistreurs-Enregistreurs, Loi et Architecture : Atteinte-Loi et Architecture : Atteinte

V

Vaidhyanathan, Siva, Créateurs, Cinéma, Fondateurs, Architecture et Loi : Force, Ensemble
Valenti, Jack
copyright à durée perpétuelle proposé par, Eldred
en opposant de la loi Eldred, Eldred II
passé de, « Propriété »-« Propriété »
sur la technique du magnétoscope (VCR), Piratage II-Piratage II
sur les droits de propriété des créations, Introduction, Loi et Architecture : Atteinte
valeur implique droit, théorie, « Piratage »-« Piratage », « Pirates »
Vanderbilt University, Collectionneurs
vente de disques usagés, Piratage II
Video Pipeline, Loi et Architecture : Atteinte-Loi et Architecture : Atteinte
vitesse de conduite, limitation de la, « Propriété »-« Propriété »
vitesse, limitations de, « Propriété »-« Propriété »
Vivendi Universal, Chimères, Contraindre les innovateurs-Contraindre les innovateurs
voitures, systèmes audio MP3 dans, Contraindre les innovateurs-Contraindre les innovateurs
von Lohmann, Fred, Corrompre les citoyens

Y

Yanofsky, Dave, « Simples copistes »

Z

Zimmerman, Edwin, Télévision par câble
Zittrain, Jonathan, « Piratage », Loi : étendue

Chapitre . Remerciements

Ce livre est le produit d’un combat long et jusqu’ici sans succès, qui a commencé quand j’ai lu la guerre d’Eric Eldred pour la liberté des livres. Le travail d’Eldred a contribué à lancer un mouvement, le mouvement pour une culture libre, et c’est à lui que ce livre est dédié.

J’ai été aidé en beaucoup d’endroits par des amis et des universitaires, dont Glenn Brown, Peter DiCola, Jennifer Mnookin, Richard Posner, Mark Rose, et Kathleen Sullivan. Et j’ai reçu des corrections et des conseils de mes étonnants étudiants à Stanford Law School et Stanford University. Parmi eux, Andrew B. Coan, John Eden, James P. Fellers, Christopher Guzelian, Erica Goldberg, Robert Hallman, Andrew Harris, Matthew Kahn, Brian Link, Ohad Mayblum, Alina Ng, et Erica Platt. Je suis particulièrement reconnaissant envers Catherine Crump et Harry Surden, qui ont contribué à diriger leurs recherches, et envers Laura Lynch, qui a brillament dirigé cette petite armée, et offert son regard critique sur une bonne part de ce travail.

Yuko Noguchi m’a aidé à comprendre les lois et la culture de son pays. Je la remercie, ainsi que tous ceux, au Japon, qui m’ont aidé à préparer ce livre : Joi Ito, Takayuki Matsutani, Naoto Misaki, Michihiro Sasaki, Hiromichi Tanaka, Hiroo Yamagata et Yoshihiro Yonezawa. Je remercie aussi le professeur Nobuhiro Nakayama et le Tokyo University Business Law Center, pour m’avoir donné la chance de passer du temps au Japon, à Tadashi Shiraishi et Kiyokazu Yamagami pour leur aide généreuse lorsque j’y étais.

Il y a les sortes traditionnelles d’aides sur lesquelles les universitaires s’appuient régulièrement. Mais en plus de celles-ci, Internet a rendu possible la réception de conseils et de corrections de nombreuses personnes que je n’ai même jamais rencontrées. Parmi celles qui ont répondu avec des conseils extrêmement utiles aux requêtes sur mon blog à propos du livre figurent Dr. Mohammad Al-Ubaydli, David Gerstein et Peter DiMauro, de même qu’une longue liste de ceux qui ont eu des idées spécifiques sur des manières de développer mon argumentation. Parmi eux figuraient Richard Bondi, Steven Cherry, David Coe, Nik Cubrilovic, Bob Devine, Charles Eicher, Thomas Guida, Elihu M. Gerson, Jeremy Hunsinger, Vaughn Iverson, John Karabaic, Jeff Keltner, James Lindenschmidt, K. L. Mann, Mark Manning, Nora McCauley, Jeffrey McHugh, Evan McMullen, Fred Norton, John Pormann, Pedro A. D. Rezende, Shabbir Safdar, Saul Schleimer, Clay Shirky, Adam Shostack, Kragen Sitaker, Chris Smith, Bruce Steinberg, Andrzej Jan Taramina, Sean Walsh, Matt Wasserman, Miljenko Williams, « Wink, » Roger Wood, « Ximmbo da Jazz » et Richard Yanco. (Je m’excuse si j’ai oublié quelqu’un ; avec les ordinateurs viennent les erreurs, et un plantage de mon système de courriels a signifié pour moi la perte d’un tas de bonnes réponses.)

Richard Stallman et Michael Carroll ont tous deux lu le livre entier à l’état de brouillon, et chacun a fourni des corrections et des avis extrêmement utiles. Michael m’a aidé à voir plus clairement l’importance de la réglementation des œuvres dérivées. Et Richard a corrigé un nombre d’erreurs honteusement élevé. Bien que mon œuvre soit en partie inspirée de celle de Stallman, il n’est pas d’accord avec moi en des endroits importants tout au long de ce livre.

Pour finir, et pour toujours, je suis reconnaissant envers Bettina, qui a toujours insisté pour qu’il y ait un bonheur sans fin loin de ces batailles, et qui a toujours eu raison. Cet homme qui apprend lentement est, comme toujours, reconnaissant pour sa perpétuelle patience et amour.

Chapitre . À propos de cette édition

Cette édition est tout d'abord le fruit de trois ans de travail de Petter Reinholdtsen qui, avec son équipe de volontaires, a entrepris de traduire le livre de Lawrence Lessig en norvégien. Il est reparti d'une conversion du livre au format DocBook faite par Hans Schou, et toute l'équipe l'a traduite et enrichie progressivement (par exemple les entrées d'index), pour offrir finalement sous Github un environnement complet permettant de produire à la fois le livre en anglais et en norvégien.

La contribution à cette aventure pour produire la version française est bien plus modeste : la traduction reprend en majorité celle de Wikilivres.ca, l'effort ayant été porté pour compléter les parties manquantes et corriger les erreurs de traduction les plus évidentes. Une mise en forme appropriée a permis à ce texte Wiki de devenir une nouvelle traduction, ajoutée au projet de Petter, et de profiter du travail déjà accompli pour la traduction norvégienne.

Le livre est édité en plusieurs formats, dont le format PDF produit avec dblatex. C'est à l'occasion d'échanges avec Petter sur cet outil que l'initiative d'ajouter la version française est née. Je remercie Petter pour la confiance qu'il me témoigne en intégrant cette traduction dans son projet.

La génèse de cette édition est finalement une belle démonstration des valeurs, de l'énergie créatrice, et de la formidable mobilisation collective qu'une culture et une technologie libres peuvent susciter. Ne laissons pas ces libertés se perdre.

— Benoît Guillon, à Valence, le 07/10/2015

Index

Symboles

11 septembre 2001, attaque terroriste du, « Simples copistes »-« Simples copistes », Collectionneurs
60 Minutes, Collectionneurs

A

ABC, « Simples copistes », Marché : Concentration
Afrique du Sud, importations de médicaments par, Conclusion-Conclusion
Afrique, médicaments pour traiter les malades du SIDA, Conclusion-Conclusion
Agee, Michael, Eldred-Eldred
agriculture, Pourquoi Hollywood a raison
Aibo, robot chien, Architecture et Loi : Force-Architecture et Loi : Force
Akerlof, George, Eldred
Alben, Alex, Transformateurs-Transformateurs, Contraindre les innovateurs-Contraindre les innovateurs, 3. Usage libre contre usage loyal
All in the Family, Marché : Concentration
Allen, Paul, Transformateurs
Amazon, Reconstruire les libertés autrefois présumées acquises : exemples-Reconstruire les libertés autrefois présumées acquises : exemples
American Association of Law Libraries, Eldred
American Graphophone Company, Musique enregistrée
Americans with Disabilities Act (1990), « Propriété »
Andromeda, Corrompre les citoyens
Anello, Douglas, Télévision par câble
Angleterre, lois sur le copyright en, Fondateurs-Fondateurs
Apple Corporation, Conclusion, 4. Libérer la musique, à nouveau
architecture, contrainte effectuée par, « Propriété », Pourquoi Hollywood a raison-Pourquoi Hollywood a raison
archive.org, Collectionneurs
(voir aussi Internet Archive)
Archives du Cinéma (Movie Archive), Collectionneurs
archives numériques, Collectionneurs-Collectionneurs, Ensemble, Eldred
Archives Télévisées (Television Archive), Collectionneurs
Aristote, Architecture et Loi : Force
Armstrong, Edwin Howard, Introduction-Introduction, Dommages, Contraindre les innovateurs
Arrow, Kenneth, Eldred
art clandestin, Contraindre les créateurs
artistes
compilation pour rétrospective sur, Transformateurs-Transformateurs
droits à l'image des, Transformateurs
rémunérations par l'industrie du disque, Catalogues, Radio-Radio, Piratage II, Contraindre les innovateurs, 4. Libérer la musique, à nouveau-4. Libérer la musique, à nouveau
ASCAP, « Piratage »
Asie, piratage commercial en, Piratage I, 4. Libérer la musique, à nouveau
assurance responsabilité civile professionnelle, Enregistreurs
AT&T, Introduction
Ayer, Don, Eldred, Eldred II

B

Bacon, Francis, Fondateurs
bandes dessinées doujinshi, Créateurs-Créateurs
bandes dessinées japonaises, Créateurs-Créateurs
Barish, Stephanie, « Simples copistes »
Barlow, Joel, Introduction
Barnes & Noble, Loi et Architecture : Atteinte
Barry, Hank, Contraindre les innovateurs
BBC, Conclusion
Beatles (Les), Musique enregistrée
Beckett, Thomas, Fondateurs
Bell, Alexander Graham, Introduction
Berman, Howard L., Chimères, Contraindre les innovateurs
Bernstein, Leonard, Piratage II
Betamax, Piratage II-Piratage II
Bibliothèque du Congrès, Collectionneurs, Contraindre les innovateurs
bibliothèques
d'oeuvres du domaine public, Eldred-Eldred
droits à la vie privée des utilisateurs des, Reconstruire les libertés autrefois présumées acquises : exemples
fonction d'archivage des, Collectionneurs
journaux dans les, Reconstruire les libertés autrefois présumées acquises : exemples
Black, Jane, Piratage II
blogs (Web-logs), « Simples copistes »-« Simples copistes »
BMG, Marché : Concentration
BMW, Contraindre les innovateurs-Contraindre les innovateurs
Boies, David, Transformateurs
Boland, Lois, Conclusion
Bolling, Ruben, Eldred
Bono, Mary, Eldred
Bono, Sonny, Eldred
Boswell, James, Fondateurs
Boyle, James, Pourquoi Hollywood a raison
Braithwaite, John, Conclusion
Branagh, Kenneth, Fondateurs
Brandeis, Louis D., Introduction, « Simples copistes »
Brésil, culture libre au, Conclusion
brevets
brevets futurs vs. copyrights futurs, Eldred-Eldred
dans le domaine public, Loi : durée, Eldred
pharmaceutiques, Conclusion-Conclusion
sur la technique cinématographique, Cinéma-Cinéma
brevets agricoles, Piratage I
brevets pharmaceutiques, Conclusion-Conclusion
Breyer, Stephen, Eldred
Brezhnev, Leonid, Pourquoi Hollywood a raison, 5. Virer beaucoup d'avocats
broadcast flag, Cinéma, Piratage II, Contraindre les innovateurs
Bromberg, Dan, Eldred
Brown, John Seely, « Simples copistes »-« Simples copistes », Pourquoi Hollywood a raison
Buchanan, James, Eldred
Bunyan, John, Fondateurs
Burdick, Quentin, Télévision par câble
Bush, George W., Contraindre les créateurs

C

caméscope numérique, « Simples copistes », Pourquoi Hollywood a raison
Camp Chaos, Transformateurs
campagne contre la drogue de Nick et Norm, Marché : Concentration
capital risqueurs, Contraindre les innovateurs
CARP (Copyright Arbitration Royalty Panel), Contraindre les innovateurs
Carson, Rachel, Pourquoi Hollywood a raison
Casablanca, Architecture et Loi : Force
Causby, Thomas Lee, Introduction, Dommages, Eldred II, Conclusion
Causby, Tinie, Introduction, Dommages, Eldred II, Conclusion
CBS, « Simples copistes »
CD-ROMs, extraits de film mis sur, Transformateurs-Transformateurs
CDs
données sur les préférences musicales, Contraindre les innovateurs-Contraindre les innovateurs
marquage du copyright sur, Marquage
niveaux de vente des, Piratage II-Piratage II
piratage étranger de, Piratage I-Piratage I
prix des, 4. Libérer la musique, à nouveau
technique de mixage et, Corrompre les citoyens-Corrompre les citoyens
Chambre des Lords, Fondateurs-Fondateurs
chimères, Chimères-Chimères
Christensen, Clayton M., Piratage II, Marché : Concentration
Clark, Kim B., Marché : Concentration
Clause de Progrès, Débuts-Débuts, Eldred-Eldred
CNN, « Simples copistes »
Coase, Ronald, Eldred
Code (Lessig), Préface, « Propriété »
code propriétaire, Reconstruire les libertés autrefois présumées acquises : exemples-Reconstruire les libertés autrefois présumées acquises : exemples
Coe, Brian, « Simples copistes »
collège électoral, Débuts
Comcast, Marché : Concentration
commerce inter-état, Eldred-Eldred
Commerce, département du (US), Pourquoi Hollywood a raison
Commons, John R., « Propriété »
communiqués de presse de la Maison Blanche, Collectionneurs
compositeurs, protections par copyright des, Piratage II
concurrence du marché, Pourquoi Hollywood a raison, Loi et Architecture : Atteinte
Conger, Fondateurs
Congrès des États-Unis
Court Suprême restriction, Eldred-Eldred
dans la Clause de Progrès constitutionnelle, Débuts-Débuts, Eldred
durée du copyright prolongée par le, Loi : durée-Loi : durée, Eldred-Eldred
pouvoirs constitutionnels du, Eldred-Eldred
sur l'industrie du disque, Musique enregistrée-Musique enregistrée, Piratage II-Piratage II, Contraindre les innovateurs
sur la radio, Contraindre les innovateurs
sur la technique du magnétoscope (VCR), Piratage II
sur les lois du copyright, Musique enregistrée-Musique enregistrée, Piratage II-Piratage II, Loi : durée-Loi : durée, Contraindre les innovateurs
connaissance, liberté de, Fondateurs
Conrad, Paul, Architecture et Loi : Force
Constitution des USA
but du copyright établi par la, Débuts-Débuts, Eldred
Clause de Commerce de la, Eldred
Clause de Progrès de la, Débuts-Débuts, Eldred-Eldred
équilibres et contrôles structurels de la, Débuts
Premier Amendement de la, Introduction, Pourquoi Hollywood a raison, Loi et Architecture : Atteinte, Marché : Concentration
sur la propriété des créations, Débuts
contes de Grimm, Créateurs-Créateurs, Eldred
contraintes du marché, « Propriété »-« Propriété », Pourquoi Hollywood a raison, Contraindre les innovateurs-Contraindre les innovateurs
contrats, Architecture et Loi : Force
Convention de Berlin (1988), Eldred II
Conyers, John, Jr., Chimères
cookies, Internet, Reconstruire les libertés autrefois présumées acquises : exemples
copyright, Créateurs
(voir aussi Loi sur le copyright)
but constitutionnel du, Débuts, Eldred
comme droit de monopole restreint, Fondateurs-Fondateurs
des auteurs indivduels vs. entreprises, Loi : durée
durée du, Créateurs-Créateurs, Fondateurs-Fondateurs, Débuts, Loi : durée-Loi : durée, Eldred-Eldred
efforts volontaristes de réforme du, Postface-Postface, Nous, maintenant-Reconstruire la culture libre : une idée
étendue de la, Loi : étendue-Loi : étendue
marquage de, Loi : étendue-Loi : étendue
perpétuel, Fondateurs-Fondateurs, Eldred-Eldred
quatre modalités réglementaires sur le, Pourquoi Hollywood a raison-Pourquoi Hollywood a raison, Débuts
renouvellement de, Fondateurs, Loi : durée-Loi : durée
restrictions d'utilisation attachées au, Fondateurs, Loi et Architecture : Atteinte-Loi et Architecture : Atteinte
Country of the Blind, The (Wells), Chimères-Chimères
cour d'appel
neuvième circuit, Transformateurs
Cour Suprême des États-Unis
accès aux opinions de, Reconstruire les libertés autrefois présumées acquises : exemples
actions du Congrès restreintes par la, Eldred
Chambre des Lords vs., Fondateurs-Fondateurs
droits de l'espace aérien vs. fonciers, Introduction-Introduction
factions de la, Eldred-Eldred
sur l'équilibre des intérêts dans la loi sur le copyright, Piratage II
sur l'interdiction de publicité à la télévision, Marché : Concentration
cours d'appel pour le neuvième circuit, Transformateurs
couverture des informations, « Simples copistes »-« Simples copistes », Collectionneurs-Collectionneurs
Creative Commons, Conclusion, Reconstruire la culture libre : une idée-Reconstruire la culture libre : une idée
créativité, « Piratage »
(voir aussi innovation)
par transformation d'oeuvres antérieures, Créateurs-Créateurs
restrictions légales de la, « Piratage »-« Piratage »
Crichton, Michael, « Simples copistes »
Crosskey, William W., Loi : durée
CTEA, Loi : durée
(voir aussi Sonny Bono Copyright Term Extension Act (CTEA) (1998))
culture, Introduction
(voir aussi culture libre)
commercial vs. non-commercial, Introduction-Introduction
culture de permission
coût de transaction de la, Contraindre les innovateurs-Contraindre les innovateurs
culture libre vs., Introduction
culture libre
culture de permission vs., Introduction
efforts de restauration sur les aspects antérieurs de la, Reconstruire les libertés autrefois présumées acquises : exemples-Reconstruire les libertés autrefois présumées acquises : exemples
fondement juridique anglais de la, Fondateurs
oeuvres dérivées issues de la, Créateurs-Créateurs
quatre modalités de contrainte sur la, « Propriété »-Pourquoi Hollywood a raison
Cyber Rights (Godwin), « Simples copistes »

D

Daguerre, Louis, « Simples copistes »
Daley, Elizabeth, « Simples copistes »-« Simples copistes »
DAT (Digital Audio Tape), Piratage II
Data General, Reconstruire les libertés autrefois présumées acquises : exemples
Day After Trinity, The, Enregistreurs
DDT, Pourquoi Hollywood a raison-Pourquoi Hollywood a raison
Dean, Howard, « Simples copistes »
démocratie
dans les techniques d'expression, « Simples copistes »
discours public en, « Simples copistes »-« Simples copistes »
Média : concentration, Marché : Concentration
partage numérique en, Contraindre les créateurs
sémiotique, 4. Libérer la musique, à nouveau
démocratie sémiotique, 4. Libérer la musique, à nouveau
dessins animés, Créateurs-Créateurs
Digital Copyright (Litman), Contraindre les innovateurs
Diller, Barry, Marché : Concentration
discours politique, « Simples copistes »
Disney, Inc., Créateurs-Créateurs, « Propriété », Loi et Architecture : Atteinte-Loi et Architecture : Atteinte
Disney, Walt, Créateurs-Créateurs, « Simples copistes »-« Simples copistes », Piratage II, Collectionneurs, Loi : étendue, Eldred-Eldred
Doctorow, Cory, Piratage II
doctrine de la première vente, Loi et Architecture : Atteinte
domaine public
bibliothèque d'oeuvres dérivées issues du, Eldred-Eldred
brevets futurs vs. copyrights futurs, Loi : durée-Loi : durée
défini, Créateurs-Créateurs
droits d'accès à du contenu du, Reconstruire les libertés autrefois présumées acquises : exemples
durée traditionnelle pour passage dans le, Créateurs-Créateurs
équilibre du contenu américain dans le, Loi : durée-Loi : durée
fondement juridique anglais de la, Fondateurs-Fondateurs
projets publics dans le, Conclusion
restrictions des e-books sur le, Architecture et Loi : Force-Architecture et Loi : Force
système de license pour reconstruire le, Reconstruire les libertés autrefois présumées acquises : exemples-Reconstruire la culture libre : une idée
dommages-intérêts, Catalogues
Donaldson contre Beckett, Fondateurs-Fondateurs
Donaldson, Alexander, Fondateurs-Fondateurs
Douglas, William O., Introduction-Introduction
Down and Out in the Magic Kingdom (Doctorow), Piratage II
Drahos, Peter, Piratage I, Conclusion
Dreyfuss, Rochelle, « Piratage »
droits à la vie privée, Reconstruire les libertés autrefois présumées acquises : exemples-Reconstruire les libertés autrefois présumées acquises : exemples
droits de propriété
intangibilité des, « Propriété »
système féodal des, Conclusion-Conclusion
trafic aérien vs., Introduction-Introduction, 3. Usage libre contre usage loyal
droits de propriété intellectuelle, Introduction-Introduction
des brevets phramaceutiques, Conclusion-Conclusion
organisations internationales portant sur les, Conclusion-Conclusion
droits du compositeur vs. droits du producteur, Piratage II
Drucker, Peter, Transformateurs
Dryden, John, Fondateurs
Duck and Cover, film, Collectionneurs
Dylan, Bob, Conclusion

E

e-mail, « Simples copistes »
Eagle Forum, Eldred
Eastman, George, « Simples copistes »-« Simples copistes »
école du réalisme juridique, Ensemble
écoles de droit, Corrompre les citoyens
écologie, Pourquoi Hollywood a raison-Pourquoi Hollywood a raison
Edison, Thomas, Introduction
éditeurs écossais, Fondateurs
édition musicale, « Piratage », Musique enregistrée-Musique enregistrée
éducation
bricolage comme méthode d', Catalogues
dans la lecture des médias, « Simples copistes »-« Simples copistes »
Eldred, Eric, Eldred-Eldred
élections, « Simples copistes »-« Simples copistes »
Electronic Frontier Foundation, Architecture et Loi : Force, Corrompre les citoyens
Else, Jon, Enregistreurs-Enregistreurs
EMI, Marché : Concentration, Contraindre les innovateurs
enregistrement de cassette, Piratage II
magnétoscopes, Piratage II-Piratage II, Architecture et Loi : Force-Architecture et Loi : Force, Contraindre les innovateurs, 4. Libérer la musique, à nouveau
enregistrements de musique (voir industrie du disque) (voir peer-to-peer (p2p), partage de fichier)
nombre total de, Collectionneurs
entreprises
dans l'industrie pharmaceutique, Conclusion-Conclusion
durée de copyright pour, Loi : durée
Erskine, Andrew, Fondateurs
États-Unis contre Lopez, Eldred-Eldred
États-Unis contre Morrison, Eldred
expression, technique d'
démocratique, « Simples copistes »
lecture des médias et, « Simples copistes »-« Simples copistes »

F

FAI (Fournisseurs d'Accès à Internet), identités de clients révélées par, Chimères, Contraindre les créateurs, Corrompre les citoyens-Corrompre les citoyens
Fallows, James, Marché : Concentration
Fanning, Shawn, Piratage II
Faraday, Michael, Introduction
FCC
sur la radio FM, Introduction-Introduction
film documentaire, Enregistreurs-Enregistreurs
films
animation, Créateurs-Créateurs
archives de, Collectionneurs
copyrights multiples attachés aux, Enregistreurs
nombre total de, Collectionneurs
usage loyal de contenu protégé dans les, Enregistreurs-Enregistreurs
films d'animation, Créateurs-Créateurs
Films de Laurel et Hardy, Eldred
films ephémères, Collectionneurs
Fisher, William, 4. Libérer la musique, à nouveau
Florida, Richard, « Piratage »
Forbes, Steve, Eldred II
formalités, Loi : étendue-Loi : étendue
Fourneaux, Henri, Musique enregistrée-Musique enregistrée
Fox (firme cinématographique), Enregistreurs-Enregistreurs
Fox, William, Cinéma
Free for All (Wayner), Reconstruire la culture libre : une idée
frères Wrights, Introduction-Introduction
Fried, Charles, Eldred
Friedman, Milton, Eldred
Frost, Robert, Eldred
Future of Ideas, The (Lessig), Architecture et Loi : Force, Contraindre les innovateurs

G

Garlick, Mia, Reconstruire la culture libre : une idée
Gates, Bill, Pourquoi Hollywood a raison, Conclusion
General Film Company, Cinéma
General Public License (GPL), Conclusion
Gershwin, George, Eldred
Gil, Gilberto, Conclusion
Ginsburg, Ruth Bader, Eldred-Eldred
Girl Scouts, « Piratage »
Global Positioning System (GPS), Conclusion
Godwin, Mike, « Simples copistes »
Goldstein, Paul, 3. Usage libre contre usage loyal
Google, Catalogues-Catalogues
GPL (General Public License), Conclusion
Gracie Films, Enregistreurs-Enregistreurs
Grisham, John, Musique enregistrée-Musique enregistrée, 3. Usage libre contre usage loyal
Groening, Matt, Enregistreurs-Enregistreurs
Grokster, Ltd., Contraindre les innovateurs
Guerre en Irak, « Simples copistes », Collectionneurs

H

hacks, Architecture et Loi : Force
Hal Roach Studios, Eldred
Hand, Learned, Radio
Hawthorne, Nathaniel, Eldred-Eldred
Henry V, Fondateurs
Henry VIII, roi d'Angleterre, Fondateurs
Herrera, Rebecca, Enregistreurs-Enregistreurs
Heston, Charlton, Télévision par câble
histoire, archives, Collectionneurs
Hollings, Fritz, Contraindre les innovateurs
Hummer Winblad, Contraindre les innovateurs
Hummer, John, Contraindre les innovateurs
Hyde, Rosel H., Télévision par câble

I

IBM, Conclusion, Reconstruire les libertés autrefois présumées acquises : exemples
images, propriété des, « Simples copistes »-« Simples copistes », Contraindre les créateurs
importation parallèle, Conclusion-Conclusion
indistrie de la métallurgie, Pourquoi Hollywood a raison
industrie cinématographique
bandes annonces de l', Loi et Architecture : Atteinte-Loi et Architecture : Atteinte
cinémas de luxe vs. piratage de vidéos dans l', 4. Libérer la musique, à nouveau
industrie cinématographique de Hollywood, Cinéma
(voir aussi industrie cinématographique)
industrie du disque
diffusion radio et, Radio-Radio, Piratage II, Contraindre les innovateurs-Contraindre les innovateurs
procès pour infraction au copyright dans l', Catalogues-Catalogues, Contraindre les innovateurs
protections par copyright dans, Piratage II
rémunération de l'artiste dans l', Catalogues, Piratage II, Contraindre les innovateurs-Contraindre les innovateurs
système de licence statutaire dans l', Musique enregistrée-Musique enregistrée
Webradio entravée par l', Contraindre les innovateurs-Contraindre les innovateurs
industrie du rail, Pourquoi Hollywood a raison
infraction délibérée, Loi et Architecture : Atteinte
innovation, Piratage II
(voir aussi créativité)
industrie en place opposée à l', Contraindre les innovateurs-Contraindre les innovateurs
insecticide, conséquence sur l'environnement, Pourquoi Hollywood a raison-Pourquoi Hollywood a raison
Intel, Contraindre les innovateurs, Eldred
inter-état, commerce, Eldred-Eldred
Internet
actualités sur, « Simples copistes »-« Simples copistes »
applicabilité du copyright modifiée par la technologie d', Loi et Architecture : Atteinte-Loi et Architecture : Atteinte
blogs sur, « Simples copistes »-« Simples copistes »
classement par référencement sur, « Simples copistes »
développement de, Introduction-Introduction, Conclusion, Nous, maintenant-Nous, maintenant
diffusion efficace de contenu sur, « Piratage »
discours public mené sur, « Simples copistes »-« Simples copistes »
enregistrement de nom de domaine sur, Enregistrement et renouvellement
équilibre perdu de la réglementation sur le copyright, avec, Pourquoi Hollywood a raison-Pourquoi Hollywood a raison
Liberté originelle de, Nous, maintenant-Nous, maintenant
livres sur, Piratage II-Piratage II, Loi et Architecture : Atteinte-Loi et Architecture : Atteinte, Architecture et Loi : Force-Architecture et Loi : Force
moteurs de recherche utilisés sur, Catalogues-Catalogues
protection de la vie privée sur, Reconstruire les libertés autrefois présumées acquises : exemples-Reconstruire les libertés autrefois présumées acquises : exemples
radio sur, Contraindre les innovateurs-Contraindre les innovateurs
Internet Archive, Collectionneurs
Internet Explorer, Piratage I
Iwerks, Ub, Créateurs

L

Leaphart, Walter, Reconstruire la culture libre : une idée
Lear, Norman, Marché : Concentration
lecteur de livre électronique Adobe, Architecture et Loi : Force-Architecture et Loi : Force
lecteurs MP3, Contraindre les innovateurs
lecture des médias, « Simples copistes »-« Simples copistes »
Les aventures d'Alice au pays des merveilles (Carroll), Architecture et Loi : Force-Architecture et Loi : Force
Lessig, Lawrence, « Propriété », Architecture et Loi : Force, Contraindre les innovateurs
dans le débat international sur la propriété intellectuelle, Conclusion-Conclusion
implication dans l'affaire Eldred de, Eldred-Eldred
Lessing, Lawrence, Introduction-Introduction
Lexis et Westlaw, Reconstruire les libertés autrefois présumées acquises : exemples-Reconstruire les libertés autrefois présumées acquises : exemples
Libraires anglais, Fondateurs-Fondateurs
licence contraignante, Musique enregistrée-Musique enregistrée
licence statutaire, Musique enregistrée-Musique enregistrée, Piratage II, Contraindre les innovateurs
licences copyleft, Conclusion
Licensing Act (1662), Fondateurs
Liebowitz, Stan, Piratage I, Piratage II, 5. Virer beaucoup d'avocats
Litman, Jessica, Introduction, Contraindre les innovateurs
livres
épuisés, Piratage II, Collectionneurs, Loi : durée, 4. Libérer la musique, à nouveau
loi anglaise sur le copyright des, Fondateurs-Fondateurs
nombre total de, Collectionneurs
parutions libres en ligne de, Piratage II-Piratage II, Reconstruire la culture libre : une idée-Reconstruire la culture libre : une idée
reventes de, Piratage II, Loi : durée, 4. Libérer la musique, à nouveau
sur Internet, Loi et Architecture : Atteinte-Loi et Architecture : Atteinte, Architecture et Loi : Force-Architecture et Loi : Force
trois types d'utilisation des, Loi et Architecture : Atteinte-Loi et Architecture : Atteinte
livres électroniques, Loi et Architecture : Atteinte-Loi et Architecture : Atteinte
Lofgren, Zoe, Eldred II
logiciel libre/logiciel open-source (FS/OSS), Piratage I, Conclusion-Conclusion, Reconstruire les libertés autrefois présumées acquises : exemples-Reconstruire les libertés autrefois présumées acquises : exemples
logiciel open-source (voir logiciel libre/logiciel open-source (FS/OSS))
loi
bases de données d'affaires de, Piratage I, Reconstruire les libertés autrefois présumées acquises : exemples-Reconstruire les libertés autrefois présumées acquises : exemples
comme modalité de contrainte, « Propriété »-« Propriété », Pourquoi Hollywood a raison
commune vs. positive, Fondateurs-Fondateurs
fédérale vs. d'état, Loi : durée-Loi : durée
Loi allemande sur le copyright, Eldred II
loi commune, Fondateurs
Loi de Berlin (1908), Eldred II
loi internationale, Conclusion-Conclusion
loi positive, Fondateurs
Loi sur le copyright
anglais, « Piratage », Fondateurs-Fondateurs
comme modalité de réglementation ex post, « Propriété »-« Propriété »
comme protection des créateurs, Introduction, Débuts-Débuts
copies comme problème principal de, Loi et Architecture : Atteinte-Loi et Architecture : Atteinte
créativité entravée par, « Piratage »
deux buts principaux de la, Piratage II
développement de, Fondateurs-Fondateurs
étendue de la, Loi et Architecture : Atteinte-Loi et Architecture : Atteinte
européenne, Loi : étendue
histoire américaine de la, Débuts-Loi : durée
innovation entravée par la, Contraindre les innovateurs-Contraindre les innovateurs
Japonais, Créateurs-Créateurs
liberté d'innvation équilibrée par une rémunération juste dans la, Pourquoi Hollywood a raison-Pourquoi Hollywood a raison
licences statutaires dans la, Musique enregistrée-Musique enregistrée, Piratage II-Piratage II, Contraindre les innovateurs
obligation d'enregistrement de, Loi : étendue-Loi : étendue
prolongement de la durée dans la, Loi : durée-Loi : durée, Eldred-Eldred
reproduction vs. transformation d'une oeuvre originale, « Piratage »-« Piratage », Loi : étendue, Loi et Architecture : Atteinte-Loi et Architecture : Atteinte
sanction pénale pour infraction à la, Eldred
sur l'enregistrement de musique, Musique enregistrée-Musique enregistrée, Piratage II-Piratage II
technologie comme application automatique de la, Architecture et Loi : Force
usage loyal et, Enregistreurs-Enregistreurs, Loi et Architecture : Atteinte-Loi et Architecture : Atteinte
Loi sur le Copyright (1790), Loi : durée-Loi : durée, Loi : étendue-Loi : étendue
Lott, Trent, « Simples copistes »
Lovett, Lyle, Radio, Chimères, Contraindre les innovateurs, Eldred II
Lucas, George, Enregistreurs
Lucky Dog, The, Eldred
Lumières, les, Fondateurs

M

Madonna, Radio-Radio, Piratage II, « Propriété »
magnétoscopes, Contraindre les innovateurs, 4. Libérer la musique, à nouveau
manga, Créateurs-Créateurs
Mansfield, William Murray, Lord, « Piratage »-« Piratage », Fondateurs-Fondateurs
marché libre, changements technologiques dans un, Pourquoi Hollywood a raison-Pourquoi Hollywood a raison
Marijuana Policy Project, Marché : Concentration
Marx Brothers, Architecture et Loi : Force-Architecture et Loi : Force
McCain, John, Marché : Concentration
médias
concentration des, Introduction-Introduction, « Simples copistes »
impératifs commerciaux des, « Simples copistes »-« Simples copistes »
pression des blogs sur les, « Simples copistes »-« Simples copistes »
médicaments
pharmaceutique, Conclusion-Conclusion
médicaments antirétroviraux, Conclusion-Conclusion
médicaments contre le SIDA, Conclusion-Conclusion
médicaments génériques, Conclusion
Mehra, Salil, Créateurs-Créateurs
MGM, « Propriété »
Michigan Technical University, Catalogues
Mickey Mouse, Créateurs-Créateurs, Loi : étendue
Microsoft, Transformateurs
en opposant de la conférence de l'OMPI, Conclusion
piratage logiciel international de, Piratage I
procès du gouvernement contre, Architecture et Loi : Force
stratégies compétitives de, Piratage I
sur le logiciel libre, Conclusion-Conclusion
système d'exploitation Windows, Piratage I
système de fichier en réseau de, Catalogues-Catalogues
Millar contre Taylor, Fondateurs-Fondateurs
Milton, John, Fondateurs
monopole, coyright en tant que, Fondateurs-Fondateurs
Monroe, Marilyn, Contraindre les innovateurs
Montée de la classe créative, La (Florida), « Piratage »
Morrison, Alan, Eldred
moteurs de recherche, Catalogues-Catalogues
mouvement des Femmes en Rose pour la Paix, Préface, Conclusion
Moyers, Bill, Marché : Concentration
MP3.com, Contraindre les innovateurs-Contraindre les innovateurs
MP3s, Pourquoi Hollywood a raison
MTV, Piratage II
Müller, Paul Hermann, Pourquoi Hollywood a raison-Pourquoi Hollywood a raison
MusicStore, 4. Libérer la musique, à nouveau
musique rap, Reconstruire la culture libre : une idée
my.mp3.com, Contraindre les innovateurs-Contraindre les innovateurs

N

Napster, « Simples copistes », Piratage II-Piratage II, Transformateurs
capital risque pour, Contraindre les innovateurs
gamme du contenu de, Piratage II
industrie du disque traquant les utilisateurs de, Corrompre les citoyens-Corrompre les citoyens
matériel illégal bloqué par, Piratage II-Piratage II
nombre d'enregistrements sur, Piratage II
remplacement de, Piratage II
Nashville Songwriters Association, Eldred
National Writers Union, Eldred
NBC, Marché : Concentration
Needleman, Rafe, Contraindre les innovateurs-Contraindre les innovateurs
NET (No Electronic Theft) Act (1998), Eldred
Netanel, Neil Weinstock, Introduction, 4. Libérer la musique, à nouveau
Netscape, Piratage I
New Hampshire (Frost), Eldred
Nimmer, David, Transformateurs
Nimmer, Melville, 5. Virer beaucoup d'avocats
No Electronic Theft (NET) Act (1998), Eldred
noms de domaine, Enregistrement et renouvellement
normes, influence réglementaire des, « Propriété », Pourquoi Hollywood a raison-Pourquoi Hollywood a raison

O

O'Connor, Sandra Day, Eldred
oeuvres dérivées
développements technologiques et, Loi et Architecture : Atteinte-Loi et Architecture : Atteinte
glissement historique de la portée du copyright sur les, Loi : étendue-Loi : étendue
piratage vs., Créateurs-Créateurs, Loi : étendue-Loi : étendue, Loi et Architecture : Atteinte-Loi et Architecture : Atteinte
usage loyal vs., Loi et Architecture : Atteinte-Loi et Architecture : Atteinte
Olafson, Steve, « Simples copistes »
Olson, Theodore B., Eldred
Opéra de San Francisco, Enregistreurs
Oppenheimer, Matt, Catalogues
originalisme, Eldred
Orwell, George, Collectionneurs-Collectionneurs

P

Paramount Pictures, « Propriété »
parlement britannique, Fondateurs
parole, liberté de
garantie constitutionnelle de, Pourquoi Hollywood a raison
Parti Démocrate, Eldred II
Parti Républicain, Eldred II
partition, « Piratage », Musique enregistrée
Patent and Trademark Office, US., Conclusion-Conclusion
Patterson, Raymond, Fondateurs
pays en développement, prix des brevets étrangers dans les, Conclusion-Conclusion
peer-to-peer (p2p), partage de fichier
efficacité de, « Piratage »-« Piratage »
équilibre de la réglementation perdu dans le, Pourquoi Hollywood a raison
protection anti-infraction dans le, Piratage II-Piratage II
quatre types de, Piratage II-Piratage II
sanctions pénales pour, Eldred
pension des vétérans, 2. Une durée plus courte
permissions
photographie exemptée de, « Simples copistes »-« Simples copistes »
photographie, « Simples copistes »-« Simples copistes »
Picker, Randal C., Cinéma, Radio, Piratage II, Contraindre les innovateurs
piratage
dans le développement de l'industrie du contenu, « Pirates »-Télévision par câble
en asie, Piratage I, 4. Libérer la musique, à nouveau
oeuvre dérivée vs., Créateurs-Créateurs, Loi : étendue-Loi : étendue, Loi et Architecture : Atteinte-Loi et Architecture : Atteinte
pistolet, Architecture et Loi : Force-Architecture et Loi : Force
plainte pour erreur médicale, Contraindre les créateurs
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Pogue, David, Préface-Préface
Politiques, de Aristote, Architecture et Loi : Force
polymorphismes mono-nucléotidiques (SNPs), Conclusion
Porgy and Bess, Eldred
pornographie, Eldred
pouvoir, concentration de, Préface-Préface, Introduction
Prelinger, Rick, Collectionneurs
Premier amendement, Introduction, Pourquoi Hollywood a raison, Loi et Architecture : Atteinte, Marché : Concentration
Princeton University, Catalogues
procès pour infraction au copyright
accusés intimidés par, Catalogues-Catalogues
contre le partage de fichier d'un étudiant, Catalogues-Catalogues
convictions d'infraction délibérée aux, Loi et Architecture : Atteinte-Loi et Architecture : Atteinte
créativité commerciale comme principal but des, Introduction-Introduction
dans l'industrie du disque, Catalogues-Catalogues, Contraindre les créateurs, Contraindre les innovateurs-Contraindre les innovateurs
dommages-intérêts des, Catalogues
plaintes abusives, Catalogues, Contraindre les créateurs, Contraindre les innovateurs
technologie de diffusion cible des, Contraindre les innovateurs
tolérance zéro des, Piratage II-Piratage II
prohibition de l'alcool, Corrompre les citoyens
Promises to Keep (Fisher), 4. Libérer la musique, à nouveau-4. Libérer la musique, à nouveau
propriété des créations, « Piratage »
(voir aussi droits de propriété intellectuelle)
autres droits de propriété vs., Loi et Architecture : Atteinte-Loi et Architecture : Atteinte
protections par la loi commune, Loi : durée
théorie de la valeur implique droit, « Piratage »-« Piratage »
tradition constitutionnelle sur la, Débuts-Débuts
propriété foncière, et trafic aérien, Introduction-Introduction, 3. Usage libre contre usage loyal
protection des artists vs. intérêts commerciaux, Introduction
Public Citizen, Eldred
Public Enemy, Reconstruire la culture libre : une idée
Public Library of Science (PLoS), Conclusion, Reconstruire les libertés autrefois présumées acquises : exemples
publicitaire, « Simples copistes », Pourquoi Hollywood a raison, Loi et Architecture : Atteinte-Loi et Architecture : Atteinte, Marché : Concentration-Marché : Concentration
publicités, « Simples copistes », Pourquoi Hollywood a raison, Marché : Concentration-Marché : Concentration

Q

Quayle, Dan, Collectionneurs

R

radio
concentration des propriétaires de, Marché : Concentration-Marché : Concentration
disques de musique joués sur, Radio-Radio, Piratage II, Contraindre les innovateurs-Contraindre les innovateurs
spectre de fréquence FM, Introduction-Introduction, Pourquoi Hollywood a raison
sur Internet, Contraindre les innovateurs-Contraindre les innovateurs
radio FM, Introduction-Introduction, Pourquoi Hollywood a raison
RCA, Introduction-Introduction, Pourquoi Hollywood a raison, Postface
Reagan, Ronald, Eldred, Conclusion
Real Networks, Contraindre les innovateurs, 4. Libérer la musique, à nouveau
recherche biomédicale, Conclusion
Recording Industry Association of America (RIAA)
concernant les taxes sur la webradio, Contraindre les innovateurs-Contraindre les innovateurs
pouvoir de lobbying des, Catalogues, Contraindre les innovateurs-Contraindre les innovateurs
procès pour infraction au copyright engagés par, Catalogues-Catalogues, Contraindre les innovateurs
tactiques d'intimidation, Catalogues-Catalogues
réforme de la responsabilité pénale, Contraindre les créateurs
réglementation
comme protectionnisme des acquis, Pourquoi Hollywood a raison-Pourquoi Hollywood a raison, Contraindre les innovateurs-Contraindre les innovateurs
pénalités énormes de la, Contraindre les innovateurs
quatre modalités de, « Propriété »-Pourquoi Hollywood a raison
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Rensselaer Polytechnic Institute (RPI), Catalogues-Catalogues
moteur de recherche du réseau du, Catalogues-Catalogues
reprise de chansons, Musique enregistrée
réseaux d'ordinateurs d'université, partage de fichier (p2p) sur, Catalogues-Catalogues
revues scientifiques, Conclusion, Reconstruire les libertés autrefois présumées acquises : exemples-Reconstruire les libertés autrefois présumées acquises : exemples
Roberts, Michael, Contraindre les innovateurs
robot chien, Architecture et Loi : Force-Architecture et Loi : Force
robots, Collectionneurs, Architecture et Loi : Force
Rogers, Fred, Architecture et Loi : Force
Roméo et Juliette (Shakespeare), Fondateurs-Fondateurs
Rose, Mark, Fondateurs, Remerciements
Royaume Uni
archives publiques des créations au, Conclusion
histoire du copyright au, Fondateurs-Fondateurs
RPI (voir Rensselaer Polytechnic Institute (RPI))
Rubenfeld, Jeb, Loi : étendue
Russel, Phil, Musique enregistrée

S

Safire, William, Préface, Conclusion
Sarnoff, David, Introduction
Scalia, Antonin, Eldred
Scarlet Letter, The (Hawthorne), Eldred
Schlafly, Phyllis, Eldred
Seasons, The (Thomson), Fondateurs
Sénat US, Débuts
Shakespeare, William, Créateurs, Fondateurs
Silent Spring (Carson), Pourquoi Hollywood a raison
Simpsons, Les, Enregistreurs-Enregistreurs
Sites web, enregistrement du nom de domaine de, Enregistrement et renouvellement
Sommet mondial sur la société de l'information (WSIS), Conclusion-Conclusion
Sonny Bono Copyright Term Extension Act (CTEA) (1998), Loi : durée-Loi : durée, Eldred-Eldred
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Sony
robot chien Aibo produit par, Architecture et Loi : Force-Architecture et Loi : Force
technologie Betamax développée par, Piratage II-Piratage II
Sony Pictures Entertainment, « Propriété »
Sousa, John Philip, Musique enregistrée
Stallman, Richard, Reconstruire les libertés autrefois présumées acquises : exemples-Reconstruire les libertés autrefois présumées acquises : exemples
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Steamboat Willie, Créateurs-Créateurs
Stevens, Ted, Préface
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survol, Loi et Architecture : Atteinte, Reconstruire les libertés autrefois présumées acquises : exemples-Reconstruire les libertés autrefois présumées acquises : exemples
Sutherland, Donald, Transformateurs
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système d'exploitation Linux, Piratage I, Eldred, Conclusion, Reconstruire les libertés autrefois présumées acquises : exemples
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système féodal, Conclusion-Conclusion
système judiciaire, Marché : Concentration
système légal, frais d'avocats dans le, Catalogues

T

Talbot, William, « Simples copistes »
Tatel, David, Eldred
Tauzin, Billy, Contraindre les innovateurs
Taylor, Robert, Fondateurs
technique d'appareil photographique, « Simples copistes »-« Simples copistes », Pourquoi Hollywood a raison
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application du copyright contrôlée par la, Architecture et Loi : Force
industries en place menacées par les évolutions de la, Pourquoi Hollywood a raison
objectif du copyright modifié par, Loi et Architecture : Atteinte-Loi et Architecture : Atteinte
réglementation obscure sur la, Contraindre les innovateurs
télécommandes, Pourquoi Hollywood a raison
téléphones portables, musique streamée sur, 4. Libérer la musique, à nouveau
télévision
câble vs. radio-diffusion, 4. Libérer la musique, à nouveau
controverse évitée par, Marché : Concentration
publicité à la, « Simples copistes », Pourquoi Hollywood a raison, Marché : Concentration-Marché : Concentration
télévision par câble, Télévision par câble-Télévision par câble, Piratage II-Piratage II, Marché : Concentration, 4. Libérer la musique, à nouveau
thérapies contre le SIDA, Conclusion-Conclusion
Thomas, Clarence, Eldred
Thomson, James, Fondateurs-Fondateurs
Thurmond, Strom, « Simples copistes »
Tocqueville, Alexis de, « Simples copistes »
Tonson, Jacob, Fondateurs-Fondateurs
Torvalds, Linus, Reconstruire les libertés autrefois présumées acquises : exemples
trafic aérien, vs. propriété foncière, Introduction-Introduction
Turner, Ted, Conclusion
Twentieth Century Fox, « Propriété »

U

United States Trade Representative (USTR), Conclusion
Universal Music Group, Marché : Concentration, Contraindre les innovateurs
Universal Pictures, « Propriété »
usage loyal, Loi et Architecture : Atteinte-Loi et Architecture : Atteinte
dans un film documentaire, Enregistreurs-Enregistreurs
poids d'Internet sur l', Loi et Architecture : Atteinte
tactiques juridiques d'intimidation contre l', Enregistreurs-Enregistreurs, Loi et Architecture : Atteinte-Loi et Architecture : Atteinte

V

Vaidhyanathan, Siva, Créateurs, Cinéma, Fondateurs, Architecture et Loi : Force, Ensemble
Valenti, Jack
copyright à durée perpétuelle proposé par, Eldred
en opposant de la loi Eldred, Eldred II
passé de, « Propriété »-« Propriété »
sur la technique du magnétoscope (VCR), Piratage II-Piratage II
sur les droits de propriété des créations, Introduction, Loi et Architecture : Atteinte
valeur implique droit, théorie, « Piratage »-« Piratage », « Pirates »
Vanderbilt University, Collectionneurs
vente de disques usagés, Piratage II
Video Pipeline, Loi et Architecture : Atteinte-Loi et Architecture : Atteinte
vitesse de conduite, limitation de la, « Propriété »-« Propriété »
vitesse, limitations de, « Propriété »-« Propriété »
Vivendi Universal, Chimères, Contraindre les innovateurs-Contraindre les innovateurs
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von Lohmann, Fred, Corrompre les citoyens

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Yanofsky, Dave, « Simples copistes »

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Zittrain, Jonathan, « Piratage », Loi : étendue

Culture libre : comment les médias utilisent la technologie et la loi pour verrouiller la culture et contrôler la créativité / Lawrence Lessig.

Copyright © 2004 Lawrence Lessig. Droits réservés.

http://free-culture.cc/

Publié en 2015. Première publication en 2004 par The Penguin Press.

L'édition norvégienne Bokmål et française est publiée par Petter Reinholdtsen avec l'aide de nombreux volontaires.

Mis en forme avec dblatex utilisant la fonte Crimson Text.

Extrait d'un éditorial titré « The Coming of Copyright Perpetuity », The New York Times, 16 janvier 2003. Copyright © 2003 du The New York Times Co. Réimprimé avec permission.

Dessin de la figure 10.18 de Paul Conrad, copyright Tribune Media Services, Inc. Tout droit réservé. Réimprimé avec permission.

Schéma de la figure 10.19 autorisation du commissaire du bureau du FCC, Michael J. Copps.

Couverture créée par Petter Reinholdten avec inkscape.

Les citations sur la couverture viennent de http://free-culture.cc/jacket/.

Le portrait sur la couverture a été créé en 2013 par ActuaLitté et sous licence Creative Commons Attribution-ShareAlike 2.0. Obtenu à partir de l'URL https://commons.wikimedia.org/wiki/File%3ALawrence_Lessig_(11014343366)_(cropped).jpg.

Classifications :

(Dewey) 306.4, 306.40973, 306.46, 341.7582, 343.7309/9

(UDK) 347.78

(Bibiothèque du Congrès des USA) KF2979.L47 2004

(ACM CRCS) K.4.1

L'impression a été sponsorisée par la fondation NUUG, http://www.nuugfoundation.no/.

Inclut un index.

Le fichier source au format DocBook est disponible au lien https://github.com/petterreinholdtsen/free-culture-lessig. Merci de signaler à cette URL tout problème concernant ce livre.

Ce livre est sous licence Creative Commons. Cette licence permet une utilisation non commerciale de cette oeuvre, à la condition de signaler les attributions de l'oeuvre. Pour plus d'informations concernant la licence, voir http://creativecommons.org/licenses/by-nc/1.0/.

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